Les paras prêts à sauter sur Paris
L’armée de l’Air et le putsch d’avril 1961
À deux occasions, les paras faillirent sauter sur Paris. Des opérations aujourd’hui bien méconnues…
Quel rôle l’armée de l’Air joue-t-elle lors du putsch des généraux d’avril 1961 ? 60 ans après les faits, la question est loin d’être entendue. A priori, tout semble plaider en faveur d’une participation symbolique dans une affaire réputée avant tout relever de l’armée de Terre. Pourtant, parmi les membres du fameux “quarteron de généraux”, deux sont des aviateurs et non des moindres – 10 étoiles à eux deux ! Le général d’armée aérienne Maurice Challe, qui accepte de prendre la tête du pronunciamento, était encore, un an plus tôt, commandant en chef interarmées des troupes en Algérie. Auréolé des succès des différentes phases de son plan de pacification, il est un chef admiré et populaire, y compris au sein des forces terrestres pourtant peu enclines à se laisser diriger par ceux qu’elles désignent parfois avec ironie comme des “militaires non pratiquants”.
Aux côtés de Challe, le général d’armée aérienne Edmond Jouhaud occupait, 14 mois auparavant, les fonctions prestigieuses de chef d’état-major de l’armée de l’Air après avoir exercé successivement celles de major général de l’armée de l’Air
et de commandant de la Ve région aérienne (celle d’Algérie). Homme de conviction, Jouhaud est issu d’une famille de vieille souche pied-noir oranienne et, à ce titre, entretient une relation particulière avec les Européens d’Algérie.
Un précédent : l’opération Résurrection
Anciens résistants, les deux hommes ne sont toutefois pas des gaullistes de la première heure et ont même d’abord servi le régime de Vichy jusqu’à la fin 1942 avant de rejoindre la Résistance. Ils ont pourtant joué un rôle non négligeable dans le retour au pouvoir du gén. de Gaulle en 1958, notamment comme animateurs d’un projet d’opération aéroportée baptisé Résurrection dont l’objectif n’était rien d’autre que de renverser la IVe République et de précipiter la prise de fonction de l’ancien chef de la France libre, par une série de démonstrations militaires en France. Jusqu’où voulaient aller les promoteurs de cette opération ? De Gaulle était-il au courant et consentant ? Quelle place surtout l’armée de l’Air tient-elle dans cette affaire ? Autant de questions dont il est bien difficile, aujourd’hui encore, de démêler l’écheveau.
Il semblerait qu’un coup de force militaire venu d’Alger se serait préparé dès le 10 mai 1958 sous l’impulsion du gén. Petit, chef de file des “gaullistes parisiens” en poste à l’état-major du gén. Ély (chef d’état-major des armées), qui aurait fait une démarche auprès d’Alger en vue de l’envoi temporaire de deux régiments parachutistes sur la région parisienne en cas de troubles. Le gén. Salan, commandant en chef, aurait donné son accord, en liaison avec Jouhaud, sans toutefois avoir le temps de monter l’opération puisque, le 13 mai, les activistes algérois investissent le Gouvernement général, symbole du pouvoir politique français sur place, afin d’empêcher l’investiture de Pierre Pflimlin qu’ils considèrent comme partisan de l’abandon de l’Algérie. Un “Comité de salut public” (CSP), présidé par le gén. Massu, commandant la 10e division parachutiste (DP), est constitué et se donne pour tâche de faciliter le retour au pouvoir du gén. de Gaulle.
Pour autant, à Paris, la prudence demeure de mise et la crainte d’une action de type “coup de force” sur les institutions et leurs représentants est prise très au sérieux comme en témoigne la décision du gén. Gelée, chef d’état-major de l’armée de l’Air, d’interrompre toutes les liaisons aériennes entre la métropole et Alger. Les avions du Groupement des moyens militaires de transport aérien (GMMTA) ont donc pour consigne de rester cloués au sol et les bases aériennes de la région parisienne sont placées en position d’alerte maximale. En réal ité, cet te décision n’est guidée que par le sens du devoir et la volonté de Gelée de conserver à son armée son unité, mais ses sympathies vont nettement en faveur du Général. Par ailleurs, l’état-major de l’armée de l’Air semble alors éprouver les plus grandes difficultés à contrôler les mouvements aériens entre les deux rives de la Méditerranée.
De Gaulle sort de sa réserve
Alors que de Gaulle est enfin sorti de sa réserve le 15 mai en se disant prêt à “assumer les pouvoirs de la République”, les responsables politiques se montrent inquiets, certains estimant que le mouvement gaulliste compte s’appuyer sur les parachutistes pour reprendre le pouvoir. L’état d’urgence est prononcé tandis que plusieurs officiers suspectés de sympathies pour les activistes algérois sont mis aux arrêts. Parmi eux, le gén. Challe, major-général des forces armées, s’était ouvert auprès de Guy Mollet de ses initiatives, notamment le transport d’unités aériennes vers l’Algér ie (12 Nord 2501 le 11 mai et 24 autres le 14 mai), conférant ainsi au gén. Salan les moyens aériens nécessaires à une éventuelle intervention aéroportée sur Paris.
Les paras prendront-ils Paris ?
C’est dans ce contexte de montée des tensions et de peur d’une prise de Paris par les parachutistes qu’achève de se monter l’opération Résurrection, initialement désignée sous l’appellation plus agressive de Grenade et rebaptisée à la suite de la conférence de presse du Général évoquant “le début d’une sorte de résurrection pour la France”. Prévu pour entrer en action dans la nuit du 27 au 28 mai 1958, le plan initial prévoit de transporter sur Paris quatre régiments de parachutistes grâce aux moyens aériens – plus qu’il n’en faut ! – dont dispose le
gén. Miquel, commandant de la Ve région militaire, à Toulouse, c’està-dire 25 Nord 2501, sept Breguet “Deux-Ponts” et cinq DC- 4. Une fois débarqués, les paras devront s’emparer des deux aéroports parisiens – Le Bourget et Villacoublay – avant de foncer sur la capitale afin de prendre le contrôle des lieux stratégiques du pouvoir : Invalides, ministère de la Défense, de l’Intérieur, place Beauvau, Matignon, préfecture de Police, Hôtel de Ville, Palais de l’Élysée… Comme un symbole de l’engagement des aviateurs en faveur du retour au pouvoir du gén. de Gaulle, des avions de chasse n’hésitent pas, le 17 mai 1958, à survoler Colombey-Les-Deux-Églises en volant en formation de Croix de Lorraine ! Personne ne saura jamais qui a donné l’ordre d’une telle manifestation…
La crise atteint son paroxysme le 27 mai alors que de Gaulle a fait publier un communiqué annonçant qu’il a “entamé hier le processus régulier nécessaire à l’établissement d’un gouvernement républicain capable d’assurer l’unité et l’indépendance du pays”. Son intention est incontestablement de brusquer les événements tout en maintenant la pression sur le gouvernement afin de continuer à laisser planer la menace d’une attaque aéroportée sur Paris. Si l’on en croit le gén. Jouhaud, celleci pourrait s’apparenter désormais, pour un certain nombre d’officiers de l’armée de l’Air, à un simple “coup de pouce” : “Les chefs d’état-major à Paris l’estimaient suffisant avec les parachutistes stationnés dans le SudOuest et les moyens existants dans la région parisienne.”
Le 28 mai, Pierre Pflimlin remet la démission de son gouvernement au président de la République, René Coty. Dès lors, la voie semble grande ouverte pour un retour de l’homme du 18 juin aux affaires, à ceci près que le processus bloque à l’Assemblée, les socialistes de la SFIO étant peu disposés à lui faire confiance. L’opération Résurrection demeure plus que jamais d’actualité, Michel Debré énumérant dans une lettre adressée au gén. Jouhaud les “trois cas” justifiant sa mise en oeuvre : “De Gaulle ne pouvant obtenir l’investiture du Parlement ; De Gaulle, investi, ayant besoin pour se maintenir au pouvoir d’un soutien militaire ; un coup de force communiste mettant la République en danger et exigeant l’emploi de l’armée pour le réprimer.”
Dans la nuit du 28 au 29 mai, tout s’accélère. Le gén. Dulac, chef d’état-major du gén. Salan, se rend brièvement à Colombey-LesDeux-Églises, depuis Alger, afin d’y sonder le gén. de Gaulle sur ses intentions quant au déclenchement de Résurrection. Ce dernier lui confirme clairement son approbation, Dulac rapportant fidèlement, dans ses Mémoires, les propos du Général : “Il eût été immensément préférable que mon retour aux affaires s’effectuât par la voie du processus… Il faut sauver la baraque ! Vous direz au général Salan que ce qu’il a fait et ce qu’il fera, c’est pour le bien de la France.”
Mise en ordre de marche des moyens aériens
Désormais seul arbitre de la situation, le gén. Salan décide pourtant de temporiser. Le 29 mai, vers 11 heures du matin, l’état-major gaulliste de la rue de Solférino n’y tient plus et ordonne au gén. Nicot, représentant de l’armée de l’Air auprès du gén. Ély, de procéder à la mise en ordre de marche des moyens aériens nécessaires au déclenchement de l’opération. Dans une interview de 1988, Jean-Louis Nicot se souvient : “Tout était prêt. C’était un véritable pont aérien, il y avait les avions du groupe Anjou à Orléans qui partaient pour l’Algérie car il n’y avait que ce groupe-là en France, mais il y avait tous les avions de transport qui étaient en Algérie, avec tous les paras qui étaient en alerte… Il y eut un long moment d’hésitation. Puis, enfi n vers 13 heures, Puget [souschef d’état-major de l’armée de l’Air], sous la dictée de Gelée, a rédigé le télégramme codé qui donnait
“Tout était prêt. C’était un véritable pont aérien (…) Tous les paras étaient en alerte… ”
l’ordre à Gueguen, qui commandait la base d’Orléans, de déclencher le flot de C- 47 d’Orléans sur Alger et aux gens d’Alger de se préparer à se mettre en route.”
À 15 heures, six “Dakota” décollent du Bourget pour rejoindre le reste de la flotte aérienne dans le Sud-Ouest. L’ultime plan prévoit que les rotations des avions amenant au Bourget et à Villacoublay les parachutistes de Pau, Mont-deMarsan et Bayonne, débutent dans la nuit du 29 au 30 mai, vers 2 h 30, et celles des appareils venant d’Alger 3 heures plus tard. Au total, plus de 50 000 hommes doivent être engagés dont trois régiments de parachutistes qui, à peine débarqués, seront conduits vers le coeur de la capitale à bord de 200 camions escortés de blindés. Le 29 mai, à 19 heures 30, le président René Coty reçoit le gén. de Gaulle qui “accepte d’être investi le 1er juin par l’Assemblée nationale”. Dans la soirée, les “Dakota” sont brutalement rappelés et l’opération Résurrection est définitivement annulée.
Un aviateur à la tête de la conspiration
Trois ans plus tard, en avril 1961, la situation n’est évidemment plus la même tant en Algérie qu’en métropole. Il n’en reste pas moins que certains des acteurs de mai 1958 jouent de nouveau un rôle éminent, bien qu’à des postes différents, la plupart ayant été depuis de longs mois éloignés d’Afrique du Nord. Tous ont en commun de désapprouver l’évolution de la politique algérienne du gén. de Gaulle, qui a entamé des négociations avec le FLN, faisant craindre un abandon prochain du pays, dans un contexte où la victoire militaire semble à portée de main. Toutefois, plus encore que la perspective d’une future “République algérienne” ou le résultat du référendum sur l’autodétermination du 8 janvier 1961, c’est bel et bien l’attitude du commandement laissant entendre la mise en place d’un cessez-le-feu officieux qui est l’origine d’un profond malaise apte à déboucher sur une révolte dont la forme pourrait s’apparenter à un pronunciamento.
Le plus en pointe dans cette affaire est incontestablement le gén. Jouhaud qui, non seulement participe à toutes les réunions préparatoires au putsch, mais s’impose bientôt comme un recours, le seul en tout cas à vouloir s’engager avec détermination dans une voie différente de celle voulue par de Gaulle et considérée par ses partisans comme inéluctable. Que penser ainsi du projet de “République française d’Algérie” lancé en novembre 1960 et dont le président ne serait autre qu’Edmond Jouhaud ? S’agit- il d’une tentative de manipulation des milieux gaullistes afin de discréditer l’officier de l’armée de l’Air ? Tout porte à le croire puisque Jouhaud préfère décliner l’offre “par crainte de tomber dans un piège”.
C’est encore lui qui rencontre à plusieurs reprises le gén. Challe afin de lui proposer de prendre la tête du mouvement qui se prépare dans les couloirs feutrés de l’École militaire. Commandant en chef du secteur Centre-Europe de l’Otan après son départ d’Algérie, Challe a démissionné le 1er mars 1961 et fait valoir ses droits à la retraite. La rumeur veut qu’il aspire à un emploi au sein du groupe Saint- Gobain. Cependant, opposé à la politique d’autodétermination désormais suivie par le chef de l’État, il entretient toujours des contacts réguliers avec
le gén. Bigot, qui commande la région aérienne d’Algérie, avec lequel il met au point un système discret de boîtes aux lettres et de mots de passe qui lui permet de continuer à s’informer de la situation sur place. Pour les conjurés – la plupart sont colonels de l’armée de Terre, éloignés depuis peu d’Afrique du Nord par le pouvoir gaulliste – la question du “chef” de la conjuration, qui doit faire l’unanimité par son prestige et son autorité auprès des commandants de zone, est centrale. Le maréchal Juin et le gén. Massu sont sollicités tour à tour, en vain. Parmi les officiers généraux partants pour un pronunciamento, Salan, exilé en Espagne pour échapper à une arrestation, n’inspire pas suffisamment confiance ; Zeller, ancien chef d’état-major de l’armée de Terre, ne dispose pas d’un rayonnement suffisant tandis que Jouhaud est inconnu des terriens. Challe est la solution de la dernière chance mais se montre, dans un premier temps, particulièrement circonspect sur les chances de réussite du projet. Il n’est en effet pas homme à décider sur un coup de tête et ce n’est que progressivement qu’il se laisse peu à peu convaincre et n’hésitera pas lors de son procès à avouer : “Si un certain nombre d’officiers et de jeunes ne m’avaient pas appelé, quoique désespéré, je n’y serais jamais allé.”
Le 25 mars 1961, Challe promet à Jouhaud de donner une réponse ferme et définitive après la conférence de presse du gén. de Gaulle prévue pour le 11 avril. Celle- ci
achève de le décider : l’indépendance de l’Algérie est en effet envisagée “avec le plus grand sang-froid” et “d’un coeur parfaitement tranquille”. Dès lors, les dés sont jetés.
Un chef d’état-major introuvable
Fait pour le moins troublant, le gén. Paul Stehlin, chef de l’état-major de l’Air, est sur le point de partir en mission d’inspection à Madagascar afin de livrer en grande pompe des avions dont le gouvernement français a décidé de faire don aux jeunes autorités malgaches. La mission, qui lui a été confiée par le ministre des Armées Pierre Messmer courant avril 1961, est avant tout de prestige, et le fait que Stehlin ait pris la décision de se rendre à près de 9 000 km de la métropole à la veille du pronunciamento – il part le 12 avril – fera naître par la suite de nombreuses suspicions. En son absence c’est le gén. Nicot, major général, qui assure les plus hautes fonctions au sein de l’armée de l’Air. Dans son témoignage de 1988, ce dernier l’assure : “Le gén. Stehlin est un homme qui a toujours eu des antennes extraordinaires. C’est un homme du renseignement. Il savait très bien que Jouhaud, avec qui il était très lié, voulait entrer en dissidence et qu’il préparait un coup. Il ne pouvait pas ne pas le savoir…”
L’affaire est d’autant plus embarrassante pour le chef d’état-major de l’armée de l’Air qu’il fait preuve tout au long de la crise d’une étonnante nonchalance : à la demande du ministre de précipiter son retour en France, Stehlin répond qu’il n’y a aucune urgence à interrompre sa visite sur la Grande Île, d’autant qu’il a toute confiance en son major général… Ce dernier vit, de son côté, un véritable dilemme. Ancien chef de cabinet de Michel Debré, Nicot a été mêlé à toutes les péripéties de la politique algérienne depuis janvier 1960, mais a demandé à quitter Matignon en décembre de la même année, n’étant plus en accord avec la voie suivie par de Gaulle. Le 13 avril, il reçoit en fin d’après-midi un coup de fi l de Jouhaud qui lui propose un dîner le soir même à Paris : “Il m’avait donné rendez-vous dans un restaurant qui se trouve avenue de Versailles, après l’ORTF, au coin d’une rue. Là, il m’a raconté son histoire : “Voilà ce que nous avons décidé Challe et moi…” Il ne m’a parlé que de Challe et de personne d’autre. Je lui ai dit : “Ce n’est pas possible, vous êtes fous”… À partir de ce moment-là, j’étais porteur d’un secret que mon devoir aurait dû faire que je le dévoile. Vous tombez sur un type qui vous dit qu’il va attaquer une banque et vous donne le plan. Vous ne dénoncez pas le type, parce que c’est votre meilleur ami, vous faites
un acte contraire à la loi, mais pas à votre conscience. Ce n’est pas facile.”
Dès lors, Nicot n’aura de cesse de tenter de dissuader Challe, avec lequel il est très lié, afin de l’empêcher de commettre l’irréparable. La réponse de Challe à Nicot est sans appel : “Je sais bien, mais j’ai promis à mes officiers en Algérie que jamais je ne lâcherai l’Algérie.”
Vols réguliers, vols clandestins
Le coup de force est initialement fixé pour la nuit du 20 au 21 avril. Dans un premier temps, les conjurés ne pourront compter que sur des moyens relativement maigres, les ralliements devant s’effectuer dans la foulée de la prise d’Alger par le 1er régiment étrangerg de pparachutistes (REP). Auxux côtés des légion-légionnaires, qui doiventnt constituer le fer de lance de l’insurrection,urrection, les commandos parachu-achutistes de l’Air du CPA 40 ont donné leur accord pour marcherer aux côtés de Challe et s’emparer de divers points stratégiques.
Pour l’heure se pose la délicate question du passagesage des conjurés en Algérie sans attirer l’attention des autorités. Le dimanche 16 avril, Jouhaud, qui a échappé à la surveillance policière dont il fait l’objet depuis plusieurs semaines, rejoint Alger à bord de la Caravelle qui effectue la liaison régulière entre la ville blanche et la France. Il constitue ainsi l’élément précurseur avant l’arrivée des principaux officiers de l’armée de
Terre prévue pour le jeudi 20 avril – journée fatidique – dans l’aprèsmidi, parmi lesquels le gén. Gardy, les colonels Argoud et Gardes, ainsi que le lieutenant parachutiste Godot qui se retrouvent à Marseille où ils bénéficient de complicités. C’est ainsi que le chef d’escale d’Air Algérie leur évite les formalités de départ, les uns s’envolant pour Constantine afin d’y rejoindre les unités destinées à investir Alger, les autres pour la ville blanche. LesLe vols sont sanssa histoire et lesle arrivées sont parfaitementp baliséesli : un agent d’d’Air Algérie invitevi les officiers à monter dans uune voiture qui sortso de l’aéroport sans passer par les contrôles.
Cinq ex- officiers du 1er REP doivent suivre dans la soirée en tant que troisième échelon par avion militaire – un “Noratlas” spécialement envoyé d’Alger en mission clandestine grâce à des complicités locales – au départ d’Istres. Le vol est assuré par deux officiers de l’armée de l’Air : le commandant Lamothe, chef de bord, et le cdt Émile Campos, pilote.
Reste le délicat problème du transport des généraux Challe et Zeller (accompagnés du col. Broizat), deux personnalités autrement plus voyantes que les précédentes. Sur place, à Alger, Jouhaud a pris contact dès le 16 avril avec le gén. Bigot, commandant la Ve région aérienne, son ancien subordonné, afin de lui demander d’affréter un avion sur la base aérienne de Creil destiné à prendre en charge le convoyage clandestin de ces passagers pour le moins encombrants. D’abord réticent, Bigot finit par se laisser convaincre. Il organise le transfert le 19 avril en choisissant méticuleusement l’équipage capable d’exécuter une telle mission : le cdt Henri Schütz, chef de son 3e bureau et ancien pilote de la Royal Air Force, est désigné chef de bord tandis que le cdt Pierre Jourdan doit prendre les commandes du “Noratlas” comme copilote. “Vous avez été triés sur le volet, leur dit-il, en raison de vos idées : le maintien de l’Algérie française.”
Un avion militaire a disparu
Les deux hommes décollent le 20 avril à 10 heures du matin d’AlgerMaison Blanche, officiellement pour une mission de routine consistant à convoyer du matériel photographique. Aussi le voyage aller s’effectue-t-il en “plan de vol” classique, avec utilisation d’un couloir de vol militaire, jusqu’à Villacoublay où l’avion se pose à 14 h 30. Bigot a demandé à Schütz de prendre aussitôt contact avec le gén. Nicot. Le pilote s’adresse donc au commandement sur place pour le conduire boulevard Victor, en plein Paris. Le major général se souvient : “Bigot m’a téléphoné à une heure de l’après-midi pour me dire qu’il faisait partir un avion. À 5 heures de l’aprèsmidi, Schütz est arrivé dans mon bureau et m’a dit : “Je dois embarquer le gén. Challe”.” Il a fallu que je prenne ma décision entre 13 heures et le moment où j’ai vu Schütz… Si j’avais dénoncé Challe et Jouhaud, on les aurait arrêtés. J’aurais été un délateur. En faisant partir Challe, je me suis dit : “Avec Challe je suis sûr que ce ne sera pas le bordel en Algérie… Ma hantise était que cette histoire puisse déboucher sur une guerre civile… À ce moment-là, j’ai me suis dit tant pis pour moi, je prends la décision. Je suis allé trouver Challe et je l’ai fait embarquer dans une voiture… J’étais dans le coup mais je n’étais absolument pas d’accord.”
“Vous avez été triés sur le volet, en raison de vos idées : le maintien de l’Algérie française” ”
Afi n de ne pas éveiller les soupçons, la prise en charge des conjurés doit s’effectuer sur la base de Creil vers laquelle Schütz s’envole depuis Villacoublay à son retour de son escapade parisienne. Il s’y pose au bout d’une piste de secours en prétextant une panne radio puis se rend jusqu’à la tour de contrôle où tout le monde accepte son explication sans sourciller. Pendant qu’il récite son scénario et détourne ainsi l’attention du personnel, une voiture civile dépose les trois passagers habillés en civil. Dès lors, Schütz ne s’attarde pas, regagne son appareil et décolle vers 19 h 15, volant en rase-mottes pendant les 200 premiers kilomètres afin d’échapper aux radars de la région parisienne. Le gén. Zeller donne une relation circonstanciée de la mission dont le scénario est digne des romans d’espionnage : “Il nous recommande seulement… de rester allongés sur les banquettes jusqu’au décollage. Il est censé transporter du matériel photo. 5 heures de route… Un peu après minuit, l’avion atterrit à Maison-Blanche. Aérodrome désert, éclairé en veilleuse. Rien ne semble prêt pour nous accueillir. Le commandant Schütz nous demande une nouvelle fois de nous allonger sur les banquettes et court aux bureaux de base. Il y est connu. Il téléphone et, au bout de 20 minutes, il remet l’avion en marche sur Blida…”
“Opération X retardée de 24 heures”
Sur la base de Blida, le terrain est illuminé et le “Noratlas” ne rencontre aucun problème pour se glisser subrepticement dans le trafic et se poser en bout de piste. Un comité d’accueil est présent au pied de l’avion composé notamment du cdt Valluy et du cne Clédic. Pris en charge par le Groupement des commandos parachutistes de réserve générale (GCPRG) du cdt Robin, Challe et Zeller rejoignent la villa Poirson aux Tagarins qui sert de PC aux paras et apprennent avec stupéfaction qu’un télégramme provenant de métropole a retardé le déclenchement du coup de force de 24 heures. Ce contretemps est semble-t-il consécutif à une méprise quant au contenu d’un câble codé envoyé quelques heures plus tôt par le capitaine Pierre Sergent de la Légion précisant : “Opération X retardée de 24 heures.” L’opération “X” en question n’est rien d’autre que le retour à Alger du Nord 2501 en provenance d’Istres, mais les conjurés ont cru qu’il s’agissait de l’appareil transportant Challe et Zeller.
Jouhaud précise à ce sujet que ce répit s’est avéré “heureux parce que des officiers comme le cdt Robin n’acceptaient de s’engager que si la présence de Challe était certaine et il fallait lui téléphoner “le totem est arrivé”. Sans le gén. Challe, il ne se serait pas engagé ; il en est de même pour le cdt Hélie de Saint-Marc [chef de corps par intérim du 1er REP]. Or, le gén. Challe avait prévu d’arriver alors que le putsch était déjà lancé, et ainsi de se présenter comme appelé par l’armée pour pacifier l’Algérie et non comme initiateur d’une action antigouvernementale. C’est un peu le drame du putsch…”
Conjurés, loyalistes, attentistes et hésitants…
On l’oublie un peu rapidement, tant le poids politique de l’événement a pesé sur les décisions prises par le pouvoir gaulliste à partir du printemps 1961 : le putsch est d’abord, et avant tout, une opération militaire rondement menée par une poignée d’unités d’élite de l’armée française dans la nuit du 21 au 22 avril. Parmi elles, le commando parachutiste de l’Air 40, commandé par le lt Jean Trouillas et constitué majoritairement d’appelés (75 %), tous volontaires pour prendre part au pronunciamento, a reçu pour mission des conjurés de s’emparer à Fort-del’Eau du PC de la zone nord algérois, de prendre le contrôle à Alger du quartier Rignot, siège de l’état-major interarmées, et de fournir des gardes du corps aux généraux. Le deuxième objectif est investi quasiment sans résistance par la trentaine de commandos déjà sur place et parfaitement familiarisés avec les lieux. La prise du PC de Fort-de-l’Eau est réalisée avec rapidité et par surprise, le gén. Gombaud, commandant de la zone du nord algérois (ZNA) étant aussitôt fait prisonnier ainsi que par la suite le col. Boquet, commandant le secteur d’Aïn Taya et fervent gaulliste. Cependant, une minorité des militaires de la ZNA se rallie à la révolte, la majorité préférant demeurer dans l’expectative.
Cette attitude semble présager déjà d’un rapide et inexorable essoufflement du mouvement qui, dès le matin du 22 avril, peine à prendre de l’ampleur, les ralliements promis se faisant plutôt rares. Pour ce qui concerne plus spécifiquement l’armée de l’Air, l’illusion “d’optique” est peutêtre encore plus forte pour Challe et Jouhaud qui, bien qu’issus des rangs de l’aviation, n’ont peut-être pas une estimation très objective de la situation, ainsi que l’explique le gén. Nicot : “Jouhaud est le contraire d’un organisateur. C’est un grand sentimental. Pour lui, l’Algérie devait rester française. Puisqu’il l’avait décidé et que les types de l’armée de Terre aussi, il n’a pas pensé une seconde que peutêtre l’armée de l’Air, comme la Marine d’ailleurs, ne marcherait pas…”
De manière générale, c’est donc l’attentisme qui prévaut au sein des bases aériennes et des escadrilles, les cas de grippe connaissant une recrudescence jusqu’alors inconnue en cette période de l’année en Algérie, quand ce ne sont pas des crises de paludisme qui brutalement clouent au lit des aviateurs d’ordinaire vigoureux. Pourtant, dès les premières heures, le gén. Bigot a très clairement annoncé son ralliement, invitant “les aviateurs de la Ve région aérienne” à “maintenir leur cohésion et leur unité derrière ce chef [Challe] dont je vous transmettrai les ordres”. Lors de son procès, il minimisera cet acte, plaidant : “J’ai envoyé un message à toutes mes unités pour couper court aux bruits d’invasion aérienne.” Mais, beaucoup d’officiers craignent pour leur carrière et ont de multiples raisons de refuser de se compromettre.
De nombreux cadres refusent de prendre parti
“Obéir du point de vue opérationnel” mais “continuer à dépendre administrativement de Paris”, tel est le dédoublement de personnalité auquel se rangent de nombreux cadres qui refusent ainsi de prendre parti de manière nette. Le futur gén. Jean Fleury, alors chef d’un détachement de la 20e escadre de chasse de Boufarik, constate que les consignes sont peu précises : “Au Gatac [Groupement aérien tactique] à Oran, la situation est confuse : pas de directives claires… La position me paraît osciller alternativement entre la fidélité au gén. de Gaulle et le ralliement au “quarteron de généraux”… À la 20e escadre, les choses paraissent plus simples : je dois d’abord rester à la tête de mon détachement, ensuite le bon gouvernement est celui de Paris. Pour le reste, à moi d’aviser… L’issue de la crise n’est pas ma préoccupation essentielle : je suis en Algérie pour participer au maintien de l’ordre et lutter contre les exactions commises par les fellaghas. Malheureusement, les missions correspondantes sont ordonnées par les putschistes ! Les exécuter c’est reconnaître leur autorité. Ne pas les accomplir revient à abandonner ceux qui dont menacés ! Le gouvernement légitime est à Paris, c’est donc à lui que nous devons obéissance.” La situation est cependant plus complexe dans d’autres unités, Jean Fleury citant le cas d’une escadrille voisine où “deux sous- lieutenants à la cervelle surchauffée se croient en 1940. Alors qu’ils ne sont pilotes ni l’un ni l’autre, se prenant pour René Mouchotte et Henry Lafont, ils volent un “Broussard” et partent pour Gibraltar… Malheureusement
“Il fallait voir la trouille de ces hommes, il fallait voir le remue-ménage dans Matignon… ”
pour leurs émules, le “Broussard” est difficile à poser et les deux évadés le cassent à l’atterrissage. Ils ne sont donc pas félicités à leur retour à Zenata une semaine plus tard”.
Du côté des soldats du contingent, à l’exception notable des commandos du CPA 40, les manifestations d’hostilité au coup de force de Challe – souvent sous des formes larvées – sont la règle, dès les premières heures du putsch. Sur la base aérienne de Blida, les appelés se montrent encore plus entreprenants en expulsant le colonel commandant jugé trop indécis, et en s’opposant, drapeau rouge à la main et sur le chant de l’Internationale, à l’intrusion de troupes parachutistes de l’armée de Terre tentant de prendre possession des lieux. Sur la base aérienne secondaire 214 de Oued Zenata, les parachutistes encerclent éégalement l’enceinte militaire mais le dialogue engagé par les autorités de part et d’autre permet de dénouer la situation, le colonel commandant la base faisant même porter le café au petit matin aux assaillants ! À Alger-Maison Blanche, des militaires du contingent prennent l’initiative de démonter les hélices de gros-porteurs afin que les putschistes ne puissent les utiliser.
Toutefois, en ces heures de tension extrême, le loyalisme est avant tout symbolisé au sein de l’armée de l’Air par le gén. Michel Fourquet, ancien des FAFL (Forces aériennes françaises libres), qui commande le
Gatac de Constantine. Afin de susciter une vague d’allégeances aux autorités à Paris, il n’hésite pas à faire peindre des croix de Lorraine sur les ailes de son avion et à parcourir le Constantinois de long en large. L’ordre d’arrêter Fourquet que Challe signe dans la journée du 22 avril reste lettre morte… Bientôt, ce sont même 35 hélicoptères lourds et leurs équipages qui, de leur propre chef, décident de quitter la base de la Reghaïa pour aller se mettre à la disposition de Fourquet à Batna. Ce dernier s’efforce ainsi de relayer l’appel lancé dès 7 heures, le 23 avril, par le ministre des Armées
Pierre Messmer aux unités de transport et de défense aérienne afin que celles-ci rejoignent “le territoire métropolitain à toute occasion favorable en se présentant de jour et conformément aux règles de la circulation aérienne normale”. Dans les heures qui suivent, trois Nord 2501 quittent ainsi Blida, suivis par deux C-47 basés à Oran et six SO.30 “Bretagne” depuis Alger.
La crainte d’un coup de force aéroporté sur Paris
C’est bel et bien la crainte d’un coup de force aéroporté sur Paris qui hante les esprits des responsables politiques français, dans le droit fil d’une réédition du 13 mai 1958. Michel Debré ne s’en cache d’ailleurs pas dans ses mémoires, indiquant s’attendre à une “réapparition du plan Résurrection que j’ai bien connu après le 13 mai 1958, c’est- àdire un envoi d’avions afin de s’emparer de certains points de la métropole, en région parisienne de préférence, et d’y provoquer un mouvement insurrectionnel”.
En réalité, la s situation n’est plus du tout la même que trois ans auparavant. Le gén. Nicot, dont la complicité n’est pas encore connue des autorités, participe ainsi aux premières réunions de crise à Matignon et s’efforce – en vain – de démontrer l’impossibilité d’une telle opération aéroportée sur la capitale : “Il fallait voir la trouille épouvantable de ces hommes, il fallait voir le remue-ménage dans Matignon… Tous étaient persuadés, comme tous avaient été dans le coup de l’opération Résurrection, qu’on allait recommencer… J’ai passé mon temps à essayer de persuader M. Debré et M. Messmer que ce n’était pas possible. Que ce qui aurait pu être possible pour l’opération Résurrection ne l’était plus parce qu’il n’y avait pas les moyens, que l’on ne pouvait pas débarquer des parachutistes en métropole. Ce n’était pas possible avec les moyens qu’avait Bigot de faire venir des gens.”
La “trahison” du gén. Nicot apparaît comme une évidence aux yeux de proches du gén. de Gaulle, notamment Jacques Foccart et surtout Jacques Chaban-Delmas, président de l’Assemblée nationale, dès le 22 avril dans la journée. Michel Debré, dont Nicot a été un proche collaborateur, se montre bouleversé par cette révélation et peine à y croire dans un premier temps. Dans une interview donnée à l’historienne Odile Rudelle en 1984, ChabanDelmas se souvient avoir proposé au Premier ministre de prendre en main “les aviateurs avec Messmer”, ce que Debré accepte. Des dispositions sont aussitôt prises pour faire “placer des camions sur toutes les pistes d’atterrissage” et donc de les rendre impraticables. L’entreprise semble alors quelque peu irréalisable aux yeux du gén. Nicot, pour l’heure toujours en poste : “J’avais fait appliquer les ordres de fermer les pistes tout en disant que l’on peut mettre des bidons, mais comme il n’y aura jamais personne…” Parallèlement, la défense de Paris s’organise avec la mise en alerte des unités de maintien de l’ordre disponibles et la concentration de blindés autour de l’Élysée, du palais Bourbon, des ministères. De même, les dix Nord 2501, qui servent d’ordinaire à l’entraînement des parachutistes à Pau, sont transférés sur l’aérodrome de Toulouse.
Remobiliser les aviateurs de la France libre
Toutefois, le président de l’Assemblée nationale souhaite aller beaucoup plus loin et en fait aussitôt part à Messmer : “On pourrait faire mieux. Nous avons une série de nos camarades de la France libre, aviateurs de qualité, bons chasseurs, qui sont dans le cadre de réserve. Vous pouvez les remobiliser.” Il prend même l’initiative de téléphoner au gén.Gall ois afin de l’ inviter à reprendre du service et l’ engager à établir une“liste de huit ou dix copains qui peuvent encore piloter un zinc.” Il lui conseille également d’envoyer un télégramme à Challe lui disant : “Mon coco, si tu fais un débarquement aérien, viens toi-même. Parce que moi je serai aux commandes de mon coucou et je ferais des confettis avec tes avions.” Ainsi ChabanDelmas confirme-t-il le sérieux avec lequel est alors pris le risque de débarquement aérien, estimant : “Le débarquement ne pouvait avoir lieu
qu’avec des avions de transport, par conséquent des avions qui n’avaient pas de chance d’atterrir s’ils trouvaient en face des types déterminés à sauver la République.” Dans le droit fil de ces initiatives, une fois le manque de loyalisme de Nicot définitivement établi, Pierre Messmer convoque le gén. Delfino, commandant de la Défense aérienne, et lui demande de mettre en application les ordres du gouvernement d’interdire les vols et d’abattre tout avion pénétrant sans autorisation dans l’espace aérien de la métropole.
C’est enfin également ChabanDelmas qui pousse Michel Debré à prononcer sa fameuse déclaration télévisée dans la nuit du 23 au 24 avril 1961 exhortant la population “à pied ou en voiture” de rallier “les aéroports… dès que les sirènes retentiront”, pour “convaincre les soldats engagés trompés de leur lourde erreur” et repousser les putschistes. La situation est dramatisée à l’extrême, laissant croire que le pouvoir s’attend, d’un instant à l’autre, à voir débarquer des troupes factieuses sur Paris et sa région. Les esprits sont surchauffés au point qu’une agence italienne annonce par erreur que “des escadrilles d’avions survolent la Sicile en provenance d’Algérie et se dirigent vers la France”.
Une armée de l’Air meurtrie…
Jugeant la partie définitivement perdue et malgré l’opposition des autres généraux, Maurice Challe annonce à ces derniers, le 25 avril en fin de matinée, son intention de se rendre. Dans la nuit qui suit, alors que Jouhaud prend la fuite afin d’entrer dans la clandestinité, il s’embarque pour Zeralda, dans la banlieue ouest d’Alger, au PC du 1er REP, avant d’être conduit à l’aéroport de Maison Blanche, le mercredi 26 avril, où l’attend l’avion qui doit le ramener sur Paris. Le putsch est terminé et Challe est désormais persuadé qu’il sera prochainement fusillé.
Ne nous y trompons pas, même si les apparences semblent parfois laisser supposer le contraire tant le poids de l’armée de Terre en Algérie est écrasant, l’armée de l’Air sort dévastée de la crise. Pierre Messmer le reconnaît d’ailleurs avec lucidité lorsqu’il écrit en juillet 1961 : “Les événements du mois d’avril ont manifesté dans l’armée de l’Air, à des postes très importants, des défaillances extrêmement graves et qui n’ont pas été décelées par la voie hiérarchique…” La répression qui s’abat sur les putschistes et sur ceux qui, volontairement ou non, se sont retrouvés impliqués dans cette affaire, accroît le trouble parmi les aviateurs. Jugés par des tribunaux d’exception, ils écopent tous de peines lourdes mais échappent à l’exécution capitale, parfois d’extrême justesse, tel le gén. Jouhaud, finalement arrêté le 25 mars 1962 et gracié au dernier moment par de Gaulle sous la pression de ses ministres. Challe et Bigot sont condamnés chacun à 15 ans de prison, Nicot à 12 ans et Schütz à seulement 3 ans.
… mais rajeunie et tournée vers l’avenir
Des commissions d’enquête sont diligentées et une procédure de dégagement des cadres engagée dès mai 1961 afin d’éloigner tous ceux soupçonnés d’avoir été impliqués et considérés comme inaptes à servir.
On estime ainsi qu’au terme de cette longue et douloureuse procédure, entre 75 et 100 officiers ainsi qu’environ 500 sous-officiers doivent quitter l’armée de l’Air, volontairement ou non. Pour autant, ces mesures n’ont pas été appliquées sans discernement et le gén. Jean Fleury se plaît à rappeler la capacité qu’a eue l’armée de l’Air, malgré un moral en berne et des crises de conscience loin d’être apaisées, à se ressaisir en adoptant des mesures disciplinaires plus subtiles qu’il n’y paraît au premier abord : “J’aurai toujours beaucoup d’admiration pour la façon dont l’armée de l’Air a sanctionné les mutins. À partir du grade de colonel, les participants actifs au coup d’État virent leur carrière définitivement arrêtée, les plus coupables étant jugés par un tribunal. Par contre, en dessous du grade de colonel, ceux qui furent les plus pénalisés furent ceux qui avaient refusé de prendre une position claire. Comment en effet condamner un commandant ou un capitaine pour avoir suivi ses chefs alors qu’il était incapable d’avoir une vision globale de la situation ? Par contre, un officier qui ne veut pas se mouiller ne fera jamais un bon chef en temps de guerre, ni même en temps de paix. Or, ce sont des chefs dont l’armée de l’Air a besoin.”
Avec le putsch d’avril 1961, c’est une certaine conception de l’honneur, du respect de la parole donnée, du devoir qui se trouve remise en question. Mais c’est aussi une nouvelle armée de l’Air, rajeunie et lancée pour longtemps dans l’ère de l’atome et de la haute technologie qui émerge définitivement.