Face à ses concurrents, 1956-1957
La compétition fait rage entre les constructeurs pour fournir le chasseur léger. Qui du “Durandal”, du “Gerfaut”, du “Mirage” ou du “Trident” va l’emporter ?
Le “Trident” décolle le premier, bientôt rejoint par le “Mirage”. La compétition fait rage entre les équipes.
L’année 1956 fut déterminante pour le “Trident”. Elle commença mal. Lors de son deuxième vol, le 6 janvier, en finale à Istres, les réacteurs du SO.9050 002 (“Trident” II) s’éteignirent faute de carburant. En fait la pompe avait laissé 90 l dans les réservoirs, sur lesquels le pilote comptait pour l’atterrissage. L’avion se disloqua en percutant le sol. La cabine se détacha, et Guignard ne fut miraculeusement pas blessé. Laconique, il dit : “J’ai encore cassé un avion.” Le SO.9050 003 prit la relève le 30 mars. Le 26 juin, Max Fischl, qui avait intégré l’équipe d’essais constructeur, effectua son premier vol dessus.
Abordons un aspect très novateur du programme “Trident”. Depuis le début les ingénieurs travaillaient sur une version télécommandée, sans pilote à bord.
Un drone de combat avant l’heure
L’avion aurait exécuté la même mission d’interception guidé depuis une station au sol. C’était un drone de combat avant l’heure. Le SO.9050 003 TP (pour télépiloté) était destiné à servir de banc d’essais pour les équipements de guidage et de télécommande. C’était bien sûr extrêmement ambitieux, notamment parce que cela supposait tout un réseau de guidage au sol qui n’existait pas et dont la mise en oeuvre aurait probablement été coûteuse. Néanmoins, le concept du “Trident” sans pilote fut longtemps proposé.
Chez Dassault, le début de l’année 1956 fut marqué par une décision radicale. Avant tout le MD.550 prit le nom de “Mirage” en février. Mais le plus important allait venir. Roland Glavany raconta lors d’un colloque en 1986 : “Dès la fin de 1955, il devint presque évident que nous faisions fausse route. Le comportement de la cellule n’était pas parfait, mais surtout confier l’essentiel des performances à une fusée qui donnait
Dans l’ensemble (…) le SO.9050 se présente moins bien que le SO.9000.
Le “Viper” d’origine britannique fut amélioré par Dassault pour propulser le “Trident” et le “Mirage” I. Son développement fut par la suite abandonné après l’arrêt du “Trident” et du “Mirage” I.
toute sa poussée durant 20 secondes apparaissait de plus en plus comme irréaliste et propre à supprimer toute souplesse d’emploi.”
De nouveaux compétiteurs
Marcel Dassault n’était pas satisfait du “Mirage” I et de son extrapolation opérationnelle, le “Mirage” II, version avec deux “Gabizo” associés à deux moteursfusées, encore au stade de la planche à dessin. Estimant les spécificités demandées par la fiche programme du chasseur léger de 1953 caducs à court terme, il s’en émancipa et demanda à son bureau d’études de se pencher sur d’autres configurations, plus grandes, plus performantes aussi. Il fut question notamment d’un “Mirage” III dessiné autour du réacteur Snecma “Atar” 9 de 6 t de poussée. Sans attendre l’accord des autorités officielles, Marcel Dassault finança sur fonds propres l’étude et la fabrication du “Mirage” III dès le début de 1956. Ce coup de poker permit au constructeur de mettre dans son jeu un atout déterminant.
Avril 1956 vit la compétition des chasseurs légers prendre toute son ampleur avec, le 17, le premier vol du Nord “Gerfaut” II, dérivé de son prédécesseur expérimental “Gerfaut” I qui volait depuis janvier 1954 (lire Le Fana de l’Aviationon nn° 532). Le 20 du même mois entraa en lice le dernier des compétiteursurs : le SE. 212 “Duran d a l” de la Sncase. Signalons un prétendant potentiel avecc le constructeurur Leduc et seses démonstrateursurs conçu autour de la “tuyère ther-hermopropulsive”.. Ils pouvaient en théo-héorie rivaliser avecec les autres compétiteursiteurs pour doter l’arméemée de l’Air. Le 022 volala pour la première fois le 26 dé-décembre. Chacunnespéraitespérait de substantielles commandes.
Le 11 juin, l’État confirma la commande de six “Trident” auxquels s’ajoutèrent par la suite quatre autres appareils. Ils bénéficiaient de quelques aménagements par rapport aux deux premiers SO.9050. Le SO.9000 01 acheva ses essais fin 1956 avec un bilan mitigé. Les pilotes du CEV avaient souligné plusieurs défauts importants, comme des commandes de vol peu précises, notamment dans le domaine transsonique. Les moteurs-fusées n’étaient pas assez fiables : sur 19 mises à feu réaliséesréa en 19 mois, cinqc seulementment pouvaientpouv être considéréconsidérées comme satisfaisasatisfaisantes. Les pannes étaient nombnombr e u s e s , obligeobligeant le pilotelote à vidanger l’acidl’acide en vol. Le ttemps de foncfonct ionnemenment des trois chachambres en mêmême temps n’n’était que dde 62 seccondes, limmitant les perfoperformances. Mi- décembre, le SO.9000 rejoignit les collections du musée de l’Air, où il est toujours exposé. Les essais du SO.9050 devaient éliminer les défauts constatés sur le SO.9000. Après 31 vols constructeurs – dont sept avec fusée –, Marias le
prit en main pour le CEV le 13 mars. Il fut déçu : “Dans l’ensemble, à part la visibilité, les aérofreins et la garde au sol sous les gouvernes, l’avion se présente moins bien que le SO.9000.” Au bout de 15 jours d’évaluation, le rapport du CEV fut sévère : “Mauvaise qualité des commandes de vol, mauvaise qualité de vol à basse vitesse train sorti, mauvais comportement de l’avion en transsonique. Les deux premiers points rendent l’avion délicat, sinon dangereux.” Une nouvelle évaluation fin avril nota des améliorations, sans que l’avion ne donne satisfaction.
Coquetterie ou volonté de simplifier un acronyme sans signification pour les étrangers, en tout cas la Sncaso prit le nom de Ouest Aviation au mois de septembre.
que la compétition du chasseur léger battait son plein, un changement majeur se produisit au mois de juillet 1956 quand l’état-major annonça l’évolution du programme. Il était désormais question d’“intercepteur léger stade II”. Il fallait désormais un chasseur autonome, c’est- à- dire équipé d’un radar et ne dépendant plus des moyens au sol comme auparavant. Le chasseur recherché était plus grand, plus lourd, en fait la synthèse de pratiquement tous les programmes d’avions de combat alors menés par la France. Il pouvait reprendre les missions à grande vitesse et haute altitude du chasseur léger, celles du SO.4060 – chasse de nuit –, et enfi n celles des avions d’attaque légers des programmes France et de l’Otan. Néanmoins à l’époque, dans bien des esprits, il était encore admis que plusieurs avions pouvaient cohabiter en fonction de leur spécialisation.
de Dassault poursuivait ses essais. Le 17 décembre, le “Mirage” I fut poussé jusqu’à Mach 1,30 en palier. Mais tous les espoirs reposaient désormais sur le “Mirage” III 001 qui avait décollé de Melun-Villaroche le 17 novembre, piloté par Roland Glavany. L’avion se montrait indéniablement prometteur. Au cinquième vol, il atteignit 40 000 pieds (12 192 m) sans la postcombustion et Mach 1,42 à pleine puissance. À partir de son 28e vol, il fut entre les mains des pilotes du CEV qui rendirent une appréciation positive, loin des critiques émises sur le “Trident” I.
Premières inquiétudes
du programme de chasseur léger provoqua une vive inquiétude chez Ouest Aviation si l’on en croit le long courrier que son président Georges Glasser adressa le 18 septembre au général Paul Bailly, chef d’état-major de l’armée de l’Air, et au secrétaire d’État à l’Air Henri Laforest. C’était un véritable plaidoyer pour le “Trident” ; Glasser écartait les reproches sur les difficultés du programme, notamment sur la fusée : “Je me permets de vous faire remarquer que nous avons exécuté 675 allumages sur avion avec un homme à bord sans aucun incident grave.” La fusée était pour Glasser la meilleure solution entre coût et efficacité opérationnelle : “Si on veut chasser entre 15 000 et 20 000 m et au-delà, il n’y a pas d’autre solution.
6,2 m 12,7 m 14,5 m2 2 600 kg 5 150 kg 2 x réacteurs “Viper” de 730 kgp chacun, plus 1 x moteur- fusée SEPR 63 de 3 000 kgp ( 1 500 kg par chambre) 830 l de kérosène, 805 l d’acide nitrique, 520 litres de furaline
de bombardier sont faibles. Il faut 5 minutes (et 110 km) à l’avion pour passer de Mach 0,9 à Mach 1,33 en palier à 37 000 pieds (11 277 m).”
que les sociétés nationales s’organisaient dans un nouvel ordre de bataille, le “Mirage” de Dassault prit de son côté de l’ampleur le 9 mai avec la commande de 10 “Mirage” IIIA de présérie…
Un accident dramatique
“Trident” voyait s’ouvrir de nouvelles perspectives avec l’arrivée aux essais du SO.9050 n° 04 le 3 mai 1957. Il devait résoudre les critiques émises depuis le début du programme. Ses réacteurs “Gabizo” produisaient désormais 1 100 kg de poussée chacun. Le
Salon du Bourget qui approchait était envisagé comme une vitrine du savoir-faire de Sud Aviation et des possibilités du chasseur aux décideurs politiques et militaires. L’inquiétude était en effet de mise dans le contexte de réduction budgétaire. Il fallait rassurer, impressionner. Ce fut dans ce contexte que se produisit le 21 mai 1957 un accident fatal. Charles Goujon se tua à bord du SO.9050 001 un peu plus de 3 minutes après son décollage de Melun-Villaroche, en préparant son ambitieuse démonstration pour le Salon. Lors de la cérémonie funèbre aux Invalides organisée le 25 mai, Georges Hereil déclara : “Adieu Charles Goujon, nous continuerons.” Ce fut un coup dur à tout point de vue pour le programme du “Trident”. Seule note d’espoir pour Sud Aviation : la “Caravelle” fit sensation au
Bourget cette année-là. Les vols du “Trident” reprirent le 5 août.
Début septembre, Roger Carpentier arriva comme pilote d’essais chez Sud Aviation. Il venait du CEV et était entré dans l’histoire en étant le premier pilote français à passer officiellement le mur du son le 12 novembre 1952 sur le Dassault “Mystère” II. Manque de chance, il posa sur le ventre le SO.9050 003 le 19 septembre, le
train d’atterrissage ayant refusé de sortir. L’avion fut immobilisé deux mois pour réparation.
Le noeud gordien est tranché
L’imposant noeud gordien formé par le choix d’un chasseur et simultanément d’un avion d’attaque au sol fut tranché en cette fi n 1957. Le 26 septembre, l’État signa la commande de 100 “Mirage” IIIA. La défi nition fi nale de l’avion fut ensuite discutée pour aboutir un peu plus tard au “Mirage” IIIC, mais le contrat clôturait de fait la compétition du chasseur léger ouverte en 1953. Dans le même temps, le programme d’avion tactique léger de l’Otan déboucha sur la victoire du concurrent italien, le Fiat G91 ; pour des raisons évidentes de soutien à l’industrie aéronautique française, sa commande en série pour l’armée de l’Air était inimaginable. Les concurrents du programme français furent abandonnés, et la commande du SO.4060 annulée. De fait, le “Mirage” III
emportait toute la mise. Ce fut une victoire par KO pour Dassault. Les réactions furent vives chez Sud Aviation, où l’on comprit les conséquences du choix de l’armée de l’Air à long terme.
Ce même 26 septembre, le hasard fit que le conseil d’administration de Sud Aviation se réunit. Ce fut l’occasion d’une proclamation sans ambages de Hereil qui touchait à la nature même de sa société : “C’est en conséquence de la loi sur la nationalisation des fabrications de guerre et pour faire du matériel militaire que les sociétés nationales ont été créées : il serait profondément illogique et contraire à la loi de 1937 qu’en supprimant le SO.4060 et en arrêtant par voie de conséquence le bureau d’études de Courbevoie, Sud Aviation, société nationale, n’ait à construire que du matériel civil, tandis que les avions militaires deviendraient pratiquement le monopole d’une société privée.” Ce passage tord le cou à l’idée d’un “traité de Tordesillas” (1) entre Georges Hereil et Marcel Dassault quant au partage de l’industrie civile et militaire au bénéfice de l’un et l’autre. Sud Aviation proposa des projets d’avions de combat jusqu’en octobre 1965, quand le ministre des Armées Pierre Mesmer partagea finalement les rôles entre industriels.
Le programme du “Trident” entama fin 1957 une inexorable agonie. Au mois d’octobre, la commande des 10 avions de présérie fut ramenée à six. Une note du CEAM (Centre d’expertise aérienne militaire) du 14 novembre enfonça le clou à son propos : “Malgré certaines performances brillantes, il ne semble pas qu’un avion opérationnel puisse sortir de cette formule, principalement à cause des énormes difficultés d’emploi de la fusée. Cet avion est toujours expérimental.”
Avalanche de projets
Pendant que les équipes des essais poursuivaient malgré tout les vols, les ingénieurs s’activaient sur les planches à dessins à Courbevoie pour proposer des “Trident” très audacieux. Il fut ainsi question de plusieurs “Trident” III bénéficiant d’optimisations aérodynamiques pour faciliter le vol à grande vitesse, avec des systèmes d’armes bâtis autour de radars. Les ingénieurs calculaient des vitesses de Mach 2,3 en croisière. Les projets de “Trident” IV se voulaient encore plus ambitieux, notamment avec le remplacement des réacteurs en bout d’aile par des statoréacteurs. Les calculs visaient désormais Mach 3 et plus. Téméraire, Sud Aviation demanda de nouveaux crédits pour
(1) Le 7 juin 1494, à Tordesillas, dans la province espagnole de Valladolid, l’Espagne et le Portugale s’entendirent sur le partage du Nouveau Monde.
“Réussir un avion et non pas des études doit être l’objectif principal (…) ”
s’élancer dans la stratosphère. Or, loin d’intéresser les services officiels, cette avalanche de projets, sur le papier tous plus séduisants les uns que les autres, provoqua un agacement certain si l’on en croit une note cinglante de la DTIA (Direction technique et industrielle de l’aéronautique) adressée à Sud Aviation le 4 octobre : “Réussir un avion et non pas des études doit être l’objectif principal de la direction technique militaire qui supervise Courbevoie.” Dans une sorte de chant du cygne, dirigeants et ingénieurs proposèrent encore des missiles stratégiques, pas plus heureux que les précédents projets. “La défaillance possible de l’unique formule “Mirage” IV serait très grave. Une assurance vaut bien quelques millions”, supplia en vain Hereil dans un courrier au secrétaire d’État aux forces armées Air Louis Christiaens (2).
L’Allemagne s’intéresse au “Trident”
Les essais en vol du “Trident” se poursuivaient. Paradoxalement, alors que se profilait la fin du programme, les résultats étaient de plus en plus encourageants. Le S0.9050 05 vola le 22 octobre. Il était équipé d’un siège éjectable Martin-Baker d’origine britannique qui se substituait au type E105 de la Sncaso – celle-ci avait lancé une gamme de sièges éjectables qui équipaient la plupart des chasseurs français. L’introduction d’une autocommande Sfena permit en particulier d’améliorer le pilotage de l’avion.
En novembre 1957, Albert Werner arriva à Istres, chargé d’évaluer les chasseurs supersoniques qui pouvaient équiper l’ Allemagne Allemagne fédérale. Le “Trident” était un candidat potentiel. Werner, ancien pilote de la Luftwaffe, ne fit pas bon effet surr l’équipe d’essais enn vol de Sud Aviation.n. Il effectua le 21 no-ovembre un seul volol avec uniquement les réacteurs. Les autresres sorties furent ensuiteuite toutes annulées, le pilote allemand ne donnant absolumentment pas confiance. Son évaluation du
“Mirage” III ne se passa également pas bien. L’Allemagne fédérale évalua ensuite les chasseurs américains ricains. L’un des concurr entsrentslesp lus sérieux fut le Lockheed F-104 “StarStarfighter” qui avait volé pourp la première fois le 4 marsm 1954 et atteint MacMach 2 le 28 février 1951956. Les “Mirage” III et “Trident” se mesurairaient à un adversaire redredoutable. De son côcôté, le SR. 53 britatannique entamait à peine ses essais ; il avait volé pour lla première fois le 16 mmai 1957. La RAF envisageait d’ en envisage ait d’ en acquérir une version opérationnelle, le SR.177. ■