ONERA, LA MATIÈRE GRISE COMME MOTEUR
L’Onera est la pointe de la recherche dans l’aéronautique. Présentation de ses recherches et travaux où la matière grise de ses équipes de chercheurs est un excellent moteur pour préparer l’avenir.
Depuis sa création en 1946, l’Onera (pour Office national d’études et de recherches aérospatiales) est un acteur incontournable dans la recherche aéronautique en France. On ne compte plus les programmes, et les études des chercheurs de l’Onera
jouèrent un rôle essentiel, déterminant. De Concorde à Airbus en passant par Dassault, les constructeurs poussent la porte des laboratoires et souffleries de l’institution pour comprendre et innover. Autant dire qu’en 2021, à l’heure ou les réflexions sur l’avenir à donner à l’aéronautique touchent tous les secteurs de l’aéronautique, l’Onera est en première ligne avec ses homologues allemands (DLR) et Américains (Nasa) pour ne citer que les plus connus. L’Onera en 2021, c’est 234 millions d’euros de budget, 1 568 ingénieurs et cadres au sein de sept départements et quatre laboratoires communs, avec un parc de souffleries sinon unique au monde en tout cas de tout premier plan. La S1MA, installée dans les Alpes, est la plus grande soufflerie sonique du monde : elle peut souffler à presque Mach 1 dans un conduit de 8 m de diamètre. Tous les avions des gammes Airbus et Dassault Aviation sont passés par la S1MA, notamment pour évaluer leurs performances en vol de croisière. Les objectifs de l’Onera sont très ambitieux. Résumons-les en une phrase : « 2050 se prépare aujourd’hui ».
Recherches aérodynamiques
Parmi les multiples programmes en cours, penchons-nous plus particulièrement sur des recherches emblématiques dans les domaines de l’aérodynamique et de la propulsion. L’Onera a analysé à partir de 2008 des configurations d’intégration motrice innovantes avec le projet NOVA, dont la nouveauté était de penser la cellule avion et son moteur en même temps. En partant d’un moyen- courrier, l’idée était de positionner les moteurs à l’arrière de façon semi-encastrée : cette intégration partielle permet d’ingérer la couche limite du fuselage et de réduire ainsi la puissance nécessaire, et donc la consommation. D’autres innovations sont envisagées : sur la forme de la voilure et des ailettes dirigées vers le bas (winglets) pour une diminution de la traînée. Côté moteurs, NOVA proposait des réacteurs à très fort taux de dilution, qui apportent une réduction du bruit et de la consommation de carburant. Dans la même logique, le projet E2IM pour « Étude de concepts innovants pour l’intégration motrice » imaginait également un positionnement différent des moteurs par rapport au reste de la structure. L’idée : mieux intégrer le moteur dans les ailes ou dans le fuselage. La problématique est de savoir dans quelle mesure l’écoulement de l’air autour de l’aéronef est compatible avec des entrées d’air suffisantes dans la nacelle pour alimenter correctement le moteur et quel est le gain de traînée en résultant.
Pour améliorer les performances d’un avion, il faut jouer sur l’aérodynamique en améliorant la finesse (rapport entre la portance et la traînée), alléger la structure et enfin baisser la consommation des moteurs. Les chercheurs de l’Onera insistent sur un point : pour espérer de substantiels gains, il faut remettre en cause le concept de « tube avec aile » hérité du Boeing 707 et cultivé par les avions des générations suivantes. Agrandir la taille des soufflantes des turboréacteurs pour baisser la consommation entraîne des tailles de nacelles désormais trop importantes. Plusieurs pistes sont explorées par l’Onera, comme l’aile volante et l’aile à fort allongement haubanée. Dans le premier cas, les gains aérodynamiques sont certains, mais la configuration générale pose des problèmes. L’intégration des moteurs dans la cellule s’avère épineux. De même, la cabine passagers pose un certain nombre de défis, comme son évacuation, qui devra se faire dans un temps identique à une configuration classique pour pouvoir être certifiée. Les commandes de vol
sont aussi nouvelles, toutefois les ordinateurs permettent de contrôler les commandes de vol. L’Onera annonce avoir mené l’étude d’une aile volante moyen-courrier de 150 passagers avec les mêmes contraintes d’envergure que l’A320 en obtenant des résultats satisfaisants et des gains de performances supérieur à 10 %, ce qui rend le projet potentiellement viable d’un point de vue économique. Autre configuration étudiée avec l’aile à fort allongement haubanée. Les ailes à fort allongement présentent des avantages aérodynamiques certains, notamment en réduisant significativement la traînée. Mais l’augmentation de la taille de l’envergure qui va avec un fort allongement pose des problèmes de résistance de la structure de l’aile aux efforts. L’installation d’un hauban permet de résister aux efforts de flexion. Les connaisseurs ne manqueront pas de souligner que l’idée avait déjà été mise en oeuvre avec les avions Hurel-Dubois dans les années 1950. Un premier programme, Albatros, lancé en 2010, a permis à l’Onera de défricher la formule. Un nouveau programme d’études dit U-Harward (pour Ultra High Aspect Ratio Wing Advanced Reserach and Design), mené en partenariat avec des universités européennes à partir de 2020, se penche sur un avion d’une formule identique transportant 180 passagers – typiquement un Airbus A321. L’idée de la voilure à grand allongement intéresse aussi Boeing, qui a travaillé sur des avant-projets. Rendez-vous en 2023 pour les premiers résultats de U-Harward. Le concept est une solution possible pour le successeur de l’Airbus A320.
Des moteurs électriques
L’Onera travaille sur l’aérodynamique des futurs avions mais aussi sur leur propulsion. Dans le domaine de la propulsion électrique, ses chercheurs travaillaient à partir de 2011 sur le projet AMPERE (Avion à motorisation réParties Electrique de Recherche Expérimentale) : un démonstrateur d’avion régional à propulsion électrique distribuée. Il devait transporter entre quatre et six passagers sur 500 km en deux heures. Dix piles à combustible alimentent 32 soufflantes réparties sur l’extrado de la
voilure pour sa propulsion. Cette architecture présente par ailleurs un certain nombre d’avantages, tels que l’hypersustentation, des bonnes capacités de commande et de contrôle de l’avion, le soufflage de voilure qui apporte de la portance à basse vitesse. Calculs et études en soufflerie ont permis l’acquisition d’une base de données expérimentales importante.
L’Onera présenta ensuite au Salon du Bourget 2019 son concept d’avion DRAGON (acronyme de Distributed fans Research Aircraft with electric Generators by Onera). Son but est d’évaluer les avantages et inconvénients de la propulsion électrique distribuée pour un avion de ligne. Son concept consiste à répartir la poussée via un grand nombre d’hélices carénées électriques placées sous chaque aile, de façon à améliorer le rendement propulsif. Le taux de dilution est désormais de 30, contre 11 sur le Leap de CFM qui motorise les A30neo et 737 Max. Les moteurs sont alimentés par de l’électricité produite par des turbines situées à l’arrière de l’appareil. Il s’agit d’une technologie de propulsion hybride, puisque le carburant embarqué serait transformé en électricité. Les chercheurs de l’Onera annoncent des gains de consommations pouvant aller de 25 à 30 % par rapport aux avions moyen-courriers de la génération actuelle des A320neo. Toujours dans le domaine de la propulsion électrique, signalons qu’en janvier 2020 est lancé ,sous la direction de l’Onera, le programme IMOTHEP (« Investigation and Maturation of Technologies for Hybrid Electric Propulsion » ) , financé à hauteur de 10,4 M€ par la Commission européenne. IMOTHEP mènera une étude approfondie des technologies électriques pour la propulsion hybride électrique des avions commerciaux, en relation étroite avec la conception de configurations innovantes développant de nouvelles synergies entre cellule et propulsion. Le consortium IMOTHEP rassemble les principaux avionneurs européens, Airbus et Leonardo, les principaux fabricants de moteurs, Safran, GE Avio, MTU, ITP et GKN, ainsi que les organismes européens de recherche aéronautique et des universités.
Qu’en est-il de l’hydrogène ?
La capacité de l’ONERA à explorer des concepts de rupture avec les programmes AMPERE, DRAGON, IMOTHEP présentés ci-dessus lui ont donné de l’avance sur la réflexion sur l’hydrogène. Certes, l’hydrogène n’émet pas de CO2, mais il force à revoir la configuration de l’aéronef. Un tel avion suppose l’intégration de réservoirs de grand volume pour stocker l’hydrogène sous forme liquide à basse température, ce qui implique de repenser son architecture. En effet, le challenge sera de loger un réservoir volumineux, en prévoyant une isolation thermique (liquide cryotechnique de – 252, 85°C), le tout dans une sécurité sans faille. Deux types d’utilisation sont envisagés : en combustion dans des turbofans pour les avions de transport de passagers ou dans des piles à combustibles pour les avions plus petits.
Si aucun projet n’a encore permis de recommander telle ou telle configuration, celle de NOVA apparaît être une piste intéressante. « L’Onera travaille activement à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, objectif essentiel pour que l’aviation poursuive son développement au service de la société et de la mobilité des personnes », souligne Bruno Sainjon, PDg de l’Onera.« Cela passe par des recherches ambitieuses et des innovations de rupture permettant d’aller bien au-delà de l’amélioration continue des technologies aéronautiques actuelles ».