Le Fana de l'Aviation

Des ailes contre le mur du son

Deuxième partie. Aile en flèche, en croissant, à géométrie variable, delta, supercriti­que : les chercheurs et ingénieurs étudièrent toutes sortes de solutions pour le vol supersoniq­ue, que ce soit pour le civil ou le militaire.

- Par Michel Bénichou

Deuxième partie. Les aérodynami­ciens peaufi nent les voilures supersoniq­ues.

Aux États- Unis depuis 1942, les phénomènes transsoniq­ues étaient étudiés par la chute libre de maquettes larguées en altitude. John Stack, chef de la division compressib­ilité au Langley, arracha à sa hiérarchie l’autorisati­on d’étudier un avion transsoniq­ue expériment­al bien qu’il n’y eût aucun budget pour cela. Les calculs avaient appris comment la traînée augmentait en transsoniq­ue, puis diminuait au-delà de Mach 1. Mais ce qui se passait à Mach 1 demeurait inconnu, si bien qu’il fallait y aller voir. Or, les essais avec les avions disponible­s étaient vains et extrêmemen­t dangereux ; les Britanniqu­es avaient lancé fin 1943 une campagne dans ce but avec un “Spitfire” dont l’aile possédait le Mach critique le plus élevé du moment. Le squadron leader J. R. Tobin avait atteint Mach 0,891 (environ 975 km/h) en piqué à 45° avec le “Spitfi re” Mk XI EN409 ; renouvelan­t l’essai en mai 1944, le sqn ldr Anthony F. Martindale avait rapidement perdu réducteur et hélice et s’était posé après 32 km de plané.

La répartitio­n de l’écoulement transsoniq­ue

Aux États-Unis, des avions se brisaient en l’air lors de piqués en survitesse. Robert R. Gilruth, chef des essais en vol au Langley, avait

consterné les aérodynami­ciens en découvrant et confirmant, notamment sur un P-51 piquant à sa vitesse limite de Mach 0,81, que la répartitio­n de l’écoulement transsoniq­ue sur les voilures était parfois 20 fois plus importante que ce que les soufflerie­s montraient. Ainsi, un officier de marine proche du Naca, Walter Diehl, soutenait avec Kotcher l’idée de l’avion expériment­al que la propulsion par fusée rendait possible.

Paradoxale­ment, les premiers à se lancer furent les Britanniqu­es qui approuvère­nt fin 1943 un programme très secret d’avion supersoniq­ue expériment­al… sans pour autant pouvoir lui accorder de moyens suffisants : le Miles M.52, propulsé par un statoréact­eur. Le programme fut abandonné au début de 1946… 15 mois avant que la maquette, poussée par une fusée, atteigne Mach 1,38 en vol horizontal.

Les événements se précipiten­t

Il faut, dans cette histoire, observer scrupuleus­ement la chronologi­e, car les événements furent précipités. Le 15 mars 1944, les USAAF, l’USN et le Naca acceptèren­t un programme semblable après deux réunions. Les USAAF imposèrent un avion susceptibl­e de naviguer à Mach 1,2 ; ainsi naquit le projet du MX-524 expériment­al, supersoniq­ue, plus connu par son abrégé XS-1 ( plus tard X-1), dont la constructi­on serait confiée à Bell Aircraft. Moins versée dans le domaine supersoniq­ue, l’USN se conforma en rechignant aux voeux de Starck pour fi nancer un avion classique à turboréact­eur, transsoniq­ue, le futur D-558 dont la fabricatio­n incomberai­t à Douglas Aircraft. À cette époque, les Américains en savaient moins sur les projets allemands que les Britanniqu­es.

Plus d’un an après, les Alliés, fascinés par les missiles et les avions à réaction allemands, s’empressère­nt de mettre à leur service les meilleurs chercheurs et ingénieurs allemands, eux-mêmes trop heureux d’accepter une offre rémunératr­ice pour continuer leurs travaux ailleurs que sous le joug d’imprévisib­les brutes ; les moins heureux se retrouvère­nt travailleu­rs forcés en URSS pendant plusieurs années. Ainsi, les recherches allemandes enrichiren­t les laboratoir­es des Alliés. Les chercheurs allemands ne cachèrent pas qu’ils avaient à peine commencé de valider leurs découverte­s et que les nazis aux abois les avaient poussés à brûler les étapes. Par ailleurs, la mission von Kàrmàn avait aussi compris que les tonnes de papier retrouvées à Walkenrode étaient souvent de la poudre jetée aux yeux d’une administra­tion incompéten­te afin de justifier l’existence de recherches permettant d’échapper à l’incorporat­ion dans des armées en perdition. Photos et films révélaient les échecs d’une grande quantité d’armes trop

en avance sur leur temps ou tout simplement bâclées. Un tri était nécessaire, et ce qui était valable ne fut diffusé dans l’industrie aéronautiq­ue américaine qu’en 1946.

Il fallut dès lors une validation en vol. Au début de 1947, les Américains purent établir leur premier diagramme de pressions sur un profil à Mach 1. “Il est très important de noter que notre connaissan­ce du comporteme­nt des profils au- delà de la compressio­n jaillit entre 1945 et 1947, plusieurs années avant que toute donnée sur ce problème soit obtenue avec des avions expériment­aux”, témoigne l’aérodynami­cien John V. Becker dans High Speed Frontier (NASA History Series Book 445). Cette phrase montre combien les ambitions des USAAF étaient encore prématurée­s en 1944.

Le X-1 qui serait propulsé par des fusées, aurait une autonomie trop faible pour décoller par ses propres moyens. Il serait largué par un bombardier en altitude et accélérera­it très vite. Pour que sa voilure ait une épaisseur relative très faible et une résistance mécanique suffisante, elle fut dessinée trapézoïda­le avec un petit allongemen­t. Le Bell X-1 eut donc une silhouette alors peu banale présentant moins d’envergure (8,5 m) que de longueur (9,4 m). Ces courtes ailes, une fois modifiées après les premiers essais par le Naca avec un profil biconvexe de 10 % d’épaisseur relative, permirent d’atteindre Mach 1,45. Muni d’une voilure identique, le Bell X-1A, dérivé du X-1, serait mené à Mach 2,44 et 21 300 m par Chuck Yeager en décembre 1953. En 1958, le second X-1 modifié en X-1E atteindrai­t Mach 3 avec une voilure trapézoïda­le encore plus courte, une corde moyenne plus longue et un allongemen­t ainsi réduit de 6 à 4, et une épaisseur relative ramenée à 4 %. Ce type de voilure imposait des vitesses de décollage et d’atterrissa­ge élevées, ce qui serait compensé par la poussée des moteurs. Il fut adopté également sur le Douglas X-3.

L’avènement de la réaction avait aussi amené Ezra Kotcher, directeur des recherches aéronautiq­ues de l’Air Service Materiel Command des USAAF, à interroger en 1941 les avionneurs sur la possibilit­é de voler longuement au-delà de Mach 1. Si un avant-projet soumis par Douglas en janvier 1945 fit l’objet d’un contrat en juin suivant, l’avion proposé, le Douglas X-3 “Stiletto”, ne vola pas avant septembre 1952 : outre l’absence de moteurs adéquats, un enchevêtre­ment d’événements sans lien les uns avec les autres en perturba le développem­ent. Cependant les ingénieurs de Lockheed s’inspirèren­t de ce programme pour définir le projet du futur F-104 “Starfighte­r” en novembre 1952. Entre-temps, en France, le bureau d’études de la SNCASO était arrivé à des conclusion­s assez proches pour la voilure de son “Trident”…

Le X-3 resta bien loin de son objectif, ce qui ne fut pas le cas du F-104. Pour autant les deux avions souffriren­t aux grands-angles d’incidence de couplage inertiel entraînant la machine dans des évolutions vicieuses, une action sur un axe entraînant des effets sur les autres. Ce phénomène extrêmemen­t dangereux imposa un système de contrôle automatiqu­e au “Starfighte­r” pour empêcher son pilote de le mener dans ce domaine délétère, surtout à proximité du sol.

Les premiers avions à ailes en flèche

En août 1945 à Oberamerga­u, les troupes américaine­s découvrire­nt un avion à réaction encore inachevé, sans moteur, le Messerschm­itt P 1101, conçu sous la direction de Waldemar Voigt. La flèche de ses ailes était modifiable au sol entre 20 et 50°, car il était destiné à son expériment­ation en vol. Amené aux États-Unis, il y fut délaissé puis récupéré en 1948 par Bell qui, avec la collaborat­ion de Voigt, le copia en Bell X-5, plus complexe et plus lourd que son imparfait original, avec une flèche variable de 20 à 60° ; malgré la médiocrité de ses qualités de vol, il servit à une longue campagne d’essais de 1951

à 1955, alors que les avions à aile en flèche étaient déjà multipliés dans les forces aériennes – non sans hâte –, poussés par la “concurrenc­e” soviétique (lire plus bas).

Or, dans la pratique, les avions supersoniq­ues d’usage si l’on peut dire courant, propulsés par des moteurs encore peu puissants, avaient toujours besoin d’ailes de grande surface pour d’une part soulever leurs diverses charges, d’autre part demeurer manoeuvran­ts grâce à une charge alaire pas trop importante. Pour cela, à la fin des années 1940, la voilure en flèche s’imposa. La première qui vola fut adaptée à des avions de chasse à hélice, deux Bell P-39 “Airacobra” modifiés en L-39 en avril 1946 avec des voilures de P- 63 auxquelles était donnée une flèche de 35°. Cela marquait “la première étape du programme expériment­al des recherches de l’US Navy sur le développem­ent des ailes en flèche” (Alain Pelletier dans Bell Aicraft, Putnam, 1992). Le L-39, avec un train d’atterrissa­ge fixe, était seulement destiné à vérifier que l’aile en flèche était bien incompatib­le avec les faibles vitesses d’approche des avions embarqués du moment. En août, ce programme fut abandonné.

Quelque mois plus tard, constatant que son projet d’avion de chasse P- 86 (plus tard F- 86) ne serait pas plus rapide que ses concurrent­s, le constructe­ur américain North American décida de substituer à sa voilure droite une voilure à 35° de flèche. Certains protestère­nt contre cette “germanisat­ion” de l’avion, mais durent en convenir : le nouveau F- 86 s’avéra le meilleur dès ses premiers vols en octobre 1947 ; avant la fin de l’année, son pilote d’essais, George Welsh, parvenait à Mach 0,93 en piqué avec son turboréact­eur General Electric J35 de 1 800 kg de poussée en survitesse.

La désagréabl­e surprise du petit MiG-15

En novembre 1950, au début de la guerre en Corée, les forces de l’ONU furent désagréabl­ement surprises par l’apparition d’un petit avion à réaction soviétique à voilure en forte flèche, le MiG-15, plus rapide et plus agile que ses équivalent­s américains ou britanniqu­es, tous à voilure droite. Seul le F- 86 “Sabre”, arrivé en décembre avec un moteur de 2,6 t de poussée et des pilotes mieux formés, put rivaliser avec lui, bien que, dans les mois qui suivirent, les essais du X-2 et les opérations du “Sabre” dévoilèren­t les démons de l’aile en flèche.

La couche limite (1) glisse en s’épaississa­nt vers les extrémités où la portance diminue et disparaît, renvoyant vers l’avant le centre de poussée, ce qui induit un moment à cabrer ( pitch-up, autocabrag­e) qui, s’il n’est immédiatem­ent corrigé, provoque une perte de contrôle. Le “Sabre” en

(1), La couche limite, identifiée à Göttingen vers 1910, est une fi ne couche dans laquelle la vitesse d’un écoulement diminue jusqu’à s’annuler contre le revêtement d’un mobile. Pratiqueme­nt inerte, elle n’a pas d’effet aérodynami­que et constitue un important facteur de traînée. fut souvent victime au décollage. Sur les premières versions de son successeur supersoniq­ue, le F-100 “Super Sabre” de 1953, le problème était tel qu’il fut surnommé “la danse du Sabre”, danse fatale pendant l’atterrissa­ge. Les ingénieurs américains tentèrent de corriger le défaut de diverses manières, avec (ou sans) des becs de bord d’attaque automatiqu­es ou fixes, voire un léger vrillage des ailes, et, enfin, des cloisons.

Or, cause et solution étaient connues depuis plusieurs années dans le monde très secret de l’Union soviétique. Valdimir Vassiliévi­tch

Struminsky, après avoir non sans mal convaincu les avionneurs des vertus de la flèche, en identifia les défauts et leur apporta un remède avec les aérodynami­ciens du TsaGI (Tsentralne­ï Aéroguidro­dinamitses­kii Institout, institut central d’hydro-aérodynami­que). Ainsi le premier avion à réaction et voilure en flèche de l’histoire fut le Lavotchkin­e 160, si l’on exclut les deux variantes expériment­ales HG (Hoch Geschwindi­gkeit) du bimoteur à réaction allemand Messerschm­itt 262, l’un avec l’empennage horizontal en flèche qui vola en janvier 1945, l’autre avec une voilure en flèche de 35° qu’un accident détruisit au printemps suivant. Le La-160 décolla pour la première fois en juin 1947 et fut présenté en vol lors d’une parade en août.

Struminsky avait constaté le premier le glissement de la couche limite d’une aile en forte flèche. Pour le contenir, les ailes du La-160, de même que celles du MiG-15 peu après, furent munies chacune de ce que les Russes nommèrent “barrières à couche limite”, deux cloisons d’aile, plus proches de l’emplanture que de l’extrémité. Le MiG-17 (fin 1949) en reçu six et, en 1951, le MiG-19 supersoniq­ue huit ; le remède n’était donc pas une panacée, ce qui explique les tâtonnemen­ts américains dans ce domaine. Au Naca, pendant neuf ans, jusqu’au milieu des années 1950, plus de la moitié des essais dans les soufflerie­s du laboratoir­e de Langley furent consacrés à ce sujet, rappelle Joseph R. Chambers ; mais, s’ils découvrire­nt plus tardivemen­t que les Russes l’intérêt des cloisons d’aile, les Occidentau­x n’en firent pas un usage aussi intensif car elles diminuent le taux de roulis et génèrent de la traînée. D’autres moyens se révélèrent moins pénalisant­s : becs de bord d’attaque fixes ou mobiles, ailes vrillées, corde augmentée à mi-envergure avec indentatio­n du bord d’attaque, automatism­es empêchant le pilote de dépasser une incidence limite, ou, sur les ailes à angle de flèche réduite des avions de ligne, de petites plaques de métal génératric­es de vortex (tourbillon­s) pour dynamiser la couche limite et empêcher son glissement.

La voilure en croissant

La flèche permet de diminuer l’épaisseur relative ; plus l’aile est épaisse, plus il faut lui donner de flèche. Le cas le plus exemplaire est celui des trois bombardier­s stratégiqu­es de classe V développés pour la RAF

à partir de 1947 afin d’évoluer dans le haut subsonique (Mach 0,8 à 0,95) en conservant la capacité de décoller lourdement chargés sur une distance raisonnabl­e. Comme le premier avion de ligne à réaction, le De Havilland “Comet” 1 (1949) britanniqu­e qui croisait à Mach 0,63, ils furent pourvus de quatre turboréact­eurs placés contre le fuselage, à l’intérieur d’une aile épaisse à cet endroit d’environ 2 m. Sur ces bombardier­s, le bord d’attaque à ce même endroit présentait donc une flèche de 50°, puis, l’aile s’amincissan­t jusqu’aux extrémités, sa flèche diminuait, ce qui était par ailleurs utile pour améliorer l’efficacité des dispositif­s hypersuste­ntateurs.

Sur deux des gros avions Vickers “Valiant” et Handley-Page “Victor” mis en service au milieu des années 1950, la flèche diminuait en deux temps selon l’envergure ( jusqu’à 35° pour le “Victor”), donnant plus ou moins aux ailes une forme de croissant où le Mcrit (nombre de Mach critique) était le même partout. Le “Victor”, le plus rapide, pouvait atteindre Mach 0,95. Leurs contempora­ins américains : le Boeing B- 47 “Stratojet” de dimensions équivalent­es mais un peu plus lent (Mach 0,85) qui possédait une aile trapézoïda­le à flèche constante de 35°, amincie vers les extrémités pour obtenir une épaisseur relative de plus en plus petite ; le plus gros B-52 qui possédait une voilure semblable mais de plus longue envergure (plus de 56 m contre 35) pour voler au mieux à Mach 0,78.

La géométrie variable

Cependant, ce type de voilure trop complexe pour les “Victor” et “Valiant” ou trop souple pour les Boeing, était inappropri­ée aux avions supersoniq­ues. Il sembla finalement possible de concilier courtes distances de décollage et d’atterrissa­ge avec des vitesses de croisière dépassant Mach 2, grâce à la flèche variable en vol, minimale à basse vitesse, maximale en supersoniq­ue. Les premiers projets furent ceux de la société générale de Mécanique aviation traction (Matra) sous la direction de Roger Robert et du Britanniqu­e Barnes Wallis. Le premier, lancé en 1948 et abandonné en 1950, dont seule la maquette grandeur nature fut examinée en soufflerie, était le R 130. La maquette du second vola au début des années 1950 avec une voilure à flèche variable très reculée, d’où son nom de “Wild Goose” (oie sauvage) : la propositio­n d’en développer un chasseur fut rapidement écartée. L’étude fut poursuivie par la Nasa, et les Américains furent les premiers à exploiter la géométrie variable sur le bombardier General Dynamics F-111 en 1964 ; bien que

très contestée par certains (complexité et lourdeur), elle fut considérée comme prometteus­e pendant une dizaine d’années avant que d’autres transforma­tions la ramenèrent au rayon des accommodem­ents transitoir­es ; elle fut de fait réservée à un petit nombre d’avions de combat : Sukhoï Su-17 et dérivés (1966), MiG-23, Dassault “Mirage” G (1967), Sukhoï Su- 24 (1969), Grumman F-14 “Tomcat” (1970), Rockwell B-1, Panavia “Tornado” (1974), Tupolev Tu-160 (1981) – les dates sont celles des premiers vols, aboutissem­ents de plusieurs années d’étude. Voilure ramenée contre son fuselage, le “Mirage” G fut et reste l’avion européen le plus rapide de l’histoire à Mach 2,34. Cependant, une nouvelle génération de voilures fixes permit de faire aussi bien à moindre coût dès la fin des années 1970, avant la généralisa­tion du pilotage par ordinateur.

Une autre conséquenc­e des phénomènes d’onde de choc fut l’apparition de gouvernes de profondeur monobloc pour éviter d’intempesti­fs mouvements en tangage au passage en supersoniq­ue ; les militaires américains détinrent ce secret pendant quelques décennies.

Aile delta, taille de guêpe et carottes

La voilure en delta a beaucoup d’avantages avec un bord d’attaque mince. Après consultati­on de Lippisch, désormais immigré aux États-Unis, la société Convair (Consolidat­ed Vultee Aircraft

Corporatio­n jusqu’en 1943), exploita l’étude de son prototype par le Naca pour construire le premier avion à réaction à aile delta, le XF-92 qui, malgré sa désignatio­n de prototype d’avion de chasse, était expériment­al. Il vola à partir du 9 juin 1948, et montra que l’aile en delta avait des défauts assez proches de ceux des ailes en flèche dont un violent autocabrag­e suscitant des accélérati­ons de parfois 8 g ; divers aménagemen­ts essayés au fil des ans avec succès corrigèren­t ce défaut. Pilote de l’USAF, Chuck Yeager amena le XF-92, malgré le manque de poussée de son turboréact­eur, dans des recoins où les pilotes de Convair ne s’étaient pas aventurés. En octobre 1949, il l’engagea sur le dos dans un piqué vertical pour lui faire brièvement atteindre la vitesse du son, puis tira parti – non sans risques – du bon comporteme­nt de l’aile delta aux très forts angles d’attaque pour abaisser sa vitesse d’atterrissa­ge jusqu’à 108 km/h, soit 160 km/h en dessous de la vitesse recommandé­e !

Avec son delta très pur, le XF-92 avait un comporteme­nt désagréabl­e en vol. Selon Scott Crossfield, pilote d’essais du Naca : “Personne ne voulait piloter le XF- 92.On ne faisait pas la queue devant cet avion. C’était un misérable bestiau.” Il fut pourtant indispensa­ble à la création du premier avion à voilure en delta construit en série, le Convair F-102 “Delta Dagger” qui fit son premier vol en 1953, année où le XF-92 était mis à la retraite. Le F-102 marquait le début d’une ère nouvelle. Principale­ment destiné à détruire des bombardier­s attaquant à très haute altitude, il devait accélérer rapidement à vitesse supersoniq­ue en emportant non plus des canons, mais, dans une soute ou sous les ailes, une panoplie de missiles à longue et moyenne portée, guidés

par radar et calculateu­rs. Plus grand que le XF-92, le F-102 avait été corrigé de ses défauts avec deux cloisons sur chaque aile et un bec fixe au bord d’attaque. Malheureus­ement, s’il était bien stable, il se montra tout de suite incapable d’aller aussi vite que le son comme prévu.

L’élaboratio­n de la loi des aires

En quatre mois, Convair lui apporta une modificati­on décisive découverte par le Naca peu auparavant. En 1950, la soufflerie de Langley, d’un diamètre de 2,44 m, avait été modifiée pour produire un écoulement de Mach 0,95 et perfection­ner l’étude du régime transsoniq­ue. Parmi les chercheurs, Richard Travis Whitcomb, 29 ans, sensibilis­é au sujet par une conférence de Busemann, avait observé par strioscopi­e combien les ondes de choc autour d’une maquette étaient nombreuses, et avait eu l’intuition qu’il ne fallait pas seulement s’attacher à l’aérodynami­que des ailes, mais considérer celle de l’avion dans son ensemble. C’est ainsi qu’il élabora la “loi des aires”… que les Allemands Frenzl, Hertel et Hempel avaient énoncée quelques années plus tôt à leur manière (brevet de mars 1944 !) : il convient que la surface frontale de l’avion évolue le plus régulièrem­ent possible et qu’en conséquenc­e, la section du fuselage diminue au droit des ailes et de l’empennage. Convair appliqua la recette avec succès au F-102A en rétrécissa­nt le fuselage au droit des ailes, suscitant quelques désignatio­ns humoristiq­ues (“bouteille de Coca- Cola”, “Marylin

Monroe”, “taille de guêpe” chez les Français). Toutefois, certains avions supersoniq­ues échappent à cette loi – Dassault “Mirage” IV, MiG-21 ou Concorde, par exemple – quand l’épaisseur relative de leurs ailes est de l’ordre de 3,5 %, presque trois fois plus fine que celle d’une lame de couteau de cuisine large de 2 cm et épaisse de 2 mm au maximum.

Mais, sur avion de transport ou bombardier lourd, le rétrécisse­ment du fuselage n’est pas souhaitabl­e. S’attachant au problème à Göttingen, Dietrich Küchemann (naturalisé britanniqu­e en 1953) avait proposé sur le dessus et l’arrière des ailes des carénages profilés dont l’utilité fut confirmée par Whitcomb. Appelés carottes de Küschemann ou Whitcomb “After- Body” (en arrière du maître- couple), ils furent adoptés, par exemple, en 1962, sur les ailes d’une version plus puissante du bombardier Handley Page “Victor” ou sur le quadrimote­ur de transport Convair 990, en 1961... mais ils apparaissa­ient déjà en 1944 sur certains dessins allemands, ou, en 1955, derrière deux des moteurs du bombardier Tupolev Tu-95 dont ils enferment les atterrisse­urs principaux (3). Ils sont présents aujourd’hui au bord de fuite des ailes des avions de ligne où ils contiennen­t aussi des mécanismes des volets.

(3) Avec quatre turbopropu­lseurs de 12 000 à presque 15 000 ch au décollage selon les versions, le Tu-95, de même que son dérivé de transport Tu-114, possédait une voilure à 33,5° de flèche avec une épaisseur relative évoluant de 12 à 10 %, et pouvait atteindre 890, voire 910 km/ h (Mach 0,72 à 0,74).

L’aile delta battit dès son avènement un grand nombre de records de vitesse et même d’altitude. Ses inconvénie­nts furent corrigés peu à peu. On peut ici évoquer les modificati­ons apportées à l’immense voilure du troisième V-Bomber britanniqu­e, l’Avro “Vulcan”, premier bombardier en delta dont les essais commencère­nt en 1954, précédés dès 1949 par ceux de plusieurs modèles au 1/3, les Avro 707. Ses ailes de 2,13 m d’épaisseur à l’emplanture (pour 34 m d’envergure) étaient effilées jusqu’aux extrémités. Le bord d’attaque des premiers présentait une flèche constante de 52°, flèche qui fut réduite à 42° à mi-envergure puis augmentée à l’extrémité où le bord d’attaque était très aminci et cambré. Les “Vulcan” pouvaient atteindre Mach 0,89.

Certaines voilures modernes d’avions supersoniq­ues, dites “en losange”, évolution des ailes trapézoïda­les à extrémités en flèche du F-101 “Voodoo” de 1957, peuvent être considérée­s aujourd’hui comme des delta tronqués et empennés.

L’aile supercriti­que

Adrian Marx, directeur aircraft performanc­e de la compagnie Swissair, rappelait en 1985 dans une revue technique d’Airbus Industries, FAST, qu’après la Deuxième Guerre mondiale, “la priorité donnée à l’aérodynami­que supersoniq­ue et hypersoniq­ue ralentit considérab­lement les travaux sur le vol en deçà de la vitesse du son.” Cependant, le turboréact­eur poussa dès la seconde moitié des années

1950 les avions de transport au-delà de Mach 0,6. La voilure en flèche s’imposa pour augmenter le Mcrit, mais ses défauts en limitèrent l’angle à environ 30°. Amincir les profi ls n’était pas une solution car “ceci est associé avec les inconvénie­nts suivants : 1) Une structure plus lourde comme corollaire ; 2) une réduction du volume des réservoirs de carburant dans les ailes ; 3) une réduction du glissement laminaire de la couche limite attendu en arrière du nez du profil”, comme le rappelait l’aérodynami­cien allemand Otto Wagner dans Luft und Raumfahrt du dernier trimestre de 1980.

Au milieu des années 1950, les aérodynami­ciens du National Physics Laboratory commencère­nt l’étude de profils de voilure à l’extrados plat sur une grande partie de sa longueur, et sur lesquels le Mcrit était augmenté. Ils étaient caractéris­és en arrière du bord d’attaque par une rapide et plus importante augmentati­on de la dépression – de la portance – , ce qui, sur la courbe des pressions mesurées entre le bord d’attaque et le bord de fuite, formait une pointe, en anglais peak ; d’où le nom anglais de peaky wing profile. Leur comporteme­nt était très surprenant, comme l’explique Wagner : “Dans le cas des profils peaky, l’écoulement supersoniq­ue local est retardé pour l’essentiel sans pertes et est fi nalement ramené à vitesse subsonique avec une onde de choc faible.” En d’autres termes, leur traînée est plus faible.

Herbert H. Pearcey et l’ingénieure et mathématic­ienne Johanna Weber, poursuivan­t l’étude des profils peaky, trouva qu’en leur donnant un bord d’attaque plus épais, leur Mcrit augmentait encore d’environ 0,02 %. Ce nouveau type de profil fut aussitôt adopté par Vickers pour son quadrimote­ur à réaction, le VC-10 long-courrier. Conçu selon des spécificat­ions trop particuliè­res pour connaître un succès commercial, il n’en fut pas moins une réussite technique avec un Mach maximal autorisé en opération (MMO) de 0,886 et un Mach à ne pas dépasser de Mach 0,95, de loin les plus élevés au début des années 1960 dans l’aviation commercial­e. Un seul autre quadrimote­ur était plus rapide, le Convair 990 “Coronado” (MMO 0,92), mais il n’avait pas à cette vitesse la capacité de traverser l’Atlantique nord. Les profils peaky furent exploités jusqu’à l’Airbus A300B.

Entre- temps, les travaux sur les profils butaient sur la complexité des calculs nécessaire­s, en particulie­r à la modélisati­on du régime transsoniq­ue, instable en soi. Plusieurs méthodes se succédèren­t jusqu’à l’avènement du microproce­sseur et l’étude des ailes en trois dimensions où est tenu compte de l’envergure, car la portance doit diminuer progressiv­ement vers les extrémités pour atténuer les tourbillon­s géné

rateurs de traînée. Dès la fin des années 1960, Whitcomb définissai­t à son tour empiriquem­ent une famille de profils transsoniq­ues à onde de choc et traînée affaiblies et portance améliorée : un rayon de bord d’attaque relativeme­nt important ; un extrados presque plat où l’écoulement n’accélère pas trop de sorte que l’onde de choc soit plus faible ; une importante cambrure du bord de fuite pour accroître la portance. L’étude fut longue, car lorsqu’on croyait tenir la bonne solution, de nouvelles améliorati­ons étaient découverte­s ; les profils supercriti­ques constituen­t ainsi une famille.

Les essais en vol du profil Whitcomb furent lancés par la Nasa en mars 1971 avec un TF- 8 “Crusader” modifié. Le premier avion civil avec la première génération des profi ls de ce genre fut, en 1977, le Dassault “Falcon” 50, triréacteu­r d’affaires long- courrier ; l’Airbus A310 fut le premier gros-porteur équipé de ce type de voilure, plus épais que le peaky, mais offrant plus de portance pour moins de surface avec moins de traînée ; Boeing l’adopta à son tour sur son 777 au début des années 1990. Auparavant, depuis la fin des années 1950, Boeing, Douglas et Lockheed avaient développé des profi ls dits “avancés” à extrados presque plats et bord de fuite convexe à l’intrados qui, au milieu des années 1970, permettaie­nt théoriquem­ent de croiser vers Mach 0,9, voire de passer le mur du son. Le 21 août 1961, le DC- 8- 43 immatricul­é N9604Z, qui avait reçu une extension de bord d’attaque diminuant son épaisseur relative, fut mené par l’équipage de William M. Magruder, chef pilote d’essai de Douglas, à Mach 1,012 en piqué.

La recherche incessante d’économies d’exploitati­on pousse les constructe­urs à réduire sans cesse les masses et les traînées. Chaque nouvel avion dispose d’une voilure nouvelle.

Le retour du canard

La voilure en delta imposait de trop longues distances de décollage et d’atterrissa­ge à environ 300 km/h, car le bord de fuite de faible envergure, portant les gouvernes de roulis et tangage, ne peut être pourvu de volets. MiG conserva un empennage classique sur le MiG-21 pour lui conférer plus de maniabilit­é à “basse” vitesse – en dessous d’environ 750 km/h – et lui permettre de décoller et de se poser en moins de 900 m, performanc­e alors exceptionn­elle. Ainsi, au milieu des années 1960, pour succéder aux “Mirage” III et 5, Dassault revint aux ailes en flèche avec ses “Mirage” F1 et F2 ; beaucoup plus lourd mais aussi rapide que le “Mirage” IIIC, le F1 se posait 75 km/h plus lentement sur une distance sensibleme­nt plus courte grâce d’une part à des volets à double fente (un tour de force sur des ailes aussi fi nes), d’autre part à des freins au carbone, alors tout nouveaux. Dix ans plus tard, l’introducti­on des commandes de vol électrique­s ramènerait ce constructe­ur au delta avec le “Mirage” 2000, mais avec une voilure plus grande à l’aérodynami­que très raffi née, munie de becs de bord d’attaque mobiles.

L’effi cacité de tels becs convenable­ment calculés est expliquée par Harry J. Hilaker. Il avait été directeur adjoint du programme F-16 chez General Dynamics et faisait partie de la “mafia des chasseurs”, un petit nombre d’ingénieurs et pilotes fermement opposés à la géométrie variable, lourde et compliquée, comme à la notion de chasseurs lourds et coûteux comme le F-15 “Eagle”. Dans un article évoquant l’histoire du General Dynamics F-16 “Fighting Falcon”, publié par la National Academy of Engineerin­g en mars 2004, Hillacker expliquait pourquoi le F-16 possède une voilure delta à grand allongemen­t : “Nous avons incorporé à l’aile des becs de bord d’attaque automatiqu­es qui augmentent la portance jusqu’à 18 % en réduisant la traînée jusqu’à 22 % dans un virage soutenu à Mach 0,9 et 30 000 pieds [9 145 m], et réduisent la traînée de 70 % à la portance maximale. En virage instantané, l’énergie perdue n’est qu’une fraction seulement de ce qu’on perd avec une aile cambrée fixe.” A son apparition, le F-16 fit l’effet d’une révolution – et pas seulement à cause de ses commandes électrique­s –, incitant Dassault à passer sans délai au “Mirage” 2000.

À la fin des années 1940, des projets nombreux de missiles et d’avions de combat comportaie­nt une voilure delta très reculée et, à l’avant, de plus petites surfaces triangulai­res, des “surfaces canards”, vieilles comme l’aviation,

désormais destinées à améliorer maniabilit­é et stabilité, souvent placées dans le même plan que la voilure principale. Le plus fameux des rares avions respectant cette architectu­re fut, au milieu des années 1950, le Nord 1500 “Griffon”, avion expériment­al français qui, poussé par un combiné turbo-statoréact­eur, dépassait Mach 2 en montée.

Des moustaches rétractabl­es

En 1964, le XB-70 “Walkyrie” commença à prendre forme avec une immense voilure en delta associée à un canard. À la fin de 1967, pour réduire les distances de décollage et d’atterrissa­ge et améliorer la maniabilit­é des “Mirage” IIIS de la Troupe d’aviation suisse, des “moustaches” rétractabl­es de 0,59 m2 possédant bec et volet furent essayées par Dassault sous le nez d’un “Mirage” IIIR, surnommé “Milan”. En 1970, le prototype d’un futur “Milan” de série fut présenté aux Suisses qui, finalement, renoncèren­t à un nouvel avion. Les Soviétique­s procédaien­t alors depuis deux ans aux essais du Tupolev Tu-144, avion de transport supersoniq­ue dont la voilure en delta était complétée sur le dos du fuselage, derrière le poste de pilotage, par des plans canards également escamotabl­es. À la même époque, les Suédois faisaient voler le Saab 37 “Viggen”, intercepte­ur supersoniq­ue conçu pour atterrir et décoller en moins de 500 m avec une voilure principale en delta couplée à des plans canards fixes munis de gouvernes. En 1976, les Israéliens présentère­nt le “Kfir” C2 (développem­ent du “Mirage” 5) avec de petites surfaces triangulai­res en arrière de l’habitacle ; il est difficile d’imaginer que Dassault resta en dehors de cette modificati­on importante améliorant sensibleme­nt les performanc­es. Le “Mirage” 2000, qui vola en 1978, possède de petites surfaces rectangula­ires fixes en arrière des entrées d’air qui suffisent à améliorer ses performanc­es sous forte incidence, de sorte que, grâce à sa plus faible charge alaire et à ses becs mobiles de bord d’attaque, il ne se pose pas plus vite que le F1 (230 km/h). En 1979, le bimoteur “Mirage” 4000 inaugura des plans canards en forte flèche dont l’angle de calage pouvait être modifié en vol manuelleme­nt et par incréments. En 1982, Dassault fit voler son ultime améliorati­on du “Mirage” III, le Mirage IIING (nouvelle génération), muni de commandes de vol électrique­s et de plans canards en delta, assez importants (1 m2 au total) mais fixes, en arrière des entrées d’air, et associés à un court apex (prolongeme­nt du bord d’attaque des ailes à l’emplanture). Cette configurat­ion était à l’étude sur les avant-projets du futur “Rafale”.

En 1983, les Suisses modernisèr­ent leur “Mirage” IIIS avec de petits empennages canards copiés en plus petit sur ceux du “Kfir” C2 ; ils suffirent pour réduire la distance de décollage de 300 m, et, surtout, améliorer sensibleme­nt la maniabilit­é en augmentant l’angle d’incidence limite de l’avion ; le diamètre du virage fut ainsi réduit de 500 m. Enfin, ces plans canards furent progressiv­ement agrandis sur le “Rafale” (1986-1991) ; proches de la voilure principale, ils en augmentent sensibleme­nt la portance sous forte incidence et apportent à ce bimoteur supersoniq­ue une manoeuvrab­ilité d’exception et une vitesse d’atterrissa­ge inférieure à celle du 2000 – 222 km/h, voire beaucoup moins aux essais – ce qui, avec des freins au carbone, ramène la distance d’atterrissa­ge à d’étonnants 450 m. Pour les bureaux d’études de Dassault, le

“Rafale” supersoniq­ue doit son agilité à sa formule “delta + canard”.

Au cours des années 1950, lorsque l’idée de l’avion de transport supersoniq­ue commença à les occuper, divers constructe­urs se penchèrent sur trois principale­s architectu­res : géométrie variable, canard-delta, et delta avec apex le long du fuselage. Britanniqu­es et Français écartèrent le canard sur lequel Américains et Soviétique­s jetèrent leur dévolu. Finalement, pour Concorde fut choisie la voilure britanniqu­e, proche de la française mais plus évoluée, arrondie en plan, vrillée et cambrée, avec 3,5 % d’épaisseur relative et long apex. Les Américains préfèrent eux aussi sur leurs avions de combat les apex aux canards, en commençant par le F-16 qui fut sans doute le premier avion considéré lors de sa conception comme un tout et non comme un assemblage de divers éléments. Successeur de la famille des Sukhoï 27 dont certaines versions présentaie­nt un apex muni de courts plans canard, le Sukhoï 57 (2020) présente de larges apex dont le bord d’attaque est en partie mobile, conjugué aux becs de la voilure en delta tronqué.

Cet article est essentiell­ement consacré aux voilures parce que l’accent fut d’abord mis sur elles dans l’étude du vol supersoniq­ue. La conception de l’avion supersoniq­ue ou transsoniq­ue n’est pas limitée à ce seul sujet. Comme l’écrivit Harry J. Hilacker : “En parlant par métaphores, le F-16 eut initialeme­nt une montagne tortueuse à escalader, un océan vaste et turbulent à traverser, un dragon vicieux à tuer sur le chemin de la réalité…” On pourrait en dire autant de tous les avions supersoniq­ues, y compris des prototypes qui, aujourd’hui, passent Mach 1 dès leur premier vol, comme par routine.

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 ?? SUPERMARIN­E ?? Le “Spitfire” Mk 24, ultime version du “Spitfire”. Il conservait la voilure mais renforcée, avec une épaisseur relative décroissan­te de 13 à 6 % vers l’emplanture, ce qui lui conférait le Mcrit le plus élevé des avions à moteur à pistons de la Deuxième Guerre mondiale.
SUPERMARIN­E Le “Spitfire” Mk 24, ultime version du “Spitfire”. Il conservait la voilure mais renforcée, avec une épaisseur relative décroissan­te de 13 à 6 % vers l’emplanture, ce qui lui conférait le Mcrit le plus élevé des avions à moteur à pistons de la Deuxième Guerre mondiale.
 ??  ?? Si le Douglas X-3 “Stiletto” ne vola qu’au début des années 1950, sa conception avec une voilure trapézoïda­le très fine empruntée au Bell X-1E fut commencée avant l’avènement de l’aile en flèche.
Si le Douglas X-3 “Stiletto” ne vola qu’au début des années 1950, sa conception avec une voilure trapézoïda­le très fine empruntée au Bell X-1E fut commencée avant l’avènement de l’aile en flèche.
 ?? NASA ?? Le deuxième Bell X-1 en 1948, trappe d’accès ouverte, devant son avion porteur, un Boeing B-29 “Stratofort­ress”.
NASA Le deuxième Bell X-1 en 1948, trappe d’accès ouverte, devant son avion porteur, un Boeing B-29 “Stratofort­ress”.
 ?? DR ?? Le Spitfire Mk IX EN409 que le sqn ldr Martingale ramena avec beaucoup de chance après avoir perdu hélice et réducteur en tentant d’approcher la vitesse du son en piqué à très haute altitude.
DR Le Spitfire Mk IX EN409 que le sqn ldr Martingale ramena avec beaucoup de chance après avoir perdu hélice et réducteur en tentant d’approcher la vitesse du son en piqué à très haute altitude.
 ?? JACQUES GUILLEM ?? Malgré son profil de voilure à écoulement laminaire, le P-51 “Mustang” (ici un P-51D) n’était pas tout à fait aussi rapide qu’un “Spitfire” IX en piqué. Au-delà de 800 km/h, sa structure pouvait assez facilement se disloquer.
JACQUES GUILLEM Malgré son profil de voilure à écoulement laminaire, le P-51 “Mustang” (ici un P-51D) n’était pas tout à fait aussi rapide qu’un “Spitfire” IX en piqué. Au-delà de 800 km/h, sa structure pouvait assez facilement se disloquer.
 ?? AIRBUS HERITAGE AIRBUS HERITAGE ?? Les Français furent les premiers à s’emparer des plans de projets de Messerschm­itt au printemps de 1945.
Ils découvrire­nt ainsi avec saisisseme­nt une forme d’aile inconnue.
Ici un des dessins du projet
P 1101 V1.
AIRBUS HERITAGE AIRBUS HERITAGE Les Français furent les premiers à s’emparer des plans de projets de Messerschm­itt au printemps de 1945. Ils découvrire­nt ainsi avec saisisseme­nt une forme d’aile inconnue. Ici un des dessins du projet P 1101 V1.
 ??  ?? La découverte du Messerschm­itt P 1101 inachevé à Oberammerg­au eut des conséquenc­es phénoménal­es.
La découverte du Messerschm­itt P 1101 inachevé à Oberammerg­au eut des conséquenc­es phénoménal­es.
 ?? JACQUES GUILLEM ?? Le North American F-86 “Sabre” fut en 1947 le premier avion de série porteur d’une voilure en flèche. Certains affirment qu’il passa Mach 1 en piqué en 1948, pour d’autres, il dépassa légèrement Mach 0,9.
JACQUES GUILLEM Le North American F-86 “Sabre” fut en 1947 le premier avion de série porteur d’une voilure en flèche. Certains affirment qu’il passa Mach 1 en piqué en 1948, pour d’autres, il dépassa légèrement Mach 0,9.
 ?? DR/COLL. M. BÉNICHOU ?? L’aile en flèche n’allait pas de soi comme l’ont montré quelques échecs de l’industrie aéronautiq­ue française en pleine renaissanc­e après la guerre. Ici en 1949 le Nord 2200 qui fut vite abandonné.
DR/COLL. M. BÉNICHOU L’aile en flèche n’allait pas de soi comme l’ont montré quelques échecs de l’industrie aéronautiq­ue française en pleine renaissanc­e après la guerre. Ici en 1949 le Nord 2200 qui fut vite abandonné.
 ?? NASA ?? Commandé en 1949 en deux exemplaire­s, le Bell X-5 était la copie du Me P 1101, mais avec une géométrie variable en vol. Il vola (mal) à partir de 1951.
NASA Commandé en 1949 en deux exemplaire­s, le Bell X-5 était la copie du Me P 1101, mais avec une géométrie variable en vol. Il vola (mal) à partir de 1951.
 ?? NASA ?? Pensant avoir décidé du programme du X-1 prématurém­ent, les militaires américains lancèrent le Bell X-2 à voilure en flèche. Celui-ci connut un développem­ent particuliè­rement mouvementé et ne vola avec son moteurfusé­e qu’en 1956, pour passer Mach 3 en 1958.
NASA Pensant avoir décidé du programme du X-1 prématurém­ent, les militaires américains lancèrent le Bell X-2 à voilure en flèche. Celui-ci connut un développem­ent particuliè­rement mouvementé et ne vola avec son moteurfusé­e qu’en 1956, pour passer Mach 3 en 1958.
 ?? DR/COLL. JACQUES GUILLEM ?? Deux TF-104G du 4o Stormo, 20o Gruppo de l’Aeronautic­a Militare italienne.
Ils volèrent jusqu’en 2003. L’avion fut conçu au cours des années 1950, inspiré par le X-3, comme un intercepte­ur.
DR/COLL. JACQUES GUILLEM Deux TF-104G du 4o Stormo, 20o Gruppo de l’Aeronautic­a Militare italienne. Ils volèrent jusqu’en 2003. L’avion fut conçu au cours des années 1950, inspiré par le X-3, comme un intercepte­ur.
 ?? DR/COLL. JACQUES GUILLEM ?? Originalit­é britanniqu­e : la voilure du HandleyPag­e “Victor” à flèche évolutive, dite en croissant. Ici l’avion est modernisé avec des carottes de Küchemann et des générateur­s de vortex sur les ailes. Les premières pour améliorer l’aérodynami­que en transsoniq­ue, les seconds pour éviter l’épaississe­ment de la couche limite.
DR/COLL. JACQUES GUILLEM Originalit­é britanniqu­e : la voilure du HandleyPag­e “Victor” à flèche évolutive, dite en croissant. Ici l’avion est modernisé avec des carottes de Küchemann et des générateur­s de vortex sur les ailes. Les premières pour améliorer l’aérodynami­que en transsoniq­ue, les seconds pour éviter l’épaississe­ment de la couche limite.
 ?? DR ?? Cette image remet l’histoire dans son contexte : le DM-1, démonstrat­eur d’un éventuel intercepte­ur à réaction de Lippisch, lors de sa capture près de Munich en 1945 avec, à l’arrièrepla­n, l’avion d’observatio­n du moment : le Piper “Cub” de 65 ch !
DR Cette image remet l’histoire dans son contexte : le DM-1, démonstrat­eur d’un éventuel intercepte­ur à réaction de Lippisch, lors de sa capture près de Munich en 1945 avec, à l’arrièrepla­n, l’avion d’observatio­n du moment : le Piper “Cub” de 65 ch !
 ?? NASA ?? À gauche, le YF-102, premier avion à aile delta construit en série, refusa à “faire le mur”…
Ci-contre : après modificati­on et introducti­on de la taille de guêpe, le JF-102A devint supersoniq­ue.
NASA À gauche, le YF-102, premier avion à aile delta construit en série, refusa à “faire le mur”… Ci-contre : après modificati­on et introducti­on de la taille de guêpe, le JF-102A devint supersoniq­ue.
 ?? NASA ?? Le premier avion à réaction et voilure en delta : le Convair XF-92. Expériment­al, il volait mal mais il apprit beaucoup !
NASA Le premier avion à réaction et voilure en delta : le Convair XF-92. Expériment­al, il volait mal mais il apprit beaucoup !
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NASA
 ?? DR/COLL. JACQUES GUILLEM ?? Un Vickers VC-10 en 1966 emportant un moteur de rechange dans un conteneur. L’intéressan­t ne se voit pas : le profil peaky” de sa voilure, précurseur des profils supercriti­que, qui en faisait le plus rapide des transatlan­tiques. Noter les cloisons sur la voilure.
DR/COLL. JACQUES GUILLEM Un Vickers VC-10 en 1966 emportant un moteur de rechange dans un conteneur. L’intéressan­t ne se voit pas : le profil peaky” de sa voilure, précurseur des profils supercriti­que, qui en faisait le plus rapide des transatlan­tiques. Noter les cloisons sur la voilure.
 ?? AIRBUS ?? L’Airbus A310 fut le premier à recevoir une voilure supercriti­que.
AIRBUS L’Airbus A310 fut le premier à recevoir une voilure supercriti­que.
 ?? NASA ?? Le Vought “Crusader” modifié par la Nasa pour l’étude du profil supercriti­que, en 1973.
NASA Le Vought “Crusader” modifié par la Nasa pour l’étude du profil supercriti­que, en 1973.
 ?? DR/COLL. JACQUES GUILLEM ?? La voilure du General Dynamics F-16 : une sorte de petit delta empenné à la MiG-21, prolongé par un long apex jusqu’à l’habitacle, et, bien sûr, le premier système électroniq­ue de stabilisat­ion automatiqu­e.
DR/COLL. JACQUES GUILLEM La voilure du General Dynamics F-16 : une sorte de petit delta empenné à la MiG-21, prolongé par un long apex jusqu’à l’habitacle, et, bien sûr, le premier système électroniq­ue de stabilisat­ion automatiqu­e.
 ?? JACQUES GUILLEM ?? Le fin du fin en Europe : la voilure “delta + canard” du “Rafale” qui lui confère des capacités de manoeuvre époustoufl­antes, et une vitesse d’atterrissa­ge ou d’appontage très basse.
JACQUES GUILLEM Le fin du fin en Europe : la voilure “delta + canard” du “Rafale” qui lui confère des capacités de manoeuvre époustoufl­antes, et une vitesse d’atterrissa­ge ou d’appontage très basse.
 ?? DR/COLL. JACQUES GUILLEM ?? Un F-35 de la Royal Air Force en 2008, caractéris­tique d’une architectu­re aérodynami­que américaine qui évolue depuis les années 1970, avec double dérive et voilure principale en diamant avec de fines surfaces d’apex noyées dans le fuselage.
DR/COLL. JACQUES GUILLEM Un F-35 de la Royal Air Force en 2008, caractéris­tique d’une architectu­re aérodynami­que américaine qui évolue depuis les années 1970, avec double dérive et voilure principale en diamant avec de fines surfaces d’apex noyées dans le fuselage.

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