L’US Navy prend en compte les “Phantom” II
À partir de 1960
La moisson de records d’altitude, de vitesse de montée, de vitesse en circuit fermé ou de vitesse absolue des premiers F4H-1 plaçait clairement le “Phantom” II comme une des machines les plus prometteuses de son époque, un sacré retournement de situation si on n’oublie pas que depuis la Deuxième Guerre mondiale, l’US Navy avait dû se contenter d’avions de combat à réaction bien moins enthousiasmants que leurs équivalents de l’US Air Force.
Les contraintes de l’aviation navale n’étaient pas négociables et des sacrifices devaient donc être faits pour permettre aux pilotes embarqués de pouvoir effectuer leurs missions. Mais alors que les pilotes de l’US Air Force pouvaient rêver en supersonique avec les “Century Fighters” (1), du F-100 au F-105, les pilotes de l’US Navy devaient se contenter de F11F “Tiger” bien moins enthousiasmants. Certes, il y avait bien eu le F7F “Cutlass” et son allure à nulle autre pareille, mais ses nombreux défauts ne furent jamais vraiment surmontés.
L’émergence du nouveau venu permettait enfin de rebattre les cartes. Il restait cependant un écueil : s’assurer que l’appareil était véritablement compatible avec les opérations navales – des expériences précédentes avaient largement démontré que ce n’était pas une formalité.
Les avions construits après les deux premiers prototypes YF4H-1, Model 98S, et identifiés comme F4H-1 Model 98AM, furent produits en cinq lots. Le premier concernait les avions de développement, notamment du système d’arme (F4H-1 143388 et 143389), et un autre concernait les études de performance et de consommation de carburant (le 143392 qui fit son premier vol en 1959).
Essais de catapultage sur une base
La compagnie McDonnell, officiellement créée en juillet 1939, organisa son anniversaire le 3 juillet 1959 et en profita pour dévoiler que le F4H-1 porterait le nom de baptême “Phantom” II, prenant ainsi la suite du FH-1 “Phantom”, produit de la même firme qui fut notamment le premier jet jamais embarqué sur un porte-avions américain.
C’est en 1960 que furent organisées les premières campagnes à la mer. En préalable, le sixième F4H-1 BuNo 143391 effectua des essais de catapultage sur la base de Lakehurst qui disposait des installations idoines, fin 1959, et le premier embarquement se déroula en février 1960 à bord de l’USS Independance (CVA- 62), un porte-avions de la classe Forrestal puisque par sa masse et son encombrement, le futur F- 4 était prévu pour n’opérer
qu’à partir des plus imposantes unités. Ces essais à la mer comprirent des catapultages et des appontages, mais aussi des essais de compatibilité de l’avion aux manoeuvres sur le pont et surtout de tests avec les ascenseurs. Des essais furent menés ensuite sur un porte-avions de la classe Essex, hérité de la Deuxième Guerre mondiale, mais les F- 4 n’eurent que rarement, par la suite, l’occasion de fréquenter les ponts de ces navires trop petits pour un avion aussi lourd.
En juillet, l’avion était prêt à passer entre les fourches caudines du Board of Inspection and Survey (BIS) à Patuxent River, l’organisation, interne à l’US Navy, qui inspecte et évalue les nouveaux produits destinés à entrer en service. Cette étape essentielle est souvent le moment où la nécessité de nombreux ajustement se font jour. Le programme du BIS était important et devait s’étaler sur cinq mois. Six avions étaient concernés et ils furent évalués par des équipes de l’US Navy et du Marines Corps. Le compte rendu final fut exceptionnel. Généralement, les matériels étaient acceptés en dépit de légères lacunes que les besoins opérationnels et les développements industriels allaient améliorer. Dans le cas du F4H-1, l’appareil dépassait largement l’essentiel des spécifications exigées !
Le premier F4H-1 reçu officiellement par l’US Navy pour équiper une flottille opérationnelle fut le F4H-1 BuAer n° 148256 le 29 décembre 1960. Au cours des huit semaines suivantes, des avions furent livrés à la VF-121, qui fut donc la première unité à effectuer un vol opérationnel sur la nouvelle machine, et à la VF-101. Ces deux unités, des Replacement Squadron, avaient pour fonction de former les équipages avant qu’ils ne soient envoyés dans des unités opérationnelles.
Changements de désignations
À ce moment-là, 47 “Phantom” II avaient été produits : les deux prototypes YF4H-1 Model 98S puis 45 F4H-1 Model 98AM qui servirent donc d’avions de développement et de présérie. Ils comportaient de légères évolutions de motorisation, l’adoption des entrées d’air définitive, un nez radar court susceptible de recevoir un AN/APG-50 et un détecteur infrarouge juste dessous.
Ils laissèrent ensuite la place à une nouvelle évolution du “Phantom” II qui fut la première de série et qui était toujours désignée F4H-1 Model 98 en dépit des nombreuses différences avec le bloc de production précédent, le radar AN/ APQ-72, les capacités d’emport en carburant interne accrues, la perche de ravitaillement en vol ou la forme de la verrière plus arrondie en son sommet. Le premier de ces nouveaux F4H-1 fit son premier vol le 25 mars 1961 avec Thomas Harris aux commandes.
En mai 1961, pour éclaircir la situation, les 47 prototypes et avions du premier lot de production furent désignés rétroactivement F4H-1F et les avions de série conservèrent leur désignation F4H-1.
Une fois les Replacement Squadron en pleine action pour former les futurs équipages de “Phantom” II, il fut temps de livrer les avions aux unités opérationnelles. La première à recevoir le nouveau biréacteur polyvalent fut la VF-74 pour la flotte Atlantique et la VF-114 pour la flotte Pacifique. La VF-102, sur la côte Est, fut la troisième rapidement équipée.
Premières qualifications embarquées
Les premières qualifications embarquées furent réalisées au sein de la VF-74 à bord du Saratoga, ce qui l’amena à devenir la première unité de combat opérationnelle sur le “Phantom” II en août. Elle participa dans la foulée à une première mission à bord du Forrestal en Méditerranée. La VF-102 embarqua à son tour sur l’Enterprise, tandis que la VF-114 se retrouva à bord du Kitty Hawk dans le Pacifique ouest.
Au sein des Marines, le VMFA-314 reçut ses premiers F4H-1 en juin 1962. Avec ce nouvel avion aux capacités étendues, la dénomination de l’unité fut modifiée en VMF(AW)-314, unité à voilure fi xe d’attaque tout temps. L’unité d’entraînement VMFAT-122 fut la seconde à voler sur “Phantom” II quelques semaines plus tard.
En octobre 1962, lors de l’harmonisation des désignations des matériels militaires, les F4H-1F furent désignés F-4A, les F4H-1 de série F-4B.
Dan Petersen, jeune pilote de l’US Navy qui serait plus tard fondateur de Top Gun, raconte : “La première fois que j’ai piloté un “Phantom”, la sensation incroyable d’atteindre Mach 2 m’a convaincu de rester dans l’US Navy. Quand mon tour de service à terre s’est achevé, je me suis arrangé pour recevoir les ordres pour accéder à l’entraînement sur le nouveau chasseur avant de rejoindre un escadron opérationnel sur l’Enterprise.
“Puis est venu le stage de survie”
Après 10 années à piloter des chasseurs, je me sentais prêt et confiant. J’ai intégré la formation sur F- 4 au sein de la VF-121, le Replacement Air Group de la côte ouest sur “Phantom”. Cette unité préparait tous les nouveaux équipages de F- 4 à leur prochain déploiement au Viêtnam. Nous volions beaucoup en nous entraînant dur à nos interceptions missiles au- delà de la portée visuelle. Nous avons même eu l’opportunité de tirer sur une cible volante avec un “Sparrow”, une des rares occasions où j’ai été autorisé à tirer une de ces armes sophistiquées. Au sol, nos instructeurs nous gavaient d’informations opérationnelles et nous enseignaient notre armement et nos systèmes de détection. Puis est venu le stage de survie. Nous devions nous évader et échapper aux “forces ennemies” (en fait, nos instructeurs) comme si nous avions dû nous éjecter au-dessus d’un territoire ennemi. Après quelques jours, j’ai été capturé – nous fi nissions tous par l’être – et mis dans une toute petite boîte avec juste deux trous pour respirer. Quand j’ai fait l’erreur de révéler à mes gardes ma peur des araignées, ils se sont arrangés pour que je passe un moment avec l’une d’elles dans ma boîte. Et au cours d’une nuit glaciale, elle est venue se promener sur mon visage. Ceci, bien sûr, n’était rien à côté de ce que les Nord-Vietnamiens faisaient aux aviateurs qui tombaient entre leurs mains.”
La sensation incroyable d’atteindre Mach 2 m’a convaincu de rester dans l’US Navy