Les ponts en ligne de mire des “Phantom” II
Cibles stratégiques
Lorsque les combats reprirent en 1972 et que les avions furent autorisés à revenir attaquer le Nord, les F- 4 dotés de bombes “intelligentes” s’en donnèrent à coeur joie. Entre le 6 avril et le 30 juin 1972, 106 ponts furent détruits par les armes puissantes et précises emportées désormais par les F- 4 “Phantom” II, qui, entre-temps, s’étaient imposés comme les avions de combat essentiels de ce théâtre d’opérations.
Parmi les ponts détruits au cours de ces missions figuraient le pont Paul Doumer et celui de Thanh Hoa. Le premier était situé au coeur de Hanoï, le second, tout aussi stratégique, se trouvait 140 km plus au sud. Ces deux ouvrages imposants et d’une importance majeure pour la logistique militaire du Viêtnam du Nord permettaient à la fois le passage des piétons, des véhicules et des trains en partie centrale.
Le pont de Thanh Hoa avait été attaqué régulièrement dès avril 1965, mais les bombes de 750 livres (340 kg) des F-105 n’étaient ni assez précises ni assez puissantes pour en venir à bout. Il fut ensuite ciblé par les F- 4 équipés des premières bombes guidées par optique, les “Walleye”, mais si la précision était au rendez-vous, la puissance n’était toujours pas suffisante. On l’attaqua même avec des bombes flottantes larguées depuis un C-130 “Hercules” mais l’opération tourna au désastre. Si l’ouvrage fut coupé à plusieurs reprises, il fut toujours réparé assez rapidement.
Le pont s’effondre sur une grande partie
Le pont situé au coeur de Hanoï fut ciblé plus tardivement et fut aussi régulièrement endommagé mais sans que l’aviation américaine
ne parvienne à vraiment le couper durablement. Entre 1968 et 1972, ils restèrent donc inattaqués, et les premières bombes guidées par laser arrivèrent un peu tard pour être utilisées contre eux.
En 1972, la donne avait changé, les F-105D n’étaient plus là et les F- 4D et F- 4E emportaient régulièrement de puissantes bombes à guidage laser (BGL). Et les deux ponts n’avaient pas perdu leur importance stratégique entre-temps.
Le 27 avril, 12 “Phantom” II du 8th TFW, dont huit armés de bombes guidées laser de 2000 livres (907 kg) et quatre avions destinés à ouvrir un couloir en larguant des leurres jusqu’au point initial d’attaque pour tromper les radars d’acquisition de cible décolèrent d’Ubon. La couverture nuageuse importante fit que seuls les avions armés de “Walleye” réussirent à tirer et parvinrent à endommager sérieusement le pont de Thanh Hoa.
Le 10 mai, le 8th TFW engagea 16 avions contre le pont Paul Doumer. Huit autres étaient chargés de leurrer les défenses ennemies et 15 F-105G devaient frapper les sites SAM et la DCA. Quatre EB-66 de guerre électronique accompagnaient le raid qui dura plus de trois heures. Sur les 16 “Phantom” II chargés de la frappe, 12 étaient armés de BGL, les quatre autres d’EOGB (ElectroOptical Guided Bomb, bombes à guidage optique). Les largages furent effectués à moyenne altitude, vers 14 000 pieds (4 267 m), au milieu d’une DCA intense et avec une forte présence de la chasse adverse, ce qui entraîna plusieurs combats aériens restés dans l’histoire.
Sur les 22 BGL et les sept EOGB tirées ce jour-là, 12 firent mouche,
Les missions des F-4 préfiguraient celles des chasseurs-bombardiers actuels !
les autres ne purent être observées. Le pont s’effondra sur une grande partie, plusieurs travées totalement détruites. Le 8th TFW avec des F- 4 armés de bombes M118 de 3 000 livres (1 360 kg) paracheva le travail. Le pont était désormais inutilisable pour un bon moment.
Deux ponts détruits trop tard
Le 13 mai, par une météo dégagée, 14 “Phantom” II disposant d’un total de neuf BGL de 3 000 livres, 15 de 2000 livres (907 kg) et 48 bombes conventionnelles de 500 livres (227 kg) attaquèrent massivement le pont de Thanh Hoa très endommagé quelques jours plus tôt. Le pont fut coupé en de nombreux endroits et fut inutilisable pendant des mois.
Les travaux de réparation furent rapidement lancés ; pas moins de 11 missions de l’USAF et deux menées par l’US Navy furent lancées pour les freiner, voire les stopper.
Quelques mois plus tard, à quelques semaines du cessez-le-feu, un nouveau raid se déroula pour maintenir le pont inutilisable. Les F- 4 du 8th TFW furent à nouveau chargés de ces opérations.
L’USAF avait fini par mettre à bas ces deux ponts qui narguaient les stratèges depuis si longtemps. L’apport des armes de précision que furent les BGL fut inestimable et leur usage s’était même répandu au Sud où des OV-10A “Bronco”, équipés de désignateurs “Pave Nail” (système de localisation et de désignation d’objectif nocturne) illuminaient des cibles au profit des “Phantom” II chargés de l’appui rapproché.
La destruction de ces deux ponts d’importance stratégique arrivait cependant trop tard pour influer sur le déroulement de la guerre.
Ils furent remis en service après la signature des accords de Paris en 1973. Aujourd’hui, ils se dressent encore comme si rien ne s’était passé il y a un demi-siècle. Les missions des F-4 préfiguraient déjà, dans leurs tactiques et leurs moyens, celles des chasseurs-bombardiers actuels !