Plus près de toi mon Dieu !
Quand un pilote missionnaire conçoit son avion pour répandre la bonne parole dans le monde, cela donne l’“Evangel”, avion à vocation religieuse.
Construire un avion pour répandre la parole divine : l’“Evangel” de Carl Mortenson.
Dans la famille des concepteurs d’avions originaux je demande Carl A. Mortenson. Avec lui, pas de couronnes d’une école d’aéronautique prestigieuse, pas de grands tableaux d’équations pour dessiner des avions supersoniques, mais comme unique diplôme la foi chevillée au corps, la volonté d’évangéliser le monde en répandant la bonne parole avec son avion.
Nati f de Chicago le 15 juin 1934, Carl A. Mortenson baigna depuis sa plus tendre enfance dans le milieu évangélique américain. En 1952, il fut admis au Moody Bible Institute de Chicago dans le programme dit missionary aviation technical course (cours technique de l’aviation missionnaire). C’était en fait un organisme qui dispensait une formation technique en mécanique, en pilotage, mais aussi en lecture de la Bible avec comme objectif de fournir du personnel aux missions évangéliques protestantes envoyées répandre la bonne parole dans le monde entier. Elles étaient – et demeurent – particulièrement nombreuses en Asie et en Amérique du Sud.
Lors de ses deux ans de formation, Mortenson retapa un Stinson “Reliant” racheté 100 dollars et un fusil de chasse. Il partit ensuite en Amérique du Sud rejoindre les évangélistes. Comme
pilote, Mortenson sillonna de long en large tout le continent sud-américain entre 1956 et 1963 en Cessna 180, Aeronca 15AC ou Helio “Courier”, survolant la jungle pour aller d’une mission à une autre. Il transportait le personnel missionnaire, des bibles, assurait les évacuations sanitaires. Ce fut lors d’une convalescence suite à une maladie grave attrapée pendant ses pérégrinations qu’il commença à réfléchir à un avion de brousse assez solide pour relier les missions éparpillées dans la jungle. Il se souvient : “Vous n’êtes pas obligé de voler là-bas longtemps pour savoir qu’il n’est pas bon de n’avoir qu’un simple monomoteur au-dessus de la jungle. J’ai donc imaginé ce que serait pour moi l’avion idéal. Après avoir pensé modifier un Piper “Aztec” ou un “Apache”, je suis parti d’une feuille blanche”.
En 1963, de retour aux ÉtatsUnis, Mortenson se lança dans la conception de l’avion évangéliste avec l’aide d’un pasteur et d’un ancien colonel de l’US Air Force. Mortenson nourrissait l’ambition de fabriquer en petite série son avion. Il fut d’abord question d’un “Evangel” I. L’avion ne fut pas jugé assez performant ; l’équipe passa au “Evangel” II
Carl A. Mortenson et ses apôtres s’installèrent à Wheaton, dans l’Illinois. Ce fut dans un petit atelier que Mortenson peaufina, entouré de quelques volontaires, la fabrication de son avion, désormais connu comme l’“Evangel” 4500. Ici pas de formes tortueuses, de courbes, de circuits hydrauliques compliqués, mais des caissons simples à concevoir, à fabriquer, des pompes à mains pour activer les volets, les trains d’atterrissage. L’avion se voulait rustique, apte à voler partout sans nécessiter une maintenance compliquée. Il fallait répandre le message du Seigneur le plus facilement possible. Des bonnes performances en décollage et atterrissage courts avec un train d’atterrissage solide devaient en particulier lui permettre de fréquenter les pistes les plus inhospitalières.
Autour du monde
Mortenson assembla huit exemplaires de série. L’avion était proposé autour de 60 000 dollars. Ils connurent des destins variés.
“(…) il n’est pas bon de n’avoir qu’un simple monomoteur au-dessus de la jungle ”
Immatriculé N4501L, le premier effectua une grande tournée de démonstration en Amérique du Sud au début des années 1970. Ce fut l’occasion de faire le tour des missions. Il fut ensuite vendu avec le huitième exemplaire à Bob Harris en Alaska. Le second “Evangel”, immatriculé N4502L aux États-Unis, se retrouva avec l’immatriculation OB-T-1021 au Pérou, où il oeuvra au bénéfice des missionnaires. Il fut rayé des registres en 1982 ; il avait été accidenté à Puerto Inca en mai 1975. Le suivant (N4503L) fut lui aussi immatriculé en 1973 au Pérou (OB-T-1022) et eut exactement le même rôle que son prédécesseur. Toujours l’Amérique du Sud pour le quatrième exemplaire, qui fut enregistré en Colombie en 1972 (HK-1355). Il fut exploité par la compagnie Transamazonica dans les années 1980, puis chez Transoriente à partir de 1990. Il ne semble plus voler depuis 2000. Même pays utili
sateur pour l’avion n° 5, qui fut utilisé jusqu’en 2000 par différents propriétaires. Apparemment il réalisa pendant un moment des vols de “contrebande” entre la Colombie et Panama qui s’apparentaient beaucoup au trafic de drogue. Longtemps immobilisé, il fut partiellement remonté pour être vendu en 2011. Son sort final n’est pas connu. Autre continent pour le sixième “Evangel”, vendu au pasteur Edmund Kalau. C’était un ancien pilote de la Luftwaffe
sur Me 109 revenu du front russe et qui avait connu la révélation dans un camp de prisonniers en 1945. Il avait fondé une petite compagnie de transport dans l’archipel de Micronésie en 1956, devenue Pacific Mission Aviation en 1975. Son objectif : “Glorifier Dieu et faire connaître notre Seigneur JésusChrist aux peuples de Micronésie et des Philippines. Les avions et les bateaux sont utilisés pour apporter l’Évangile aux peuples insulaires éloignés qui, autrement, pourraient rester inaccessibles.”
L’“Evangel” 4500 servit pour Pacific Mission Aviation jusqu’en 1994. Il fut ensuite donné au Iowa Aviation Museum, où il est désormais conservé. Même mission évangélique pour l’appareil suivant, le n° 7, qui fut utilisé par Jaars (Jungle aviation and radio service) au Pérou à partir de 1974 (lire encadré ci-dessous). L’“Evangel” 4500 fut utilisé entre les différentes missions installées dans le pays et ses alentours jusqu’en 1993. Le dernier “Evangel” 4500 immatriculé N4508L fut vendu en Alaska avec le premier exemplaire. Il était utilisé pour des missions de transport classique. Il s’écrasa le 27 février 1978, tuant les trois personnes à bord. Un neuvième “Evangel” 4500 fut commencé mais jamais achevé.
L’avion se fit une bonne réputation. Un pilote colombien se souvient : “L’Evangel était connu comme un avion amical car, dans certaines conditions atmosphériques, il remuait la queue comme un chien et rendait tous les passagers arrière verts (ou non…). Nous avons eu des problèmes occasionnels avec les réservoirs dans les ailes, mais avec des inspections fréquentes et un scellant approprié nous gardions les fuites sous contrôle (…) Il fut connu avec son surnom inoubliable de “banjo”. À pleine charge l’avion décollait en 150 m et se posait dans un mouchoir de poche. Il se pilotait aisément, malgré un poste de pilotage jugé vraiment “spartiate”.
Quatre “Angel” 44 assemblés
Carl A. Mortenson poursuivit sa quête avec un nouvel avion, le “Angel” 44, toujours un bimoteur avec des increvables Avco Lycoming O-540. Il monta Angel Aircraft Corporation à Orange City dans l’Iwoa. Les autorités locales trouvèrent avec les projets de Mortenson un débouché potentiel intéressant et aménagèrent l’aérodrome, notamment avec une nouvelle piste. La conception de l’avion débuta au milieu des années 1970. Il vola finalement pour la première fois le 14 janvier 1984. Angel Aircraft Corporation obtint sa certification par la FAA en octobre 1992.
Carl A. Mortenson anima Angel Aircraft Corporation avec l’aide de son fils, qui faisait office d’ingénieur sur l’avion. Quatre “Angel” 44 furent assemblés. L’un d’entre eux s’est écrasé en Australie le 14 décembre 2019, tuant ses deux occupants. La grande aventure des avions “Angel” connut un mauvais coup avec le décès de Carl A. Mortenson, emporté par la Covid-19 le 30 novembre 2020.
Un investisseur chinois devait reprendre la fabrication du “Angel” 44, mais rien ne semble bouger en 2021. ■