L’envol d’un champion
McDonnell “Phantom” II
Ce jour-là, mardi 27 mai 1958, brêlé en place avant du BuNo 142259 – un biplace dont la place arrière n’était encore occupée que par des équipements d’enregistrement – Robert “Bob” C. Little, chef pilote d’essais de la McDonnell Aircraft Corporation ( MCAIR) arracha le premier YF4H-1 d’une piste de Lambert Field, l’aéroport de Saint-Louis où se trouve le siège de cet avionneur déjà renommé pour ses chasseurs embarqués. Les espoirs du constructeur et du client, l’US Navy, sont importants, mais la déception fut rapidement de la partie. Alors qu’il était prévu que l’YF4H-1 franchirait la vitesse du son lors de son premier vol, cela ne put être réalisé car une fuite mineure du système hydraulique contraignit le pilote à faire preuve de prudence par crainte que le système de secours ne fût lui aussi compromis. “Bob” Little décida de ne pas rentrer le train et d’interrompre le vol après seulement 22 minutes durant laquelle la vitesse fut limitée à 370 noeuds (685 km/h). En outre, l’inspection après-vol révéla que le réacteur droit avait été endommagé par l’ingestion de débris. Qu’à cela ne tienne, le réacteur fut remplacé et un deuxième vol, cette fois entièrement satisfaisant, fut effectué le 29 mai.
La suite des essais par le constructeur ne révélant pas de problèmes d’importance, le BuNo 142259 fut alors transféré sur la base aérienne d’Edwards où, du 15 septembre au 10 octobre, il fut utilisé pour la première phase des essais par le client (Navy preliminary evaluation phase I) et mis en compétition avec le Vought XF8U-3 “Crusader” III. Les performances et le comportement des deux appareils étant comparables, le verdict se porta en faveur du “Phantom” II, un biréacteur biplace, face au “Crusader” III, monoréacteur monoplace. Cette décision fut entérinée le 17 septembre 1958 quand l’US Navy confirma que le F4H-1 serait son nouveau chasseur tout temps de défense de la flotte.
La suite de l’histoire, qui fit du “Phantom” II le plus grand succès du constructeur de Saint-Louis, étant connue, nous nous contentons de rappeler qu’elle vit la production de 5 195 F4H (puis F- 4), dont 127 sous licence au Japon. Ceux-ci équipèrent 15 forces aériennes et, 60 ans après le premier vol de l’YF4H-1, les derniers de ces appareils légendaires restent en service en Corée, en Grèce, au Japon, et en Turquie.
Pour passer du concept initial, en 1953, à la sélection du F4H-1 fin 1958 comme le nouveau chasseur embarqué de l’US Navy, il avait fallu une évolution complexe. Celle-ci représentant un remarquable exemple de Darwinisme aéronautique, il est bon de s’y attarder.
Darwinisme aéronautique
Ce fut l’avionneur qui amorça cette longue aventure en s’efforçant de prolonger l’histoire industrielle de son Model 58, le F3H “Demon” de l’US Navy, après que la première version dut être abandonnée en raison de l’insistance initiale de l’US Navy de la faire motoriser avec le
Westinghouse J40, un réacteur qui ne fournit pas la poussée prévue et dont la fiabilité était aléatoire ; de plus la production des versions F3H-2 à réacteur Allison J71 fut retardée. Comme la cellule du “Demon” était saine, le bureau d’études dirigé par Herman D. Barkley proposa tout d’abord une simple remotorisation du F3H-2, le F3H- C “Super Demon”, avec le remplacement de l’Allison J71 par un Wright J67 (un Bristol “Olympus” construit sous licence aux États-Unis).
Le Model 98B offre le meilleur potentiel
Ceci n’étant pas assez prometteur, les concepteurs entreprirent alors un travail plus approfondi sous la désignation interne de Model 98. Il en résulta entre autres le Model 98A (dit aussi F3H-E), avec un réacteur Wright J67 ; le Model 98B avec deux Wright J65 (F3H-H) ; le Model 98B avec deux General Electric J79 (F3H- G) ; le Model 98C avec voilure en delta et deux J65 ou J79 ; le Model 98F (F3H), version de reconnaissance photographique du Model 98B ; le Model 98H (F3H-J) avec une voilure en delta plus fine et de plus grandes dimensions ; et enfin le Model 98F (F3H-J).
L’épluchage de ces variantes amena à la conclusion que les Model 98B offraient le meilleur potentiel et il s’ensuivit, le 19 septembre 1953, la soumission au Bureau of Aeronautics (BuAer) d’une offre non sollicitée. La mission principale alors prévue était la frappe nucléaire tactique avec emport d’une bombe MK-7, MK-8, Mk-11 ou MK-12 en point central. Pour les missions de chasse et de défense aérienne, l’armement devait comporter quatre canons de 20 mm
Différents nez interchangeables en 8 heures de travail par quatre hommes
dans le nez et jusqu’à six missiles air-air “Sparrow”, cependant que huit points furent prévus pour l’emport de 4 000 livres (1 814 kg) de charges extérieures pour les missions de chasse-bombardement. En outre, afin d’augmenter la flexibilité opérationnelle de l’appareil et réduire la diversité des avions de combat à bord des porte-avions, MCAIR soumit une offre complémentaire le 20 janvier 1954 pour une version du F3H-H ou -G avec une sélection de nez (y compris le poste de pilotage) interchangeables et optimisés pour six missions différentes en monoplace (chasse-bombardement, attaque tout temps, contre- mesures électroniques, interception diurne, interception tout temps et reconnaissance photographique), et une d’entraînement en biplace. Le changement de nez ne devait nécessiter que 8 heures de travail, effectué par une équipe de quatre hommes.
Ayant alors plusieurs types de chasseurs embarqués et d’intercepteurs supersoniques en cours d’étude ou de développement, l’US
Navy encouragea McDonnell à optimiser son projet pour les missions d’attaque et d’appui. En réponse à cette suggestion MCAIR soumit une nouvelle offre en août 1954 puis, le 18 octobre, après l’inspection d’une maquette d’aménagement, l’US Navy présenta au constructeur une lettre d’intention couvrant l’acquisition de deux prototypes de ce qui était devenu l’AH-1, ainsi que la fabrication d’une cellule d’essais de structure. Mais le Bureau of Aeronautics n’avait pas encore fermement décidé quel type d’appareil embarqué devait avoir la priorité et hésitait entre un monoplace d’attaque et une version biplace optimisée pour la défense de la flotte. Après n’avoir survécu que jusqu’en décembre 1954, cette version biplace refit surface le 26 mai 1955 quand le CNO (chief of naval operations, le chef d’état-major de l’US Navy) trancha en sa faveur. Le 23 juin 1955, la désignation du nouvel appareil embarqué fut changée d’AH-1 en F4H-1. Ce serait un biplace à réacteurs J79 qui serait optimisé pour la mission de défense de la flotte mais qui posséderait en outre un solide potentiel air-sol. L’appareil ne serait pas armé de canons et, pour la mission de base, l’armement ne devait comprendre initialement que quatre missiles air-air (deux
“Sparrow” à guidage radar semiactif et deux “Sidewinder” guidés par infrarouge) semi-encastré sous le fuselage. Outre sa configuration biplace avec sièges en tandem, le F4H-1 devait différer extérieurement du projet d’AH-1 par sa voilure avec panneaux extérieurs en dièdre (12°) et son empennage horizontal monobloc avec un dièdre négatif de 23°. Le “Phantom” II venait de trouver sa “tronche” caractéristique. Elle resta peu modifiée pendant les 23 années de production.
Après avoir survécu au défi du “Crusader” III, le BuNo 142259 fut utilisé pour la phase II de la Navy preliminary evaluation qui se déroula sur la base aérienne d’Edwards et la base navale de Patuxent River du 23 juillet au 13 août 1959. Huit jours avant que ces essais ne commencent, il fut rejoint par le deuxième YF4H-1.
Record du monde d’altitude
Encouragés par les résultats obtenus, l’industriel et l’utilisateur décidèrent alors de mettre en valeur les excellentes performances de l’YF4H-1 en s’attaquant au record mondial d’altitude détenu depuis le 4 septembre 1959 par Vladimir Iliouchine aux commandes d’un Soukhoi Su-9. Pour ce project top fl ight, le BuNo 142259 fut spécialement préparé avant d’être confié à Gerald “Zeke” Huelsbeck qui effectua un certain nombre de vols d’essais afi n de déterminer la trajectoire optimale pour un zoom climb (1) permettant de dépasser le record de 28 852 m.
Le premier YF4H-1 fut détruit le 21 octobre 1959 au cours de l’un de ces essais. Huelsbeck se trouva en difficultés alors qu’il évoluait à plus de Mach 2 au-dessus de la forêt domaniale de Los Padres en Californie. Une trappe d’accès à un réacteur s’ouvrit intempestivement et un incendie se déclara, endommageant irrémédiablement les commandes de vol. Huelsbeck s’éjecta mais trop tard ; son parachute ne s’ouvrit pas.
Après cet accident tragique, project top flight ne fut pas abandonné
(1) Zoom climb : manoeuvre qui consiste à effectuer un vol parabolique qui permet à l’avion d’atteindre de très hautes altitudes. et, le 6 décembre 1959, le BuNo 142260 permit au commander Larry E. Flint d’établir un nouveau record en atteignant 30 040 m. Puis, le 22 novembre 1961, le même appareil établit un nouveau record de vitesse à basse altitude (project sageburner) quand le lieutenant-colonel Robert Bradford Robinson II de l’US Marine Corps (USMC) vola à la moyenne de 2 585,425 km/h entre la mer de Salton et la base d’Edwards. Enfi n, remettant la chose le 5 décembre, le BuNo 142260 maintient une altitude constante de 20 252,1 m au- dessus de la base d’Edwards, permettant au cdr George W. Ellis d’établir un nouveau record enregistré par la Fédération aéronautique internationale (FAI). Ainsi s’acheva la carrière des deux YF4H-1.