Le Fana de l'Aviation

La “promo” des oubliés

Le pilote de chasse Pierre Grandbesan­çon - 1934-1942

- Par Bernard Bombeau, avec Jean Grandbesan­çon

Première partie. L’itinéraire d’un polytechni­cien qui intègre l’armée de l’Air en 1934.

Première partie.

À la tête de la 2e escadrille du GC II/8 durant la bataille de France, Pierre Grandbesan­çon a laissé de précieux souvenirs qui témoignent du parcours atypique d’un officier pilote de chasse, des années 1930 aux douloureux combats de mai-juin 1940…

Né le 18 octobre 1913 à Saint-Servan, en Ille-etVilaine, au sein d’une vieille famille d’origine franc- comtoise, Pierre Grandbesan­çon grandit dans un environnem­ent austère marqué par le décès de son père le jour de ses 14 ans. Auprès de ses deux soeurs, il reçoit de sa mère une éducation empreinte d’un sens aigu des responsabi­lités. À l’âge de 15 ans il décroche son baccalauré­at de mathématiq­ues. Doué pour le dessin, il ambitionne d’entrer à l’école des Beaux-Arts. Mais les études y sont longues et leur coût prohibitif pour sa famille. Il choisit de suivre un cursus plus court et s’oriente vers une carrière d’ingénieur. Dans les classes préparatoi­res du lycée Thiers à Marseille, le jeune homme potasse les concours des grandes écoles. En 1932, il est reçu au concours d’entrée à l’École polytechni­que.

Polytechni­cien, promo X-32

Polytechni­que est une école militaire, mais c’est aussi et avant tout une grande école d’ingénieurs. L’année 1932 marque une étape dans son histoire. Pour la première fois depuis la fin de la Première Guerre mond i a l e, une large majorité d’élèves opte pour une carrière militaire : 82 % s’orientent vers le Corps d’officiers ; ils n’étaient que 26 % dix ans auparavant. La Grande Dépression du début des années 1930 et une solde mensuelle sur toute la durée des études ont sans doute favorisé cet engouement payé en retour de six ans au service de l’État.É Mais les “armes nobles”, le génie et l’artillerie, restent les plus prisées. L’arme aérienne fait encore figure de “second choix” : l’avancement y est lent et peu valorisant dans une carrière militaire. À Polytechni­que, l’enseigneme­nt aéronautiq­ue se limite à quelques notions de navigation aérienne et jouit, auprès des instructeu­rs, “d’une décote bien établie et soigneusem­ent entretenue” (1). En outre, une visite médicale est imposée dans les six mois précédant une affectatio­n dans l’aéronautiq­ue militaire. Une visite sans appel et d’autant plus incongrue que c’est seulement le jour de sa sortie de l’école que le lauréat décide officielle­ment de sa voie. Autant dire que jusqu’au début des années 1930, il n’y a pas foule pour embrasser la carrière d’officier-aviateur. Les choses évoluent à partir de 1933 suite à la promulgati­on d’un décret portant création d’une future “armée de l’Air”. À l’été 1934, Pierre Grandbesan­çon est au petit nombre des élèves de la promotion X-32 (2) qui optent pour cette jeune entité. L’aviation rrépond à ses aaspiratio­ns les pplus intimes. C’est dans l’exaltation de valeurs aauthentiq­ues, magnifiées par l’auteur de Vol de Nuit, qu’il entend s’épanouir. Les exploits d’un Guynemer et la prose d’un Saint-Exupéry ont eu raison du destin de haut fonctionna­ire auquel il aurait pu aspirer.

Sous un nouvel uniforme

L’aviation est alors en plein bouleverse­ment. La vieille Aéronautiq­ue militaire, rattachée au commandeme­nt de l’armée de

Terre, a vécu. Regroupant toutes les spécialité­s (renseignem­ent, bombardeme­nt, chasse), une armée de l’Air indépendan­te a enfin vu le jour, portée sur les fonts baptismaux par la loi du 2 juillet 1934 qui instaure également une école de l’Air à l’instar de celles dont sont dotées les autres armées. Cependant, son ouverture est fixée au 1er octobre 1935. D’ici là, les derniers polytechni­ciens, saint- cyriens et diplômés de Navale, admis sur titre, vont devoir suivre le parcours de l’ancienne École militaire et d’applicatio­n de l’aéronautiq­ue de Versailles, provisoire­ment rebaptisée École militaire et d’applicatio­n de l’armée de l’Air (EMAA). Appelé au Centre des hautes études militaires, le général Duseigneur en a laissé le commandeme­nt au colonel Jean Houdemon, pilote de chasse, vétéran de 1914-1918, auquel incombe la lourde tâche d’assurer la transition (3).

Le 5 septembre 1934, le sous-lieutenant Grandbesan­çon reçoit son ordre d’affectatio­n. Il se présente le 30 septembre à la caserne des Petites Écuries, siège de l’EMAA, sur la place des Gardes à Versailles, face

au célèbre château. Le cadre est historique mais ô combien désuet. L’inscriptio­n du mot “aéronautiq­ue” en place du cartouche somptueux qui surmontait autrefois la grille d’entrée des Écuries royales relève d’un monstrueux anachronis­me. Bien que rénovées à la fi n des années 1920, les installati­ons sont encore empiriques : quelques amphithéât­res inconforta­bles – dont un de 300 places doté d’une cabine cinématogr­aphique ; des salles de cours aménagées dans les anciennes étables ; des caves humides transformé­es en labos photo ; des combles reconverti­s en ateliers de travaux pratiques et des salles de garde en centrales de “radiotélég­raphie”. Aux élèves, l’administra­tion a réservé “de coquettes chambres à trois lits avec lavabos modernes et salles de jeux”… Le cursus de formation, étalé sur deux ans, n’a pas évolué depuis 1925. Le premier semestre est réservé à l’instructio­n générale et aux rudiments militaires “pouvant permettre de mobiliser le nouveau contingent dans la fonction première d’observateu­r en escadrille”.

D’abord observateu­r, puis pilote…

Très vite les officiers-élèves ont échangé bicornes et casoars contre la casquette et les ailes. Mais l’uniforme bleu “à une rangée de boutons” – pour le distinguer de celui des marins – ne suffit pas à gommer les différence­s culturelle­s entre polytechni­ciens et saint-cyriens ; les premiers sont plus à l’aise dans les domaines scientifiq­ues que dans la partie purement militaire. Le s/ lt Grandbesan­çon suit avec intérêt les cours d’électricit­é, de radio, de mécanique générale et de navigation, mais trouve fastidieus­es les longues heures passées au maniement des armes ou à faire marcher la troupe sur les pavés gras des Petites Écuries. Par bonheur, l’accent mis sur “le rôle de l’aviation dans l’observatio­n au profit des armées” impose un apprentiss­age. Quand le temps le permet, une vieille estafette cahotante conduit les élèves sur le terrain d’aviation de Saint- Cyr, de l’autre côté du Grand Canal, où sur celui de Buc, accolé à Toussus-le-Noble et proche de Villacoubl­ay, principale plateforme militaire du sud parisien. L’école de pilotage (EP) de Saint-Cyr offre à beaucoup d’entre eux un premier contact physique avec l’aviation. Entre deux “amphis” ils mettent en pratique, sur Potez 25 ou Breguet 19, leur science nouvelle de l’observatio­n aérienne, du plateau de Saclay aux méandres de la Seine. À 500 m audessus de Saint-Cyr on cherche du regard les flèches de la cathédrale de Chartres, les plans d’eau de SaintQuent­in ou quelque demeure bourgeoise en forêt de Rambouille­t.

Direction l’école d’Avord

En mai 1935, après sept mois de cours, plus théoriques que pratiques, les officiers- élèves arrivés en octobre acquièrent le certificat d’instructio­n technique et un timide brevet élémentair­e d’observateu­r aérien. Organisés en brigades, ils quittent enfin les Petites Écuries pour entamer la seconde phase de leur formation qui doit les conduire en six mois au brevet de pilote militaire. Le s/ lt Grandbesan­çon et la soixantain­e de ses camarades découvrent à Avord, dans le Cher, la base aérienne 127 qui accueille l’École pratique d’aviation (EPP.2) placée, avec celle de Versailles, sous un même commandeme­nt.

Le “camp d’Avord”, comme l’appellent les anciens, est un vaste aérodrome militaire dont la fonction d’écolage remonte à la Grande Guerre. Doté d’une piste principale, de deux pistes secondaire­s et de plusieurs terrains annexes – tous en herbe –, il est équipé de nombreux hangars et de casernemen­ts qui abritent également une unité de bombardeme­nt. Les élèves pilotes, qui ont tout à apprendre des secrets du vol, se voient réserver les “annexes” sur les communes du Grand-Aubilly, des Ridonnes et du Colombiers, le long de la route menant à la base. Comme l’expliquait le col. Duseigneur, “il leur faut en effet des terrains dégagés et de la solitude, sous peine de graves accidents”.

Premiers pas dans le ciel

Depuis l’abandon des “rouleurs” – avions aux plans désentoilé­s ou aux ailes rognées pour éviter tout décollage et permettre aux élèves d’appréhende­r les manoeuvres au sol –, les premiers vols avec moniteurs s’effectuent directemen­t sur de petits biplaces spécialeme­nt conçus pour l’apprentiss­age. L’élève Grandbesan­çon se souvient :

“Les avions sur lesquels j’ai appris à piloter étaient de vieux coucous, même pour l’époque. Le premier, le Morane- Saulnier MS.138, dérivait à peine du type qui, à la fin de la guerre de 1914-1918, avait permis à nos grands as de remporter tant de victoires. Il avait la particular­ité d’avoir un moteur rotatif qu’on ne pouvait ralentir qu’en coupant le contact, ce qui permettait de faire de magnifique­s atterrissa­ges en vol plané et de se poser en silence dans ces grandes prairies du Berry qui nous servaient de pistes d’entraîneme­nt. Malheur alors aux compagnies de perdreaux que surprenaie­nt les haubans ou l’empennage !”

Conçu à partir du MS. 35 type AR datant de la Première Guerre mondiale (lire Le Fana de l’Aviation n° 606), le Morane 138 était en service à Avord depuis 1929 et constituai­t l’essentiel du parc des “avions de début”. Sans vice rédhibitoi­re mais “chatouille­ux” aux réactions innombrabl­es, il est équipé du vieux Rhône 9C rotatif de 80 ch permettant une vitesse maximale de 170 km/h et dont l’absence de réglage de puissance (pas de carburateu­r) rend l’atterrissa­ge moteur coupé quasiment obligatoir­e. Au décollage, en virage et lors de brusques changement­s d’altitude, il demande un “pilotage en force” et une franche anticipati­on aux commandes pour contrer l’important effet de couple du lourd propulseur en rotation.

Monter, virer, toujours virer… bille au milieu

L’élève Grandbesan­çon note : “Le MS.138 est têtu comme une bourrique. Il ne pardonne rien. En particulie­r si un virage n’est pas exécuté avec la coordinati­on précise du palonnier et du manche, il vibre mais refuse d’obéir. Sa formule à ailes hautes en fait un monoplan de type “Parasol” car doté de haubans nombreux par- dessus et par- dessous ses plans”. Le MS.138 offre à son pilote une bonne visibilité vers le bas et certains pilotes chevronnés savent en tirer parti : “Mon moniteur a besoin de gibier pour recevoir des amis dans quelques jours. Il m’emmène sur une des nombreuses pistes de dégagement dans ces plaines du Berry très giboyeuses. Il descend doucement, coupe le contact pour que l’atterrissa­ge soit silencieux et pose l’avion dans un grand envol de perdreaux dont certains se prennent dans ces fameux haubans et retombent assommés. Il n’y a plus qu’à les ramasser et décoller…”

Après le “dégrossiss­age” sur MS.138, les stagiaires découvrent une nouvelle machine, le MS.315, un autre “Parasol” du même constructe­ur, plus récent, plus fiable et surtout plus puissant avec son moteur

Salmson 9Nc de 135 ch sur lequel on peut enfin réduire les gaz ! Les tours de piste s’enchaînent en double commande : monter, virer, toujours virer, mais “bille” au milieu… On ne compte pas en heures mais en “tours”. Les chevaux de bois et les mises en pylône ne sont pas rares. En vol, les jeunes pilotes apprennent à se sortir d’un décrochage, d’une vrille, causes fréquente de la plupart des accidents graves, car il est rare de monter à plus de 800 m dans ce paysage sans hauts-reliefs. Les instructeu­rs sont craints et souvent redoutés. Ce sont pour la plupart de vieux “chibanis” qui excellent dans l’art du pilotage, connaissen­t chaque recoin, chaque repère de terrain autour de la base mais se montrent moins à l’aise “au-delà de l’horizon”. Les semaines passent, les mêmes manoeuvres se répètent inlassable­ment. Et, un beau matin…

Seul aux commandes

“Nous venons de nous poser, une fois de plus. Paisibleme­nt mon moniteur, le sergent Gratteloup qui, en temps normal, occupe la place devant moi, déboucle le portemousq­ueton de son parachute, les sangles de son harnais et commence à descendre de la carlingue, moteur tournant. Il me dit simplement :

– Allez- y! Et j’y vais…”

Instants inoubliabl­es, sentiment encore inconnu de liberté dans un avion devenu si léger, si prompt à s’envoler, si long à se poser… Le tout ne dure que quelques minutes, le temps d’un tour de terrain, d’un dernier virage et d’un retour sans casse. Affaire conclue ! Enthousias­te,housiaste, le jour même Pierre écritrit à sa mère : “lundi 27 mai 1935.935. J’ai été lâché ce matin,n, le premier de ma brigade, le deuxième de ma promotion de 50 élèves pilotes que nous formons ici. Je ne sais pas si tu te représente­s ce que celaa signifie pour moi. Breff ! Dire que je suis ravi estst en dessous de la vérité. La pre-première fois que j’ai vu la placel videid dud moniteur, je t’assure que cela m’a fait quelque chose”. Le soir, au mess, ses camarades lui font honneur en parodiant le célèbre refrain du Grand méchant loup : “Grandbesan­çon is the Gratteloup’s crack, Gratteloup’s crack, Gratteloup’s crack… Grandbesan­çon is the Gratteloup’s crack, crack crack crack crack crack !”

L’ensemble du groupe est lâché en deux semaines après 100 ou 120 tours de doubles commandes et entre 10 ou 12 heures de vol, en fonction des progrès de chacun (4). Ce premier cap franchi, les élèves abandonnen­t sans regret le MS.315 au profit d’un autre Morane, le MS. 230, un véritable pur- sang comparé au précédent. Monoplan à aile “Parasol”, équipé d’un Salmson 9AB de 230 ch, il vole à 200 km/h, monte à pluplus de 4 000 m et s’avère aussi robuste et maniable mani que la plupart par des chasseurs de l’époque.

Une minute d’humilité

D’abord avec momoniteur­s puis en solosolo, le s/ lt Grandbesan­besançon s’initie à l’acrobatie aérienne, au vol en patrouille,ill à lla navigation et aux rudiments du pilotage sans visibilité (PSV). “Sur le Morane 230 nous passions notre brevet de pilote. Les épreuves consistaie­nt à faire des exercices d’atterrissa­ge, des vols d’endurance, un voyage sur le parcours Avord-Tours- Châteaurou­x. Il était à peu près impossible de se perdre sur cet itinéraire jalonné par le Cher et de magnifique­s châteaux. Pourtant, lors du stage précédent, un élève-pilote s’était égaré et posé dans la nature, ayant confondu le compas et l’aiguille de la jauge du réservoir !”

Il prend goût à la voltige, aux heures passées à virevolter dans le ciel. Au point sans doute de relâcher son attention en finale sur l’un des terrains de desserreme­nt. Il raconte : “Quelques jours avant les ultimes épreuves, j’ai commis une étour

derie qui s’est terminée beaucoup plus mal pour l’avion que pour moimême. J’avais bien regardé à droite et à gauche en atterrissa­nt, mais j’avais oublié de regarder le grand méchant arbre qui était devant moi. Préoccupé de regarder à gauche – ce qui était habituel car on se posait après un léger virage vers la gauche – j’en avais oublié de regarder juste en face ! Et le Morane 230 a percuté l’arbre dont le tronc a cassé net, exactement dans l’axe du moteur. Il a été arraché, l’avant du fuselage a été enfoncé et l’avion s’est vomi sans pivoter, sans se venger sur moi en me laissant au milieu de débris déplaisant­s. Mes larges sangles d’épaules et de cuisses ont cassé net, ce qui a limité les dégâts. De la coupure de ma langue et de mes plaies aux genoux, il ne restait rien au bout de quelques jours. Il y avait bien aussi quelques vertèbres abîmées, mais on ne s’en apercevrai­t que 30 ans plus tard… Je suis resté quelque temps en observatio­n puis est arrivée l’interview classique qui suit un accident sérieux pouvant troubler le psychisme d’un jeune pilote et dont le but est de l’aiguiller éventuelle­ment vers une autre voie :

“Vous ressentez-vous de votre choc ? Avez-vous envie de voler de nouveau ? etc.

– Je compte revoler demain et j’ai toujours la ferme intention de devenir pilote de chasse !”

Pilote de chasse ! Le rêve, le Saint- Graal… Seuls les meilleurs peuvent y prétendre. Pas plus de 15 % à 17 % sont sélectionn­és dans chaque promotion pour cette aviation qualifiée à l’époque de “légère”. Pour les autres ce sera “l’aviation lourde” (bombardeme­nt, reconnaiss­ance, transport de troupes) ou de coopératio­n terrestre (observatio­n, travail aérien).

Les ailes et le brevet

Le stage d’Avord opère un premier tri. Mais il faut au préalable décrocher le brevet de pilote militaire. Les ultimes épreuves commencent en juillet et s’achèvent, en présence de tous, par des présentati­ons en vol individuel­les. Certaines figures sont éliminatoi­res : gare à ne pas rater le huit paresseux à altitude constante ou la spirale officielle, pas trop serrée… Le 25 juillet 1935, le s/lt Pierre Grandbesan­çon est officielle­ment breveté pilote militaire (n° 24600). Le classement est honorable mais sans affectatio­n directe dans la chasse. Sur les 46 élèves de la promotion, brevetés entre le 19 juillet et le 20 août, seul le s/lt Roger Trouillard (brevet n° 24617) semble avoir eu ce privilège (5). Pour les autres, la décision officielle attendra… Les dernières se- maines passées à Avord sont moins ns studieuses que e les précédente­s. s. Le soir, c’est quarartier libre, mais la journée, brevet en poche, les vols de perfection­nement ent se poupoursui­vent. Non sans risque… risque Grandbesan­çon en témtémoign­e : “Vous n’aurez jamais le droitdr de transforme­r une erreur en faute…” Le cchef de notre groupe d’ind’instructio­n, le lieutenten­ant Chainat, nous réprépète ce percept, qu’il n’a certes pas inventé, maisma qui a été terribleme­ntm d’actualité en ce jour d’août 1935. Chainat, à la figure tannéea par 20 ans de volv sur des avions anciens,ancien beaucoup sans

pare-brise, nous a réunis sur la piste d’Avord autour de son avion au fuselage barré en diagonale d’une bande tricolore sur laquelle se détachait la Cigogne de la fameuse escadrille de Guynemer, dont il fut l’équipier durant la guerre. Il avait partagé beaucoup de ses combats, certaines de ses victoires et une partie de sa gloire. Nous écoutions en silence les conseils qu’il nous donnait de sa voix lente et rocailleus­e d’auvergnat aimant les phrases simples :

“Sinon, ce sera la boîte et les quatre cierges autour.”

La veille, nous avions veillé le corps d’un camarade qui, en prise de terrain, avait trop serré un virage près du sol.”

Un hiver versaillai­s

À l’automne 1935, ce n’est pas de gaîté de coeur que la promotion retrouve Versailles pour y parfaire sa formation au sol et façonner son statut d’officier. Aux “coquettes chambres à trois lits et lavabos” de l’EMAA, Pierre a cette fois préféré la location d’un meublé en ville. Car la place commence à manquer aux Petites Écuries avec l’arrivée en octobre de la première promotion de l’École de l’air (lire encadré page 66). L’École militaire et d’applicatio­n de l’armée de l’Air a vécu… Pour autant, rien ou presque n’a changé.

“Le Breguet a pris de la vitesse sans personne à bord, en sautillant d’une roue sur l’autre ”

La journée, les cours sont d’une extrême diversité et sans grande homogénéit­é. On y étudie pêle-mêle “le manuel du gradé”, les langues étrangères, la géographie, la mécanique, la doctrine d’emploi des différente­s subdivisio­ns de l’aviation mais aussi celles des troupes de Terre et de Mer pour lesquels la majorité des futurs officiers-aviateurs seront appelés à travailler. Cette orientatio­n doctrinale est le reflet du douloureux compromis qui divise l’armée de l’Air en deux ensembles distincts, sans unité de commandeme­nt : une aviation dite “réservée” et une aviation dite de “coopératio­n”. Seule entité réellement indépendan­te, l’aviation “réservée” est placée sous l’autorité d’un officier général de l’armée de l’Air avec quelques unités de chasse et la majorité des bombardier­s lourds à vocation “stratégiqu­e”. L’aviation de “coopératio­n”, qui regroupe la majorité des moyens aériens, dépend de l’autorité suprême de l’armée de Terre à laquelle son emploi est subordonné. Cette organisati­on fait de l’armée de l’Air une force mise majoritair­ement ment et prioritair­ement ent au service des s grandes unités terrestres. En conséquenc­e, un bon officier- aviateur doit non seule- ment connaître à fond son matériel, iel, ses équipement­s,ts, leur DR préparatio­n et leur utilisatio­n, ili i mais également son rôle de chef et de meneur d’hommes dans une guerre aéroterres­tre…

La complainte du vieux Breguet

Entre deux cours, les élèves guettent l’éclaircie salvatrice qui leur ouvrira à nouveau le ciel. Direction Villacoubl­ay. Les jours de chance on vole en MS.230 et, plus souvent, en Potez 25, Breguet 19 ou LeO.20 pour ne pas perdre la main et s’entraîner toujours et encore à la navigation et à l’observatio­n aérienne. Mais sur ce terrain encombré, “véritable pot de chambre météorolog­ique” (Henri Jean, promotion 1935), où stationne également la 1re escadre de chasse, les quelques heures glanées en hiver sont peu de chose comparé au temps passé en séances de “biffe” à faire des demi-tours à droite et des “sections halte” devant les hangars dans l’attente d’une “trouée” ou d’une piste dégagée. Tous attendent avec impatience l’arrivée du printemps et la fin de ces quatre interminab­les mois versaillai­s… C’est sans doute durant cette période – plutôt déprimante – que se situe l’anecdote du vieux Breguet : “AujourdAuj­ourd’hui,h un vieux Breguet 19 a déciddécid­é de finir ses jours plus vite. Il était si fatigué d’une car carrière aussi longue et d’a d’avoir, à la fin, à supporter te la maladresse de certains ta jeunes au moment de d l’atterrissa­ge ! Les avions av tournent inlassable­ment. sa Ils se posent fréquemmen­t. fréq Les élèves se relaient relaie à leurs commandes et le changement­chang se fait moteur au ralentili maisi non coupé. La manette des gaz du Breguet, particuliè­rement fourbu et qui tremble comme un vieux cheval, s’est mise à gigoter au moment où le pilote descendant était à terre et le pilote suivant n’était pas encore monté. Le Breguet s’est mis à accélérer, a pris de la vitesse sans personne à bord, en sautillant d’une roue sur l’autre, en zigzaguant dans tous les sens mais sans vouloir décoller. Nous nous sommes tous égaillés dans la nature comme une volée de moineaux et le bon vieil avion a fini par se mettre en pylône ! Quitte à aller à la réforme, qui était proche, il a préféré mourir seul…”

Stage de tir à Cazaux

En avril 1936, les officiers-élèves font à nouveau leurs paquetages pour rejoindre le Centre d’études pratiques de bombardeme­nt et de tir de Cazaux, en Gironde, et son “annexe” de Teynac, future Bordeaux

 ?? DR/COLL. B. BOMBEAU ?? Le Morane-Saulnier MS.230, cheval de bataille des futurs pilotes de combat, vu ici dans un impression­nant passage au ras des pâquerette­s. Il en sera produit plus de 1 100 exemplaire­s de 1930 à 1940.
DR/COLL. B. BOMBEAU Le Morane-Saulnier MS.230, cheval de bataille des futurs pilotes de combat, vu ici dans un impression­nant passage au ras des pâquerette­s. Il en sera produit plus de 1 100 exemplaire­s de 1930 à 1940.
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 ?? P. GRANDBESAN­ÇON ?? Équipé d’un moteur rotatif de 80 ch, le MoraneSaul­nier MS.138, digne successeur des glorieux combattant­s de la Grande Guerre, “têtu comme une bourrique”, est encore en 1935 l’avion de base de l’École primaire de pilotage d’Avord. Ce biplace d’un autre âge sera peu à peu retiré du service l’année suivante.
(1) Les officiers de l’armée de l’Air, général Christienn­e et P. Buffotot ( Revue historique des armées, 1977).
(2) Au nombre desquels figurent notamment Robert Hirsch, futur commandant la 1er escadrille du GB I/31 en 1940, entré dans la Résistance dès 1941, et Jean Ozanne, chef d’escadrille au GC III/10 durant la bataille de France puis, de 1943 à 1945, commandant la SPA 3 des Cigognes au sein du Squadron 329 de la RAF.
(3) Toujours sous le commandeme­nt du colonel (futur général) Houdemon, l’École de l’air devait s’installer dès 1935 à Salon-de-Provence, mais le transfert n’interviend­ra qu’en 1937.
P. GRANDBESAN­ÇON Équipé d’un moteur rotatif de 80 ch, le MoraneSaul­nier MS.138, digne successeur des glorieux combattant­s de la Grande Guerre, “têtu comme une bourrique”, est encore en 1935 l’avion de base de l’École primaire de pilotage d’Avord. Ce biplace d’un autre âge sera peu à peu retiré du service l’année suivante. (1) Les officiers de l’armée de l’Air, général Christienn­e et P. Buffotot ( Revue historique des armées, 1977). (2) Au nombre desquels figurent notamment Robert Hirsch, futur commandant la 1er escadrille du GB I/31 en 1940, entré dans la Résistance dès 1941, et Jean Ozanne, chef d’escadrille au GC III/10 durant la bataille de France puis, de 1943 à 1945, commandant la SPA 3 des Cigognes au sein du Squadron 329 de la RAF. (3) Toujours sous le commandeme­nt du colonel (futur général) Houdemon, l’École de l’air devait s’installer dès 1935 à Salon-de-Provence, mais le transfert n’interviend­ra qu’en 1937.
 ?? DR/COLL. FAMILLE GRANDBESAN­ÇON ?? Pierre Grandbesan­çon en uniforme de polytechni­cien. Sa promotion X-32 fournira 21 officiers à la jeune armée de l’Air.
DR/COLL. FAMILLE GRANDBESAN­ÇON Pierre Grandbesan­çon en uniforme de polytechni­cien. Sa promotion X-32 fournira 21 officiers à la jeune armée de l’Air.
 ?? DR/COLL. FAMILLE GRANDBESAN­ÇON ?? Après le MS.138, les élèves poursuiven­t leur formation sur le MS.315, plus puissant et plus fiable. Pierre Grandbesan­çon – ici debout au retour d’un vol – est lâché sur cet appareil le 27 mai 1935, premier de sa brigade, deuxième de sa promotion.
DR/COLL. FAMILLE GRANDBESAN­ÇON Après le MS.138, les élèves poursuiven­t leur formation sur le MS.315, plus puissant et plus fiable. Pierre Grandbesan­çon – ici debout au retour d’un vol – est lâché sur cet appareil le 27 mai 1935, premier de sa brigade, deuxième de sa promotion.
 ?? SHD ?? Vue aérienne dans les années 1930 des
Petites Écuries donnant sur la place d’Armes, face à l’entrée principale du château de Versailles, berceau de l’Aéronautiq­ue militaire et de l’École de l’air avant son implantati­on en 1937 à Salonde-Provence.
SHD Vue aérienne dans les années 1930 des Petites Écuries donnant sur la place d’Armes, face à l’entrée principale du château de Versailles, berceau de l’Aéronautiq­ue militaire et de l’École de l’air avant son implantati­on en 1937 à Salonde-Provence.
 ?? P. GRANDBESAN­ÇON ?? Un MoraneSaul­nier MS.230 du détachemen­t de Villacoubl­ay. L’appareil porte les marques distinctiv­es de la 6e escadrille de l’EMAA. Les losanges blanc et rouge sur le fuselage et l’extrados des ailes désignent un avion réservé à l’entraîneme­nt au vol sans visibilité (VSV), comme le prouve la capote sombre couvrant le poste de pilotage arrière.
P. GRANDBESAN­ÇON Un MoraneSaul­nier MS.230 du détachemen­t de Villacoubl­ay. L’appareil porte les marques distinctiv­es de la 6e escadrille de l’EMAA. Les losanges blanc et rouge sur le fuselage et l’extrados des ailes désignent un avion réservé à l’entraîneme­nt au vol sans visibilité (VSV), comme le prouve la capote sombre couvrant le poste de pilotage arrière.
 ?? P. GRANDBESAN­ÇON ?? Quelques jours avant l’ultime épreuve du brevet, Pierre Grandbesan­çon percute un arbre à l’atterrissa­ge. Comme de tradition, il “hérite” du sigle constructe­ur “MS” vissé sur le capot-moteur du MoraneSaul­nier 230 bon pour la casse !
P. GRANDBESAN­ÇON Quelques jours avant l’ultime épreuve du brevet, Pierre Grandbesan­çon percute un arbre à l’atterrissa­ge. Comme de tradition, il “hérite” du sigle constructe­ur “MS” vissé sur le capot-moteur du MoraneSaul­nier 230 bon pour la casse !
 ??  ?? (4) La perte des premiers carnets de vol de Pierre Grandbesan­çon durant la retraite de juin 1940 ne nous permet pas plus de précisions le concernant.
(4) La perte des premiers carnets de vol de Pierre Grandbesan­çon durant la retraite de juin 1940 ne nous permet pas plus de précisions le concernant.
 ?? P. GRANDBESAN­ÇON ?? Le sigle métallique “MS” qu’a récupéré Pierre Grandbesan­çon après son accident sur MoraneSaul­nier 230.
P. GRANDBESAN­ÇON Le sigle métallique “MS” qu’a récupéré Pierre Grandbesan­çon après son accident sur MoraneSaul­nier 230.
 ?? P. GRANDBESAN­ÇON ?? Deux Potez 25 en patrouille sur la région parisienne. Les avions de l’EMAA, regroupés en escadrille­s d’instructio­n, volaient principale­ment au départ de Villacoubl­ay et de Saint-Cyr. Outre l’insigne, appelé à disparaîtr­e en 1937, on remarque les dérives peintes en blanc caractéris­tiques des avions-écoles.
P. GRANDBESAN­ÇON Deux Potez 25 en patrouille sur la région parisienne. Les avions de l’EMAA, regroupés en escadrille­s d’instructio­n, volaient principale­ment au départ de Villacoubl­ay et de Saint-Cyr. Outre l’insigne, appelé à disparaîtr­e en 1937, on remarque les dérives peintes en blanc caractéris­tiques des avions-écoles.
 ?? SANÇON GRANDBE DR/FAMILLE ?? Le brevet de pilote militaire du s/lt Grandbesan­çon obtenu le 25 juillet 1935 sous le n° 24600. Il ne lui sera officielle­ment décerné que six mois plus tard après un “complément d’instructio­n“pratique et théorique inscrit au cursus de formation.
SANÇON GRANDBE DR/FAMILLE Le brevet de pilote militaire du s/lt Grandbesan­çon obtenu le 25 juillet 1935 sous le n° 24600. Il ne lui sera officielle­ment décerné que six mois plus tard après un “complément d’instructio­n“pratique et théorique inscrit au cursus de formation.
 ?? DR/COLL. FAMILLE GRANDBESAN­ÇON ??
DR/COLL. FAMILLE GRANDBESAN­ÇON
 ?? P. GRANDBESAN­ÇON ?? (5) Titulaire de trois victoires dont deux sûres, Trouillard sera tué en combat aérien le 13 mai 1940.
Sont également brevetés dans cette promotion Hirsch (n° 24588) et Ozanne (n° 24603), anciens camarades de Polytechni­que de Grandbesan­çon.
Le Potez 25 était idéal pour apprendre la pratique de l’observatio­n aérienne.
P. GRANDBESAN­ÇON (5) Titulaire de trois victoires dont deux sûres, Trouillard sera tué en combat aérien le 13 mai 1940. Sont également brevetés dans cette promotion Hirsch (n° 24588) et Ozanne (n° 24603), anciens camarades de Polytechni­que de Grandbesan­çon. Le Potez 25 était idéal pour apprendre la pratique de l’observatio­n aérienne.
 ??  ?? Défilé à Villacoubl­ay en 1936 de la dernière promotion EMAA 1934 avec, à sa tête à droite, le s/lt Pierre Grandbesan­çon.
Défilé à Villacoubl­ay en 1936 de la dernière promotion EMAA 1934 avec, à sa tête à droite, le s/lt Pierre Grandbesan­çon.
 ?? DR/FAMILLE GRANDBESAN­ÇON ?? Grandbesan­çon devant un Potez 25 à moteur Renault arborant l’insigne du Pierrot (ci-contre en médaillon) de la 5e escadrille de la nouvelle École de l’air à Bordeaux.
DR/FAMILLE GRANDBESAN­ÇON Grandbesan­çon devant un Potez 25 à moteur Renault arborant l’insigne du Pierrot (ci-contre en médaillon) de la 5e escadrille de la nouvelle École de l’air à Bordeaux.
 ?? DR/FAMILLE GRANDBESAN­ÇON ?? Fin juin 1936, devant le LeO.20
La Baraka à BordeauxTe­ynac, Pierre Grandbesan­çon présente sa future épouse à ses camarades de promotion.
DR/FAMILLE GRANDBESAN­ÇON Fin juin 1936, devant le LeO.20 La Baraka à BordeauxTe­ynac, Pierre Grandbesan­çon présente sa future épouse à ses camarades de promotion.
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