La “promo” des oubliés
Le pilote de chasse Pierre Grandbesançon - 1934-1942
Première partie. L’itinéraire d’un polytechnicien qui intègre l’armée de l’Air en 1934.
Première partie.
À la tête de la 2e escadrille du GC II/8 durant la bataille de France, Pierre Grandbesançon a laissé de précieux souvenirs qui témoignent du parcours atypique d’un officier pilote de chasse, des années 1930 aux douloureux combats de mai-juin 1940…
Né le 18 octobre 1913 à Saint-Servan, en Ille-etVilaine, au sein d’une vieille famille d’origine franc- comtoise, Pierre Grandbesançon grandit dans un environnement austère marqué par le décès de son père le jour de ses 14 ans. Auprès de ses deux soeurs, il reçoit de sa mère une éducation empreinte d’un sens aigu des responsabilités. À l’âge de 15 ans il décroche son baccalauréat de mathématiques. Doué pour le dessin, il ambitionne d’entrer à l’école des Beaux-Arts. Mais les études y sont longues et leur coût prohibitif pour sa famille. Il choisit de suivre un cursus plus court et s’oriente vers une carrière d’ingénieur. Dans les classes préparatoires du lycée Thiers à Marseille, le jeune homme potasse les concours des grandes écoles. En 1932, il est reçu au concours d’entrée à l’École polytechnique.
Polytechnicien, promo X-32
Polytechnique est une école militaire, mais c’est aussi et avant tout une grande école d’ingénieurs. L’année 1932 marque une étape dans son histoire. Pour la première fois depuis la fin de la Première Guerre mond i a l e, une large majorité d’élèves opte pour une carrière militaire : 82 % s’orientent vers le Corps d’officiers ; ils n’étaient que 26 % dix ans auparavant. La Grande Dépression du début des années 1930 et une solde mensuelle sur toute la durée des études ont sans doute favorisé cet engouement payé en retour de six ans au service de l’État.É Mais les “armes nobles”, le génie et l’artillerie, restent les plus prisées. L’arme aérienne fait encore figure de “second choix” : l’avancement y est lent et peu valorisant dans une carrière militaire. À Polytechnique, l’enseignement aéronautique se limite à quelques notions de navigation aérienne et jouit, auprès des instructeurs, “d’une décote bien établie et soigneusement entretenue” (1). En outre, une visite médicale est imposée dans les six mois précédant une affectation dans l’aéronautique militaire. Une visite sans appel et d’autant plus incongrue que c’est seulement le jour de sa sortie de l’école que le lauréat décide officiellement de sa voie. Autant dire que jusqu’au début des années 1930, il n’y a pas foule pour embrasser la carrière d’officier-aviateur. Les choses évoluent à partir de 1933 suite à la promulgation d’un décret portant création d’une future “armée de l’Air”. À l’été 1934, Pierre Grandbesançon est au petit nombre des élèves de la promotion X-32 (2) qui optent pour cette jeune entité. L’aviation rrépond à ses aaspirations les pplus intimes. C’est dans l’exaltation de valeurs aauthentiques, magnifiées par l’auteur de Vol de Nuit, qu’il entend s’épanouir. Les exploits d’un Guynemer et la prose d’un Saint-Exupéry ont eu raison du destin de haut fonctionnaire auquel il aurait pu aspirer.
Sous un nouvel uniforme
L’aviation est alors en plein bouleversement. La vieille Aéronautique militaire, rattachée au commandement de l’armée de
Terre, a vécu. Regroupant toutes les spécialités (renseignement, bombardement, chasse), une armée de l’Air indépendante a enfin vu le jour, portée sur les fonts baptismaux par la loi du 2 juillet 1934 qui instaure également une école de l’Air à l’instar de celles dont sont dotées les autres armées. Cependant, son ouverture est fixée au 1er octobre 1935. D’ici là, les derniers polytechniciens, saint- cyriens et diplômés de Navale, admis sur titre, vont devoir suivre le parcours de l’ancienne École militaire et d’application de l’aéronautique de Versailles, provisoirement rebaptisée École militaire et d’application de l’armée de l’Air (EMAA). Appelé au Centre des hautes études militaires, le général Duseigneur en a laissé le commandement au colonel Jean Houdemon, pilote de chasse, vétéran de 1914-1918, auquel incombe la lourde tâche d’assurer la transition (3).
Le 5 septembre 1934, le sous-lieutenant Grandbesançon reçoit son ordre d’affectation. Il se présente le 30 septembre à la caserne des Petites Écuries, siège de l’EMAA, sur la place des Gardes à Versailles, face
au célèbre château. Le cadre est historique mais ô combien désuet. L’inscription du mot “aéronautique” en place du cartouche somptueux qui surmontait autrefois la grille d’entrée des Écuries royales relève d’un monstrueux anachronisme. Bien que rénovées à la fi n des années 1920, les installations sont encore empiriques : quelques amphithéâtres inconfortables – dont un de 300 places doté d’une cabine cinématographique ; des salles de cours aménagées dans les anciennes étables ; des caves humides transformées en labos photo ; des combles reconvertis en ateliers de travaux pratiques et des salles de garde en centrales de “radiotélégraphie”. Aux élèves, l’administration a réservé “de coquettes chambres à trois lits avec lavabos modernes et salles de jeux”… Le cursus de formation, étalé sur deux ans, n’a pas évolué depuis 1925. Le premier semestre est réservé à l’instruction générale et aux rudiments militaires “pouvant permettre de mobiliser le nouveau contingent dans la fonction première d’observateur en escadrille”.
D’abord observateur, puis pilote…
Très vite les officiers-élèves ont échangé bicornes et casoars contre la casquette et les ailes. Mais l’uniforme bleu “à une rangée de boutons” – pour le distinguer de celui des marins – ne suffit pas à gommer les différences culturelles entre polytechniciens et saint-cyriens ; les premiers sont plus à l’aise dans les domaines scientifiques que dans la partie purement militaire. Le s/ lt Grandbesançon suit avec intérêt les cours d’électricité, de radio, de mécanique générale et de navigation, mais trouve fastidieuses les longues heures passées au maniement des armes ou à faire marcher la troupe sur les pavés gras des Petites Écuries. Par bonheur, l’accent mis sur “le rôle de l’aviation dans l’observation au profit des armées” impose un apprentissage. Quand le temps le permet, une vieille estafette cahotante conduit les élèves sur le terrain d’aviation de Saint- Cyr, de l’autre côté du Grand Canal, où sur celui de Buc, accolé à Toussus-le-Noble et proche de Villacoublay, principale plateforme militaire du sud parisien. L’école de pilotage (EP) de Saint-Cyr offre à beaucoup d’entre eux un premier contact physique avec l’aviation. Entre deux “amphis” ils mettent en pratique, sur Potez 25 ou Breguet 19, leur science nouvelle de l’observation aérienne, du plateau de Saclay aux méandres de la Seine. À 500 m audessus de Saint-Cyr on cherche du regard les flèches de la cathédrale de Chartres, les plans d’eau de SaintQuentin ou quelque demeure bourgeoise en forêt de Rambouillet.
Direction l’école d’Avord
En mai 1935, après sept mois de cours, plus théoriques que pratiques, les officiers- élèves arrivés en octobre acquièrent le certificat d’instruction technique et un timide brevet élémentaire d’observateur aérien. Organisés en brigades, ils quittent enfin les Petites Écuries pour entamer la seconde phase de leur formation qui doit les conduire en six mois au brevet de pilote militaire. Le s/ lt Grandbesançon et la soixantaine de ses camarades découvrent à Avord, dans le Cher, la base aérienne 127 qui accueille l’École pratique d’aviation (EPP.2) placée, avec celle de Versailles, sous un même commandement.
Le “camp d’Avord”, comme l’appellent les anciens, est un vaste aérodrome militaire dont la fonction d’écolage remonte à la Grande Guerre. Doté d’une piste principale, de deux pistes secondaires et de plusieurs terrains annexes – tous en herbe –, il est équipé de nombreux hangars et de casernements qui abritent également une unité de bombardement. Les élèves pilotes, qui ont tout à apprendre des secrets du vol, se voient réserver les “annexes” sur les communes du Grand-Aubilly, des Ridonnes et du Colombiers, le long de la route menant à la base. Comme l’expliquait le col. Duseigneur, “il leur faut en effet des terrains dégagés et de la solitude, sous peine de graves accidents”.
Premiers pas dans le ciel
Depuis l’abandon des “rouleurs” – avions aux plans désentoilés ou aux ailes rognées pour éviter tout décollage et permettre aux élèves d’appréhender les manoeuvres au sol –, les premiers vols avec moniteurs s’effectuent directement sur de petits biplaces spécialement conçus pour l’apprentissage. L’élève Grandbesançon se souvient :
“Les avions sur lesquels j’ai appris à piloter étaient de vieux coucous, même pour l’époque. Le premier, le Morane- Saulnier MS.138, dérivait à peine du type qui, à la fin de la guerre de 1914-1918, avait permis à nos grands as de remporter tant de victoires. Il avait la particularité d’avoir un moteur rotatif qu’on ne pouvait ralentir qu’en coupant le contact, ce qui permettait de faire de magnifiques atterrissages en vol plané et de se poser en silence dans ces grandes prairies du Berry qui nous servaient de pistes d’entraînement. Malheur alors aux compagnies de perdreaux que surprenaient les haubans ou l’empennage !”
Conçu à partir du MS. 35 type AR datant de la Première Guerre mondiale (lire Le Fana de l’Aviation n° 606), le Morane 138 était en service à Avord depuis 1929 et constituait l’essentiel du parc des “avions de début”. Sans vice rédhibitoire mais “chatouilleux” aux réactions innombrables, il est équipé du vieux Rhône 9C rotatif de 80 ch permettant une vitesse maximale de 170 km/h et dont l’absence de réglage de puissance (pas de carburateur) rend l’atterrissage moteur coupé quasiment obligatoire. Au décollage, en virage et lors de brusques changements d’altitude, il demande un “pilotage en force” et une franche anticipation aux commandes pour contrer l’important effet de couple du lourd propulseur en rotation.
Monter, virer, toujours virer… bille au milieu
L’élève Grandbesançon note : “Le MS.138 est têtu comme une bourrique. Il ne pardonne rien. En particulier si un virage n’est pas exécuté avec la coordination précise du palonnier et du manche, il vibre mais refuse d’obéir. Sa formule à ailes hautes en fait un monoplan de type “Parasol” car doté de haubans nombreux par- dessus et par- dessous ses plans”. Le MS.138 offre à son pilote une bonne visibilité vers le bas et certains pilotes chevronnés savent en tirer parti : “Mon moniteur a besoin de gibier pour recevoir des amis dans quelques jours. Il m’emmène sur une des nombreuses pistes de dégagement dans ces plaines du Berry très giboyeuses. Il descend doucement, coupe le contact pour que l’atterrissage soit silencieux et pose l’avion dans un grand envol de perdreaux dont certains se prennent dans ces fameux haubans et retombent assommés. Il n’y a plus qu’à les ramasser et décoller…”
Après le “dégrossissage” sur MS.138, les stagiaires découvrent une nouvelle machine, le MS.315, un autre “Parasol” du même constructeur, plus récent, plus fiable et surtout plus puissant avec son moteur
Salmson 9Nc de 135 ch sur lequel on peut enfin réduire les gaz ! Les tours de piste s’enchaînent en double commande : monter, virer, toujours virer, mais “bille” au milieu… On ne compte pas en heures mais en “tours”. Les chevaux de bois et les mises en pylône ne sont pas rares. En vol, les jeunes pilotes apprennent à se sortir d’un décrochage, d’une vrille, causes fréquente de la plupart des accidents graves, car il est rare de monter à plus de 800 m dans ce paysage sans hauts-reliefs. Les instructeurs sont craints et souvent redoutés. Ce sont pour la plupart de vieux “chibanis” qui excellent dans l’art du pilotage, connaissent chaque recoin, chaque repère de terrain autour de la base mais se montrent moins à l’aise “au-delà de l’horizon”. Les semaines passent, les mêmes manoeuvres se répètent inlassablement. Et, un beau matin…
Seul aux commandes
“Nous venons de nous poser, une fois de plus. Paisiblement mon moniteur, le sergent Gratteloup qui, en temps normal, occupe la place devant moi, déboucle le portemousqueton de son parachute, les sangles de son harnais et commence à descendre de la carlingue, moteur tournant. Il me dit simplement :
– Allez- y! Et j’y vais…”
Instants inoubliables, sentiment encore inconnu de liberté dans un avion devenu si léger, si prompt à s’envoler, si long à se poser… Le tout ne dure que quelques minutes, le temps d’un tour de terrain, d’un dernier virage et d’un retour sans casse. Affaire conclue ! Enthousiaste,housiaste, le jour même Pierre écritrit à sa mère : “lundi 27 mai 1935.935. J’ai été lâché ce matin,n, le premier de ma brigade, le deuxième de ma promotion de 50 élèves pilotes que nous formons ici. Je ne sais pas si tu te représentes ce que celaa signifie pour moi. Breff ! Dire que je suis ravi estst en dessous de la vérité. La pre-première fois que j’ai vu la placel videid dud moniteur, je t’assure que cela m’a fait quelque chose”. Le soir, au mess, ses camarades lui font honneur en parodiant le célèbre refrain du Grand méchant loup : “Grandbesançon is the Gratteloup’s crack, Gratteloup’s crack, Gratteloup’s crack… Grandbesançon is the Gratteloup’s crack, crack crack crack crack crack !”
L’ensemble du groupe est lâché en deux semaines après 100 ou 120 tours de doubles commandes et entre 10 ou 12 heures de vol, en fonction des progrès de chacun (4). Ce premier cap franchi, les élèves abandonnent sans regret le MS.315 au profit d’un autre Morane, le MS. 230, un véritable pur- sang comparé au précédent. Monoplan à aile “Parasol”, équipé d’un Salmson 9AB de 230 ch, il vole à 200 km/h, monte à pluplus de 4 000 m et s’avère aussi robuste et maniable mani que la plupart par des chasseurs de l’époque.
Une minute d’humilité
D’abord avec momoniteurs puis en solosolo, le s/ lt Grandbesanbesançon s’initie à l’acrobatie aérienne, au vol en patrouille,ill à lla navigation et aux rudiments du pilotage sans visibilité (PSV). “Sur le Morane 230 nous passions notre brevet de pilote. Les épreuves consistaient à faire des exercices d’atterrissage, des vols d’endurance, un voyage sur le parcours Avord-Tours- Châteauroux. Il était à peu près impossible de se perdre sur cet itinéraire jalonné par le Cher et de magnifiques châteaux. Pourtant, lors du stage précédent, un élève-pilote s’était égaré et posé dans la nature, ayant confondu le compas et l’aiguille de la jauge du réservoir !”
Il prend goût à la voltige, aux heures passées à virevolter dans le ciel. Au point sans doute de relâcher son attention en finale sur l’un des terrains de desserrement. Il raconte : “Quelques jours avant les ultimes épreuves, j’ai commis une étour
derie qui s’est terminée beaucoup plus mal pour l’avion que pour moimême. J’avais bien regardé à droite et à gauche en atterrissant, mais j’avais oublié de regarder le grand méchant arbre qui était devant moi. Préoccupé de regarder à gauche – ce qui était habituel car on se posait après un léger virage vers la gauche – j’en avais oublié de regarder juste en face ! Et le Morane 230 a percuté l’arbre dont le tronc a cassé net, exactement dans l’axe du moteur. Il a été arraché, l’avant du fuselage a été enfoncé et l’avion s’est vomi sans pivoter, sans se venger sur moi en me laissant au milieu de débris déplaisants. Mes larges sangles d’épaules et de cuisses ont cassé net, ce qui a limité les dégâts. De la coupure de ma langue et de mes plaies aux genoux, il ne restait rien au bout de quelques jours. Il y avait bien aussi quelques vertèbres abîmées, mais on ne s’en apercevrait que 30 ans plus tard… Je suis resté quelque temps en observation puis est arrivée l’interview classique qui suit un accident sérieux pouvant troubler le psychisme d’un jeune pilote et dont le but est de l’aiguiller éventuellement vers une autre voie :
“Vous ressentez-vous de votre choc ? Avez-vous envie de voler de nouveau ? etc.
– Je compte revoler demain et j’ai toujours la ferme intention de devenir pilote de chasse !”
Pilote de chasse ! Le rêve, le Saint- Graal… Seuls les meilleurs peuvent y prétendre. Pas plus de 15 % à 17 % sont sélectionnés dans chaque promotion pour cette aviation qualifiée à l’époque de “légère”. Pour les autres ce sera “l’aviation lourde” (bombardement, reconnaissance, transport de troupes) ou de coopération terrestre (observation, travail aérien).
Les ailes et le brevet
Le stage d’Avord opère un premier tri. Mais il faut au préalable décrocher le brevet de pilote militaire. Les ultimes épreuves commencent en juillet et s’achèvent, en présence de tous, par des présentations en vol individuelles. Certaines figures sont éliminatoires : gare à ne pas rater le huit paresseux à altitude constante ou la spirale officielle, pas trop serrée… Le 25 juillet 1935, le s/lt Pierre Grandbesançon est officiellement breveté pilote militaire (n° 24600). Le classement est honorable mais sans affectation directe dans la chasse. Sur les 46 élèves de la promotion, brevetés entre le 19 juillet et le 20 août, seul le s/lt Roger Trouillard (brevet n° 24617) semble avoir eu ce privilège (5). Pour les autres, la décision officielle attendra… Les dernières se- maines passées à Avord sont moins ns studieuses que e les précédentes. s. Le soir, c’est quarartier libre, mais la journée, brevet en poche, les vols de perfectionnement ent se poupoursuivent. Non sans risque… risque Grandbesançon en témtémoigne : “Vous n’aurez jamais le droitdr de transformer une erreur en faute…” Le cchef de notre groupe d’ind’instruction, le lieutentenant Chainat, nous réprépète ce percept, qu’il n’a certes pas inventé, maisma qui a été terriblementm d’actualité en ce jour d’août 1935. Chainat, à la figure tannéea par 20 ans de volv sur des avions anciens,ancien beaucoup sans
pare-brise, nous a réunis sur la piste d’Avord autour de son avion au fuselage barré en diagonale d’une bande tricolore sur laquelle se détachait la Cigogne de la fameuse escadrille de Guynemer, dont il fut l’équipier durant la guerre. Il avait partagé beaucoup de ses combats, certaines de ses victoires et une partie de sa gloire. Nous écoutions en silence les conseils qu’il nous donnait de sa voix lente et rocailleuse d’auvergnat aimant les phrases simples :
“Sinon, ce sera la boîte et les quatre cierges autour.”
La veille, nous avions veillé le corps d’un camarade qui, en prise de terrain, avait trop serré un virage près du sol.”
Un hiver versaillais
À l’automne 1935, ce n’est pas de gaîté de coeur que la promotion retrouve Versailles pour y parfaire sa formation au sol et façonner son statut d’officier. Aux “coquettes chambres à trois lits et lavabos” de l’EMAA, Pierre a cette fois préféré la location d’un meublé en ville. Car la place commence à manquer aux Petites Écuries avec l’arrivée en octobre de la première promotion de l’École de l’air (lire encadré page 66). L’École militaire et d’application de l’armée de l’Air a vécu… Pour autant, rien ou presque n’a changé.
“Le Breguet a pris de la vitesse sans personne à bord, en sautillant d’une roue sur l’autre ”
La journée, les cours sont d’une extrême diversité et sans grande homogénéité. On y étudie pêle-mêle “le manuel du gradé”, les langues étrangères, la géographie, la mécanique, la doctrine d’emploi des différentes subdivisions de l’aviation mais aussi celles des troupes de Terre et de Mer pour lesquels la majorité des futurs officiers-aviateurs seront appelés à travailler. Cette orientation doctrinale est le reflet du douloureux compromis qui divise l’armée de l’Air en deux ensembles distincts, sans unité de commandement : une aviation dite “réservée” et une aviation dite de “coopération”. Seule entité réellement indépendante, l’aviation “réservée” est placée sous l’autorité d’un officier général de l’armée de l’Air avec quelques unités de chasse et la majorité des bombardiers lourds à vocation “stratégique”. L’aviation de “coopération”, qui regroupe la majorité des moyens aériens, dépend de l’autorité suprême de l’armée de Terre à laquelle son emploi est subordonné. Cette organisation fait de l’armée de l’Air une force mise majoritairement ment et prioritairement ent au service des s grandes unités terrestres. En conséquence, un bon officier- aviateur doit non seule- ment connaître à fond son matériel, iel, ses équipements,ts, leur DR préparation et leur utilisation, ili i mais également son rôle de chef et de meneur d’hommes dans une guerre aéroterrestre…
La complainte du vieux Breguet
Entre deux cours, les élèves guettent l’éclaircie salvatrice qui leur ouvrira à nouveau le ciel. Direction Villacoublay. Les jours de chance on vole en MS.230 et, plus souvent, en Potez 25, Breguet 19 ou LeO.20 pour ne pas perdre la main et s’entraîner toujours et encore à la navigation et à l’observation aérienne. Mais sur ce terrain encombré, “véritable pot de chambre météorologique” (Henri Jean, promotion 1935), où stationne également la 1re escadre de chasse, les quelques heures glanées en hiver sont peu de chose comparé au temps passé en séances de “biffe” à faire des demi-tours à droite et des “sections halte” devant les hangars dans l’attente d’une “trouée” ou d’une piste dégagée. Tous attendent avec impatience l’arrivée du printemps et la fin de ces quatre interminables mois versaillais… C’est sans doute durant cette période – plutôt déprimante – que se situe l’anecdote du vieux Breguet : “AujourdAujourd’hui,h un vieux Breguet 19 a déciddécidé de finir ses jours plus vite. Il était si fatigué d’une car carrière aussi longue et d’a d’avoir, à la fin, à supporter te la maladresse de certains ta jeunes au moment de d l’atterrissage ! Les avions av tournent inlassablement. sa Ils se posent fréquemment. fréq Les élèves se relaient relaie à leurs commandes et le changementchang se fait moteur au ralentili maisi non coupé. La manette des gaz du Breguet, particulièrement fourbu et qui tremble comme un vieux cheval, s’est mise à gigoter au moment où le pilote descendant était à terre et le pilote suivant n’était pas encore monté. Le Breguet s’est mis à accélérer, a pris de la vitesse sans personne à bord, en sautillant d’une roue sur l’autre, en zigzaguant dans tous les sens mais sans vouloir décoller. Nous nous sommes tous égaillés dans la nature comme une volée de moineaux et le bon vieil avion a fini par se mettre en pylône ! Quitte à aller à la réforme, qui était proche, il a préféré mourir seul…”
Stage de tir à Cazaux
En avril 1936, les officiers-élèves font à nouveau leurs paquetages pour rejoindre le Centre d’études pratiques de bombardement et de tir de Cazaux, en Gironde, et son “annexe” de Teynac, future Bordeaux