Le temps du F-4D et des bombes intelligentes
1967-1968
Les premiers F- 4D commencèrent leur carrière opérationnelle lorsqu’ils furent livrés au 555th TFS en 1967. Robin Olds avait pesé de toute son influence pour que le nouveau chasseur soit livré à un escadron du “Wolfpack” qu’il commandait. Cette version, la première vraiment pensée pour l’USAF, était dotée de systèmes lui offrant des capacités polyvalentes devenues indispensables. Ils furent livrés équipés du système AN/ASG-22 LCOSS (lead computing optical sight set), permettant le largage d’armement à plus longue distance avec des largages en cours de ressource.
Ils étaient aussi précâblés pour recevoir la nacelle canon SUU-23/A. Ils avaient surtout des lanceurs LAU- 42 qui disposaient des conduites nécessaires pour alimenter en azote les autodirecteurs infrarouges des missiles air- air Hugues AIM- 4D
“Falcon”. L’armement air-air des “Phantom” II était complet.
Les “Phantom” II étaient équipés de missiles AIM-9 “Sidewinder” essentiellement parce que le F- 4C n’était qu’une évolution du F- 4B de l’US Navy et que le “Sidewinder” était l’armement air-air de base des avions de chasse embarqués. Face aux besoins et en attendant la première version USAF, il fut plus simple de garder les capacités “Sidewinder” du F- 4C. Le F- 4D devait donc apporter un regain d’efficacité en combat aérien avec le “Falcon”.
Les F-4D du “Wolfpack” avaient reçu leurs premières bombes guidées laser “Paveway”. Elles étaient plus performantes que les bombes “Walleye” à guidage optique, limitées par les capacités de leur guidage télé exigeant un contraste évident entre le point visé et son environnement ; les bombes guidées laser étaient plus simples à utiliser et plus précises. Néanmoins, il était toujours nécessaire de conserver la cible et le faisceau radar en dehors de tout obstacle dont les nuages, ce qui était loin d’être simple au cours de ce conflit.
Des désignateurs “Pave Sword” furent utilisés dans un premier temps mais furent considérés comme trop pénalisants pour la traînée, ce qui donna lieu à la conception du “Pave Knife” puis du “Pave Spike”. C’est à nouveau le “Wolfpack” qui fut le premier à mettre en oeuvre des bombes guidées laser dès la fin du mois de mai 1967 avec de bons résultats, mais les opportunités d’utiliser ces nouvelles armes étaient rares.
Les déboires du “Falcon”
Le “Falcon” était déjà en service notamment sur les Convair F-102 “Delta Dagger” de l’Air Defence Command. Lors des essais comparatifs avec le “Sidewinder”, il s’était déjà montré sensiblement moins
performant. Parmi les reproches, sa charge explosive, plutôt légère avec 3,4 kg, était dépourvue de fusée de proximité. Seul l’impact direct permettait la victoire aérienne, mais son autodirecteur était réputé bien plus efficace et précis.
Une procédure de tir longue et complexe
Le “Falcon” avait donc des arguments à faire valoir. Mais comme le raconte le “MiG Killer” Dick Pascoe, il n’était pas simple à utiliser : “Les caractéristiques de vol du “Falcon” étaient meilleures que celles du “Sidewinder” mais sa procédure de tir était longue et complexe. Sur F- 4D, le pilote devait prendre la décision de tirer cette arme environ 90 secondes avant qu’elle ne puisse quitter son rail. Il devait pour cela pousser un bouton qui injectait l’azote dans la tête chercheuse du missile pour refroidir son système. Le tir devait ensuite être effectué dans un délai de 2 à 3 minutes, le temps que l’azote fasse son effet.”
Rien que l’armement du refroidissement prenait 4 secondes. Pour un missile destiné à servir pour l’interception au-delà de la portée visuelle de vagues de bombardiers nucléaires, ce n’était sans doute pas rédhibitoire. Au cours d’un combat aérien entre chasseurs, l’histoire était singulièrement différente. Les pilotes préférèrent donc le “Sidewinder” parce qu’il était plus fiable, plus facile à employer, même si le AIM-7 “Sparrow” à guidage radar restait l’arme de prédilection de l’USAF.
Néanmoins, le missile étant là, il fut mis en dotation et engagé au combat. Généralement, au sein d’une patrouille de quatre F- 4, deux avions, ceux des leaders de sections, disposaient des AIM- 4, laissant leurs ailiers avec des “Sidewinder”.
Le premier engagement eut lieu le 2 juin 1967 lorsque les chasseurs du “Wolfpack”, dont certains F- 4D, rencontrèrent des MiG lors d’une patrouille. En dépit du tir de quatre “Sparrow”, trois “Sidewinder” et deux “Falcon”, aucune victoire aérienne ne fut remportée.
Le 5 juin suivant, un affrontement majeur opposa le “Wolfpack” et la chasse nord-vietnamienne. Là encore, les MiG utilisèrent la technique du cercle défensif avec une certaine efficacité. Au cours de cet engagement, parmi les nombreux missiles lancés, six AIM- 4D furent tirés, en vain. Deux victoires furent néanmoins obtenues, dont la première d’un F-4D avec un “Sparrow”.
Si l’expérience était peu concluante, ces deux combats n’étaient sans doute pas suffisants pour en tirer des conclusions définitives. Mais Robin Olds n’était pas du genre à s’encombrer inutilement. Pour lui, ces deux combats avaient démontré que cet armement était
“Le tir devait ensuite être effectué dans un délai de
2 à 3 minutes ”
sans aucun intérêt et il demanda qu’on retire les LAU-42 des avions et qu’on les recâble pour pouvoir tirer du “Sidewinder”.
Le processus de réaménagement n’était pas terminé lorsque Robin Olds quitta le Viêtnam après avoir marqué de son empreinte la chasse américaine et l’histoire du “Phantom”. Il restait des AIM- 4D en dotation et l’occasion de les utiliser allait arriver.
Plusieurs AIM-4D tirés en pure perte
Le 26 octobre, le 555th TFS affecta des chasseurs à l’escorte de RF- 4. Ils furent assaillis par plusieurs MiG et deux furent abattus. Au cours du combat, plusieurs AIM- 4D furent tirés, là aussi en pure perte, jusqu’à ce que Larry Cobb et son navigateur Alan Lavoy réussissent enfin un tir. Le “Falcon” toucha directement un MiG-17 dont le pilote s’éjecta immédiatement.
La victoire suivante fut remportée le 17 décembre lors d’une
MiGCAP d’un raid de F-105. Les sorties de MiG furent nombreuses, une vingtaine environ, entraînant la perte d’un F- 4 et d’un F-105. Au cours de la mêlée, le capt. Doyle Baker et son navigateur John D Ryan engagèrent un MiG-17 avec leur canon ventral SUU-23/A. Ils tirèrent plusieurs rafales mais sans toucher leur objectif. Ce n’est que lorsque le MiG sembla vouloir regagner sa base que Doyle lui expédia un “Falcon” qui toucha sa cible et explosa. La seconde victoire d’un AIM- 4D était une double grande première. Il s’agissait de la première victoire du 432nd TRW mais surtout de la première d’un pilote du Marines Corp, Doyle étant en détachement. Il avait précédemment fait un tour d’opération sur F- 4B au sein du VMFA-513 en 1965 !
Le 3 janvier, deux pilotes du 435th TFS du 8th TFW, Squier et
Muldoon, éliminèrent un MiG-21 avec un “Falcon” ; ils furent imités par Simonet et Smith, de la même unité, qui abattirent un MiG-17 le 18 janvier.
Le 5 février, le 13th TFS du 432nd TRW, par l’intermédiaire de Robert Hill et Bruce Huneke, remportait une nouvelle victoire aérienne contre un MiG-21. Ce fut la dernière du missile “Falcon”. Des “Falcon” restèrent néanmoins présents au Sud-Est asiatique jusqu’en 1972, lorsqu’ils furent déclarés en surplus.
Des versions améliorées, AIM- 4F et AIM- 4G, restèrent en service toutefois jusqu’en 1988 sur les Convair F-106 “Delta Dart” et son aérodynamique servit de base pour la conception du missile d’interception à très longue portée AIM-54 “Phoenix” destiné au F-14 “Tomcat”.
Un rejet général du missile de Hugues
Au Viêtnam, une cinquantaine de ces missiles avaient été tirés pour seulement cinq petites victoires. En soi, le score n’était qu’à peine inférieur à celui des “Sidewinder” et des “Sparrow” tirés par dizaines pour une poignée de kills (tirs au but), mais le missile de Hugues souffrit d’un rejet général par sa complexité de mise en oeuvre.
En 1967, le total des sorties au Viêtnam des F- 4 grimpa à 64 149 avec une moyenne de 191 avions opérationnels sur le théâtre d’opérations. Le taux de rotation de la flotte (nombre de missions par avion et par jour en moyenne) était de 0,92. À titre de comparaison, les 196
F-100 avaient un taux de rotation individuel de 1,18 et avaient effectué un total effarant de 84662 missions. Avec 5345 sorties en moyenne mensuelle, l’activité des chasseurs F- 4C fut donc extrêmement intense avec
un pic exceptionnel en fin d’année puisque 6084 missions furent déclenchées en novembre et 6 273 en décembre. À plusieurs reprises, néanmoins, on constate que la flotte de “Super Sabre” a dépassé les 7 000 sorties pour un nombre équivalent d’avions disponibles… Moins puissant, moins impressionnant, moins armé, le F-100 fut pourtant au SudViêtnam le roi de l’appui feu au cours de cette première partie de la guerre. Mais F- 4 et F-105 restaient les rois du Nord.
L’US Navy avait assuré, de son côté, 1 280 jours “en ligne” avec 12 porte-avions mais tous ne disposaient pas de F- 4 à leurs bords.
Les fêtes de fin d’année furent marquées par une nouvelle trêve des attaques aériennes contre le Nord. Les troupes adverses en profitèrent pour se reposer et se renforcer. L’offensive du Tet, au Sud, était en préparation et fut une surprise amère pour les troupes américaines, entraînant à leur suite d’innombrables et violentes missions d’appui rapproché pour l’ensemble des avions chargés de bombes et de napalm.
Le 1er avril 1968, une nouvelle cessation des bombardements fut décidée par le président Johnson qui renonça aussi à se représenter aux élections présidentielles prévues en fin d’année. Il annonça aussi que l’opération Rolling Thunder allait bientôt prendre fin. Les bombardements continuèrent juste dans le nord de la zone démilitarisée (DMZ), au sud du 20e parallèle, avant d’être limités au 17e en octobre. Le 13 mai 1968, les pourparlers de paix débutèrent à Paris entre les États-Unis et les autorités du Viêtnam du Nord.
Le 2 novembre 1968, Rolling Thunder s’achevait sur un bilan contrasté. Des milliers de tonnes de bombes avaient été balancées sur la péninsule Indochinoise mais aucune avancée stratégique n’avait permis à un camp ou l’autre d’avancer vers une résolution raisonnable du conflit.
“Le 2 novembre 1968, Rolling Thunder s’achevait sur un bilan contrasté ”