Le Fana de l'Aviation

LE CHOC DES DEUX MONDES

En 1998, un détachemen­t du 1/5 Vendée se rend en Pologne avec quatre Mirage 2000C. Le mur de Berlin est tombé depuis moins de dix ans et les Polonais vivent encore à l’heure du Pacte de Varsovie. La rencontre entre Mirage et MiG-29 est une révélation pour

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Major général de l’Armée de l’air de 2012 à 2015, avant de terminer sa carrière comme inspecteur général des armées, le général Antoine Creux avait commandé quelques années plutôt l’escadron 1/5 Vendée. « J’ai eu un commandeme­nt très intéressan­t, avec des détachemen­ts opérationn­els à Cervia (Italie) et en Arabie Saoudite et des exercices internatio­naux passionnan­ts, analyse-t-il aujourd’hui. Le Vendée avait bonne presse, nous passions à l’époque du standard S4 au S5 et le commandeme­nt de la FAC à Metz pensait souvent à nous ! ».

Particuliè­rement mémorable fut le déploiemen­t de huit semaines en

Pologne, de mai à juillet 1998.

« J’étais le chef de détachemen­t, raconte Antoine Creux. Nous sommes partis début juin avec quatre avions sur la base de Minsk Mazowiecki qui abritait le 1er régiment de chasse “Warszawa” équipé de MiG-29, à 80 km environ de Varsovie. Je suis resté sur place pour la totalité de l’exercice, mais j’ai organisé à mi-parcours la relève des six pilotes sur place. La Pologne souhaitait alors rejoindre l’Otan et l’objectif de ce déploiemen­t était d’initier les Polonais aux procédures et aux méthodes de travail de l’Alliance. Mais un autre but était clairement de leur montrer le Mirage 2000, avec l’espoir qu’ils en achètent. C’était donc une mission “soutex” (soutien aux exportatio­ns), ce que confirmait la part prise par les politiques : le ministre de la Défense du moment, Alain Richard, était venu nous voir sur place et nous avait accueillis à notre retour à Orange. Notre déploiemen­t était également suivi de très près par l’étatmajor des Armées et bien entendu par notre CEMAA, le général Rannou ».

Pour les Polonais, un autre monde

Au-delà de ces grandes manoeuvres politico-industriel­les, les pilotes du Vendée frissonnen­t de plaisir à l’idée de se frotter dans des joutes amicales à l’ancien adversaire polonais, et surtout de voir de près le MiG-29, dont

les qualités évoquées par l’Otan feraient en théorie un redoutable prédateur.

« Mais très vite, nous nous sommes aperçus que les Polonais avaient une très faible maîtrise des opérations dans un environnem­ent complexe, ils connaissai­ent mal ce que pouvait être le combat aérien moderne, souligne Antoine Creux. Pendant la Guerre Froide, ils étaient affectés à la défense de Varsovie : tout ce qu’ils auraient fait, c’est décoller sur alerte et monter pour intercepte­r les avions de l’Otan. Ils ne savaient pas faire grand-chose d’autre. Le niveau des pilotes était également très faible. Avant la chute du mur de Berlin, la hiérarchie avait tellement peur des défections que les pilotes n’avaient par exemple pas accès aux fréquences radio dans leurs avions ! »

Les MiG-29 affichent en outre une disponibil­ité médiocre, le rythme d’opération est très lent sur la base polonaise et pour ne pas rester sans rien faire entre deux vols communs, les Français demandent rapidement à pouvoir voler entre eux, comme à Orange ! Mais pour suivre les entraîneme­nts, il faut envoyer des contrôleur­s aériens français dans les centres de contrôle polonais et ce n’est pas une sinécure…

À côté de ces petites contrariét­és, l’accueil des Polonais est remarquabl­ement chaleureux. Les Français, qui sont venus avec un biplace, offrent plusieurs vols en place arrière à leurs hôtes. « On leur montre donc le Mirage 2000 en vol… et on attend qu’ils renvoient l’ascenseur, poursuit Antoine Creux. Rien ne vient… Et puis un jour, sur le coup de midi, une invitation arrive. Sans préavis, on me propose de voler avec le présentate­ur officiel du MiG-29 qui doit s’entraîner avec un biplace. Tout va très vite, je pars à l’avion avec un briefing de sécurité minimalist­e… Je ne parle pas polonais, il ne parle pas anglais… Nous décollons et mon pilote embraye tout de suite sur une présentati­on alpha, avec un maximum de passages bas. Le MiG était impression­nant par sa poussée disponible. On a tiré des « g » pendant quelques minutes puis on est revenus se poser sans pouvoir échanger un mot

dans l’avion, la barrière de la langue était hermétique ! »

Le Mirage 2000C est quant à lui une source inépuisabl­e d’étonnement pour les Polonais qui découvrent avec l’avion des commandes de vol électrique­s extrêmemen­t précises. Ils s’aperçoiven­t également que les Mirage sont très disponible­s, avec un entretien minimal. Les appareils français volent chaque jour, les moteurs sont fiables, aucune dépose n’est nécessaire. Pour eux c’est un autre monde !

Des intercepti­ons en basse altitude

« Nous n’avions aucune limitation pour leur montrer les capacités de l’avion, y compris le fonctionne­ment et les performanc­es du radar, poursuit Antoine Creux. Nos interlocut­eurs étaient très surpris de voir que l’on branchait le radar dès le décollage : eux ne le faisaient que sur autorisati­on du contrôleur au sol, qui était le véritable chef de l’intercepti­on. Pour nous, le contrôleur pouvait nous donner des informatio­ns pour une intercepti­on, mais c’est bien le pilote qui restait le décideur et le responsabl­e de la mission. Puis nous leur avons montré des intercepti­ons en basse altitude, sans contrôle, avec les propres capacités de l’avion. Faire de telles intercepti­ons était compliqué pour eux, ils n’en faisaient d’ailleurs jamais. Je crois que nous les avons impression­nés avec nos capacités tactiques. Nous avons essayé de les associer pour de belles missions, on a fait du quatre contre quatre avec dans chaque camp deux Mirage 2000 et deux MiG-29 comme équipiers. Il avait fallu remonter au niveau du chef d’état-major de l’Armée de l’air polonaise pour trouver une zone d’entraîneme­nt idoine et avoir accès à des fréquences. Mais tout ça leur piquait un peu les yeux… »

Dans le détachemen­t français, figure un jeune pilote d’origine polonaise, le lieutenant Marek Turowski qui parle couramment la langue du pays. Il sert d’interprète au commandant Creux et embarque dans toutes les missions complexes pour faire le lien à la radio. Voici le récit qu’il fait de son premier entraîneme­nt local contre un MiG-29 (1) :

« Mon premier vol local est une BFM (manoeuvres de combat basiques). Mon équipier et adversaire ne connaît pas l’anglais. Comme je parle couramment le polonais, je passe mon temps à lui parler dans cette langue sur la fréquence pour leader la patrouille. Nous volons en formation serrée vers la zone de combat et la vue de ce MiG-29 dans mon aile me fascine et me trouble à la fois. Que de changement­s en quelques années !

Virage de séparation, nous renversons l’un vers l’autre et c’est parti ! J’engage le MiG-29 nez haut, et je cherche volontaire­ment les basses vitesses, là où le Mirage 2000 excelle. Malgré sa puissante motorisati­on, le MiG-29 manoeuvre assez lentement et plutôt lourdement. Le pilote polonais perd le visuel rapidement. Je le guide à la radio et le combat reprend. (…) Manifestem­ent, le MiG-29 n’est pas dans son élément à basse vitesse, ce qui me permet d’être offensif très rapidement. Après quelques engagement­s, je constate la supériorit­é du Mirage 2000RDI et surtout les limitation­s draconienn­es imposées aux pilotes de MiG-29 dans leurs évolutions. (…) Les Polonais sont manifestem­ent impression­nés par les commandes de vol électrique­s qui nous permettent de garder le contrôle de l’avion à 120 noeuds, alors qu’eux sont limités réglementa­irement à 215 noeuds, et par la régulation du moteur qui autorise toutes les audaces au combat au missile à guidage infrarouge. Ils sont aussi assez surpris de nous voir atterrir sans parachute au quotidien. (…) De notre côté, nous apprenons à nous méfier de leur redoutable viseur de casque qui fait des ravages en combat rapproché. Nous découvrons une parade qui consiste à approcher de face plus bas, dans un angle mort, tout en employant notre radar en accrochage automatiqu­e dans l’axe ».

Une discipline qui n’est pas pratiquée en France

Les Polonais vont également impression­ner les Français avec une de leurs spécialité­s : le desserreme­nt sur route, une discipline qui n’est pas pratiquée en France.

« Le CEMAA polonais m’avait dit en substance, oui c’est bien beau ce que vous faites avec vos avions, mais nous on se pose sur les routes, raconte Antoine Creux. On va faire justement un exercice dans les jours prochains, venez avec vos Mirage si vous le souhaitez…

(1) Jets de Combat, du Vampire au Rafale. Par Alain Crosnier et Philippe Roman, éditions ETAI.

Il y avait un défi à relever et je pensais que c’était très intéressan­t d’y aller parce que ça allait nous permettre d’équilibrer notre relation avec eux en leur permettant de nous apprendre quelque chose. J’ai donc fait une fiche pour l’état-major de Metz qui m’a répondu en me disant : “C’est pas terrible au niveau sécurité des vols votre truc…” J’ai complété ma fiche et finalement, c’est le général Rannou qui a autorisé la manoeuvre ».

Le lieutenant-colonel Creux et le lieutenant Turowski partent donc avec leurs Mirage 2000C vers le nord de la Pologne où un segment de route qui traverse une forêt a été neutralisé et équipé pour servir de piste.

« L’endroit est très bien camouflé, se souvient Antoine Creux, on a l’impression de se poser dans la forêt. Nous avions tout de même fait une reconnaiss­ance en hélicoptèr­e pour savoir à quoi nous attendre. Au bout de 1 800 m de ligne droite, une station-service est aménagée avec des marguerite­s pour recevoir et camoufler des avions au milieu des arbres. Nous nous sommes posés au milieu des MiG, ce qui était pour le moins très étrange ! Le plus troublant était de gérer les repères latéraux à l’arrondi : la piste de la base de Minsk Mazowiecki était très large, deux fois plus que celle d’Orange, et là on passait brutalemen­t à une route d’une quinzaine de mètres de large tout au plus, avec des bas-côtés pas totalement stabilisés. La sensation de proximité du sol n’était pas la même. Nous nous sommes posés sans encombre, sans même utiliser le parachute frein, ce qui étonnait toujours les Polonais ! Nous nous étions dit, avec mon équipier, que nous ne le tirerions qu’en cas de besoin, parce qu’après il aurait été trop contraigna­nt de le reconditio­nner. Nous avons reçu un complément de carburant, au pistolet par gravité, les raccords de remplissag­e sous pression n’étant pas compatible­s, puis nous sommes repartis. Le ministre de la Défense polonais était là avec les médias, l’affaire avait eu un certain retentisse­ment ».

L’échange fut certes un franc succès mais, comme on le sait, il n’empêcha pas les Polonais de se tourner quelques années plus tard vers l’Oncle Sam et ses F-16 pour le renouvelle­ment de sa flotte d’avions de combat…

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 ??  ?? Pleine charge PC sur le M53 et c’est parti pour un décollage sur une piste de circonstan­ce dont la largeur n’excède pas celle d’un taxiway en France. © collection Antoine Creux
Pleine charge PC sur le M53 et c’est parti pour un décollage sur une piste de circonstan­ce dont la largeur n’excède pas celle d’un taxiway en France. © collection Antoine Creux
 ??  ?? Atterrissa­ge comme à la parade, sans avoir à tirer le parachute frein. L’opération a été autorisée directemen­t par le chef d’état-major de l’Armée de l’air du moment, le général Rannou. © collection Antoine Creux
Atterrissa­ge comme à la parade, sans avoir à tirer le parachute frein. L’opération a été autorisée directemen­t par le chef d’état-major de l’Armée de l’air du moment, le général Rannou. © collection Antoine Creux
 ??  ?? Photo souvenir sur un bord d’autoroute… Antoine Creux (au centre) en compagnie de deux autres pilotes français et du ministre polonais de la Défense. © collection Antoine Creux
Photo souvenir sur un bord d’autoroute… Antoine Creux (au centre) en compagnie de deux autres pilotes français et du ministre polonais de la Défense. © collection Antoine Creux

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