LA NOUVELLE RÉFÉRENCE DANS LES AVIONS D’AFFAIRES
2021 est une grande année pour Dassault avec le premier vol du Falcon 6X. Présentation d’un concentré de hautes technologies qui ambitionne la première place du podium dans le secteur très concurrentiel des avions d’affaires.
Dans le monde de l’aéronautique, l’aviation d’affaires est un domaine très particulier avec ses codes, ses exigences, des avions vendus en assez petites quantités mais qui sont autant de joyaux. Dassault s’est fait une place sur le marché depuis le Mystère/Falcon 20 dans les années 1960. Les générations de Falcon se sont ensuite succédé, au fil du temps les
perfectionnements aérodynamiques et les aménagements des cabines ont fait la réputation du constructeur. Avec le Falcon 7X (premier vol le 5 mai 2005) s’ouvre une nouvelle étape avec l’introduction des commandes électriques. Au début des années 2000, les ingénieurs se penchent sur le futur Falcon. Avant de dessiner les ailes, les commandes de vol, ils établissent la cabine passagers la plus spacieuse possible. L’intendance suivra ! En effet, la cabine est depuis toujours dans l’aviation d’affaires un argument commercial capital. Dassault voit ici large, spacieux, lumineux.
Le Silvercrest torpille le 5X
Le monde de l’aviation d’affaires se retrouve tous les ans lors de la grande messe de la convention organisée par la National Business Aviation Association (NBAA) aux États-Unis. Les ventes se font majoritairement sur le continent nord- américain, où se trouvent près de 70 % de la flotte mondiale des avions d’affaires. Tout le gratin des constructeurs et des clients se croise et se jauge à la NBAA. Les constructeurs y annoncent souvent leurs nouveaux avions.
En 2013, Dassault lance le Falcon 5X et sa vaste cabine passagers. Son concept repose sur le principe de refuser la course au gigantisme menée par les concurrents Bombardier et Gulfstream. Pas question de faire le « biggest toy on the tarmac », le plus « gros joujou » sur la piste. Là où l’Américain Gulfstream et le Canadien Bombardier misent sur des appareils à très grande distance franchissable (13 000 à 14 000 km), le 5X laisse le Falcon 8X, vaisseau amiral de la gamme (12 000 km de distance franchissable), se frotter au segment dit « ultra-premium » (comprendre long rayon d’action), et se « contente » de 9 360 km, une performance jugée plus raisonnable et qui, surtout, correspond aux déplacements les plus fréquents des utilisateurs. Sur le 5X, Dassault fait équipe avec le motoriste Safran qui lance le Silvercrest, un nouveau turboréacteur qui ambitionne de prendre place sur le marché des avions d’affaires. Le 5 juillet 2017, le 5X effectue son premier vol. Le Silvercrest pose cependant vite des soucis de mise au point. Les premiers délais s’annoncent et le programme prend du retard. C’est un handicap rédhibitoire pour Dassault face à la concurrence de Gulfstream (lire encadré).
Fin 2017 Éric Trappier, PDg de Dassault Aviation, tranche le noeud gordien dans lequel était enfermé le programme du 5X. Il analyse alors avec lucidité la situation : « Àl’issue des premiers retards annoncés du Silver cr est, de l’ ordre de quatre ans, nous avions défi ni un nouveau calendrier avec Safran en 2016, et nous pensions le problème réglé. Lors qu’ ils sont revenus nous voir à l’ été 2017 pour officialiser de nouveaux soucis sur le compresseur haute pression, on savait que le problème serait lourd. Nous n’ avions pas d’ autre choix que d’ arrêter le programme .» Dassault arrête le 5X. Le boxeur est sonné, mais le constructeur remonte immédiatement sur le ring.
Lancement du 6X
En février 2018, Dassault lance le Falcon 6X. Éric Trappier explique : «D’ une mauvaise nouvelle–les retards du Silver cr est–nous nous sommes efforcés d’ en faire une bonne, en faisant en sorte d’ avoir le meilleur produitdumarché ». Il poursuit : « Un avion d’ affaires est optimisé autour de son moteur. Avec le nouvel avion, il
fallait un nouveau moteur .» Dassault s’adresse au Canadien Pratt & Whitney et adopte son PW800 (lire encadré), récent mais déjà éprouvé. Les deux industriels se connaissent bien puisqu’ils travaillent ensemble depuis le PW308 du Falcon 2000 – les 7X et 8X ont des PW307. Au coeur du nouvel avion, les clients potentiels retrouvent le principe essentiel de la grande cabine affirmé avec le 5X. Dassault affirme que la cabine du F6X est 15 % plus grande que celle du G500, Gulfstream répondant que ce n’est que 7 %. Le 6X affiche désormais une distance franchissable de 10 200 km, soit 555 km de plus que le 5X.
L’avion
Dassault bénéficie depuis toujours d’un bureau d’études à la pointe de la recherche en travaillant en parallèle dans les domaines civil et militaire. C’est un cas unique parmi les constructeurs d’avions d’affaires. Les ingénieurs passent assez fréquemment de l’un à l’autre des secteurs, ce qui permet de croiser les expériences. Voilà pourquoi Rafale et Falcon peuvent bénéficier directement l’un de l’autre. Le Falcon 6X est conçu avec la plateforme 3Dexperience de Dassault Systèmes. Elle permet d’optimiser la conception de l’avion, notamment avec une maquette en 3 dimensions de l’aménagement, mais aussi sa maintenance et sa fabrication en série.
Cabine tout confort
La cabine passagers est au coeur du 6X. Le maître mot : spacieux. Les mensurations sont importantes, chaque centimètre gagné peut inciter
un client à franchir le pas. Pouvoir se tenir debout est depuis longtemps un argument de vente décisif. Hauteur de la cabine à bord du 6X : 1,98 mètre (6 pieds et 6 pouces pour les AngloSaxons), largeur maximum : 2,58 m (8 pieds et 6 pouces). Longueur : 12,30 m (40 pieds et 4 pouces). Le confort du passager passe par une abondance de lumière. Les trente hublots extra-larges éclairent naturellement la cabine. Cerise sur le gâteau : un « hublot zénithal » sur le plafond, une première sur les avions d’affaires. Il offre une lumière naturelle supplémentaire dans la zone de cuisine, normalement sombre.
Dassault veut que la cabine du 6X soit la plus silencieuse du ciel. L’air de la cabine est rafraîchi en permanence pour un environnement dix fois plus propre que les immeubles de bureaux les plus avancés d’aujourd’hui. Enfin, la pressurisation est maintenue à un très confortable 3 900 pieds (1 189 m) en volant à 41 000 pieds (12 497 m). Le passager doit arriver à destination frais et en pleine forme !
Il va sans dire qu’en plein siècle la cabine du 6X est équipée d’un système de connectivité à haut débit assurant des communications en vol. Les options de service de connectivité incluent le réseau utilisant la bande Ka-Band, qui permet une vitesse de données encore plus rapide et plus cohérente. La cabine est également
équipée d’une nouvelle technologie de réseau de divertissement qui diffuse un contenu audio et vidéo net et haute définition. Les passagers ont la maîtrise totale de toutes ces fonctions dans une application mobile ou via des interfaces de cabine faciles à utiliser.
Une voilure perfectionnée
L’aménagement final est fait naturellement selon les désirs du client. Si tout est permis pour les sièges et l’ameublement, il n’est pas inutile de rappeler que la masse maximale n’est pas extensible et limite les éventuelles velléités de poser de l’or partout.
Le système digital des commandes
de vol est un bijou technique. Rappelons que Dassault conçoit ses propres commandes de vol électriques depuis le Mirage 2000. Ici il contrôle les commandes de vol primaires et secondaires. Les pilotes disposent d’un avion dont les qualités de vol sont réputées agréables et fiables. Le F6X est le premier jet d’affaires (après le défunt F5X) à être équipé de flaperons aux bords de fuite – un dispositif emprunté aux avions de combat. Les flaperons combinent les fonctions de volet, d’aérofrein et d’aileron. Les ailerons et les flaperons se combinent ainsi pour assurer le contrôle du roulis. Il n’y a que deux panneaux d’aérofreins sur chaque voilure, au lieu de trois sur les avions de la génération
précédente. Pour les remplacer, les ailerons extérieurs se soulèvent et les flaperons s’abaissent afin de créer une augmentation de traînée pratiquement sans secousses, pour une rapide décélération et descente quand la position « Aérofreins 1 » est sélectionnée. Cela améliore également la visibilité en cas d’approche pentue, tout en augmentant la traînée, sans pratiquement augmenter le tangage. Les deux aérofreins intérieurs et extérieurs sont seulement utilisés pour des descentes d’urgence et pour diminuer la portance à l’atterrissage.
Comme pour les Falcon 7X et F8X, le système digital de commandes de vol agit avec quatre modules : les deux mini-manches latéraux, les pédales de la dérive et les capteurs répartis sur la cellule. Ils envoient des impulsions au coeur du système, composé de calculateurs primaires bi-canaux, et de quatre calculateurs secondaires mono canaux. Les signaux des calculateurs sont envoyés à quatre ACMU (Actuator Control & Monitoring Units), qui dirigent les mouvements aux diverses commandes de vol. Cette architecture fournit une redondance solide, via trois canaux. Le pilote indique la trajectoire à suivre via le mini-manche latéral, les calculateurs décident quelles sont les gouvernes à actionner et leur meilleure combinaison.
Le 6X est un bimoteur avec les performances à bas régime d’un trimoteur. Ses becs de bord d’attaque et ses volets lui permettent une approche à 6 degrés/109 noeuds (202 km/h) avec 8 passagers et 3 membres d’équipage à bord. Il peut ainsi atterrir à London City, Lugano, Saint-Tropez ou Aspen, des pistes réputées assez difficiles.
FalconCare, FalconScan et FalconResponse
La différence entre concurrents se fait aussi avec la maintenance des avions. La flotte actuelle de quelque 2 100 Falcon est répartie dans 90 pays. Le programme FalconCare de Dassault garantit les coûts de la maintenance. Contrairement à certains de leurs concurrents, les Falcon n’ont pas de pièces structurelles primaires à durée de vie limitée. Le 6X sera garanti pour 800 heures de vol ou 12 mois entre les inspections – un intervalle 30 % plus long que la précédente génération d’avions.
Un nouveau système de maintenance intégré à bord, « FalconScan », permet l’autodiagnostic en temps réel. Connecté à tous les systèmes de l’avion, FalconScan surveille plus de 100 000 paramètres contre des centaines sur les précédents Falcon, offrant une visibilité à l’équipe de maintenance au sol. Des algorithmes brevetés détectent les défauts et les pannes et permettent d’anticiper les dépannages et d’optimiser la maintenance.
Dassault Aviation bénéficie d’un réseau de plus de 60 centres de service, seize dépôts régionaux de distribution de pièces de rechange et plus de 100
sur les terrains représentants répartis sur six continents. En 2019, Dassault Aviation a investi 50 millions de dollars pour ouvrir un nouveau site de 16 500 m2 de pièces de rechange à Tremblay-en-France, à proximité immédiate de Paris Charles-de-Gaulle Aéroport. La proximité du dépôt avec l’un des principaux aéroports du monde permet que les pièces et les outils arrivent entre les mains des utilisateurs de Falcon partout dans le monde. Il ne faut pas qu’un avion soit immobilisé au sol. Dassault sait que le service est primordial et propose à ses clients FalconResponse. Dans le cas où un opérateur de Falcon fait face à une situation nécessitant une réparation d’urgence, un appel au centre de contrôle mondial Falcon 24/7 s’active. Une équipe d’ingénieurs, de spécialistes des pièces et de gestionnaires de première ligne est activée pour remettre l’avion en état de vol le plus rapidement possible. Si nécessaire, les membres de cette GoTeam peuvent utiliser l’un des deux Falcon Airborne Support dédiés qui sont prêts à accélérer l’expédition des équipes de réparation et des pièces de rechange.
Une image précise de jour comme de nuit
Si les passagers sont choyés, les deux pilotes ne sont pas oubliés avec le 6X. Dassault souligne qu’ils bénéficient de 30 % de vitrage en plus, ce qui améliore considérablement la vision au sol et en vol. Les sièges s’inclinent à 130 degrés, et le cockpit est assez large pour pouvoir se déplacer sans être gêné par la console centrale. Les sacs de vol électroniques FalconSphere II proposés par Dassault facilitent la tâche aux pilotes.
Tout comme les commandes de vol numériques, l’affichage tête haute (ou HUD pour Head Up Display) ont été inventés pour les pilotes de chasse, afin qu’ils puissent garder les yeux sur les instruments de vol sans baisser leur regard dans le cockpit. Dassault fut le premier fabricant à installer un HUD sur un avion civil à bord du Mercure puis sur le Falcon 2000. Sur le 6X, le système de vision combiné FalconEye fournit une image précise du terrain environnant et de l’environnement aéroportuaire de jour comme de nuit, quelles que soient les conditions météorologiques. Il améliore considérablement la sécurité pendant le vol et facilite les atterrissages par mauvaise visibilité. FalconEye combine une base de données de terrain virtuel avec les entrées de six caméras capturant la lumière du spectre visuel à l’infrarouge – pour la première fois dans l’aviation d’affaires, les capacités de vision virtuelle et améliorée ont été combinées dans un seul HUD. FalconEye permet au pilote d’effectuer des approches dans presque tous les aérodromes, qu’ils soient ou non équipés du type de systèmes d’atterrissage aux instruments de précision que l’on trouve dans les grands
aéroports. Avec « FalconEye », les pilotes peuvent descendre en toute sécurité à moins de 100 pieds de la piste avant de capter des signaux de la vision naturelle.
De la Gironde à l’Arkansas
L’assemblage final de l’avion est réalisé dans l’usine Dassault de Bordeaux-Mérignac, le fuselage étant livré depuis l’usine de Biarritz, l’aile depuis Martignas. L’aménagement final des avions se fait à Little Rock dans l’Arkansas. L’histoire du site de Little Rock remonte à 1975. Cette année-là, Falcon Jet Corp, à l’époque une joint- venture entre Dassault Aviation et Pan Am, rachète Little Rock Airmotive, qui possède un site de bureaux et de hangars de 5 700 m². Depuis le début des années 1970, Fred Smith, le fondateur de FedEx, exploite Little Rock Airmotive comme centre de conversion de sa flotte de Falcon 20 en version cargo, afin de lancer son service de livraison express sous 24 heures.
Désormais, le site de Little Rock fait 116 000 m² après plusieurs agrandissements. L’aménagement des avions fait appel à des « savoir-faire » hautement spécialisés en ébénisterie, menuiserie, sellerie, et autres métiers sur mesure.
Cérémonie de roll-out en ligne
Le programme du Falcon 6X s’est adapté face au Covid-19 qui arrive brusquement début 2020. La présence des équipes est réduite au minimum, conception et fabrication adoptent de nouveaux rythmes. Apparaît une cérémonie de roll-out (sortie d’atelier) d’un genre inédit. Le 8 décembre 2020, Éric Trappier et une équipe restreinte à Bordeaux-Mérignac présentent aux invités réunis sur internet le nouveau Falcon dans une cérémonie avec son lot d’effets spéciaux qui plongent le spectateur dans l’ambiance de hautes technologies. C’est l’occasion pour Éric Trappier de souligner combien un certain état d’esprit propre au constructeur a été cultivé avec l’irruption de l’épidémie : « MarcelDassault était l’ image même de la ténacité et ce qu’ il a vécu pendant la Seconde Guerre mondiale est vraiment exceptionnel. Mais ce qui est plus exceptionnel encore c’ est que, dès la fin de la guerre, il are lancé l’ entreprise ici à
Mérignac ». Éric Trappier souligne à propos de Dassault que c’est toujours une entreprise familiale, avec un savoirfaire de longue date.
La cérémonie est bien sûr l’occasion pour le PDg de mettre l’accent sur la taille et le confort de la cabine pour les passagers : « Ellepeutêtre un bureau avec tous les outils mo - der n es pour gérer une entreprise, mais aussi devenir une salle de séjour où vous pouvez vous reposer, dîner et réunir ensuite votre équipe pour préparer la prochaine étape de votre voyage. Ce qui est important c’ est que
les passagers arrivent à leur destination bien reposés ».
Un premier vol de deux heures trente
Avec à ses commandes les pilotes d’essais Bruno Ferry et Fabrice Valette, le premier 6X de série (S/N 01) a décollé de l’usine Dassault Aviation de Bordeaux-Mérignac à 14h45 le 10 mars 2021. Ce premier vol, de près de deux heures trente, s’est déroulé conformément au plan d’essai, qui visait à tester les qualités de pilotage, la réponse des moteurs et le comportement d’autres systèmes de bord. L’avion a atteint 40 000 ft d’altitude (env. 12 200 m) et une vitesse de croisière de Mach 0,80. « Levols’estpassé exactement comme nos modèles l’ avaient prédit. De mon point de vue de pilote, cet avion se comporte comme toute la lignée Falcon,c’ està-dire avec précision, offrant d’ excellentes sensations de pilotage en toutes circonstances, a déclaré Bruno Ferry. Fa brice et moi-même sommes honorés d’avoir réalisé le vol inaugural du dernier-né de la fabuleuse famille Falcon ».« Le vol d’ aujourd’ hui marque un nouveau jalon majeur dans l’ histoire de D as sault Aviation, d’ autant plus remarquable qu’ il démontre la résilience de notre entreprise et de tous ses partenaires face à la pandémie deCovid-19, s’est félicité Éric Trappier. Nous dédions ce vol à Olivier D as sault, tragique ment décédé il y a trois jours
[ndlr : Olivier Dassault est décédé le 7 mars ]. Pilote qualifié sur Falc on, il incarnait magnifique ment la passion
de sa famille pour l’aviation ». Le premier 6X effectue d’autres essais pendant son acheminement jusqu’au Centre d’essais en vol de Dassault Aviation à Istres, près de Marseille, où se déroule la majeure partie du programme d’essais. Deux autres avions doivent le rejoindre pour obtenir la certification en 2022. Dassault n’a pas été épargné par l’épidémie de Covid-19. Éric Trappier l’a souligné lors de la conférence de presse annuelle le 5 mars 2021 : « Notreniveau de prises de commandes Falconaété fortement impacté parla crise ». Nul doute que lors de la reprise économique, Dassault proposera un avion d’affaires performant avec le Falcon 6X. De plus, selon une tradition bien établie, dès qu’un Falcon vole, le suivant se prépare. Dassault Aviation lance en mai 2021 le Falcon 10X qui bénéficiera des avancées du 6X. Près de 60 ans après le premier vol du Falcon 20, l’histoire des avions d’affaires signés Dassault se conjugue au futur.