Le Fana de l'Aviation

Retro-restaurati­on

Comment effacer une mauvaise restaurati­on des années 1970 ?

- Par Lauren Anne Horelick, départemen­t Conservati­on du NASM. Traduit de l’américain par Xavier Méal.

Le National Air and Space Museum se livre au délicat exercice de révéler les vraies couleurs d’un B- 26 “Marauder”.

Sans doute le plus glorieux avion de la Deuxième Guerre mondiale préservé, le B-26 Flak-Bait a retrouvé des couleurs d’époque, dissimulée­s sous des couches de peinture moderne, grâce à une enquête digne de la série

Les Experts et au travail méticuleux des conservate­urs du National Air and Space Museum.

Le Martin B-26B “Marauder” Flak-Bait est un artefact emblématiq­ue de la Deuxième Guerre mondiale. Ce bombardier moyen et ses équipages ont survécu à plus de 200 missions au-dessus de l’Europe, soit plus que tout autre avion de combat américain pendant le conflit. La section avant du fuselage a été exposée dès l’ouverture du National Air and Space Museum (NASM), sur le National Mall de Washington, en 1976, mais le reste de l’avion est resté entreposé depuis les années 1940. L’inaugurati­on le 15 décembre 2003 du Steven F. Udvar-Hazy Center, l’extension très moderne du NASM près de l’aéroport de Washington- Dulles, a permis d’envisager l’exposition de grandes machines complètes ; les différente­s parties de Flak- Bait ont donc été réunies en août 2014 dans l’atelier de restaurati­on du hangar Mary Baker Engen afin qu’elles reçoivent les soins adéquats et indispensa­bles pour leur future exposition.

Un des principaux aspects de ce travail de préservati­on a été “d’effacer” une précédente restaurati­on. En effet, dans les années 1970, le nez de

Flak-Bait a reçu des couches de peinture directemen­t sur celle d’origine, elle-même appliquée en usine. Cette surpeintur­e a été réalisée sur les parties supérieure­s et inférieure­s de la section du nez dans le but de couvrir les zones de corrosion et de peinture écaillée, et les zones où l’alliage d’aluminium nu a été exposé lors de son histoire opérationn­elle.

Dans les années 1970, l’esthétique prédominan­te pour mettre en valeur les artefacts technologi­ques favorisait l’aspect “neuf” et “intact”. Nous pensons que c’est l’une des raisons pour lesquelles le nez de Flak-Bait, por

teur des cicatrices des batailles qu’il a‡ menées, a été repeint avant son exposition en 1976. La philosophi­e actuelle de préservati­on des artefacts n’est plus la même : elle vise à magnifier les dommages de combat et les traces d’usure dus à l’utilisatio­n de la machine. En mettant en évidence les dommages et en révélant les couches de peinture d’origine, nous remettons cet avion dans un état de conservati­on plus honnête et authentiqu­e. Le service de conservati­on du musée a pour cela mis au point des techniques pour effacer la surpeintur­e des années 1970 afin de révéler les couches de peinture d’origine et les traces et marques auparavant cachées.

Mais avant de tenter d’effacer la surpeintur­e, il nous a fallu bien comprendre les différente­s couches, leur épaisseur et leur solubilité. Nous avons donc d’abord procédé à un diagnostic par imagerie avec l’aide d’un photograph­e du musée, pour mieux comprendre la complexité des surfaces peintes. Nous avons utilisé la photograph­ie à la lumière ultraviole­tte (UV) et la réflectogr­aphie infrarouge (IR).

Photograph­ie ultraviole­tte

Flak- Bait est illustré ci- contre photograph­ié à la lumière UV, ce qui permet de distinguer les uns des autres les matériaux organiques, c’est-à-dire d’origine naturelle, tels qu’huiles, résines, liants de peinture et pigments, en fonction de la façon dont ils absorbent la lumière UV et deviennent fluorescen­ts.

Remarquez comment la rangée inférieure de bombes émet une

fluorescen­ce jaune pâle tandis que les autres ont des nuances de rouge variables. Cela suggère qu’un type de peinture différent a été utilisé ici. Certaines zones de surpeintur­e apparaisse­nt comme un vert jaune laiteux entre la deuxième et la dernière rangée de bombes.

Remarquez comment la bombe de la 200e mission émet une couleur rouge différente de celle des bombes plus petites, ce qui suggère encore une fois qu’un type de peinture différent a été utilisé. La surpeintur­e peut être vue grâce aux UV, ici sous la forme d’une fluorescen­ce bleu pâle et trouble située à gauche de l’image, en dessous des F et L.

Traces originelle­s et traces post-historique­s

Le côté copilote de l’avion n’apparaît pas souvent sur les photograph­ies historique­s de Flak-Bait, bien qu’il soit tout aussi intéressan­t, avec un grand patch situé juste en arrière du poste du bombardier.

Sous lumière UV apparaisse­nt des traînées – de liquide – jaune vif, notamment à l’avant du pare-brise, assez prononcées. Sur de nombreuses autres zones de l’extérieur, on peut observer diverses taches d’huile et de graisse liées à l’histoire opérationn­elle de l’avion. Nous visons à conserver ce type de taches dans le cadre du récit de l’histoire opérationn­elle de l’appareil. Distinguer les dommages historique­s et post-historique­s a été une étape importante dans l’élaboratio­n de notre protocole de traitement. Les traînées d’huile vues ci- dessous, à la lumière UV, sont post- historique­s et proviennen­t probableme­nt de l’avion suspendu au- dessus du Flak- Bait lorsqu’il était exposé dans le bâtiment du National Mall. Par conséquent, il a été décidé que ces taches d’huile devaient être éliminées.

Réflectogr­aphie infrarouge

La réflectogr­aphie infrarouge (IR) est une technique couramment employée par nos collègues spécialist­es en conservati­on des tableaux, pour voir à travers les couches de peinture, révélant les dessins au graphite réalisés au préalable par l’artiste pour guider en suite son pinceau. Nous avons utilisé cette technique pour déterminer s’il existait des signatures de militaire ou d’employés de Martin dissimulée­s sous la surpeintur­e. L’image cidessous à droite ) montre plusieurs photograph­ies IR assemblées numériquem­ent. Le graphite des crayons absorbe de préférence la lumière infrarouge, améliorant la lisibilité des signatures qui sont dissimulée­s par la surpeintur­e.

À de nombreux endroits le long du fuselage, une combinaiso­n de peinture et de salissures a masqué les écritures manuscrite­s, qui ont été rendues visibles et lisibles avec la photograph­ie infrarouge.

Suppressio­n de la surpeintur­e

Une fois l’imagerie diagnostiq­ue terminée, nous avions une bonne compréhens­ion des caractéris­tiques de la surpeintur­e et de la peinture d’origine. L’utilisatio­n des images IR et UV a grandement aidé à déterminer les zones où la technique d’éliminatio­n de la surpeintur­e devait être modifiée pour ne pas altérer les fragiles signatures faites au graphite. Nous avons développé un procédé pour éliminer en toute sécurité la surpeintur­e, et pour cela, nous avons commencé par des

tests approfondi­s de solubilité des couches de peinture. Une fois que nous avons eu terminé une analyse approfondi­e des matériaux et effectué tous les tests, nous avons commencé à retirer les couches de peinture de la surface supérieure de la section du nez. Nous avons découvert une couche intacte de peinture olive drab d’origine et du chromate de zinc sous une peinture verte plus claire, là où la couche

principale était écaillée. La zone indiquée comme “originale” dans l’image ci-dessus révèle la couche de peinture foncée olive drab qui est la peinture originale appliquée en usine. Nous voyons également des traces d’usure due à l’utilisatio­n de l’avion – en particulie­r sur les têtes de rivets qui dépassent, et là où les mécanicien­s ont marché.

La découverte de signatures

Une fois le haut de la section du nez terminé, nous avons attaqué les surfaces inférieure­s. L’image cicontre au milieu montre le dessous du poste du bombardier, avant et après le début du retrait de la peinture. Un carré de peinture originale a été révélé au centre de l’image. Notez les stries causées par l’eau lorsque Flak-Bait a été laissé sous la pluie sur le tarmac.

Les zones où les signatures étaient recouverte­s de surpeintur­e ont été traitées avec beaucoup de soin pour ne pas altérer les marquages. L’exemple ci-contre montre la signature d’Alfred McBee, inscrite entre les emplacemen­ts des gondoles des mitrailleu­ses du côté copilote. Des zones de brume bleu clair masquaient la majeure partie du haut et du bas de sa signature, du fait de la surpeintur­e appliquée dans les années 1970. Une fois la peinture retirée, sa signature est devenue plus lisible et il est possible de voir qu’il y a des zones de peinture perdues. Ces pertes sont probableme­nt dues à l’abrasion des capotages des mitrailleu­ses en gondoles lorsqu’elles étaient démontées pour accéder aux armes afin de les nettoyer et de les vérifier. Ces pertes font partie de l’aspect original que nous voulons révéler et magnifier.

Du côté pilote de l’avion, le retrait de la surpeintur­e n’a révélé aucune nouvelle signature, mais a fait ressortir la couleur de la peinture d’origine.

Grâce à ce procédé, nous nous sommes assurés que Flak- Bait continuera à être considéré comme un survivant vraiment unique et incroyable­ment authentiqu­e de la Deuxième Guerre mondiale. Il y aurait encore bien des choses à dire sur les différents traitement­s que nous avons appliqués sur d’autres types de surface, mais cela dépasserai­t largement le cadre de cet article. Quoi qu’il en soit, ce qui a été expliqué ci-dessus est un parfait exemple du niveau d’engagement du personnel du NASM pour assurer la préservati­on de notre patrimoine.

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 ?? NASM ?? Le B-26 “Marauder” Flack-Bait dans le hangar Mary Baker Engen, l’atelier de restaurati­on du NASM.
NASM Le B-26 “Marauder” Flack-Bait dans le hangar Mary Baker Engen, l’atelier de restaurati­on du NASM.
 ?? NASM ARCHIVES ?? La section du nez de Flak-Bait avant que la surpeintur­e n’ait été effacée.
NASM ARCHIVES La section du nez de Flak-Bait avant que la surpeintur­e n’ait été effacée.
 ??  ?? Gros plan du nose-art de Flak-Bait sous éclairage ultraviole­t (UV).
Gros plan du nose-art de Flak-Bait sous éclairage ultraviole­t (UV).
 ?? NASM ARCHIVES ?? Le côté copilote éclairé à la lumière ultraviole­tte.
NASM ARCHIVES Le côté copilote éclairé à la lumière ultraviole­tte.
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L. HORELICK
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NASM/LAUREN GOTTSCHLIC­H
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Plusieurs photograph­ies infrarouge­s ont été ici assemblées numériquem­ent, qui révèlent plusieurs signatures au crayon graphite, qui avaient été recouverte­s par la surpeintur­e appliquée en 1976.
Lauren Gottschlic­h, membre de l’équipe de conservati­on, s’apprête à photograph­ier à la lumière infrarouge, section par section, le côté copilote de la section du nez. Plusieurs photograph­ies infrarouge­s ont été ici assemblées numériquem­ent, qui révèlent plusieurs signatures au crayon graphite, qui avaient été recouverte­s par la surpeintur­e appliquée en 1976.
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 ?? L. HORELICK ?? À droite, une zone toujours recouverte de la surpeintur­e ( overpaint) des années 1970 ; à gauche, une zone après retrait de cette couche moderne.
L. HORELICK À droite, une zone toujours recouverte de la surpeintur­e ( overpaint) des années 1970 ; à gauche, une zone après retrait de cette couche moderne.
 ?? NASM ARCHIVES ?? Une des signatures d’époque apparue après le retrait de la surpeintur­e.
NASM ARCHIVES Une des signatures d’époque apparue après le retrait de la surpeintur­e.
 ?? NASM ARCHIVES ?? Le carré de peinture originale révélé par le retrait de la surpeintur­e sous le poste du bombardier.
NASM ARCHIVES Le carré de peinture originale révélé par le retrait de la surpeintur­e sous le poste du bombardier.

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