Un oeil perçant et des serres acérées
Le meilleur radar du monde, le missile le plus performant pour un chasseur qui fi le à Mach 3. Voici l’époustoufl ant YF- 12A.
Voici l’histoire du plus formidable avion de combat jamais conçu. Près de 60 ans après son premier vol, c’est toujours le plus rapide du monde. Son système d’armes avait au moins une génération d’avance. Pourquoi ce chasseur si brillant n’a-t-il jamais équipé l’US Air Force ?
La scène se passe le 5 juillet 1961. Dans le plus grand secret, le general Le May, le tout nouveau commandant en chef de l’US Air Force et le gen. Power, à la tête du Strategic Air Command, viennent rencontrer l’équipe des “Skunk Works” dans leur antre de Burbank, en Californie (lire encadré page 19). C’est une rencontre au sommet. Les militaires les plus haut placés prennent connaissance du programme militaire le plus secret des États-Unis. Depuis trois ans, les “Skunk Works” travaillent pour la CIA sur un avion espion qui dépasse Mach 3 – nom de code Oxcart. À part quelques initiés au plus haut niveau de l’État, personne n’est au courant. C’est une découverte pour Le May et Power. Ils connaissent sans aucun doute l’ingénieur en chef des “Skunk Works”, “Kelly” Johnson. La CIA leur a demandé un avion espion capable de dépasser Mach 3 pour succéder au U-2, lui aussi fruit des travaux des “Skunk Works”. Johnson, pour qui “impossible” (en français dans le texte) est une insulte, a relevé le défi et son équipe resserrée travaille sur le projet dont la dernière mouture porte la désignation de A-12. C’est un biréacteur tout en titane, seul métal apte à défier le mur de la chaleur qui se manifeste à Mach 3.
Un coup d’avance
1961, le A-12 ne vole pas encore mais son assemblage a déjà commencé. Johnson voit loin ; il profite de la venue des deux généraux influents au- delà des cercles militaires pour proposer plusieurs projets dérivés de ses études. Deux maquettes d’aménagements grandeur nature sont exposées. C’est dans son bureau que des plans sont dépliés. Quelques ingénieurs sont là pour renseigner les militaires. Entre deux volutes de son cigare qui ne le quitte pour ainsi dire jamais, Le May questionne Johnson à propos du RB-12, la version de bombardement. Il s’agit d’installer quatre bombes nucléaires miniatures en soute. Le concept intéresse Le May, mais il y voit un concurrent au bombardier géant “Valkyrie” qu’il souhaite relancer (lire Le Fana de l’Aviation n° 584). Le projet de chasseur AF-12 est aussi très séduisant. Johnson propose d’installer un système d’armes
perfectionné qui permettrait au chasseur d’intercepter des cibles à basse altitude. Les missiles sol-air rendent en effet désormais dangereux les missions en altitude, de sorte que les plus récents avions de combat adoptent des vols au ras des pâquerettes pour échapper aux défenses aériennes. Avec l’AF-12, l’US Air Force aurait un coup d’avance, argumente Johnson. Le May est sensible à ce chasseur géant qui colle parfaitement à son état d’esprit ou rien n’est trop beau et trop cher pour l’US Air Force. Il donne le feu vert pour fi nancer de nouvelles études. Peu après est lancé un dérivé de reconnaissance stratégique du A-12 pour doter l’US Air Force, qui débouche sur le SR-71A. Johnson pense alors que son avion Mach 3 va entraîner une révolution militaire.
Des recettes d’alchimistes médiévaux
Avec l’A-12 et ses dérivés les ingénieurs “réinventent la roue” selon l’expression de Ben Rich (lire encadré ci- contre). Il faut repartir d’une feuille blanche pour pratiquement tous les équipements de l’avion. Maîtriser l’industrialisation du titane s’avère être un cauchemar. La mise au point des vitres du poste de pilotage empêche longtemps de dormir les ingénieurs tant ils doivent impérativement trouver des surfaces transparentes qui ne fondent pas à Mach 3. Toute la partie propulsion mobilise les meilleurs experts. “Kelly” Johnson opte pour le Pratt & Whitney J58 comme réacteur. Tout le secret consiste à assurer correctement son alimentation en oxygène. Un jeu savant de trappes et un cône mobile à l’avant permettent d’optimiser la poussée en fonction de la vitesse. En vitesse de croisière, chaque réacteur avale 2 831 m3 d’air à la seconde. Le cône mobile contrôle les ondes de choc, assurant 13 % de la poussée totale à Mach 2,2, 53% à Mach 3. À cette vitesse le réacteur n’intervient plus qu’à hauteur de 17 %, le solde venant des dispositifs installés sur l’arrière de la nacelle et la tuyère. Deux moteurs de voiture Buick “Wildcat” permettent de faire tourner les réacteurs à 3 200 tr/ min avant de les démarrer.
l’allumage des J58 est toujours une phase compliquée, les réacteurs ayant de plus tendance à avaler tout ce qui se trouve sur la piste. Ils brûlent un carburant spécial qui est à lui seul l’objet de recherches dignes d’alchimistes médiévaux en quête de la pierre philosophale. La Shell Oil développe le JP-7 à partir de 1955. Le vice-président de la société, le fameux James “Jimmy” Doolittle, du raid sur Tokyo en 1942, s’est arrangé pour que Shell développe discrètement le
JP-7 pour la CIA, qui a besoin d’un carburant adapté au vol à grande vitesse et haute altitude. Pour la petite histoire, la fabrication de plusieurs centaines de milliers de litres du nouveau carburant nécessite les
sous-produits pétroliers que Shell utilise normalement pour fabriquer son insecticide Flit, provoquant une pénurie nationale à l’époque. Le JP-7 se caractérise par sa température d’inflammation très élevée. La très faible volatilité et la réticence du JP-7 à s’enflammer nécessitent l’injection de triéthylborane (TEB) dans le moteur afin de lancer la combustion et de permettre le fonctionnement de la postcombustion. Le
YF-12A – tout comme le A-12 et SR-71A – a une capacité limitée en TEB ; le pilote dispose de seulement 16 injections pour lancer la postcombustion sur le J58. Il doit ainsi gérer avec méticulosité le réacteur pendant le vol, qui alterne le plus souvent phase d’accélération, ravitaillement en vol et de nouveau des pointes de vitesse. La mise au point du J58 est difficile ; le YF-12A reçoit une première version remplacée par un modèle plus perfectionné sur le SR-71A. Le JP-7 nécessite enfin des avions de ravitaillement en vol avec des réservoirs spécialement adaptés, des Boeing KC-135Q, dont 56 exemplaires dotent l’US Air Force exclusivement pour le soutien des A-12/SR-71A et YF-12A.
Un marteau pour écraser une mouche
Depuis décembre 1960, une petite équipe travaille sur le AF-12. Le chasseur est conçu autour d’un système d’armes dont l’étude avait commencé à la fin des années 1950 pour équiper le North American F-108, un grand chasseur qui s’attaque déjà l’époque à Mach 3, mais dont le gigantisme provoque l’arrêt en 1959 (lire Le Fana de l’Aviation n° 526). Toutefois, la conception de son système d’armes se poursuit. Les
ingénieurs de Hughes conçoivent le puissant radar AN/ASG-18. Il faut 41 boîtiers pesant au total 953 kg pour faire fonctionner ce radar qui est alors le plus perfectionné de l’époque. Ses calculateurs lui permettent en effet de distinguer des cibles vers le sol grâce à l’effet doppler. Il est en mesure de distinguer dans la multitude d’échos un bombardier à 1 600 km de distance, de le traquer et de guider un missile dessus. Autant de capacités qui dépassent les possibilités des radars installés sur les chasseurs dans les années 1960.
La conquête de Mach 3
Le radar est associé à trois missiles air-air Hughes GAR-9. Là encore les ingénieurs de Hughes sont à la pointe de la technologie. Le missile affiche une portée de 160 km et une vitesse de Mach 4. La première version peut emporter une tête nucléaire W42 de 0,25 kilotonne, qui peut en théorie vitrifier une formation de bombardiers. Elle est finalement abandonnée pour 45 kg d’explosif classique. Les ingénieurs s’arrachent les cheveux pour mettre au point un système de guidage autonome vers la cible à partir des données envoyées par l’avion lanceur. Il faut souligner que les missiles air-air sont assez nouveaux. Leur guidage est souvent erratique. Imaginer un missile autonome en 1960 s’apparente largement à la science-fiction. Faute de F-108, les premiers essais se déroulent à partir de Snoopy, un bombardier Convair B-58 “Hustler” modifié pour emporter radar et missile. Il tire en mai 1962 le premier missile guidé – devenu AIM- 47 dans la nouvelle nomenclature américaine.
L’AF- 12 présente quelques différences notables avec l’A-12 de reconnaissance. L’arête horizontale qui court tout le long du fuselage jusqu’à l’avant laisse désormais dégagé le radôme du radar. Les modifications entraînent l’installation d’une grande dérive repliable sous le fuselage. Un officier système d’armes en charge du radar et des missiles est positionné dans un habitacle derrière celui du pilote. Les “Skunk Works” assemblent trois AF-12 – ils prennent la désignation officielle de YF-12A pour l’US Air Force – qui reçoivent les matricules 60- 6934, 60- 6935 et 60- 6936. Pour être à l’abri des regards indiscrets quant à ses travaux pour la CIA, l’équipe d’essais en vol de Lockheed s’est installée depuis 1955 à Groom Lake, au coeur de la Zone 51, en plein milieu du désert du Nevada. Le A-12 entame ses essais en vol à partir du 26 avril 1962. Le YF-12A 60- 6934 vole pour la première fois le 7 août 1963 piloté par Jim Eastham. L’avion rejoint les A-12 pour défricher le domaine de vol. Dès le mois de juillet Mach 3 est franchi pendant
Travaillant pour la CIA, l’équipe d’essais en vol de Lockheed est installée au coeur de la Zone 51
10 minutes à 83 000 pieds (25 298 m). Toute l’année 1963 est consacrée à l’exploration des grandes vitesses à haute altitude. Aucune publicité n’est faite sur ces essais. Toutefois la perspective de l’entrée en service du YF-12A dans un futur proche pousse les responsables militaires et politiques américains à lever une partie du voile qui entoure le programme.
Le président Lyndon Johnson dévoile le projet le 29 février 1964 dans un long communiqué accompagné de photos. Le président brouille les pistes en parlant d’un A-11 étudié par Lockheed capable de voler à 2000 miles/heures (3 218 km/h) à l’altitude de 70 000 pieds (21 336 m). Ces performances ont largement de quoi laisser pantois le monde de l’aéronautique à l’époque, alors que les avions de combat qui entrent en service atteignent Mach 2. Le président annonce que plusieurs A-11 sont aux essais au centre d’essais en vol d’Edwards en Californie, l’avion devant déboucher sur un intercepteur à longue portée. Avec l’A-11, le président américain sait parfaitement qu’il défie son adversaire soviétique dans la course technologique entre les deux géants. Difficile de faire plus ostentatoire pour les Américains. Point intéressant : Johnson parle de l’importance de ces essais pour le futur supersonique civil SST (lire Le Fana de l’Aviation n° 605). Du coup, les deux premiers YF-12A laissent les A-12 de la CIA – dont l’existence est toujours tenue secrète –dans la discrète Zone 51 pour rejoindre Edwards et poursuivre leurs essais.
Bataille d’experts
L’arrivée du YF-12A sur la place publique entraîne le super chasseur dans un débat contre des détracteurs tenaces et bien placés. En effet, le secrétaire à la Défense Robert McNamara se montre sceptique face aux militaires qui demandent son adoption dans l’US Air Force. Ils tirent la sonnette d’alarme en soulignant que le géant soviétique a fait défiler dix bombardiers Tupolev Tu-22 “Blinder” et le Miassichtchev
M-50 “Bounder”, tous supersoniques, lors de la dernière parade de Toushino en juillet 1961. McNamara et ses experts rétorquent que le Tu-22 a probablement un rayon d’action limité, que le M-50 est au stade du prototype, et surtout que le dirigeant soviétique Nikita Khrouchtchev mise désormais sur les missiles balistiques pour lancer ses bombes atomiques. De toute évidence, les bombardiers ne sont plus la priorité du pouvoir soviétique. Le M-50 est brutalement arrêté en 1961, de même que tous les projets similaires dans les bureaux d’études de l’Union soviétique. Pour McNamara, les moyens dont dispose l’Air Defense Command pour assurer la défense aérienne des États-Unis sont suffisants. Les McDonnell F-101 “Voodoo”, Convair F-102 “Delta Dagger” et F-106 “Delta Dart” peuvent faire face aux bombardiers soviétiques. Dès lors le bras de fer s’engage avec les militaires.
Avec l’obstination de Sisyphe poussant son rocher, ils réclament désormais chaque année le budget pour acquérir 96 F-12B, version de série du chasseur. Pour couvrir les États-Unis, leurs plans prévoient 48 F-12B basés à Otis, dans le Maryland, au Nord-Est, et les 48 autres appareils à Paine, dans l’État de Washington, sur la côte Ouest. McNamara accepte dans un premier temps de financer les essais du système d’armes à bord des prototypes YF-12A, sans s’engager plus en avant. Le May et les généraux de l’US Air Force cultivent longtemps l’espoir de prendre en compte le plus formidable chasseur jamais mis au point.
Six records du monde
Le 9 janvier 1965, Jim Eastham est chronométré sur le premier YF-12A à Mach 3,23. Il maintient Mach 3,2 pendant 5 minutes. A-12 et YF-12A dépassent de très loin les
performances des records officiels établis par la Fédération aéronautique internationale (FAI), de sorte que les militaires américains veulent frapper les esprits en battant à plate couture les Soviétiques, qui les narguent périodiquement. Le 7 juillet 1962, le MiG Ye-166 a ainsi battu les 2 585 km/h du “Phantom” II avec 2 681 km/h. Le YF-12A 60- 6936 est préparé à Edwards pour devenir le nouveau champion du monde. Le 1er mai 1965, les équipages de l’USAF décrochent haut la main six records du monde enregistrés par la FAI. Robert “Silver Fox” Stephens vol à 24 463 m d’altitude puis atteint 3 331,5 km/ h sur circuit de 15/25 km. Walter F. Daniel est mesuré à 2 644,22 km/h sur un circuit de 500 km, 2 718,01 km/h sur circuit de 1 000 km sans charge, puis à la même vitesse avec une charge de 1 000 kg, et enfin remporte un autre record toujours à la même vitesse avec 2 000 kg. Les équipages reçoivent le Mackay Trophy qui récompense dans l’USAF “le vol le plus méritoire de l’année”. “Silver Fox” Stephens (pilote) et Daniel Andre (officier système d’armes) sont distingués avec le Thompson Trophy.
Les YF-12A au ball-trap
La période semble propice au YF-12A. L’US Air Force arrive à financer les études de la version de série, le F-12B. Il se distingue des prototypes par quelques modifications aérodynamiques. Il est prévu d’installer à bord un canon M61 “Vulcan” de 20 mm. Hughes reçoit simultanément le budget pour le radar ainsi que pour l’AIM- 47B, une version du missile un peu plus compacte et moins encombrante. Les essais de tir de missiles commencent le 16 avril 1964 avec un premier engin inerte. Il part avec un mauvais angle, de sorte que Johnson écrit que “si le missile avait été propulsé, il serait passé à travers le cockpit”. Après la séparation du missile et de l’avion validée, le premier tir avec missile guidé se déroule le 18 mars 1965 quand le 60-6934 chronométré à Mach 2,20 et 65 000 pieds (19 812 m) vise avec succès un engin cible Ryan Q-2C volant à 40 000 pieds (12 192 m). Nouvel essai le 19 mai, cette fois-ci le Q-2C étant à 20 000 pieds (6 096 m) et le 60- 6935 à 65 000 pieds et Mach 2,3.
Le 28 septembre, le 60- 6934 tire un AIM- 47A à Mach 3,2 et 75 000 pieds (22 860 m) sur un Q-2C situé à 40 000 pieds (12 192 m) et
58 km de distance. Le missile passe à 2 m de l’objectif, ce qui est considéré comme un succès. Le 22 mars 1966, la capacité à atteindre un objectif à basse altitude est validée quand le 60-6934 installé à Mach 3,15 et 74 000 pieds (22 555 m) vise un Q-2C situé à 1 500 pieds (457 m). C’est un record de dénivelé pour un tir de missile.
Fin avril 1966, une campagne de tir est organisée sur la base d’Englin, en Floride. C’est l’occasion de tirer le 25 avril au- dessus du golfe du Mexique un AIM-47A à Mach 3,20 et 75 000 pieds (22 860 m) sur un bombardier Boeing “Stratojet” transformé en engin cible QB- 47 évoluant à 1 500 pieds (457 m) et 85 km de distance. Le missile grignote l’empennage de la cible ; le tir est un succès. Nouveau tir le 13 mai. Cette fois-ci un Q-2C est intercepté à 20 000 pieds (6 096 m).
Le dernier essai du système d’armes se déroule le 21 septembre. Le 60- 6936 lance un missile à Mach 3,20 et 74 000 pieds (22 555 m) contre un QB- 47 évoluant au niveau de la mer. Les essais de missiles sont combinés avec des interceptions de SR-71A évoluant à Mach 3,2 et 80 000 pieds (24 384 m). Radar et calculateurs du YF-12A indiquent que l’objectif est atteignable.
Pas de menace, pas de chasseur
Le programme du YF-12A connaît son premier accident quand le 60- 6934 est endommagé lors d’un atterrissage à Edwards le 14 août 1966. L’avion est immobilisé. Fin 1966, Johnson se montre optimiste quant à l’avenir du F-12B. Les militaires sont toujours confiants pour imposer le programme au Pentagone, même si Le May, son plus fervent soutien, a quitté la tête de l’USAF en janvier 1965. Johnson propose de transformer dix A-12 et 10 SR-71 en intercepteurs. Pour réduire la facture, il envisage l’installation d’un radar Westinghouse associé à des missiles air-air “Sparrow”, un système d’arme moins performant que celui essayé sur les YF-12A – en fait le même équipement que celui du F- 4 “Phantom” II.
Toutefois la campagne pour l’adoption du F-12B tourne à la Bérézina pour les généraux. McNamara et son équipe d’experts ne sont pas impressionnés par le YF-12A, même si ses essais sont plutôt positifs. Les rapports d’espionnage et les satellites de reconnaissance confirment que les Soviétiques ne disposent que d’un petit nombre de bombardiers supersoniques Tu-22 “Blinder”, qui sont incapables de menacer New York ou Los Angeles. Les chasseurs de l’Air Defense Command sont estimés à la hauteur pour assurer la protection du territoire. Tout au plus sont financées les études du F-106X, une version avancée du “Delta Dart”, qui sombre rapidement dans les oubliettes du Pentagone.
Par ailleurs, il est important de souligner que la fabrication en série des 96 F-12B aurait sans aucun doute provoqué des soucis d’approvisionnement en titane, celle des 31 SR-71A/ B nécessitant de récupérer des métaux d’origine soviétique. D’autre part, avec la flotte de F-12B, il fallait augmenter considérablement celle des ravitailleurs KC-135Q, les seuls à pouvoir approvisionner le chasseur en carburant JP-7. Le 29 décembre (1967), un coup de téléphone informe Johnson de l’abandon du programme du F-12B. L’USAF demande officiellement à Lockheed de fermer la chaîne de montage le 5 février 1968.
L’histoire du “Bâtard”
Début 1969, il est permis de penser que l’histoire des YF-12A s’arrête là. Les deux appareils sont stockés à Palmdale. Cependant le premier prototype fait un étonnant retour sur la scène, sa cellule étant stockée depuis son accident en 1966. Le 11 janvier 1968, l’un des deux SR-71B biplaces qui servent à l’entraînement des pilotes s’écrase. C’est un problème tant il faut former rapidement des équipages pour la flotte de SR-71A. Lockheed pro
pose alors de “marier” les pièces du YF-12A (60- 6934) accidenté avec celle d’une maquette d’aménagement. Cela donne le SR-71C, dont les origines lui valent le surnom du “Bâtard.” Il vole pour la première fois le 14 mars 1969 et rejoint début septembre 1970 les SR-71A du 9th Strategic Reconnaissance Wing à Beale, en Californie. Après avoir assuré la formation de pilotes et des vols de démonstration avec des passagers haut gradés, le SR-71C vole pour la dernière fois le 11 avril 1976. le “Bâtard” compte 737 heures et 18 minutes de vol. Il est exposé au musée de la base de Hill, dans l’Utah, depuis 1991.
Un accord trouvé entre la Nasa et l’USAF
La Nasa s’intéresse au YF-12 à la fin des années 1960. Ses ingénieurs cherchent un avion capable de voler à Mach 3 pendant de longues durées. Le géant XB-70 sert dans ce rôle, mais sa maintenance coûte extrêmement cher et ses essais s’arrêtent en 1969. La Nasa sollicite l’USAF pour récupérer les YF-12A. Après quelques réserves émises par “Kelly” Johnson, qui ne voulait pas dévoiler de secrets sur le SR-71A, les militaires américains acceptent de remettre en service les YF-12A pour le compte de la Nasa. L’USAF à une petite idée derrière la tête. Elle accepte d’assurer la maintenance des avions en échange de sa participation à de nouveaux essais de son radar et des techniques d’interception à grande vitesse. Après huit vols comprenant de nouveaux essais d’interception de cibles entre décembre 1969 et février 1970, les essais pour la Nasa commencent le 26 mars avec aux commandes du 60- 6935 Donald “Don” Mallick. Il avait piloté le “Valkyrie” et retrouve à cette occasion les sensations d’un vol à Mach 3 (lire encadré page 25).
Le YF-12A 60- 6936 rejoint Edwards en mars 1970. Les militaires l’engagent dans des interceptions à Machach 3 de chasseurs F-- 4 “Phantom” II, de F-106, de bombarardiers B-52 et B-57. La Nasa l’exploite te dans le même temps pour des expérimentations. Mais, le 24 juin 1971, Ronald “Jack” k” Layton et Billy Curtis rtis s’éjectent de l’avionvion à l’approche d’Edwards,d moteur droit en flamme. C’était son 62e vol pour la Nasa. Pour le remplacer, l’USAF sort du stockage le deuxième SR-71A (61-7951). Toutefois, pour brouiller les pistes et semer le trouble sur le nombre de SR-71A réellement en service, on lui attribue la désignation officielle de YF-12C, avec le code de dérive 06937. Il intègre les essais en juin 1972.
Chaleur et vitesse
La Nasa engage les YF-12A/C dans de nombreux essais, dont l’exploration du vol à grande vitesse, l’étude des contraintes sur la structure entraînées par les grandes chaleurs qui se manifestent à Mach 3, le pilotage dd’unu avion totalement atypiqueatypique. Des capteurs apparaiparaissent ainsi sur les cellulcellules ; les entrées d’air font ll’objet de mesures très pprécises complétées par ddes essais en soufflerie.rie. PlusieursP études très ppoussées explorent leles conséquences sur les structures et les revêtementsrevê d’un vol à MacMach 3 pendant 30 minutes.nutes. Le YYF-12C sert de banc d’d’essaisi pour lesl réacteurs et ses entrées d’air. Les ingénieurs étudient avec les YF-12 les effets de la couche limite turbulente à grande vitesse et les transferts de chaleur. Appelée Coldwall, l’expérience consiste à installer sur un pylône ventral un tube en acier inoxydable de près de 4 m de long refroidi à l’azote liquide et recouvert d’un matériau isolant spécial. Le profil de la mission : accélérer jusqu’à Mach 3 puis retirer l’isolation et exposer instantanément le tube à l’échauffement aérodynamique.
Ses essais commencent en 1975 mais se heurtent à des difficultés techniques récurrentes. Le 27 février 1975, “Don” Mallick et Ray Young volent sur le 60- 6935 quand la dérive ventrale s’arrache et percute l’aile droite, obligeant l’avion
YF-12A et YF-12C expérimentent l’approche et l’atterrissage de la future navette spatiale
à un retour en urgence à Edwards. Le 21 juillet 1977, les deux YF-12 volent en formation, ce qui n’était pas “facile” à réaliser pour Mallick ; il fallait jouer sur la puissance des J58 et veiller à ne pas s’approcher de l’autre avion. Ce jour-là, le Coldwall est activé, mais le YF-12A ingère les débris de l’isolant dans son réacteur gauche qui s’éteint. À bord du YF-12C, Mallick rencontre aussi des problèmes avec ses réacteurs. Les deux pilotes arrivent finalement à rallumer les J58 et peuvent se poser à Edwards, mais les deux avions sont immobilisés pour réparation jusqu’en septembre. Ce fut à cette époque que la Nasa annonce la fin du programme d’essais en vol avec les deux YF-12. Une décision “stupide” pour Mallick, qui souligne dans ses mémoires ( Smell of kerozene, passionnantes) que la Nasa dut attendre 1991 pour retrouver le SR-71 et voler à Mach 3.
Pilotage de la navette spatiale
YF- 12A et YF-12C poursuivent néanmoins les expérimentations. À partir de 1975, ils servent en particulier à étudier l’approche et l’atterrissage de la future navette spatiale. Les ingénieurs comparent les données collectées et celles accumulées par le F-8 à commandes de vol électrique et le simulateur NC-131H. Ces simulations permettent de mieux appréhender le pilotage de la navette. Fin 1978, le rythme des essais baisse. Le YF-12C est rendu à l’US Air Force qui l’envoie à Palmdale le 27 octobre pour être stocké. Il comptait 88 vols pour la Nasa. L’appareil est exposé au Pima Air Museum de Tucson, en Arizona.
Fitz Fulton et Vic Horton sont à bord du YF-12A 60- 6935 le 31 octobre 1979 pour son 146e et dernier vol au profit de la Nasa. C’est un équipage militaire qui convoie ensuite l’avion au musée de Dayton le 7 novembre – son dernier vol.
Si le SR-71A a démontré l’efficacité du vol à Mach 3 pour les missions de reconnaissance, l’YF-12A n’a pas convaincu pour les missions de chasse à grande vitesse. C’est surtout un précurseur dans le domaine des radars et des missiles. Son système d’armes capable de détecter et détruire des cibles avec d’importants dénivelés est devenu la norme dans les avions de combat bien après l’arrivée du YF-12A au musée.