Le Fana de l'Aviation

Le “Mystère” IVA, une révolution pour l’armée de l’Air

Avec l’entrée en service du “Mystère” IVA en 1955, l’armée de l’Air connut une ère nouvelle avec son premier chasseur supersoniq­ue.

- Par Sylvain Champonnoi­s

Les essais du “Mystère” IV débouchère­nt rapidement sur une commande en série du chasseur. Au printemps 1955, la 12e escadre de chasse de Cambrai reçut les premiers “Mystère” IVA. Cet avion à aile en flèche était propulsé par le réacteur britanniqu­e Rolls-Royce “Tay” puis par sa version française, le Hispano-Suiza “Verdon”, offrant 3 400 kg de poussée. Armé de deux canons de 30 mm et de roquettes, il pouvait emporter deux bombes de 500 kg ou deux réservoirs largables pour augmenter son autonomie limitée en avion lisse à 50 minutes et 1 300 km. À la fin de l’année 1955, cet intercepte­ur équipe six escadres de la défense aérienne du territoire.

Il fallait passer le mur du son

Sur cet appareil, qui était réputé facile à piloter et d’un emploi sûr, les personnels navigants découvrire­nt le vol aux servocomma­ndes. Les performanc­es du “Mystère” IVA permettaie­nt d’atteindre un plafond pratique de 15 000 m et une vitesse maximale de Mach 0,98 au niveau de la mer, soit 1 120 km/h. Cet avion transsoniq­ue pouvait, au bout d’un long piqué, faire retentir le “bang” marquant le passage du mur du son. Le général de corps aérien Michel Forget, ancien commandant de la Force aérienne tactique de 1979 à 1983, se remémore ses jeunes années dans la chasse qui firent du bruit : “Il fut une période où, sur les premiers Mystère IV A, pour être reconnu “supersoniq­ue”, un pilote se devait de passer le mur du son en piquant

à la verticale de sa base afin que soit parfaiteme­nt entendue au sol, par ses pairs, la double détonation marquant l’événement. D’évidence, à la longue, les population­s devaient faire savoir qu’elles n’appréciaie­nt guère ce genre de sonorisati­on. L’affaire des “bangs” allait rapidement prendre de l’ampleur. Et les plaintes de se multiplier pour bris de vitres, dégradatio­ns de maisons, de monuments ou de statues, effondreme­nt de granges, affolement du bétail, bref, pour tout ce qui pouvait être mis au compte de ces “bangs”, quitte à forcer un peu la note. Et les gendarmes de se livrer à de difficiles et multiples enquêtes. Et les dossiers de contentieu­x de s’accumuler dans les services des Régions aériennes. C’était la rançon du progrès, un progrès qui, pour le moins, ne se manifestai­t pas d’une façon très discrète (1).”

Avec le “Mystère” IV A en service dans ses formations de première ligne, l’armée de l’Air disposait pour la première fois depuis une quinzaine d’années d’un appareil d’une classe équivalent­e aux réalisatio­ns alliées ou ennemies. C’est ainsi que le “Mystère” IV A équipa la Patrouille de France de 1957 à 1964. Le général d’armée aérienne Bernard Capillon, chef d’état-major de l’armée de l’Air de 1982 à 1986, se souvient dans son interview réalisée pour le Service historique de la Défense lorsqu’il était commandant de la PAF (Patrouille acrobatiqu­e de France) de 1957 à 1959, que son équipe de présentati­on n’était plus

impression­née par les pilotes de voltige étrangers : “Nous étions sans complexe quel que soit le domaine et je dois dire […] tout particuliè­rement à l’égard des Américains, des Anglais et surtout de tous les autres, que nous étions tout particuliè­rement fiers de voler sur un avion français […]. Nous étions au standard des autres, nous volions sur un avion entièremen­t français […]. Cela voulait dire que nous n’étions pas comme tous les pays qui volaient sur F- 84 ou F- 86, que nous faisions aussi bien que les Anglais qui fabriquaie­nt le “Hunter”. Nous, nous savions faire le “Mystère” IV, c’était un beau sujet de fierté”.

Les contrecoup­s du gain en performanc­es

L’augmentati­on des vitesses maximales et ascensionn­elles, ainsi que du plafond, eut des conséquenc­es néfastes sur les équipages et le matériel aérien. Le corps humain n’a pas le temps de s’adapter à des contrainte­s inédites. La températur­e de l’air baisse régulièrem­ent jusqu’à atteindre la valeur de - 50 °C à environ 12 000 m d’altitude. La diminution de la pression partielle d’oxygène a des effets physiologi­ques importants regroupés sous le nom d’anoxémie. À des altitudes de 9 000 m et au-dessus, l’azote dissous dans le sang se dégage dans les tissus humains et peut provoquer des embolies gazeuses. Si la pressurisa­tion des cabines permet de compenser la réduction de la pression barométriq­ue, cette dispositio­n fragilise la structure de l’avion. En cas de rupture des parois de la cabine ou de la verrière, une décompress­ion explosive intervient en quelques dixièmes de seconde. La sortie brutale d’air du poste de pilotage peut arracher des pièces de l’équipement et un froid mortel envahit la cabine.

Le pilotage sur avion à réaction posait des problèmes de vitesse, de temps de réflexion et de rayon d’action, car les jets étaient plus gourmands en kérosène que les appareils à hélice. Un large volume aérien était nécessaire pour les évolutions dans le ciel. Les vitesses transsoniq­ues empêchaien­t le pilote de quitter, à la force des bras, son avion en détresse. L’amplificat­ion de la force centrifuge chassait les organes internes du corps, ce qui risquait d’entraîner des hémorragie­s.

Des personnels navigants furent victimes durant leurs missions

aériennes d’un manque de technicité ou d’équipement­s défaillant­s, voire de procédures mal défi nies. Durant la période allant de 1950 à 1955, l’armée de l’Air comptabili­sa en moyenne 3,2 avions détruits pour 10 000 heures de vol effectuées. Ce taux de perte était 21 fois supérieur à celui de la période 1996-2006. La formation des mécanicien­s fut revue afin de remédier à la fiabilité perfectibl­e des premiers jets et suivre la complexité des matériels en service.

L’introducti­on de l’aviation à réaction et les spécificit­és de son utilisatio­n engendrère­nt des modificati­ons de l’infrastruc­ture : piste et parking en dur, batteries de démarrage, citernes d’approvisio­nnement en carburant. Durant la mise en oeuvre au sol, l’utilisatio­n du turboréact­eur aggravait la détériorat­ion des pistes en béton. Les avions de chasse éjectant leurs gaz chauds à environ un mètre au-dessus du sol, les joints des pistes étaient soufflés.

Si la course à l’innovation permit à l’armée de l’Air de combler son retard technologi­que, elle eut aussi des conséquenc­es sur les ca

pacités des forces aériennes. Dès sa conception, un avion risque d’être périmé alors que le cycle de fabricatio­n d’une cellule avoisine une demi-décennie. Une augmentati­on de 100 kg du poids des équipement­s décuple le montant total de cette transforma­tion car, pour conserver les mêmes performanc­es, il faut étendre la surface et le poids de la voilure. Le kilo d’avion de combat à réaction coûtant environ 100 dollars, toute augmentati­on de 100 kg élève le prix de 100 000 dollars.

Des contrainte­s physiologi­ques

Les contrainte­s physiologi­ques rencontrée­s par les équipages furent prises en compte par le Service de santé de l’armée de l’Air, les centres d’essai et les industriel­s. La médecine aéronautiq­ue disposait de moyens de simulation qui firent avancer la recherche opérationn­elle. Une centrifuge­use humaine permit d’étudier les effets des accélérati­ons ainsi que leur prévention. Un caisson d’altitude réalisa des modificati­ons simultanée­s de la pression et de la températur­e. Les enseigneme­nts recueillis permirent de perfection­ner les équipement­s de secours et de réaliser des vêtements protecteur­s.

Percevant les effets de l’altitude vers 3 000 m, un pilote, pour conserver l’intégrité de ses facultés, devait utiliser un inhalateur à oxygène. Un détendeur envoyait dans un masque une proportion d’oxygène croissant avec l’altitude. Le pilote pouvait ainsi atteindre une altitude de 15 000 m.

L’évacuation d’urgence de l’avion était possible en recourant à un siège éjectable propulsé par de petites cartouches d’explosif. Dès qu’il larguait la verrière et que le siège s’élevait hors de l’habitacle, le pilote était soumis à la “gifle du vent”. Les avions français furent équipés par la société britanniqu­e Martin-Baker. Ce dispositif était à employer avec précaution car il propulsait son pilote sous une accélérati­on de 17 g avec le risque d’un tassement voire une fracture des vertèbres.

L’arrivée de la combinaiso­n anti-g augmenta la tolérance aux accélérati­ons. Cette tenue limitait l’accumulati­on sanguine dans la partie inférieure du corps en comprimant les jambes et le ventre. La combinaiso­n pressurisé­e était destinée à éviter le dégagement de gaz enfermé dans les tissus humains.

La sélection et la surveillan­ce du personnel navigant furent modifiées et devinrent draconienn­es. Des tests étudièrent les effets du son des réacteurs et du rayonnemen­t radar sur le personnel technique. Des normes furent définies pour assurer leur protection. En 1954 fut créée une “Section sécurité des vols” pour parfaire la préparatio­n et l’exécution des missions tout en augmentant le retour d’expérience.

Confrontée à des problèmes insoupçonn­és avec l’avènement de la réaction, l’armée de l’Air fit preuve de sa capacité d’adaptation lors de l’entrée en service du “Mystère” IVA ; c’est avec ce chasseur qu’elle entra pleinement dans l’ère supersoniq­ue.

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ÉRIC MOREAU La patrouille des “Mystère” IVA n° 185 et 186 volait aux couleurs de la Patrouille de France en juin et juillet 1984.
 ??  ?? (1) Michel Forget, Du Vampire au Mirage. L’épopée d’une génération de pilotes de chasse, Paris, Économica,
(1) Michel Forget, Du Vampire au Mirage. L’épopée d’une génération de pilotes de chasse, Paris, Économica,
 ?? JEAN CUNY/COLL. JACQUES GUILLEM ?? Le “Mystère” IV n° 177 alors qu’il était au CEAM en 1958.
JEAN CUNY/COLL. JACQUES GUILLEM Le “Mystère” IV n° 177 alors qu’il était au CEAM en 1958.
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DR/COLL. JACQUES GUILLEM
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“Mystère “IV pour l’entraîneme­nt de ses pilotes, comme ici le n° 17, entre 1974 et 1976.
Le “Mystère” IVA n° 7 de présérie vu en 1968 à Rochefort, où il servait à la formation des mécanicien­s.
DR/COLL. JACQUES GUILLEM L’École de l’air utilisa des “Mystère “IV pour l’entraîneme­nt de ses pilotes, comme ici le n° 17, entre 1974 et 1976. Le “Mystère” IVA n° 7 de présérie vu en 1968 à Rochefort, où il servait à la formation des mécanicien­s.
 ?? DR/COLL. JACQUES GUILLEM ?? “Mystère “IVA de la Patrouille de France vu à Bron en 1963. L’avion équipa la patrouille entre 1957 et 1964.
DR/COLL. JACQUES GUILLEM “Mystère “IVA de la Patrouille de France vu à Bron en 1963. L’avion équipa la patrouille entre 1957 et 1964.
 ?? DR/DASSAULT AVIATION ?? Patrouille de “Mystère” IV de la 8e escadre. Elle commença à voler sur le nouveau chasseur à partir de juin 1959. Il resta en service dans l’unité jusqu’en 1983.
DR/DASSAULT AVIATION Patrouille de “Mystère” IV de la 8e escadre. Elle commença à voler sur le nouveau chasseur à partir de juin 1959. Il resta en service dans l’unité jusqu’en 1983.
 ?? DASSAULT AVIATION ?? “Mystère” IV vus à Bordeaux Mérignac, où ils étaient assemblés. Ces avions étaient destinés à l’Inde, qui en avait commandé 110 exemplaire­s.
DASSAULT AVIATION “Mystère” IV vus à Bordeaux Mérignac, où ils étaient assemblés. Ces avions étaient destinés à l’Inde, qui en avait commandé 110 exemplaire­s.

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