AVIONS DE COMBAT FUTURS : TOUJOURS PLUS !
De la cinquième à la sixième génération d’avions de combat : la course continue et ne manque pas de nouveaux compétiteurs…
Pionniers dans le développement des avions de combat furtifs, les Américains font, a priori, toujours la course en tête et ne font pas mystère de leur volonté de développer une « sixième » génération d’avions de combat.
Le 15 septembre dernier, Will Roper, haut responsable civil de l’US Air Force, jetait d’ailleurs un pavé dans la mare en annonçant officiellement qu’un NGAD (Next Génération Air Dominance) porteur de ruptures technologiques avait volé, et même « très bien volé ». On veut bien le croire, même si aucun document fiable ne peut pour l’instant confirmer cette affirmation. Plusieurs questions restent en suspens, à commencer par : « Qui l’a construit ? ». Boeing ? Peu probable, leur bureau d’études étant désormais essentiellement tourné vers le civil et les évolutions d’appareils existant (F-15 Eagle II, Super Hornet). Leur proposition dans le cadre du programme JSF avec le X-32 ne leur avait pas valu les félicitations du jury. Il est vrai en revanche que Boeing a impressionné le Pentagone et l’Air Force par la rapidité avec laquelle il a réussi le développement du T-7 Red Hawk d’entraînement. Si Boeing est hors course, restent en lice Northrop Grumman et Lockheed Martin. Le premier est bien occupé par le B-21,
le second par le F-35. À moins que le NGAD ne soit le travail de l’incroyable Monsieur Musk, ou bien d’une tout autre société ? Les paris restent donc ouverts sur le nom de l’avionneur masqué…
L’intrigant NGAD américain
D’autres questions essentielles portent également sur la nature précise des ruptures technologiques revendiquées par les Américains. Rien n’a été dit pour l’instant et tout est affaire de suppositions. Un avion de combat peut être découpé en trois chantiers distincts : l’enveloppe aérodynamique, la motorisation et les systèmes embarqués. Les plus grandes ruptures sont aujourd’hui à attendre dans la motorisation et les systèmes. Investir dans la motorisation permet de faire coup double en gagnant en poussée et en consommation pour, in fine, aboutir sur un avion plus manoeuvrant et avec une meilleure autonomie. N’oublions pas que toutes les grandes révolutions aéronautiques ont été portées par des innovations majeures des systèmes propulsifs : moteurs à explosion pour débuter, puis moteurs turbocompressés, fusées, réacteurs, réacteurs double flux pour ne citer que les principales. Alors pourquoi ne pas imaginer une nouvelle rupture sur le NGAD qui lui donnerait notamment l’autonomie qui reste le talon d’Achille des avions actuels ? En matière de systèmes embarqués, la marge de progrès est large également, que l’on évoque la connectivité ou l’emploi de l’intelligence artificielle. Elle est bien vivante l’idée séduisante d’un avion qui serait facile à faire évoluer d’un point de vue logiciel, qui accepterait facilement n’importe quel emport à la manière d’un PC acceptant des périphériques via ses prises USB… Qu’on se souvienne : il avait fallu moins d’un an pour faire grosso modo le tour des capacités cinématiques et du domaine de vol du Rafale C, mais il fallut près de dix ans
pour passer du standard F1 au standard F3 pleinement polyvalent. Gagner des années sur la qualification d’un système d’arme serait une véritable révolution, particulièrement aux États-Unis où l’on voit que vingt ans après son premier vol, le F-35 n’est toujours pas officiellement sorti de sa période de développement.
L’interminable J-20 chinois
Derrière les États-Unis arrive le tsunami chinois. La Chine va-t-elle tout balayer sur son passage ? Pékin s’est fait la main en matière de chasseurs furtifs avec le Shenyang FC-31, avant de frapper un grand coup avec le Shengdu J-20. Depuis 2017, la Chine aurait équipé trois brigades (équivalents d’escadrons) avec des J-20A de production, ce qui ferait une quarantaine d’avions en ligne. Les experts américains prévoient que d’ici 2027, la Chine pourrait avoir autant de J-20A que les États-Unis possèdent de F-22, soit un peu moins de 200. Si tous les F-22 ne sont pas au dernier standard et aptes au combat, il en ira probablement de même avec les J-20A dont les premiers exemplaires de production seront sans doute cantonnés aux missions de formation.
Le J-20 est vu comme un avion optimisé pour attaquer à grande distance les avions de mission américains, ravitailleurs, avions de guerre électroniques, AWACS et autres postes de commandement volants. Mais on peut aussi voir le J-20 comme un formidable intercepteur capable de se porter au-devant de raids de chasseurs ennemis en les attaquant à grande distance. C’est d’ailleurs le but de tout chasseur furtif qui se respecte : attaquer l’ennemi avant même d’être détecté par celui-ci.
La conception du J-20 met bien entendu l’accent sur la furtivité radar avec toutefois deux bémols : les tuyères proéminentes à l’arrière et l’utilisation de plans canards à l’avant, une installation aérodynamique toujours peu recommandée lorsqu’il s’agit de rechercher une furtivité maximale. Mais toutes les autres recettes classiques de la discrétion radar sont là, avec des formes optimisées, des entrées d’air fixes, des manches à air coudées pour masquer les réacteurs, des antennes conformes noyées dans la structure, un soin particulier porté à la protection des trappes et autres écopes, aux alignements des plans, au traitement de la verrière, et sans doute à la généralisation de matériaux absorbants dans la structure et la peinture. Selon les autorités chinoises, les simulations de combat aérien réalisées par les unités de J-20 ont montré une supériorité écrasante de cet avion sur ses opposants de « 4e génération ». Bien entendu, on imagine mal les autorités chinoises délivrer un discours différent. À noter d’ailleurs que le discours est identique aux USA, où l’on annonce régulièrement une réussite sans ambiguïté des F-35 dans les divers exercices auxquels ils prennent part.
Mais ce n’est pas tout : après avoir rattrapé les Américains sur les avions de 5e génération, la Chine annonce à présent travailler sur la génération suivante en concurrence avec le NGAD américain évoqué plus haut. Pékin annonce vouloir dépasser les États-Unis à cette occasion, prendre la tête de la compétition et ne plus seulement les jouer les rôles de suiveur/copieur. C’est une évidence, États-Unis et Chine font désormais la course en tête et s’apprêtent sans doute à distancer la Russie qui s’accroche à son Sukhoi 57. Onze ans après
le premier vol du premier prototype T-50, United Aircraft Corporation a annoncé le 29 janvier dernier la livraison du premier appareil de série aux forces aériennes russes. Cet appareil est le premier d’une commande de 76 annoncée en mai 2019. Soit dit en passant, Sukhoi fut préféré à MiG en 2002 pour le développement de cet appareil de nouvelle génération. C’était une année après la victoire de Lockheed Martin sur Boeing dans le cadre du programme JSF qui allait donner naissance au F-35.
Depuis cette date, Sukhoi a donc produit deux avions de série (le premier a été perdu dans les dernières heures de 2019 au cours d’un vol de réception), alors que dans le même temps, Lockheed Martin assemblait plus de 600 F-35. Le signe indubitable d’un décrochage industriel de la Russie hors de toute considération sur la valeur respective du Su-57 et du F-35…
Les ambitions coréennes
Et pendant que la Russie s’essouffle, arrivent de nouveaux coureurs asiatiques qui tentent de recoller avec la tête de la course. Pour des pays
comme le Japon, la Corée du Sud ou la Turquie, la conception d’un avion de combat, a fortiori quand il est furtif, est tout autant un motif de fierté nationale que l’expression d’un réel besoin militaire.
Cinq ans après le lancement du programme KF-X, la Corée du Sud a donc présenté le 9 avril dernier son KF-X, qu’il faudra maintenant appeler KF-21 Boromae. Il s’agit du premier avion conçu localement par KAI (Korea Aerospace Industries), certes avec une assistance de Lockheed. Rien d’étonnant dès lors qu’il s’agisse d’un clone de F-22 à échelle légèrement réduite. Le KF-21 aura pour mission de remplacer les derniers Phantom II et F-5E, avec un niveau de performances le plaçant à mi-chemin entre le F-16 et le F-35. Il sera équipé d’un radar AESA de fabrication nationale (dont le prototype avait été présenté en août 2020) et motorisé par des réacteurs F414 de General Electric (des réacteurs que l’on retrouve aussi sur le Super Hornet).
Avec la cellule et l’électronique embarquée, la Corée coche donc deux des trois cases nécessaires pour prétendre à une souveraineté sur les avions de combat. Il lui manque encore le savoir-faire sur la motorisation pour être indépendante. Sans oublier qu’il faudra bien armer cet avion et, là également, les Coréens devront faire des efforts et des chèques pour développer des missiles nationaux, et en particulier des missiles air-air à longue portée et guidage radar pour exploiter au mieux les capacités du radar AESA.
Privée de F-35, la Turquie veut son TF-X
Le premier vol du KF-21 est attendu pour l’an prochain et KAI prévoit la fabrication de six prototypes pour les essais de mise au point et de développement. La Corée a par ailleurs annoncé officiellement son intention de recevoir 40 avions d’ici 2028 et 80 de plus d’ici 2032. Le programme est conduit en partenariat avec l’Indonésie à hauteur de 20 %, ce pays s’étant engagé sur l’acquisition de 48 exemplaires, a condition toutefois que le financement suive et que la coopération n’achoppe pas sur des considérations financières ou sur la question du partage des tâches et des transferts de technologies. Djakarta étant réputée vouloir des Rafale et des F-15 Eagle II, on attendra un peu avant de mettre son bras à couper que le KF-21 volera un jour sous les couleurs indonésiennes…
Avec le projet TF-X (Turkish Fighter) de TAI (Turkish Aerospace Industries), la Turquie affiche elle aussi clairement son ambition d’occuper une place de premier plan sur la scène aéronautique. Le projet TF-X remonte à 2010, l’avion ayant été alors présenté comme un successeur au F-16 et destiné à compléter les F-35. En 2017, un accord avait été officiellement signé par TAI avec la société britannique BAE Systems pour fournir une assistance technique pendant le développement.
Dans la foulée, la Turquie avait annoncé le choix de l’EJ200 (réacteur de l’Eurofighter) pour motoriser le TFX. Cet accord fera long feu, Rolls Royce jetant l’éponge en 2019, officiellement en raison d’un désaccord sur la propriété intellectuelle. Restait alors en lice l’Américain General Electric, pressenti pour motoriser les premiers appareils avec des F110, en attendant le développement d’une motorisation purement nationale. Le F110 équipe déjà les F-16 locaux et il est bien connu de l’industrie turque qui en assure l’entretien. Mais la conception locale d’un réacteur de cette catégorie serait un projet au moins aussi ambitieux que le développement de l’avion lui-même.
Lors du dernier Salon du Bourget, TAI dévoila une maquette à l’échelle 1 de son projet, confirmant le choix pour un appareil de grande taille (environ 21 m), bimoteur, bidérive et de la classe des 25-30 tonnes. Une fois de plus, un clone de F-22 mâtiné de J-20 chinois. Le projet TF-X arrive toutefois à une époque troublée pour Ankara, après son éjection du programme F-35 (après son choix du système de défense anti-aérienne russe S400). Le pays était pourtant très impliqué dans le programme américain, avec les sociétés locales fabriquant très exactement 937 pièces, dont environ 400 étaient « made in Turkey » en simple source. Les Turcs devaient également acheter une centaine d’avions. Ankara aurait aujourd’hui beaucoup à perdre dans un bras de fer avec Washington.
Au-delà de la motorisation, les Turcs devront également développer en local les commandes de vol électriques, l’avionique et l’optronique, le radar à antenne active et balayage électronique, les munitions, sans oublier la sacro-sainte furtivité. Avec en toile de fond un calendrier ambitieux annoncé par Turkish Aerospace : une première présentation d’un prototype est annoncée pour les 100 ans de la République turque, soit en 2023. Le premier vol pourrait suivre deux ans plus tard, avec une mise en service au tournant de la décennie.