LA NOUVELLE COURSE AU BOMBARDIER STRATÉGIQUE
Trois pays, les trois suspects habituels, se sont engagés dans une nouvelle course au bombardier lourd. S’agit-il d’une pathologie de plus dans les relations entre les grands de ce monde ou bien est-ce la réponse à un réel besoin militaire ?
Ils ne sont que trois dans le monde : les États- Unis, la Chine et la Russie. Trois pays à posséder des flottes de bombardiers stratégiques cumulant une capacité d’emport et une distance franchissable imposantes. Trois pays à maintenir coûte que coûte leurs flottes héritées de la guerre froide et même à se lancer dans de nouveaux programmes de développement. Tous les autres pays dans le monde ont tourné la page des bombardiers lourds pour se recentrer sur l’emploi de chasseurs-bombardiers ou d’avions polyvalents suffisamment coûteux comme ça…
Une étude de l’hebdomadaire américain AviationWeek&Space Technology expliquait récemment que les flottes de bombardiers lourds allaient augmenter au cours de la décennie, passant d’un total mondial de 524 début 2021 à près de 600 d’ici 2030. Quelques appareils parmi les plus anciens seront retirés du service, mais 119 nouveaux devraient faire leur apparition dans les arsenaux : 59 en Chine, 57 aux États-Unis et 11 en Russie. Chacun de ces trois pays avance d’ailleurs avec son programme de bombardier furtif en forme d’aile volante : le B-21 américain, le H-20 chinois et le PAK-DA russe. Si la mise en service du B-21 et du H-20 est une certitude, les deux appareils devant réaliser leur premier vol dès l’année prochaine, l’avenir du PAK-DA est plus incertain. Quoi qu’il en soit, on peut noter que l’entrée en service opérationnel de ces appareils n’inter
viendra pas avant encore quelques années, au bas mot trente ans après le B-2 de Northrop, le père fondateur de la nouvelle famille des ailes volantes furtives.
Le monde entier à portée de bombes
Historiquement, les États-Unis, ont toujours mené la danse. Grosses voitures, gros frigos et grosses cylindrées, les États-Unis sont le pays du Big is Beautiful, inutile de revenir là-dessus. La géographie du territoire américain explique beaucoup de choses et très certainement cette fascination pour les engins vastes, puissants et confortables. Les États-Unis étant bordés d’océans à l’ouest et à l’est, la mise au point d’appareils stratégiques était essentielle pour porter la guerre chez l’ennemi. L’impact réel du bombardement stratégique sur le champ de bataille européen pendant la Seconde Guerre mondiale est toutefois discutable, mais il est plus clair dans le Pacifique, avec ce point d’orgue que constituèrent les bombardements nucléaires d’Hiroshima et Nagasaki en août 1945. Aujourd’hui encore, le lobby politico- militaro- industriel américain met en avant l’idée que la capacité d’attaquer des objectifs partout dans le monde, à tout moment, et en demandant la permission au moins de monde possible, doit rester en tête de liste des priorités.
À la fin de la guerre froide, l’US Air Force disposait au total environ 400 bombardiers stratégiques. Dans les années qui suivirent, les coupes budgétaires et l’idée qu’une force stratégique réduite suffirait pour des conflits contre des « États voyous », Iran ou Corée du Nord pour ne citer que les plus visibles d’entre eux, menèrent à des réductions des flottes. Le DOD( 1) américain décida, en 1997, de plafonner le programme B-2 à la fabrication de 21 avions au lieu des 132 initialement prévus. Les coupes claires se poursuivirent dans les années 2000, lorsque l’US Air Force retira un tiers de ses B-1B et environ un cinquième de ses B-52H. Ces départs à la retraite se poursuivirent alors même que la demande de bombardiers augmentait, l’US Air Force étant engagée sans interruption dans les conflits en Irak ou en Afghanistan. L’inventaire actuel de l’USAF fait état de 76 B-52H, 62 B-1B, et 20 B-2, soit un total de 158 appareils. En chiffres purs, il s’agit de la plus petite flotte depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Du plus récent au plus anciens, on trouve d’abord le B-2 de Northrop. Avion de tous les fantasmes, dont la construction s’est étalée sur plus de vingt ans pour 21 appareils et qui a tout de même coûté la bagatelle de 2,1 milliards de dollars par exemplaire en moyenne. Chiffre suffoquant auquel il faut ajouter le coût de l’heure de vol annoncé à 130 000 dollars. Pour le prix de trois heures de vol, il est donc possible de s’acheter un 3 pièces de 48,50 m2 à Paris, à deux pas du métro et des écoles, refait à neuf avec de nombreux rangements. Idéal pour un jeune couple. Un B-2 peut faire le tour de la Terre sans escale en étant ravitaillé en vol, avec un emport maximal de 80 munitions SDB ou 16 missiles de croisière AGM-158 JASSM-ER. La SBU-39 Small Diameter Bomb est une bombe planante (à la voilure repliable) de 110 kg offrant une portée de 70 à plus de 100 km suivant les versions. Le Joint Air- to- Surface Standoff Missile- Extended Range est un missile de croisière offrant 1 000 km de portée dans la version AGM-158B pour une charge militaire de 430 kg. L’engin est facturé au contribuable la modique somme de 1,2 million pièce, l’équivalent cette fois d’un très beau 4 pièces dans le 15e arrondissement, avec vue sur la tour Eiffel depuis la salle de bains. Coup de coeur assuré.
Malgré tous les superlatifs associés à l’avion, des rumeurs courent sur une conception qui serait moins efficace que prévu en matière de furtivité, avec en outre une maintenance hors de prix, même pour le Pentagone. Tous les sept ans, le passage en grande visite immobilise l’avion pendant douze mois et coûte environ 60 millions de dollars.
Avant lui, le B-1 fut également un très remarquable échec financier. D’abord conçu comme bombardier nucléaire Mach 2, le programme fut annulé par le président Carter en 1977 avant d’être repêché par les cheveux une paire d’années plus tard par le président Reagan, au prix toutefois d’une baisse drastique du niveau de performance attendu (Mach 1,25 de vitesse maximale). Cent appareils furent fabriqués entre 1984 et 1988. Pas de chance, la raison d’être de l’avion, la vitrification de l’Union Soviétique, disparut peu de temps après la dislocation de cette dernière. Quelques mois seulement après sa
mise en service, le B-1B se retrouvait donc sans mission de pointe et se contentait de transporter des munitions conventionnelles sur des théâtres d’opération de second ordre. Bombarder un Taliban avec un B-1B, c’est comme livrer des pizzas en Ferrari : c’est bon pour le buzz, moins pour le compte de résultat. Là aussi, étouffée par les frais stratosphériques de mise en oeuvre, l’US Air Force s’est résolue à trancher dans le vif et prépare pour cette année le retrait de service de dix-sept appareils. Sur ce lot, quatre seront placés en stockage longue durée, sous cocon, avec la possibilité d’être rappelés en service. Un autre sera affecté comme avion d’essais sur la base d’Edwards, un autre rejoindra la base de Tinker, important centre logistique de l’USAF, un troisième pourrait être utilisé pour des développements futurs tandis qu’un quatrième sera installé en pot de fleur sur une base aérienne. Tous les autres iront sécher au soleil dans le cimetière de Davis Monthan, prêts à se faire cannibaliser et démanteler. Déduction faite de ces dix-sept appareils, il restera fin 2021 quarante-cinq B-1B en service au sein de l’US Air Force. Le retrait de service définitif des derniers appareils est attendu pour 2036.
Nous venons d’évoquer le B-2, puis le B-1B, reste donc l’inoxydable B-52. En 2018, l’USAF décida donc qu’elle mettrait à la retraite ses B-1 et B-2 dans les années 2030, près d’une décennie plus tôt que prévu. Dans le même temps, elle décidait de prolonger la durée de vie de ses B-52H, avec sans doute l’ambition de leur faire dépasser les 90 ans de service et la volonté implicite de battre le record tenu par Michel Drucker. Quelques mois plus tôt, l’USAF avait pris livraison d’un B-52H sorti de son stockage à Davis-Monthan et remis à neuf. Il s’agissait alors, après la perte d’un appareil, de ramener la flotte de Stratofortress à l’effectif maximal autorisé par les traités internationaux, soit 76 avions. Ce premier appareil tiré des limbes a été suivi par un second
en mai 2019. Malgré leur âge avancé, les B-52 continuent d’apporter leur pierre à la politique du gros bâton des États-Unis : engagés pendant plus de trente ans en Irak puis en Afghanistan, ils sont à présent régulièrement envoyés gesticuler face à l’Iran, à la Russie, la Corée du Nord ou encore la Chine.
Mieux, l’idée de remotoriser les avions qui courait depuis plusieurs années, pour ne pas dire décennies, a pris une nouvelle tournure en milieu d’année dernière. L’USAF semble à présent bien décidée à acheter 608 réacteurs de nouvelle génération pour remplacer les vénérables TF-33 de Pratt & Whitney. Trois options s’offrent aux Américains : le CF34 de General Electric, le PW800 de Pratt et le BR725 de Rolls-Royce. Cette modernisation longtemps attendue n’est d’ailleurs pas la seule à venir. Pour permettre à son patriarche de continuer à jouer un rôle de premier plan dans la décennie qui vient, l’USAF veut doter le B-52 d’un nouveau pylône de voilure lui permettant d’emporter trois missiles de croisière Lockheed Martin AGM-183A (soit une charge de près de 10 tonnes) sous chaque aile. Boeing a également modernisé les deux lanceurs rotatifs conventionnels positionnés dans les soutes pour leur permettre d’emporter jusqu’à huit missiles de ce type chacun. Et si une nouvelle génération de missiles hypersoniques devait entrer en service, le B-52 serait bien entendu adapté pour les emporter et les lancer. D’ici la fin de la décennie, le patriarche qui sera encore en opération aura donc enterré les deux avions qui étaient censés lui succéder, le B-1B et le B-2. Il évoluera alors aux côtés de son arrière-petit-fils actuellement en gestation, le B-21 baptisé Raider.
Mini B-2 mais il fait le maximum
Le B-21 (le chiffre 21 symbolisant le 21e siècle) représente la deuxième génération d’aile volante furtive au service de l’US Air Force. Sa conception a été confiée à Northrop Grumman, qui reçu un contrat de développement en octobre 2015 à l’issue d’une compétition l’ayant opposé à Boeing et Lockheed Martin.
Le B-21 est un clone de B-2 mais en bimoteur, sensiblement plus petit et, c’est du moins l’espoir de l’USAF, nettement moins coûteux. Tant il est vrai que la réussite du programme sera tout autant fonction de la capacité de Northrop Grumman à rationaliser la production et l’entretien des appareils qu’à assurer le niveau de performances attendu.
Alors que la construction du deuxième prototype a débuté dans l’usine de Palmdale (Californie), le premier exemplaire du bombardier de nouvelle génération est entré quant à lui en assemblage final sur ce même site. En juillet 2018, l’USAF évoquait la
possibilité de faire voler l’appareil pour la première fois le 4 décembre 2021, pour les 80 ans de Pearl Harbor. Tout un symbole ! Le symbole ne sera pas tenu. À l’heure où sont écrites ces lignes, le « roll out » est à présent attendu dans le courant de l’année 2021 mais il aura peut-être déjà pris place à l’heure où cet exemplaire du Fana sera imprimé. Quoi qu’il en soit, il faudra ensuite attendre six à neuf mois après le roll-out, si l’on se base sur le calendrier des programmes américains précédents, avant de voir le B-21 voler. L’entrée en service opérationnel est quant à elle prévue autour de 2027. Pour la seule année 2021, le
Pentagone prévoit de consacrer 2,8 milliards de dollars pour le développement de l’avion. L’USAF table sur un prix unitaire de 550 millions de dollars, mais le chiffre laisse sceptique de nombreux analystes. D’abord parce que les programmes d’armement outre-Atlantique respectent rarement les enveloppes prévues : une fois la marche avant d’un programme bien enclenchée, quand tout retour en arrière devient impossible, il est tentant pour tous les acteurs ayant mis les doigts dans le pot de confiture qu’est devenu le Pentagone d’y glisser la main entière. « Donnez-moi quelques milliards supplémentaires, sinon il nous sera impossible de repousser les hordes chinoises quand elles se présenteront face au rivage californien ». Il est d’ailleurs troublant de se souvenir que le B-2 avait lui aussi été promis à 500 millions de dollars pièce, pour finalement coûter plus de 2 milliards au contribuable américain.
Se rapprocher pour taper fort
Il est légitime à ce stade du récit de se demander ce qui pousse l’USAF à développer un nouveau bombardier furtif, c’est-à-dire taillé pour aller au plus près des défenses ennemies. La prolifération des missiles de croisière et des armements guidés et bientôt des missiles hypersoniques pouvant être tirés à « distance de sécurité » pourrait laisser croire que s’approcher des cibles et venir se jeter dans la gueule du loup est moins que jamais nécessaire pour un bombardier. À cela, l’US Air Force répond que les munitions tirées à distance de sécurité ne pourront jamais suffire dans le cas d’un conflit de grande envergure. À un moment ou à un autre, les bombardiers devront se rapprocher de leurs cibles et aller au charbon, et ce pour plusieurs raisons :
D’abord en raison du grand
nombre d’objectifs qu’il y aura à traiter. Pendant l’opération Desert Storm, les forces aériennes de la coalition attaquèrent environ 40 000 objectifs. Attaquer les géants géographiques que sont la Russie ou la Chine, parce que c’est bien le scénario qui motive la création du B-21, impliquerait un plus grand nombre encore de cibles à détruire. Même pour la puissante Amérique, il serait inconcevable financièrement d’utiliser plusieurs dizaines de milliers de munitions (avec un coût unitaire dépassant le million de dollars) pouvant être tirées à distance de sécurité.
Ensuite parce que la notion même de distance de sécurité est à géométrie variable : elle peut se limiter à quelques dizaines de kilomètres dans les cas les plus simples, jusqu’à flirter avec les mille kilomètres s’il s’agissait par exemple d’attaquer des objectifs au coeur de la masse continentale chinoise… Comment bombarder un site de missiles balistiques chinois mille kilomètres à l’intérieur des terres tout en faisant face à une défense aérienne puissante qui empêcherait les bombardiers de s’approcher à moins de 500 km des frontières du pays ?
Un troisième argument à prendre en compte tient aux défauts inhérents aux armements conventionnels tirés à distance de sécurité : leur manque de puissance. L’installation d’une voilure et/ou d’un moteur et de son carburant sur une munition se traduit mécaniquement par la diminution de la charge militaire. Les missiles de croisière ne sont pas assez puissants pour aller chercher des objectifs fortement blindés ou enterrés. Le B-2 est capable de mettre en oeuvre les GBU-37 « Bunker Buster » à guidage GPS de 2 200 kg, ou même la célèbre GBU-57 « Massive Ordnance Penetrator » de 14 tonnes, dont 2,4 tonnes d’explosif, capable d’aller détruire des installations plus de 60 mètres sous terre… Mais il lui faut pour cela pratiquement survoler son objectif. Et à la question de la puissance de destruction s’ajoute celle de la rapidité d’intervention : plus l’objectif est mobile, plus il est préférable de s’en rapprocher pour le détruire.
Aux yeux de l’USAF, toutes ces raisons militent en faveur du développement du B-21 qui devrait être le seul capable, dans les années à venir, de s’approcher suffisamment des objectifs chinois ou russes. Le chiffre de cent B-21 serait d’ailleurs un chiffre plancher pour l’US Air Force Global Strike Command qui ne cache pas son désir de pouvoir aligner au moins 200 ailes volantes dans les décennies à venir.
Mais nous n’y sommes pas encore ! Si l’on se base sur un rythme de fabrication annuel de dix appareils à la fin de la décennie, moins d’une quarantaine d’appareils seraient en ligne d’ici 2030. Et il faudrait attendre la fin des années 2040 pour en avoir 200.
Quelques beaux restes
Au temps de la guerre froide, l’URSS s’était aussi lancée dans l’aviation stratégique, mais avec des visées différentes de celles des Américains. Il ne s’agissait pas pour eux de larguer des tapis de bombes sur l’ennemi mais plutôt de disposer d’appareils à grands rayons d’action pour faire la chasse aux porte- avions américains en Atlantique et en Méditerranée. Plus grand était le rayon d’action, plus loin des côtes et de la chasse ennemie ils pouvaient se permettre d’attaquer les navires ennemis( 2). Malgré les vicissitudes liées à la dislocation de l’ancienne Union Soviétique, il resterait aujourd’hui à la disposition de la
Russie une soixantaine de Tupolev Tu-22, une cinquantaine de Tu-95MS et une quinzaine de Tupolev Tu-160. De ces différents appareils, ce sont les Tu-22 qui ont connu la carrière opérationnelle la plus trépidante avec des engagements au combat en Afghanistan, en Tchétchénie, en Georgie et, plus récemment, en Syrie. On est loin de l’intensité de l’engagement des B-52 américains du Vietnam à l’Irak, mais tout de même… Plus près de nous, les bombardiers lourds soviétiques ont été engagés dans de nombreux raids à longue distance assimilables à des démonstrations de force (vers l’Amérique latine, vers la Méditerranée, vers le flanc sud de l’Europe, etc.). À l’instar de son homologue américaine, cette flotte continue d’être modernisée : la remotorisation des Tu-160 et Tu-95 est en bonne voie et une nouvelle version du Tupolev 22, le Tu-22M3M, a débuté ses essais en vol. Le premier prototype, doté d’une nouvelle avionique, de nouveaux moteurs et de nouveaux armements (dont le missile de croisière supersonique Kh-32), a débuté ses essais en vol dans les derniers jours de 2018. Il a été rejoint par un deuxième appareil l’année dernière.
La Russie veut aussi son aile volante
Marchant dans les pas de l’US Air Force, et sans doute pour signifier à Washington qu’elle aussi peut mener à bien un projet aussi complexe, la Russie travaille également au développement de sa propre aile volante furtive. Le projet PAK-DA a été lancé officiellement en 2008 et confié à Tupolev. Il s’est heurté initialement au scepticisme de certains officiels russes (à quoi bon se lancer dans un projet aussi coûteux…) bien vite caché sous le tapis. Le PAK-DA est sans doute plus une affaire de fierté nationale qu’un besoin purement militaire.
Sans surprise, le choix de la formule aile volante a été officialisé en 2013 : quand on veut voler loin et discrètement, sans rechercher la manoeuvrabilité ni des vitesses supersoniques, le choix est vite fait. Les Russes sont aussi avares d’informations sur le PAK-DA que les Américains le sont sur le B-21, mais on peut sans surprise imaginer le niveau de performances suivant : vitesse subsonique, rayon d’action supérieur à 10 000 km sans ravitaillement en vol, capacité de tenir l’air plus de 24 heures avec plusieurs ravitaillements en vol, capacité d’emport d’environ 30 tonnes pour une masse au décollage inférieure à 150 tonnes. Comme le B-21, l’appareil
sera très certainement un bimoteur, avec des réacteurs fournis par le motoriste Kouznetsov. Étonnamment, les Russes évoquent la présence d’un équipage constitué de quatre personnes, à l’image des appareils de génération précédente, alors que les Américains, sur leurs B-2 et B-21, ont fait le choix d’un équipage de seulement deux pilotes.
Selon l’agence de presse TASS, l’assemblage des premiers éléments de structure a d’ores et déjà commencé dans un nouveau bâtiment érigé au sein des installations de Tupolev à Kazan. Toujours selon l’agence TASS, le premier prototype pourrait être achevé dès cette année. Une autre source russe évoque la fabrication de trois prototypes d’ici avril 2023, avec une production en série qui pourrait débuter dès 2027. Il paraît pourtant difficile de croire que la Russie aura les reins assez solides et l’outil industriel idoine pour fabriquer et se procurer ce nouvel avion en quantité significative, dans les délais impartis, tout en poursuivant l’effort de modernisation de sa flotte actuelle. Le scénario le plus probable serait l’acquisition d’un nombre limité d’appareils servant de vitrine technologique et politique.
Les ambitions chinoises
Et puis voici le troisième entrant, la Chine, qui voit également dans les bombardiers lourds des vecteurs capables de porter de puissants missiles anti-navires capables de tenir à distance les porte-avions américains.
Au cours des dix dernières années, la Chine n’a pas été avare en projets d’appareils furtifs et avant-gardistes, tels que les FC-31 et J-20. Le pays a en outre mis en service plusieurs autres types d’avions modernes, certes non furtifs, comme les J-10, J-16 et autres Sukhoi Su-35. Mais dans le même temps, sa flotte de bombardiers restait tributaire de très anciens Xian JH-7 et H-6, de simples clones de l’antédiluvien Tupolev Tu-16 Badger soviétiques qui a volé pour la première fois le 27 avril 1952, douze jours seulement après le premier prototype du B-52. La Chine reçut ses premiers exemplaires en 1958, mais le plus étonnant est que le pays continue de produire ces appareils localement, ce qui est sans doute un record mondial de longévité à rapprocher d’un autre grand classique militaire, le C-130 Hercules dont le premier vol remonte au mois d’août 1954.
Mais pour ce qui est d’un avion de combat, pourrait- on imaginer les États-Unis continuer à fabriquer le B-52, même considérablement modernisé, 70 ans après son premier vol ?
En octobre 2019, les autorités chinoises révélèrent la version H-6N de l’avion, avec une capacité de bombardement nucléaire en outre augmentée par une aptitude au ravitaillement en vol. Peu de temps après, des photos montrèrent l’avion modifié pour emporter un missile balistique sous son fuselage. Il pourrait s’agir d’une version à moyenne portée du missile anti-navire DF-21, l’arme de prédilection des Chinois contre les porte-avions américains. D’autres photos publiées sur les réseaux sociaux ont également montré un H-6N porteur, cette fois, d’un nouveau type de missile dont le profil évoque fortement un engin hypersonique.
Le Tu-16 chinois marchant avec tant de grâce dans les pas du B-52, il était logique que la Chine emboîte également le pas des Américains dans la conception d’un bombardier de nouvelle génération, et c’est bien entendu ce à quoi on assiste aujourd’hui.
L’existence d’un projet d’aile volante furtive, appelée H-X puis H-20, a été publiquement confirmée par un officiel chinois en 2016. Depuis 2017, le Pentagone évoque publiquement ce programme en lui prêtant les caractéristiques suivantes : architecture similaire au B-2, rayon d’action d’au moins 8 500 km et capacité d’emport d’au moins 10 tonnes, avec des armements nucléaires ou conventionnels. Toujours selon les Américains, le H-20 pourrait entrer en service avant la fin de la décennie.
Avec l’autonomie annoncée, le H-20 n’aurait certes pas la capacité de menacer directement la côte ouest des États-Unis, mais il pourrait sans peine sillonner le Pacifique Nord de l’Alaska jusqu’à Hawaï. Il pourrait surtout être suffisamment dissuasif pour repousser très loin les porte-avions américains et affaiblir considérablement leurs capacités offensives dans le Pacifique Nord.
Un clin d’oeil formidable à une histoire vieille de tout juste un siècle, celle de l’affrontement entre force aérienne et force navale, entre bombardiers et navires de premier rang, cuirassés hier ou porte-avions aujourd’hui.