NO FUEL, NO FIGHT
*« Pas de carburant, pas de combat» , proclame en 2021 l’US Air Force pour souligner l’importance capitale du carburant dans le futur. Le slogan fonctionne aussi pour les compagnies aériennes. Retour sur un des enjeux essentiels pour l’aéronautique.
Electricité et hydrogène ne sont pas près de remplacer le kérosène dans l’aviation. L’un des sujets à la mode dans l’aéronautique concerne les biocarburants ou, selon la terminologie en vigueur, de « carburant d’aviation durable » (SAF pour Sustainable Aviation Fuel). Notons qu’il est parfois question d’agrocarburant pour souligner que ce carburant est obtenu
à partir de biomasse issue de l’agriculture. L’utilisation des biocarburants se traduit par un bilan CO2 très avantageux. Cependant, les biocarburants doivent s’adapter aux moteurs aéronautiques et non l’inverse. Ils doivent être prêts à l’emploi dans les moteurs existant. Exemple de contrainte : rester liquide à - 47°, ne pas être trop visqueux, pas trop acide, proposer une densité d’énergie à la hauteur du Jet A-1, le standard actuel de l’aviation commerciale. Précision importante : la réglementation impose pour l’instant un maximum de 50 % de biocarburant lors d’un vol commercial.
Les essais avec du biocarburant ont commencé il y a déjà assez longtemps. Un vol d’essai a eu lieu le 30 décembre 2008 sur un Boeing 747-400 d’Air New Zealand, dont un des réacteurs Rolls-Royce RB211 a été alimenté avec 50 % de Jet-A1 et 50 % de carburant à base d’huile de jatropha. Un autre vol, le 7 janvier 2009, a été réalisé sur un Boeing 737-800 de Continental Airlines. Ses réacteurs CFM56-7B tournaient avec un biocarburant composé d’huile de jatropha et d’algues. À chaque fois, les mélanges n’ont pas altéré le fonctionnement des moteurs, sinon une légère baisse de consommation constatée, de 1 à 2 %. La barre des 100 % de biocarburant avec un avion a déjà été atteinte.
Un vol avec 100 % de biocarburant
Le 29 octobre 2012, un biréacteur Dassault Falcon 20 s’envolait de l’aéroport d’Ottawa. Dans ses réservoirs, l’unique carburant s’appelait ReadiJet, à 100 % d’origine végétale, produit à partir d’une plante oléagineuse, carinata brassica, la moutarde d’Abyssinie. C’est la première fois qu’un avion vole avec seulement du « bio kérosène ». Les recherches sont soutenues par les pouvoirs publics. Le Falcon 20 d’Ottawa volait pour le CNRC, Conseil national de recherches du Canada, équivalent de notre CNRS. Le ReadiJet a été produit à partir d’un oléagineux commercialisé par
Agrisoma Bioscience et produit par un procédé de catalyse mis au point par ARA ( Applied Research Associates), avec Chevron Lummus Global.
Jusque-là, de nombreux vols ont été réalisés avec du Jet A1 traditionnel et du biocarburant. Pour ne citer que quelques vols avec des mélanges de ce genre, Boeing a fait traverser l’océan Pacifique à un 787 Dreamliner en avril 2012. Air France a assuré, en octobre 2011, un vol commercial ToulouseParis avec un A321. Dix ans plus tard, le 18 mai 2021, Air France-KLM, Total, le Groupe ADP et Airbus ont joint leurs efforts pour réaliser le premier vol long-courrier avec du SAF produit en France. Le vol Air France 342 avec un Airbus A350 a décollé de l’aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle à destination de Montréal en emportant pour la première fois dans ses réservoirs du carburant aérien durable produit par Total dans ses usines françaises. Son utilisation à hauteur de 16 % sur ce vol a permis d’éviter l’émission de 20 tonnes de CO2 souligne Air France-KLM.
Gouvernements et industriels investissent dans la filière « carburant d’aviation durable ». La perspective de devoir à long terme remplacer les carburants fossiles et, à plus court terme, de faire face à des fluctuations imprévisibles des tarifs du pétrole les incite à tester des alternatives. Exit les biocarburants dits de première
génération, tirés de plantes comestibles comme le maïs, qui feraient flamber les cours des céréales alimentaires et dont le bilan pour les émissions de gaz à effet de serre est mauvais. Voici de nouvelles plantes, comme la moutarde ou le jatropha du 747 néo-zélandais. Mais sont aussi en lice la salicorne, les algues et les huiles alimentaires après utilisation (les huiles de friture) ou les déchets agricoles, avec le concours de bactéries bien choisies. Le 787 de la traversée du Pacifique brûlait ce genre de carburant.
Boeing se veut ambitieux sur la question des SAF :« Les avions doivent pouvoir utiliser des carburants d’ aviation 100% durables bien avant
2050 » . Ses démonstrateurs EcoDemonstrator (737, 777 et 787) explorent plusieurs pistes pour réduire la consommation des jets actuels. Ils permettent de mesurer les avantages des biocarburants. Leur production est lancée un peu partout dans le monde, pour l’instant à une échelle assez réduite.
Total a démarré avec succès la production de biocarburants aériens durables en France grâce à sa « bioraffinerie » de La Mède (Bouches-duRhône) et sur son site d’Oudalle (Seine-Maritime). Ces biocarburants aériens sont produits à partir d’huiles de cuisson usagées. Total produira également des biocarburants aériens durables en 2024 à partir de sa plateforme zéro pétrole de Grandpuits (Seine-et-Marne). L’ensemble de ces biocarburants aériens durables sera produit à partir de déchets et résidus issus de graisses animales et huiles de cuisson usagées. Total n’aura pas recours à des huiles végétales. L’Onera travaille avec la DGA pour certifier l’utilisation de biocarburant sur les réacteurs du Mirage 2000 et du Rafale. En effet, ils peuvent être amenés à les utiliser, notamment lors d’exercices avec l’US Air Force.
La question du carburant préoccupe l’US Air Force, qui consomme un peu plus de 2 milliards de gallons de kérosène par an (7,5 milliards de litres), le tout pour une somme située entre 5 et 7 milliards de dollars. En
fait, l’US Air Force est le plus grand consommateur en carburant du département de la Défense.
Un slogan choc : No fuel, no fight !
En février 2021, la question du carburant fut au coeur d’un symposium de l’US Air Force avec un titre choc, qui résume bien l’importance de l’enjeu : « No fuel, no fight » (pas de carburant, pas de combat). Plusieurs pistes sont explorées dans la perspective de réduire la consommation du carburant d’origine fossile. Au milieu des années 2000, le Président Barak Obama poussa les militaires américains à utiliser des carburants alternatifs. L’un des premiers fut le carburant synthétique. Un bombardier B-52 vola ainsi en 2006 avec un mélange de JP-8 et de carburant synthétique issu du procédé Fischer-Tropsch. Celui-ci tire son nom de ses deux inventeurs. Il est relativement ancien puisqu’il fut utilisé à grande échelle par les Allemands lors de la Seconde Guerre mondiale. «Lors des essais sur les réacteurs du B-52,l’ utilisation du mélange de carburants alternatifs a permis de réduire les émissions de suie de 30% à la puissance maximale et de 60% au ralenti », déclara alors le Dr Tim Edwards, ingénieur chimiste principal pour la Direction des carburants du laboratoire de recherche de l’US Air Force aérienne. Il ajouta :« Cesréductions d’ émissions sont du es à la très haute qualité du mélange de car
burant Fischer-Trops ch ». Cette synthèse de charbon et de gaz est efficace mais relativement coûteuse à produire, de sorte que l’US Air Force a laissé de côté cette filière. Le biocarburant fait l’objet d’essais depuis une dizaine d’années.
En mars 2010, un A-10C Thunderbolt vole avec un mélange de kérosène et d’huile de caméline. En 2012, l’US Air Force avait quelque peu irrité les sénateurs en achetant 59 dollars le gallon de biocarburant alors que le gallon de kérosène était à 3,60 dollars. En effet, d’une façon générale, le grand défi des biocarburants reste son prix, trois fois plus élevé que le carburant d’origine fossile. Tous les acteurs de la filière savent que sa généralisation ne se fera qu’avec une baisse de son coût.