Du 11 au 28, les chasseurs sillonnent le ciel d’Europe
Quatrième partie et fin. Plusieurs versions allégées dédiées à la chasse, plus ou moins réussies, succédèrent au Nieuport 10.
Quatrième partie. La grande dynastie des redoutables chasseurs monoplaces Nieuport.
Peu après l’entrée en service au front du Nieuport 10 biplace au mois de mai 1915, l’expérience des premiers combats conduisit à modifier cet appareil en monoplace en condamnant la place avant de l’observateur et en adaptant un armement fixe d’une mitrailleuse installée sur l’aile supérieure, tirant vers l’avant au-dessus du champ de l’hélice. Cette modification, d’abord empirique, fut vite officialisée, et les usines AstraNieuport d’Issy-les- Moulineaux reçurent la consigne d’écouler leur commande en produisant un monoplace pour deux biplaces sortis de leurs chaînes de montage. Premier appareil de chasse standard en grand nombre de l’aéronautique militaire – le Morane monocoque ne fut commandé qu’à dix exemplaires par la France –, le Nieuport 10 biplace avec son moteur Le Rhône de 80 ch atteignit, selon les essais officiels de la Section technique de l’aéronautique, une vitesse maximale de 148 km/ au niveau du sol.
Le petit Nieuport 11 B face au Ponnier
La maison Nieuport, plutôt que de se contenter de produire son Nieuport 10 monoplace, étudia très rapidement durant l’été 1915 une ver
sion monoplace de chasse bien plus adaptée, en développant le fuselage du petit monoplan type 11 de 1913, qui était le plus compact, le plus rigide et le plus léger des Nieuport de l’époque. Sa transformation en sesquiplan amena son constructeur à le désigner sous le nom de 11 B, voire Nieuport “13 mètres”, par référence à la surface de sa voilure – 13,3 m2 contre 18 m2 au Nieuport 10 – par ailleurs assez particulière puisque le plan supérieur trapézoïdal avait plus de corde aux extrémités qu’audessus du fuselage ; en Italie, il demeura Nieuport-Macchi 11.000. Il pesait 480 kg en ordre de vol, soit deux quintaux de moins que le 10 B, mais était tiré par le même 80 ch Le Rhône, ce qui lui conférait des performances excellentes pour l’époque.
Le prototype étant très rapidement prêt dès la fin de l’été, le 10 septembre 1915, la commission d’examen des avions et moteurs de la Section technique de l’aéronautique se réunit pour commenter les résultats des essais en vols réalisés conjointement avec un prototype concurrent, le chasseur Ponnier. Le petit Nieuport 11 B, bien plus léger que le 10, était sensiblement plus rapide que le Ponnier puisqu’il atteignit les 162,5 km/h au niveau du sol, vitesse tombant à 160,5 à 1 000 m, 159 à 2 000 m et 149 km/h à 3 000 m. Le Ponnier était légèrement plus rapide de 5 km/h au niveau du sol, mais cet avantage s’estompait et les deux vitesses se rejoignaient à 3 000 m. En revanche, la vitesse ascensionnelle était nettement meilleure pour le Nieuport qui grimpait à 1 000 m en 4 min 05 s (contre 4 min 30 s pour le Ponnier), à 2 000 m en 9 min 15 s (contre 10 min 45 s) et à 3 000 m en 17 minutes (contre 21 minutes). Bien meilleur grimpeur, le petit Nieuport 11 B s’imposa sans difficulté dans le choix des décideurs publics d’autant plus qu’il “a l’avantage d’être assez semblable à un type d’avion de série [Nieuport 10] qui a fait ses preuves au point de vue train d’atterrissage, support de moteur, solidité, manoeuvrabilité”.
Également supérieur au Morane monocoque qui ne vole qu’à 145 km/h au niveau du sol et grimpe à 2 000 m en 10 minutes, il prit vite la place du Nieuport 10 B monoplace sur les chaînes de montage et commença à être livré aux escadrilles de chasse à une période estimée à la fin de l’année 1915, durant laquelle il côtoya plusieurs mois son prédécesseur. À ce titre, il est difficile de dire quelle a été la première victoire aérienne du Nieuport 11 car les types précis d’appareils ne sont jamais mentionnés dans les rapports d’époque qui se contentent d’un laconique “Nieuport”. Une chose est sûre, cependant, preuve photographique aidant : le 14 décembre 1915, l’adj. Charles Nungesser, pilote à l’escadrille N 65 stationnant sur le plateau de Malzéville pour servir d’escorte aux bombardiers Voisin du GB 1, ramena du Bourget un Nieuport 11 (n° 538) le jour même où le cne Brocard ramenait de son côté à son escadrille N 3 un autre exemplaire (n° 546). Nungesser livra deux combats infructueux les 14 et 16 décembre, très probablement sur son Nieuport 11, puis, cherchant à obtenir une meilleure précision de tir, installa sur son appareil une hélice à pales déflectrices “de type Garros” pour tirer à travers le champ de celle- ci avec une mitrailleuse fi xée sur le capot. Il nota que les performances de son avion n’étaient pas sensiblement diminuées avec ce système qu’il n’utilisa visiblement au combat qu’une seule fois, le 4 janvier 1916, sur un Fokker poursuivi dans la région de Château- Salins, qui lui fila entre les doigts malgré cinq passes de tir. L’hiver imposa une pause sur le front pour les aviateurs qui n’allaient pas tarder à s’affronter.
Les Nieuport 11 entrent en scène à Verdun
C’est l’attaque allemande sur Verdun le 21 février 1916 qui fit véritablement entrer en scène les Nieuport 11 dans la bagarre. Le 21 février 1916, un gigantesque orage
d’artillerie s’abattit sur la région de Verdun, qui faisait un saillant sur le front, suivi d’une attaque des troupes de la 5e armée allemande. Les Allemands concentrèrent sur place, outre des moyens d’artillerie très importants, environ 120 appareils lors de l’attaque initiale, dont près d’une vingtaine de chasseurs Fokker “Eindecker”. S’ils ne remportèrent pas un grand nombre de victoires aériennes, ils étaient efficaces pour systématiquement perturber le travail d’observation et de réglage d’artillerie des quelque 60 appareils de la région fortifiée de Verdun (devenue 2e armée française), qui ne pouvaient faire un travail efficace. Les troupes françaises reculèrent ; la ville de Verdun était menacée… Les renforts aviation affluèrent pour vite faire pencher la balance dans le sens inverse, avec près de 195 appareils, dont rien de moins que cinq escadrilles de chasse à dix Nieuport chaque, les N 23, N 57, N 65, N 67, N 69, ainsi qu’un détachement de la moitié des escadrilles N 3 et N 31. Toute la chasse fut regroupée dans un groupe de combat sous le commandement unique du cdt de Tricornot de Rose, à qui le gén. Pétain, nommé à la tête de la 2e armée française défendant Verdun, aurait déclaré le 28 février : “De Rose, balayez- moi le ciel ! Je suis aveugle ! Si nous sommes chassés du ciel, alors, c’est simple, Verdun sera perdu.” (Propos rapportés par le gén. Chambe, à l’époque officier observateur à l’escadrille N 12).
De Rose assigna à ses quelque 70 chasseurs une discipline de vol stricte en leur imposant des patrouilles groupées sur la zone des combats et une protection des appareils de réglage : “Le commandant du groupe de combat fixe l’exécution des missions proprement dites d’offensive, au mieux des nécessités de protection des appareils de corps d’armée ; au besoin, il détache à la protection immédiate de ceux-ci quelques avions de combat. Ce système semble donner de bons résultats.” L’artillerie française put tirer efficacement et, comme les avions de réglage ennemis étaient gênés dans leur travail, l’artillerie allemande perdit de son efficacité – un des facteurs importants de la victoire défensive des troupes françaises à Verdun. Un rapport de l’aviation de la 2e armée le constate : “L’aviation allemande ne peut plus opérer que par groupes, généralement deux groupes de trois appareils. Ces groupes sont habituellement convoyés par deux avions de combat. Les Allemands n’acceptent pas le combat dans nos lignes. Ils sont obligés de remplir la majorité de leurs missions assez loin du front, dans des conditions désavantageuses. D’autre part, les avions de combat allemands n’attaquent nos appareils de réglage que par surprise, ou lorsque ceux-ci sont isolés. Nous pouvons donc remplir nos missions à peu près intégralement, même sans protection immédiate, à condition de rester groupés par deux, ou mieux trois appareils. Assurer l’accomplissement de nos missions, mettre les Allemands dans des conditions défavorables pour remplir les leurs, tels sont les résultats obtenus.”
Premiers affrontements entre chasseurs
La bataille de Verdun, lors de laquelle on vit pour la première fois des chasseurs sortir en groupe, fut aussi le théâtre des premiers affrontements entre eux. Le Nieuport 11 prit incontestablement le dessus face au Fokker : biplan contre monoplan, il était plus rapide (160 contre 140 km/ h), bien plus maniable et meilleur grimpeur que son opposant. Ce dernier avait cependant l’avantage de sa mitrailleuse synchronisée avec l’hélice, alimentée par une bande de cartouches, ce qui lui donnait une meilleure précision et une bien plus longue durée de tir ; les Nieuport 11 n’avaient qu’une mitrailleuse Lewis fixée sur l’aile supérieure, alimentée par un tambour de 47 cartouches qu’il
était impossible de changer en plein combat. Un désavantage dont se jouait l’as des as de la chasse lors de la bataille de Verdun, le bouillant s/ lt Jean Navarre, qui volait souvent en paire avec son ami le champion automobile Georges Boillot : “Nous eûmes souvent l’occasion de jeter le désarroi dans les escadrilles de bombardement qui faisaient la navette entre Verdun et l’Argonne. Notre tactique était simple et de bon goût : nous arrivions au-dessus, nous nous laissions tomber dans tous les sens en essayant d’écarter un ou deux avions du reste du groupe pour les “sonner” proprement. Déjà l’ennemi employait une méthode de vol très efficace ; elle ne nous empêchait pas de jeter la perturbation et, à plusieurs reprises, trois ou quatre fois (je ne me souviens pas exactement, car je n’ai jamais tenu de carnet de vol), nous eûmes la joie d’abattre dans leurs lignes des boches qui n’ont jamais été homologués. (…) Quand nous avions fait disparaître une pièce du lot ennemi, les autres se précipitaient sur nous qui n’avions plus de cartouches. Nos adversaires savaient notre infériorité à ce point de vue et en profitaient. Nous ne pouvions pas changer de chargeur au milieu de toute une meute. Que faire alors ? C’était simple. Nous donnions un petit ballet aérien à faire pâlir de rage Nijinsky (1) luimême et nos évolutions obtenaient généralement le résultat désiré : écoeurés, les boches s’en allaient.”
Les férus d’acrobatie comme Navarre ne tardèrent pas à constater à un défaut important de leur appareil : la voilure résistait mal aux évolutions très serrées et continues qu’un pilote téméraire pouvait lui imposer ; la fixation des mâts en V sur le longeron des ailes inférieures était trop faible, au point que l’on commença à voir revenir au terrain quelques appareils dont le plan inférieur avait été arraché, cause probable de quelques disparitions de pilotes.
Première victoire contre un Fokker “Eindecker”
La première victoire homologuée à un Nieuport 11 contre un Fokker “Eindecker” revint au s/ lt Jean Peretti, de l’escadrille N 3, qui abattit un Fokker le 11 mars 1916 à 10 h 25 au-dessus du fort de Douaumont. Il tomba lui-même au combat le 28 avril suivant contre un Fokker “Eindecker”, dans des circonstances racontées par un de ses camarades d’escadrilles, le lt Deullin, dans une lettre qu’il écrivit au cne Brocard, son chef d’unité, et qui illustre bien les défauts et avantages de chaque appareil : “Le pauvre Peretti a été victime d’une grosse imprudence et d’une malchance fantastique. En ronde avec Chaînat au nord de Douaumont, il a attaqué par- derrière et au- dessous un Fokker qui se dirigeait sur nos lignes. Il a tiré une dizaine de cartouches, puis “enrayage” par défaut de percussion. Son support de mitrailleuse, système Quillien très surélevé de l’arrière, ne lui permettait pas de réarmer. Il a préféré s’en aller. Chaînat arrivant à la rescousse l’a vu employer sa vieille tactique de la glissade à gauche, passer sous le Fokker et piquer vers Verdun. Le Fokker l’a vu, poursuivi et, à plus de 200 m, lui a tiré une bande dans le dos. Puis il a fait demi-tour devant Chaînat. Peretti a reçu une balle dans les reins qui lui a fracturé le bassin. (…) Ici, les Fokker sont une vaste rigolade. On en fait ce qu’on veut et c’est d’autant plus navrant que le pauvre Peretti se soit fait prendre si bêtement.”
La bataille de Verdun se termina au mois de juillet 1916 avec d’une part la dernière tentative d’assaut allemande sur la ville, d’autre part l’assaut lancé sur la Somme par les troupes britanniques et françaises le 1er du mois qui contraignit l’ennemi à relâcher sa pression sur la ville. De cette première bataille de chasseurs, les Nieuport sortirent victorieux : 69,5 victoires aériennes furent homologuées aux pilotes de Nieuport entre le 21 février et le 1er juillet sur le secteur, contre 22 aux Fokker. Reste à vérifier la réalité de ces victoires… Chiffre non contestable, 13 pilotes français tombèrent sur leur Nieuport pendant cette pé
“Ici, les Fokker sont une vaste rigolade. On en fait ce qu’on veut (…) ”
riode, contre 12 pilotes de Fokker, ce qui démontre un avantage du chasseur français compte tenu des effectifs engagés. De leur côté, les Britanniques s’intéressèrent au Nieuport 11 et en commandèrent une vingtaine d’exemplaires pour leur Royal Navy Air Service, mais ceux- ci ne participèrent à aucun engagement aérien notable en étant répartis entre la base de Dunkerque et celle d’Imbros, face aux Dardanelles.
Les Nieuport 16 et 17 sur la Somme
Si la première version du Fokker “Eindecker”, le E.I, avait un moteur rotatif Oberursel U.O de 80 ch pratiquement identique au Rhône 9 C de 80 ch du Nieuport 11, il en était différemment des versions suivantes du chasseur allemand, les E.II et E.III, dotées de l’Oberursel U.I de 100 ch. Le Fokker E.III approchait les 150 km/h de vitesse maximale et réduisait sérieusement sa différence de vitesse avec le petit biplan Nieuport qui devait évoluer pour rester dans la course.
La société Nieuport procéda à l’étude d’une version plus puissante avec le moteur rotatif Le Rhône 9J de 110 ch – comme elle l’avait fait en septembre 1915 pour améliorer son Nieuport 10 biplace en Nieuport 12, que les autorités militaires avaient refusé pour son manque de fiabilité, l’appareil recevant un Clerget. Les ingénieurs de Gustave Delage étudièrent simultanément deux solutions, les Nieuport 16 et Nieuport 17, dont une première commande simultanée fut régularisée par l’État le 24 mars 1916.
Le premier apparei l, le Nieuport 16, correspondait à la solution technique la plus rapide : adapter le moteur Le Rhône 9J directement sur la cellule du Nieuport 11, qui par ailleurs fut légèrement modifiée par l’installation d’une crête sur le fuselage donnant un appui-tête au pilote. L’appareil pesait 50 kg de plus par rapport à son prédécesseur, gagnait quelque 5 km/h de vitesse de pointe, mais était plus lourd aux commandes avec le centre de gravité déporté vers l’avant par le poids du nouveau moteur. Il fut livré aux unités dès le mois d’avril 1916 et combattit à Verdun. Considéré comme un bon appareil de chasse, il reçut les premières mitrailleuses synchronisées avec l’hélice dont les dispositifs expérimentaux furent confiés aux as – Navarre et Heurtaux. Il fut aussi l’avion sur lequel furent testées les fusées Le Prieur, les premières roquettes air-air, simples fusées de feu d’artifice fixées sur les mâts d’ailes extérieures, mises à feu électriquement, et destinées à enflammer les ballons captifs ennemis gonflés à l’hydrogène. Ce dispositif fut utilisé pour la première fois au front le 22 mai 1916 par une patrouille de huit pilotes comprenant les as Nungesser et Chaput, avec succès puisque six “saucisses” furent effectivement incendiées. Considéré comme un bon appareil de chasse, le Nieuport 16 fut également commandé à 26 exemplaires par le Royal Navy Air Service pour sa base de Dunkerque, mais ses appareils furent transférés au Royal Flying Corps qui en avait un besoin urgent pour la bataille de la Somme ; il les affecta aux Squadrons 1, 3, 11, 29 et 60. Meilleur chasseur mis en ligne par les Britanniques à l’époque, il fut jugé comme nettement supérieur à l’Airco DH.2, leur chasseur standard avec un moteur situé derrière le pilote. C’est à bord d’un Nieuport 16 que s’illustra le premier as britannique de la guerre, le jeune captain Albert Ball.
Le second modèle, le Nieuport 17, était un appareil entièrement redessiné et parfaitement équilibré par rapport au poids du moteur. Le fuselage était plus long que celui du Nieuport 11 (5,80 m contre 5,50) et la partie avant était entièrement recouverte de tôles d’aluminium. Le capot moteur métallique, circulaire, était parfois complété d’un “cône de pénétration” aérodynamique installé devant l’hélice. Son aile supérieure était également agrandie, passant de 7,52 à 8,16 m d’envergure et à 14,75 m2 de surface, ce qui lui valut parfois le surnom de “Nieuport 15 mètres” dans des documents d’époque. Il était armé d’une mitrailleuse Vickers synchronisée et parfois d’une mitrailleuse Lewis supplémentaire non synchronisée, fixée sur l’aile supérieure et tirant hors du champ de l’hélice. Retrouvant la maniabilité quelque peu perdue avec le Nieuport 16, le Nieuport 17 filait comme ce dernier à 165 km/h au sol. Avec une mise au point plus longue, le Nieuport 17 fut livré aux unités au mois de juillet 1916 (l’as Georges Guynemer prit livraison du sien au Bourget le 22) et intervint dans la bataille de la Somme.
Tirant leçon de la bataille de Verdun, la chasse française y fut également localement concentrée dans un groupe de combat, sous le commandement unifié du cdt Antonin Brocard, lequel disposait sous ses ordres des escadrilles N 3, N 26, N 37, N 62, N 65 et N 103, logées sur le même terrain près d’un bois dans le village de Cachy, à l’est d’Amiens. Une force représentant un tiers des effectifs de toute la chasse française dont un second tiers restait à Verdun et le troisième était disséminé sur le reste du front. La supériorité de la chasse française était alors totale face aux Fokker “Eindecker” complètement obsolescents, inférieurs à la fois sur le plan technique et numérique. Les premiers biplans reçus par les Allemands, l’Halberstadt D.II et les Fokker D.I ou D.II, n’aidèrent en rien et se révélèrent particulièrement médiocres. Le début de la bataille de la Somme, correspondant aux mois de juillet et d’août 1916, constitua le point culminant des chasseurs Nieuport à bord desquels s’illustrèrent les plus grands noms de la chasse française tels que Chaînat, de Rochefort, Lenoir, Heurtaux, Dorme, Deullin, Tenant de la Tour et Tarascon, qui furent consacrés “as” en obtenant leur cinquième victoire aérienne homologuée durant cette phase de la bataille et cités au communiqué aux armées – la clé d’une immense célébrité.
Le Nieuport 21, modèle raté
Le 9 juin 1916, une note de la Section technique de l’aéronautique fit état de l’essai d’un nouveau modèle de Nieuport : “La S.T.A va essayer incessamment le monoplace Rhône 80 HP avec planeur du type 110 HP de 15 m2 d surface. La charge sera portée à 175 kg au lieu de 160. Il y a lieu d’espérer une amélioration notable des vitesses aux hautes altitudes ainsi qu’il a été constaté sur le type XVII (monoplace Rhône 110. De 15 m2).”
Le Nieuport 21 sortit peu après des usines Nieuport et prit l’apparence d’un hybride, avec le fuselage et le moteur de 80 ch du Nieuport 11 (à peine redessiné) sur laquelle était adaptée l’aile élargie du Nieuport 17. Il fut sans surprise moins rapide que le Nieuport 11 en n’atteignant à peine les 150 km/h au niveau du sol. Le développement d’un tel chasseur au moteur allégé ne trouve pas d’explication rationnelle : peutêtre y avait-il un stock de moteurs Le Rhône de 80 ch à écouler ? Si la société Nieuport a effectivement présenté l’appareil comme un avion d’entraînement à la chasse, plusieurs témoignages montrent qu’il fut envoyé en unité sur le front occidental, saupoudré parmi les escadrilles où il fut rapidement délaissé et renvoyé vers les secteurs secondaires – l’as Gustave Daladier, en poste à Belfort, s’en vit affecter un (qu’il désigna “Nieuport 15 m 80 cv” dans ses carnets) le 1er juin 1916. Preuve de l’échec de cet appareil, il fut envoyé sur le front d’Orient où l’étatmajor avait habitude d’envoyer son matériel de dernier choix. Il y équipa intégralement les trois escadrilles de chasse locales (N 387, N 390, N 391) de l’été 1916 jusqu’au printemps 1917, avec les résultats très mitigés que l’on imagine. On en connaît le détail avec un rapport de l’escadrille 390 postée dans les montagnes grecques, dans la cuvette de Monastir. Du 16 au 31 décembre 1916, ses Nieuport 21 au capot rouge réalisèrent 22 tentatives d’interception. Les biplaces ennemis, qui étaient pourtant loin d’être de première main, leur faussèrent compagnie à 14 reprises grâce à leur vitesse… Sur les huit occasions lors desquelles les Nieuport purent se mettre en position de tir, une s’est traduite par une mitrailleuse enrayée, six à un chargeur de 47 cartouches vidé sans résultat apparent, et une seule par une victoire par ailleurs non confirmée faute d’avoir retrouvé l’épave !
Le déclin des sesquiplans
Revenons sur les champs de bataille de la Somme au mois de septembre 1916, quand la chasse allemande se réorganisa en créant ses premières escadrilles, les Jasta. Elle reçut surtout un appareil de qualité, l’Albatros D.III, qui fit tourner le vent de la guerre du côté de l’Allemagne. Sa voilure sesquiplane était inspirée du Nieuport et lui en donnait la maniabilité, ainsi également que la relative fragilité de l’aile. Mais il était surtout équipé d’un puissant moteur
en ligne Mercedes D.III de 160 ch qui lui permettait d’atteindre la vitesse de 175 km/h.
Cette situation n’était pas dramatique pour la chasse française qui commençait à recevoir les Spad VII à moteur en ligne Hispano- Suiza de 150 ch, dont la puissance fut sans cesse poussée sur les versions ultérieures à 180, puis jusqu’à 235 ch sur le Spad XIII, donnant aux pilotes français un appareil d’abord équivalent, puis nettement supérieur. L’automne 1916 marqua irrémédiablement le déclin des Nieuport qui furent dépassés à la fois par les chasseurs ennemis et par les autres chasseurs alliés à moteur en ligne, les Spad et le SE5 britannique. Aucune des évolutions du Nieuport 17 ne permit d’inverser la tendance.
Le Nieuport 23 fit la prolongation de la production du Nieuport 17 au début de l’année 1917, apparemment produit par les sous-traitants SCAF et Borel, avec la mitrailleuse Vickers équipée d’un nouveau système de synchronisation, légèrement décalée sur le côté droit. Certains exemplaires reçurent un moteur Le Rhône 9Jb un peu plus puissant avec 120 ch.
L’évolution la plus significative débuta avec le Nieuport 17bis qui apparut à la fin de l’année 1916. L’appareil était doté d’un fuselage arrondi, plus aérodynamique, et équipé d’un moteur Clerget de 130 ch. On trouve la trace d’une première commande de ce type le 26 novembre 1916, noyée dans une commande de 777 exemplaires de Nieuport 16 et 17. C’est l’appareil qu’utilisa l’as Charles Nungesser au printemps 1917 dans ses patrouilles en solitaire effectuées à partir du terrain de Dunkerque sur les champs de bataille des Flandres.
L’autre évolution du chasseur sesquiplan, le Nieuport 24, était très semblable au Nieuport 17bis dont il gardait le fuselage arrondi. Mis à l’étude dès le début de l’année 1916, il était équipé d’un plan arrière arrondi et d’une dérive agrandie en forme de goutte d’eau. Le moteur était un Le Rhône 9Jb de 130 ch qui lui permettait d’atteindre les 176 km/h au niveau du sol. La voilure qui restait celle du Nieuport 17 à 14,75 m2 avait ses ailerons modifiés avec le bout arrondi dont les premiers montages rendirent le contrôle latéral très difficile, mais qui furent améliorés sur les exemplaires de série. Le Nieuport 24 fit son apparition au front au printemps 1917, mais fut en fait précédé en unité par le Nieuport 24bis qui gardait le plan arrière et la dérive du Nieuport 17. Lui succéda peu de
temps après le Nieuport 27 qui ne se caractérisait que par des différences mineures, dont un train d’atterrissage à haubanage modifié, et une béquille de queue simplifiée.
“Un appareil désagréable à piloter”
Les qual ités de vol des Nieuport 24 et 27 étaient assez moyennes, comme en témoigna le maj. Sewell, l’attaché militaire britannique qui signala dans un rapport daté du mois de juin 1917 que “dans les escadrilles françaises, les pilotes signalent que la vitesse ascensionnelle et les performances à haute altitude sont bonnes, mais que c’est un appareil assez désagréable à piloter, plutôt impopulaire”. Au parc d’aviation de Salonique, le sgt Basile Sauné notait pour sa part à la même époque que “ces avions ne répondent plus aux nécessités pour les escadrilles de chasse ; leur vitesse qui n’excède pas 160 km/ h est notoirement inférieure à celle des avions ennemis. Au point de vue ascensionnel ils montent bien jusqu’à 5 500 et 6 000 m – supérieurs aux type 23 fournis il y a trois ou quatre mois, qui avaient des moteurs légèrement inclinés vers la descente au lieu de se trouver dans l’axe horizontal. Ces appareils pourraient supporter un moteur d’une puissance supérieure, ce qui augmenterait leur vitesse. Construits avec des bois insuffi samment secs, ils travaillent au bout de très peu de temps sous l’effet de l’humidité à laquelle ils sont exposés, principalement les plans [bords de fuite].”
Laissés sur place par les Spad qui approchaient les 210 km/h à 2000 m, les Nieuport n’auront aucun propulseur rotatif fiable à leur disposition, ce qui leur aurait permis de rester dans la course. Le moteur rotatif Clerget 9Bd de 150 ch fut adapté tant bien que mal sur un prototype au capot allongé et au train d’atterrissage renforcé, le Nieuport 25. Il fut confié à l’as Charles Nungesser au mois d’août 1917, avec lequel il fit plusieurs vols sur les Flandres, mais, probablement trop lourd aux commandes, il ne déboucha sur aucune commande.
De ce fait, les Nieuport 24, 24bis et 27 s’effacèrent progressivement des premières lignes durant tout le courant de l’année 1917 au fur et à mesure de la montée en puissance des Spad sur les chaînes de production. Qui plus est, il restait la question de la fragilité des mâts d’aile qui contraignit les escadrilles Nieuport à subir une indisponibilité à l’automne 1917 pour voir renforcer leurs fixations.
Le 28 novembre 1917, les Nieuport constituaient encore le tiers
(257) des quelque 746 chasseurs en service, le reste étant composé de Spad. Le chef de l’aviation française, le gén. Duval, le qualifia alors dans des termes peu flatteurs : “Avion tout à fait périmé. Ne rend plus aucun service et amène de nombreuses pertes de personnel. À supprimer totalement des escadrilles du front.” Il demanda son remplacement en escadrille, ce qui fut globalement accompli dans le début de l’année 1918 pour toutes les unités de la Division aérienne, la grande masse de chasse de l’aviation française qui livra les plus durs combats contre l’aviation ennemie lors des offensives allemandes de printemps. Tragique illustration pour la société de Gustave Delage qui reçut le 26 février 1918 un ordre de commande de 700 chasseurs Spad XIII, l’avion de son concurrent…
La fin des commandes ne signifia pas pour autant la disparition des Nieuport du ciel de la guerre.
On trouvait encore des Nieuport, et jusqu’à l’armistice, dans les secteurs secondaires du front. Les escadrilles de défense des villes conservèrent leurs Nieuport dont le temps de démarrage du moteur était bien plus rapide que celui du Spad en cas d’alerte. On en trouvait également dans des escadrilles des fronts jugés secondaires, comme la N 561 de défense de Venise et les escadrilles du front d’Orient portant les numéros 506, 507, 523 et 531, mais dont les meilleurs pilotes s’étaient depuis longtemps accaparés les Spad livrés.
Un large succès à l’exportation
Les chasseurs Nieuport eurent par ailleurs un large succès à l’exportation. Le Royal Flying Corps britannique utilisa près de 350 Nieuport 17 et 23 en même temps que l’aviation française, ainsi que 86 Nieuport 24, 24bis et 27 jusque dans l’année 1917. L’Italie, qui fit un large usage des premiers modèles de Nieuport produits sous licence par Nieuport-Macchi, utilisa encore largement le Nieuport 27 après le désastre de Caporetto en novembre 1917, qui vit les effectifs de la chasse italienne fondre de moitié dans la retraite précipitée. Pour ressusciter la chasse italienne, l’armée française offrit dans ses stocks 200 Nieuport 27 qui servirent dans l’urgence à rééquiper trois Squadriglie (75a, 79a et 81a) et à compléter la dotation d’autres unités, ce qui permit de tenir le front en attendant l’arrivée des Hanriot HD1 produits par les usines italiennes. Enfin, la Russie reçut nombre d’exemplaires importés de France et organisa localement une production sous licence par l’usine moscovite Dux. Les Nieuport de divers types constituaient l’essentiel de son aviation de chasse quand commença la guerre civile en 1918.
La production de l’usine Dux, nationalisée par les bolcheviques et renommée GAZ 1 (Gosudarstvennoe Aviotsionnoe Zavody 1, usine d’aviation d’État n° 1), poursuivit la production durant la guerre civile à partir des stocks de pièces détachées et en réparant à neuf les épaves ramenées du front, et jusqu’aux limites du raisonnable, mais il n’y avait guère le choix pour la RKKVF (Raboche-Krest’yanskaya Krasnavy Vozdushnyy Flot, Flotte militaire aérienne rouge des ouvriers et paysans) qui manquait de tout. GAZ 1 put ainsi produire ou refaire à neuf 60 Nieuport de tous types durant l’année 1920, un rapport faisant état
en décembre 1920 de 67 Nieuport 242 et 26 Nieuport 24bis en service. En unité, les appareils étaient souvent usés jusqu’à la corde, mais n’eurent guère d’opposants aériens face à eux, les aviations blanches étant tout aussi mal loties. L’opposant aérien principal fut la force aérienne de la jeune république de Pologne, dans la phase la plus importante du conflit, entre avril et septembre 1920, lorsque l’Armée rouge arriva jusqu’aux portes de Varsovie avant d’être refoulée vers l’est. Les Nieuport bolcheviques furent pratiquement les seuls chasseurs mis en ligne par la RKKVF et rencontrèrent des appareils polonais hétéroclites mais plus modernes, ainsi que quelques Nieuport récupérés et remis en service contre leurs anciens propriétaires. La “production” des chasseurs Nieuport se poursuivit jusqu’au milieu des années 1920 dans les usines soviétiques.
Non loin des plaines de Russie, de l’autre côté de la mer Noire, une douzaine de chasseurs Nieuport, récupérés sur les stocks français laissés à Salonique, furent également utilisés par l’armée grecque dans son conflit avec la Turquie de Mustapha Kémal, qui se termina par une défaite grecque en septembre 1922 et qui vit les derniers vols opérationnels des chasseurs Nieuport de la guerre. Les Nieuport 24/27 volèrent encore ensuite largement jusqu’à l’aube des années 1930 aux mains de pilotes civils ainsi que dans des formations d’entraînement de plusieurs forces aériennes du monde, et particulièrement au Japon qui importa et fabriqua localement près d’une centaine d’exemplaires de Nieuport 27 sous le nom de Ko 3.
Une formule biplan plus conventionnelle
Alors que l’année 1917 voyait le déclin de ses chasseurs dans les escadrilles du front, Gustave
Delage comprit que la formule du sesquiplan, dérivée du Nieuport 10, avait fait son temps et n’était plus adaptée pour des chasseurs dont les propulseurs plus puissants malmenaient plus durement les cellules. Il étudia alors un nouvel appareil, le Nieuport 28, qui abandonnait la formule sesquiplan en adoptant une formule biplan plus conventionnelle, avec deux mâts parallèles en bout d’aile pour fixer les plans supérieur et inférieur de dimensions identiques. Le prototype fut testé au mois de juin 1917, en même temps que le Nieuport 25 de Nungesser, et reçut un moteur rotatif Gnôme 9Nc de 160 ch autour duquel furent réalisés d’autres prototypes d’autres constructeurs. Ce moteur, peu au point et ayant tendance à prendre feu lors des piqués prolongés, fut
Le Nieuport 29, le principal avion de chasse français des années 1920 (…)
à l’origine de l’échec de chacun d’entre eux : Spad 15, Courtois Suffit Lescop, et Morane-Saulnier 27 et 29. Seul le Morane connut une commande et quelques exemplaires furent testés puis vite retirés du front au début de 1918.
Le Nieuport 28, malgré les limites de son moteur, approchait les 200 km/h lors de ses essais, insuffisants pour dépasser les Spad XIII en service. Il ne décrocha de ce fait aucune commande publique mais tira son épingle du jeu avec l’arrivée des troupes américaines qui ne purent obtenir les livraisons des Spad commandés, et qui, faute de mieux, se rabattirent sur le Nieuport 28. Une commande de 297 appareils fut finalisée pour l’US Air Service, que quatre escadrilles, les 27th, 94th, 95th et 147th Aéro Squadron formant le 1st Pursuit Group, mirent en ligne au mois de mars 1918 en s’installant en Lorraine sur le terrain de Toul. Un secteur assez calme pour permettre aux pilotes américains de s’y aguerrir. Dès le mois de juillet, les Nieuport 28 furent remplacés par des Spad XIII et prirent le chemin des unités d’entraînement – certains furent même ramenés aux États-Unis pour servir dans ce rôle après la guerre.
Le Nieuport 29 construit à 2 000 exemplaires
Ce n’est en fait qu’avec l’appareil de la génération suivante que la société de Gustave Delage put revenir sur le devant de la scène et damer le pion aux Spad. Le motoriste Hispano- Suiza ayant mis au point son 8Fb en ligne de 300 ch en 1918, l’Aéronautique militaire demanda aux constructeurs un appareil basé sur ce propulseur. Gustave Delage, dont la firme avait multiplié les prototypes durant l’année 1918, mit au point un appareil au fuselage à coque très aérodynamique. L’appareil, testé en juillet 1918, atteignit les 218 km/h, performances prometteuses à ce stade des essais. Ce n’est qu’après l’armistice que s’acheva la mise au point, qui déboucha par la mise en service du Nieuport 29, le principal avion de chasse français des années 1920 construit à plus de 2 000 exemplaires et exporté dans le monde entier. Un succès pour Nieuport qui une fois de plus put surmonter une période difficile et continuer sa longue aventure aéronautique dans l’entre-deux-guerres.