“Phantom” II et Rolling Thunder
1965-1966
En février 1965, le président Lyndon Johnson dut se rendre à l’évidence. Une campagne de bombardement, telle que prévue par les états-majors, devait se mettre en place. La mise en action de la force aérienne ne fut pas immédiate notamment en raison des conditions météorologiques qui sévissaient sur la péninsule asiatique.
L’offensive débuta le 2 mars 1965 et, dès le premier mois, ce furent environ 65 avions qui opéraient quotidiennement au-dessus du nord. Le mois suivant, la moyenne augmenta pour passer à 120.
Les Marines débarquent à Da Nang
Le 8 mars 1965, 3 500 Marines débarquèrent par mer sur une plage près de la base aérienne de Da Nang, alors occupée par l’Air Force, mais toujours menacée par la guérilla – ne l’appelait- on pas encore “Rocket City” du fait des innombrables attaques menées contre elle. Il s’agissait des hommes de la 9th Marine Expeditionary Brigade. Cette opération constitua le premier acte de l’intervention massive des troupes américaine dans ce qui n’était pas encore la guerre du Viêtnam.
Dans le même temps, les jets présents sur le théâtre d’opérations effectuèrent leurs premières missions. Jusque-là, en vertu des accords de 1954, ce genre de matériel n’était pas autorisé et les Nations Unies contrôlaient activement le respect des traités internationaux.
Si l’US Air Force fut engagée dès les premières heures de Rolling Thunder, l’US Navy ne débuta sa participation à la campagne que le 15 mars avec une série de raids menés depuis les porte- avions Hancock et Ranger contre des dépôts identifiés comme abritant du matériel militaire et des munitions près de Phu Qui.
Premiers combats aériens
La première interception réelle se déroula le 3 avril 1965 lorsque des MiG-17 croisèrent des F- 8 “Crusader” en mission au-dessus du NordViêtnam. Ce fut l’occasion pour les pilotes de MiG de revendiquer leurs premières victoires, mais les sources américaines, ce jour-là, n’indiquent aucun avion perdu. Un F-8 fut cependant sérieusement endommagé. Le lendemain, deux F-105 en train d’attaquer le pont de Thanh Hoa furent abattus par les pilotes du régiment 921, mais un pilote de F-100, le capt. D. Kilgus du 416th TFS revendiqua une victoire probable. Les chasseurs communistes ne purent pas vraiment célébrer ces succès. Trois des leurs avaient été tués au cours de ces combats. Si on peut attribuer l’un d’eux au pilote de F-100, sans certitude toutefois, deux MiG auraient bien été détruits… par leur propre défense antiaérienne. Les artilleurs
ne s’attendaient sans doute pas à voir leurs avions de combat intervenir dans le secteur.
Le 4 avril, les F- 4C du 45th TFS arrivèrent à Ubon, en Thaïlande, en provenance de McDill. Cette unité était la première équipée de “Phantom” II, encore en livrée grise, à être basée directement sur le théâtre d’opérations. L’unité était en détachement temporaire et devait, une fois son tour d’opérations achevé, rentrer en Floride avec armes et bagages. Effectivement, le 45th retourna à McDill le 10 août suivant, non sans avoir marqué l’histoire du “Phantom” II au cours de ces quelques semaines de combat. L’USAF réorganisa ses moyens et affecta plusieurs escadres à ce théâtre d’opérations.
L’US Navy ouvre le bal des F-4
Le 9 avril suivant, tôt le matin, deux F-4B de la VF-96 furent catapultés du Ranger pour une mission BarCAP (lire page 30). Ils étaient armés de deux AIM-7D “Sparrow” et deux AIM-9D “Sidewinder” et disposaient d’un bidon largable de 600 gallons (2 271 l) en point central, une configuration légère. Un autre appareil devait participer à cette mission destinée à dresser une “barrière” entre un raid devant frapper un objectif au Nord-Viêtnam et la chasse ennemie. Le troisième avion de la patrouille rencontra un problème au catapultage et son équipage ne dut sa survie qu’à une éjection réflexe parfaitement réussie. On catapulta donc un autre F-4B, le
BuNo 151403 “Showtime 602” piloté par Terry Murphy et Ronald Fegan, et rapidement suivi par un quatrième F-4 pour compléter le dispositif. Ces deux derniers avions n’étaient armés que de missiles “Sparrow”. En raison de l’accident de leurs camarades, les quatre éléments de la patrouille étaient séparés.
Le porte-avions détecta alors l’arrivée de plusieurs chasseurs en provenance de l’île d’Hainan, territoire chinois. L’ordre fut donné à Murphy de se dérouter et de se diriger vers cette nouvelle menace. Trois MiG furent repérés par leurs traînées de condensation et un bref combat s’engagea. Dans le même temps, un quatrième MiG parvint dans le secteur de la première patrouille. L’équipage de “Showtime 603”
engagea le combat. Ils tirèrent leurs quatre missiles sans aucun résultat. Même chose pour “Showtime 610”. Leur frustration pouvait être énorme car alors qu’ils s’étaient tour à tour retrouvés en position de tir sur leurs adversaires, ils furent trahis par leurs armements – problème de guidage, manoeuvrabilité défaillante et même pannes de propulseurs des différents missiles tirés.
Le quatrième F- 4 observa un MiG tomber en flammes en arrivant sur zone. À ce moment-là Murphy annonça qu’il était désormais à court d’armement et qu’il rentrait à la base. Le radar d’interception le suivait alors, ainsi qu’un autre écho radar, puis il disparut soudainement.
Plus personne n’entendit ensuite parler de l’équipage de
“Showtime 602”, de Murphy et de son navigateur Fegan. Une importante campagne de recherche fut pourtant entreprise au large de l’île d’Hainan, en vain.
Les témoignages des acteurs de ce combat aérien, le premier de l’histoire du F- 4, montrèrent qu’aucun des survivants de la VF-96 n’avait été en mesure d’abattre le moindre MiG, même avec les tirs cumulés d’au moins huit missiles. La seule explication possible fut que le chasseur soviétique aperçu s’écrasant en flammes au sol avait été descendu par l’équipage disparu à qui fut donc attribuée la toute première victoire aérienne confi rmée pour l’aviation américaine, inaugurant ainsi le palmarès du F- 4 “Phantom” II.
Cet honneur, très relatif, est aussi largement contre-balancé par leur disparition, la première perte d’un F- 4 au combat. Si les MiG affrontés semblent bien chinois, l’origine du drame n’est pas connue. Ont-ils été abattus au cours de leur vol retour vers le Ranger par un chasseur ennemi ou, comme c’est évoqué parfois, par un “Sparrow” lancé par un de leurs coéquipiers ? Le mystère demeure… Pour la chasse américaine, pour l’US Navy et à l’échelle de l’immense carrière du F- 4, cette entrée en matière fut brutale et bien cruelle.
L’arrivée de la VMFA-531 à Da Nang
Le 10 avril, les premiers F- 4B du VMFA-531 arrivèrent en détachement à Da Nang. Ils effectuèrent leurs premières missions opérationnelles, des attaques contre des positions du Viêt-công, notamment avec des roquettes, dès le lendemain. D’autres missions d’appui furent également effectuées par les avions d’assaut embarqués sur les porte-avions au large.
L’intensité des opérations a fait que les bases terrestres se sont retrouvées surchargées d’aéronefs, si bien que les équipages et les équipes de maintenance furent amenés à vivre dans des conditions parfois précaires, si ce n’est absolument inconfortables.
Signe de l’implication durable des forces aériennes, cinq EC-121D, plateformes radar basées sur le Lockheed “Constellation”, arrivèrent à Taïwan pour tenir un rôle essentiel lors des opérations à venir.
Le 20 mai 1965, un porte-avions fut affecté en permanence à la couverture du Sud du pays. Sa zone de patrouille fut alors baptisée “Dixie Station” par opposition à “Yankee Station” plus au nord. Dès lors, l’US Navy eut pour objectif de pouvoir disposer en permanence de cinq
porte-avions, trois “en ligne”, deux sur “Yankee”, un sur “Dixie”, et deux en escale pour maintenance et repos des équipages.
9 juin, le 45th TFS se vit chargé d’une mission d’attaque. Parmi les participants au raid se trouvait le F- 4C matricule 64- 0674 dont l’équipage, ce jour-là, était constitué des captains C. D. Keeter à l’avant et G. I. Getman à l’arrière. Au cours de l’attaque, ils furent touchés par des tirs antiaériens et constatèrent alors une perte importante de carburant. Après quelques minutes, ils prirent la décision de s’éjecter et furent rapidement récupérés sains et saufs. Il s’agissait du tout premier F- 4 “Phantom” II de l’USAF perdu au combat.
Un doublé pour la VF-21
jours plus tard, le 17 juin la VF-21 du Midway frappa un grand coup. Engagés dans une mission BarCAP au profit d’un raid visant le pont de Thanh Hoa, Louis Page et John Smith d’un côté, à bord du F- 4B BuNo 151488, et Jack Batson accompagné de Robert Doremus sur le BuNo 152219, croisèrent le fer avec quelques MiG-17.
patrouille à deux au nordouest de la cible, les “Phantom” II orbitaient, radar allumé, en se protégeant mutuellement. Alors que les avions du raid avaient terminé leur mission et venaient d’annoncer “feet wet” (les pieds dans l’eau), donc qu’ils venaient de franchir la côte en direction des porte-avions, le chef de patrouille décida d’effectuer une dernière orbite avant de les suivre. Lors du dernier virage, il détecta plusieurs échos radar arrivant face à eux. Il donna donc l’ordre à son ailier de changer de formation et de se placer à 3 nautiques (5,5 km) derrière lui, légèrement plus bas. Bien que leurs réserves de carburant fussent déjà bien entamées, ils accélérèrent vers 500 noeuds (926 km/h) pour gagner en énergie et en maniabilité. Les quatre MiG adverses arrivaient en face-à-face et les deux équipages de “Phantom” II se concertèrent pour sélectionner leurs cibles pour un éventuel tir de “Sparrow” dès que l’identification serait assurée.
quelques nautiques, le MiG-17 en tête effectua un violent virage, montrant sa silhouette, ce qui permit une identification sans ambiguïté. Le leader américain ouvrit alors le feu en lançant un “Sparrow” à très proche distance de sa cible. Le
américaines. Les deux pilotes des chasseurs abattus par l’US Navy, Cao Thanh Tinh et Nguyen Nhat Chieu, purent s’éjecter et survécurent. Le pilote Le Trong Long, à qui le Viêtnam du Nord attribua une victoire aérienne ce jour-là, fut victime d’une erreur de navigation lors de son retour à la base et, dans la couche, percuta le relief.
jet le plus récent et le plus moderne de l’USAF et de l’US Navy venait donc de faire parler la poudre. Ces premiers déploiements furent surtout marqués par les problèmes de jeunesse sur un appareil moderne et très sophistiqué. C’était une situation assez habituelle pour un matériel en service depuis peu de temps, mais elle devenait vite pénalisante car désormais il s’agissait de faire la guerre.
système d’arme n’était pas encore mature et connaissait un taux de dysfonctionnement élevé. Certains réservoirs de carburant, notamment dans les ailes, fuyaient, et leur étanchéité devait être refaite après chaque mission car certains se fissuraient tout seuls. D’autres problèmes liés à la maintenance apparurent. Ainsi les mécaniciens pestèrent beaucoup contre l’ingénieur de McDonnell qui avait eu l’idée ingénieuse de positionner la radio UHF dans un compartiment situé sous le siège éjectable arrière. Or, ces installations étaient des nids à petits
Cette solution avait été argumentée par un général au cours d’une réunion avec un groupe de pilotes parmi les premiers qualifi és sur le “Phantom” II : poursuit Jerry Cook.
Ce qui, du point de vue des pilotes, était une aberration absolue et n’améliorait en rien ni la sécurité des vols ni l’effi cacité du chasseur, dura pendant plusieurs années avant que, à l’instar de l’US Navy, l’USAF ne se décide à mettre en place arrière des offi ciers spécialement formés à ce nouveau métier, même si certains purent, ensuite, rejoindre le cursus de pilote. Et ainsi tout changea comme le décrit Ed Rasimus, pilote de F- 105 qui fi t son second tour d’opération sur F- 4 :
des pilotes vietnamiens. L’équipage s’éjecta. Le pilote, Anthony Kari, débuta alors une longue captivité tandis que son navigateur, lui, eut un peu plus de chance car il fut récupéré dans la jungle, assez rapidement, par un hélicoptère d’Air America. Ainsi les “Phantom” II de l’US Navy, qui, en présence des F-8, étaient encore loin d’être les plus répandus des chasseurs embarqués, avaient déjà ouvert la marque. Ce n’est que le 10 juillet 1965 que l’USAF ouvrit le palmarès de ses F- 4. Quatre F- 4 du 45th TFS, encore en livrée “gris mouette”, suivirent un raid de F-105, environ 20 minutes après les “Thunderchief” en jouant, ainsi, le
rôle d’une section de chasseurs-bombardiers en retard sur leur mission. Pour les pilotes de l’aviation vietnamienne, ils pouvaient ainsi constituer une cible plus facile.
avoir orbité non loin du secteur visé un peu plus tôt, à 20 000 pieds (6 096 m) et à une vitesse de Mach 0,85, les “Phantom”
petite quantité était connue puisque, dès le 5 avril, les avions de reconnaissance avaient photographié un site de lancement SAM en construction, typique avec sa forme en étoile, aux abords de Hanoï. La présence de conseillers techniques chinois ou russes étant considérée comme plus que probable, la décision de ne pas attaquer fut alors prise afin de ne pas déclencher un incident diplomatique international qui aurait pu servir de prétexte à une implication encore plus profonde du monde communiste dans le conflit encore en basse intensité. Le mois suivant, un deuxième site en construction fut détecté, puis d’autres encore, initialement autour de la capitale du Nord et toujours en toute impunité.
Les SAM prêts à entrer en service
juillet 1965, un Douglas RB- 66C en mission de recueil d’informations électroniques avait été le premier à détecter une émission de radar d’origine soviétique P-12 “Yenisei”, mais connu comme “Spoon Rest” pour l’Otan, utilisé pour la recherche d’objectif au profit des SAM, preuve que le nouvel armement était sur le point d’entrer en service. Quelques jours plus tard, le 23 juillet, des émissions du système de guidage “Fan Song” furent captées.
Victoire d’un SAM contre un “Phantom” II
lendemain, alors qu’ils escortaient un raid de F-105 contre un dépôt de munitions vers Lang Chi, quatre F- 4C du 47th TFS, 15th TFW, temporairement affectés à Ubon, furent accrochés par le nouveau radar alors qu’ils volaient à 23 000 pieds (7 010 m) à l’ouest de Hanoï. Les équipages virent alors, pour la première fois trois fusées tirées à quelques secondes d’intervalle grimper directement vers eux. Le temps de comprendre qu’il s’agissait d’un tir de missiles, un des quatre F- 4 explosa, victime d’un coup direct. Les deux autres explosèrent en arrière de la patrouille, ne faisant qu’endommager les chasseurs.
touché directement par le SAM et qui fut donc le premier des nombreux avions à tomber victime de cette arme au cours du conflit était le F-4C matricule 63-7599 à bord duquel se trouvaient les captains Roscoe