Première pilote féminine de l’armée de l’Air
Le 27 mai 1940, l’aviatrice Claire Roman est officiellement autorisée à rejoindre l’armée de l’Air. Retour sur la carrière exceptionnelle, bien que discrète et trop brève, de cette jeune femme dont on célèbre cette année le 80e anniversaire de la disparit
Il y a 80 ans disparaissait une pilote à la carrière exceptionnelle.
Claire Roman. Un nom qui reste aujourd’hui peu et mal connu dans l’histoire de l’aviation civile et militaire française. Une aviatrice dont l’histoire fut trop brève, mais qui, par son parcours aéronautique, mérite un intérêt particulier en cette année qui marque le 80e anniversaire de sa disparition. De son nom de jeune fille Claire-HenrietteÉmilie Chambaud, Claire Roman est née le 25 mars 1906 à Mulhouse. Son père, Jules Paul Chambaud, est ingénieur directeur d’usine de la filature Schwartz à Mulhouse, marié à Élisabeth Braun depuis 1894, à la suite du décès de sa première épouse. Dans un milieu bourgeois et aisé, Claire profite de sa jeunesse et de la situation familiale, aux côtés d’un frère Jouanin Daniel, de 2 ans son aîné.
Jeune fille brillante, bachelière à 16 ans, elle part en Angleterre pour faire son apprentissage des langues. Inscrite en philosophie à la Sorbonne à son retour d’outreManche, Claire s’intéresse brièvement à la peinture, puis passe avec succès le concours d’infirmière en 1926. Elle se marie le 8 mai 1929 à Paris avec Serge Roman, lieutenant
en activité au 31e régiment d’infanterie, décoré de la Croix de guerre durant la Première Guerre mondiale, mais très affecté psychologiquement par ce confl it. Une union compliquée entre une jeune femme pleine de vie et un homme de neuf ans son aîné, traumatisé par la guerre. Le 22 mars 1932, elle s’achève brutalement par le suicide de ce dernier qui se jette du 5e étage de leur résidence parisienne au 55, avenue de La Motte-Picquet, dans le 15e arrondissement parisien.
Un changement radical de vie
Marquée par cette tragédie, Claire Roman quitte son milieu bourgeois et Paris pour s’engager alors comme infirmière de la CroixRouge au Maroc, à l’hôpital Louis de Meknès. Un changement radical de vie, une rupture dans l’histoire personnelle de Claire Roman. C’est durant son séjour marocain qu’elle s’intéresse à l’aviation, découvrant le terrain proche de Meknès. Entre juin et septembre 1932, elle accumule une vingtaine d’heures de vol comme pilote sur les Potez 36/13 à double commande immatriculés F-ALBK et F-ALTD, propriétés du club de tourisme aérien de Meknès. Le 26 novembre 1932, elle obtient son brevet de pilote de tourisme n° 1328… comptabilisant 26 heures de vol en tout et pour tout ! En septembre 1933, on lui confie le convoyage du Caudron C. 282/ 2 F-AMGF de Meknès à Paris. Une rude expédition pour cette jeune femme tout juste brevetée. Partie de Meknès, elle rejoint Barcelone en Espagne en 7 heures de vol, avec un ravitaillement à Tanger. Le lendemain, elle se pose à Lyon et, le surlendemain, elle atterrit sans encombre à Paris. Claire Roman décide alors de poursuivre dans l’aviation : elle s’inscrit au groupement d’aviation privée “Roland- Garros” de l’Aéro-Club de France, à Orly, et apprend à piloter plusieurs appareils : Caudron C. 272, MoraneSaulnier 230 ou encore Potez 43.1. L ’av i at io n devient alors pour elle une passion. Le 13 mai 1934, elle participe au rallye ParisDeauville avec la section féminine de l’Aéro-Club de France. En juillet de la même année, elle s’inscrit à l’aéroclub Caudron de Guyancourt, puis rejoint l’Angleterre pour prendre en main d’autres appareils – dont les Avro “Avian”, Avro “Cadet” et De Havilland “Push Moth” – et s’initier au vol de nuit, nécessaire pour un grand raid, un projet qui semble lui tenir à coeur dans une période de l’histoire aéronautique propice à ce genre d’exploits.
En août 1935, elle s’initie à la voltige sur Morane-Saulnier 341 et participe à la première édition de la Coupe Hélène Boucher, entre Buc et Cannes, à la fin du mois, se classant deuxième derrière une certaine Maryse Hilsz, avec un avion Maillet de 180 ch. En octobre, elle persiste et participe au Tour de France des prototypes sur un Maillet 20F ; elle est la seule femme pilote durant cet événement.
Le 17 mars 1936, Claire Roman passe avec succès son brevet de pilotage sans visibilité – après seulement 2 heures de vol selon les documents officciels –, puis de pilote et de navigateur de transport le 28 octobre de la même année, tout en se formant à la radio et à la mécanique. Apte à faire du convoyage, de l’avion-taxi et de l’instruction, Claire Roman devient une des aviatrices les plus expérimentées de sa génération. Début juillet, elle a par ailleurs participé au Tour de Belgique sur un Salmson “Phrygane” immatriculé F-AOCV, et en août, à la Coupe Hélène Boucher sur un MailletLignel 21 – elle se classe de nouveau deuxième derrière Maryse Hilsz.
En avril 1937, c’est le grand saut pour Claire Roman. Elle effectue avec succès son premier raid Le Bourget-Pondichéry avec son amie Alix Lucas-Naudin. Un périple éprouvant raconté par la presse parisienne, dont l’hebdomadaire Les Ailes du 27 mai 1937 ou L’homme libre du 23 avril 1937. La réputation des deux femmes est à la hauteur de l’exploit. Ainsi dans ce dernier : “Après avoir consulté une dernière fois l’offi ce national météorologique – la providence des aviateurs –, Mme Claire Roman et Mlle Alix Lucas- Naudin sont parties du Bourget hier matin à 5 h 40 en direction de Marseille, Rome
et Brindisi avec leur Salmson “Phrygane” de 135 ch prêté par l’un de leurs amis et sur lequel elles ont fait installer des réservoirs d’essence supplémentaires pour couvrir d’un seul vol 1 500 km à 150-160 à l’heure.”
À leur retour, Claire Roman et Alix Lucas-Naudin seront mises à l’honneur lors d’une réception organisée à Buc par le groupement “Roland-Garros” de l’Aéro-Club de France, recevant une plaquette commémorative remise par Mme Blériot, présidente de la section féminine de l’Aéro-Club. La même année, Claire Roman décroche plusieurs records féminins relatés dans L’Année aéronautique 1938-1939 : record d’altitude à 5 343 m, catégorie multiplace cylindrée de 2 à 4 l, sur monoplan Taupin comme pilote, avec Alix Lucas-Naudin comme passagère (10 novembre) ; record féminin d’altitude à 6 241 m, catégorie monoplace, cylindrée de 2 à 4 l, sur monoplan Taupin à Buc (5 décembre) ; record féminin d’altitude à 6 782 m, catégorie 4,5 à 6 l de cylindrée sur monoplan Caudron “Rafale” à Istres (29 décembre) ; et record de vitesse sur 2 000 km à la moyenne de 245 km/h sur le même appareil à Montpellier (30 décembre).
Le recrutement des femmes dans les armées
Mais, en 1938, la situation internationale bouleverse sa carrière de pilote civil. Claire Roman ne vole que 40 heures durant l’année ; plusieurs projets de raids de propagande aérienne et de courses sont reportés ou abandonnés. Dans un même temps, son attirance pour l’aviation militaire est freinée, la nouvelle génération d’aviatrices ne pouvant pas entrer dans l’armée de l’Air et faire carrière comme pilotes militaires. Seules les infirmières pilotes et secouristes de l’Air (les Ipsa) sont tolérées, et ce depuis 1937. La perspective d’un nouveau conflit va néanmoins faire bouger les lignes.
Dans la revue Minerva publiée le 6 août 1939, l’aviatrice Madeleine Charnaux, elle-même engagée dans le corps auxiliaire féminin de l’aéronautique avec le statut d’opérateur radio, évoque ainsi un projet de création d’un “corps auxiliaire féminin de l’aviation” dans lequel des femmes brevetées pilotes pourraient être engagées afin d’effectuer des missions sanitaires ou de transport postal. Ce projet était rendu légitime par la loi du 11 juillet 1938 sur le pays en temps de guerre, qui prévoit l’engagement et le recrutement des femmes dans les armées. Les premières intéressées qui se manifestent sont Élisabeth Boselli, Madeleine Charnaux, Maryse Hilsz, Maryse Bastié ou encore… Claire Roman.
À la déclaration de guerre, afin de soulager les pilotes masculins, Claire Roman se met d’ailleurs à la disposition des autorités militaires comme pilote civil pour piloter des avions sanitaires ou convoyer des avions de tourisme réquisitionnés vers les zones de combat. Après la guerre, dans le magazine Aviation française du 13 mars 1946, Suzy Mathis raconte le fort engagement patriotique de Claire Roman, disponible pour toutes les missions : “Dans un temps record, elle fait Paris- Istres, Paris- Marignane, deux voyages pendant que les autres pilotes n’en font qu’un. Elle voyageait dans les trains de nuit, debout dans les couloirs ou sur les boggies des wagons [!], infatigable, étonnant tout le monde par son cran et son audace, repartant en avion le lendemain de son arrivée, prenant à peine quelques heures de repos.”
Dans ses mémoires, Élisabeth Boselli le reconnaît : “En réalité, nous savions que nous ne connaissions pas grand- chose, mais nous avions beaucoup de bonne volonté.” Mais les décisions tardent, et les pilotes féminines revendiquent de plus en plus haut et fort leurs compétences. Dans le journal Les Ailes du 9 novembre 1939, la pilote de voltige aérienne Régina Wincza le martèle : “Nous voulons voler ! Nous avons tout sacrifié à l’aviation… et nous voulons voler. Nous ferons tout ce qu’on nous dira de faire, car nous sommes disciplinées. Nous ne demandons pas à être dans la chasse ou le bombardement. Nous sommes des femmes raisonnables : estafettes, monitrices, convoyeuses, réceptionneuses, pilotes d’avions sanitaires, voyages de propagande, tout ce que l’on voudra. Va- t- on nous laisser inactives ? Va-t-on nous faire courir les antichambres et les couloirs du ministère pendant toute la durée de la guerre ? […] Pitié pour les aviatrices ! Qu’on nous laisse vivre à l’ombre des ailes, près de ce que nous aimons le plus au monde : l’aviation !”
Le ministre de l’Air, Guy La Chambre, tout comme le général Vuillemin, chef d’État-major général de l’armée de l’Air, sont sensibles à ces appels pressants et cèdent fi nalement aux demandes des pilotes féminines. Quatre femmes pilotes sont retenues, à titre bénévole, pour faire du convoyage : Maryse Bastié, Maryse Hilsz, Paulette Bray-Bouquet, et Claire Roman, auxquelles s’ajoute l’Ipsa Berthe Finat. Elles sont rattachées provisoirement à la division d’avions de liaison de l’Administration centrale (Dalac), sous les ordres du commandant Leleu. En novembre 1939, un décret est préparé afi n d’autoriser toute femme détenant un brevet de pilote civil et 300 heures de vol à être affectée comme auxiliaire pilote de l’armée de l’Air avec le grade de sous-lieu
“Qu’on nous laisse vivre près de ce que nous aimons le plus au monde : l’aviation ! ”
tenant pour six mois au moins ou plus si les hostilités durent. Après de longues discussions et plusieurs modifications – le nombre d’heures de vol est notamment ramené à 100 –, le décret en question daté du 27 mai 1940 aurait été signé le 11 ou le 12 juin, en pleine débâcle, alors que le gouvernement se replie sur Amboise. Seule de tous les pilotes féminins, Claire Roman, “titulaire de 749 heures de vol”, suit la Dalac à Amboise dès le 13 juin, date de son acte d’engagement : elle devient alors “la première femme pilote faisant partie de l’armée de l’Air”, selon le témoignage de Germaine L’Herbier- Montagnon, qui était Ipsa à cette époque, dans son livre Jusqu’au sacrifice.
Prisonnière, elle s’évade à vélo, puis en NA-57
l’armée de l’Air avec le grade de sous-lieutenant, Claire Roman, toujours affectée à la Dalac en tant que pilote auxiliaire féminin, est chargée d’acheminer des pilotes convoyeurs masculins pour récupérer, sur les bases aériennes françaises, des appareils neufs, souvent non armés, afin d’éviter qu’ils tombent entre les mains de l’ennemi. Lors d’une mission à Rennes le 20 juin, elle est faite prisonnière, avec d’autres officiers français. Enfermée dans une caserne, elle parvient à s’évader à vélo – qu’elle aurait acheté ! –, parcourt 80 km et rejoint la Dalac repliée à Bordeaux à bord d’un North American NA-57, appareil nouveau pour elle qu’elle “emprunte” sur un terrain d’aviation de La Baule-Escoublac. L’histoire est exceptionnelle et le quotidien Paris- Soir du 15 juillet 1940 en fait un de ses titres : “Prisonnière de guerre et évadée, Claire Roman.” Cet exploit lui vaut surtout d’être citée à l’Ordre de l’armée et décorée de la Croix de guerre le 23 juin par décision du ministre de l’Air. Son dossier militaire le mentionne ainsi : “Pilote plein d’allant qui, étant prisonnier, a fait preuve le 18 juin 1940 de hardiesse réfl échie et de belles qualités d’initiatives et de sang-froid en s’évadant à bicyclette puis en avion de guerre bien que n’en connaissant pas le fonctionnement.”
Roman rejoint alors Bordeaux et pilote ainsi jusqu’à la fin août 1940, au-delà de l’armistice, la Dalac étant l’unique formation aérienne française encore autorisée à voler. Le 15 août 1940, son dossier militaire mentionne : “Par sa