Des « g » et de l’indulgence…
En 2004, le capitaine Ludovic M., alias Tapla, est désigné pour faire partie de l’équipe, en tant que n°4. Il raconte son expérience d’équipier dans un livre de témoignages à paraître aux éditions Nimrod (1) . (…) Globalement, mon rôle de n°4 est de « bouffer du saumon de M2000 » pendant toute la présentation. Décollage en PS( 2), évolutions en PS, interception en PS sur l’autre paire de M2000, un break bien pêchu et posé (…).
Le vendredi 14 mai 2004, nous arrivons à Cognac pour le Meeting de l’air. Le samedi est consacré à un entraînement face à un public limité à quelques invités. La démo « tout public » n’aura lieu que le lendemain. En m’installant en cabine, je sais que beaucoup de pilotes nous observent, intrigués par cette patrouille de quatre Mirage, encore à ses débuts. (…) Une fois mis en route, je suis mon leader de très près et en décalé pour éviter son souffle, tout en regardant la première paire décoller, en PS. J’ai serré mon anti-G au maximum car je sais que la fameuse manoeuvre d’interception est plutôt virile… Alignement et visuel de mon saumon d’aile, que je dois garder en position à tout instant. Le leader m’annonce à la radio toutes ses actions. « Plein gaz sec », « PC, top », « rotation »… le décollage se passe bien. Comme dirait le n°2 des Sharko Fox, qui est d’ailleurs celui qui m’a le plus appris dans le métier de pilote de chasse, « y’a pas un poil de jeu ». Et je me répète cette expression en boucle, en tenant ma position sur mon leader, en mordillant ce saumon, avec des repères de PS différents de la normale. Pour un rendu plus esthétique, nous avons modifié les repères habituels. En s’alignant sur le bord de fuite de l’élevon, nous sommes plus avant, plus de front, et donc un peu plus près. Nous repassons souplement devant le public, en respectant les fameux 230 m réglementaires, et nous nous éloignons, toujours en PS, dans le but de revenir pour l’interception. Je sais que les choses se corsent quand je vois mon leader renverser vers le public lorsque la paire interceptée annonce la mise en place. Mon leader se veut calme et rassurant. Toutes ses actions sont précédées d’un ordre préparatoire et d’un ordre exécutoire. « PC… Top ».
De 300 kt, nous accélérons PC enclenchée vers 550 kt, « PC coupée… Top ». Réduction plein gaz sec pour maintenir la Vi. Il confirme le visuel sur la paire à intercepter « visuel Leader et 2 à 2 heures, plus haut », et poursuit très calmement par un « PC… Top », puis par un « … mon Taplounet, ça va serrer… Maintenant ! » Et là, c’est vrai que ça serre fort. Certes progressivement, mais fort, très fort. La formation que je dois tenir est un virage PS en échelon, autour de 8,5 G pour le leader (merci pour la marge). Sentiment très intense que celui d’avoir à virer à la BE( 3) en direction d’un avion distant d’à peine quelques mètres… C’est là que j’ai mesuré la vraie taille de mon coeur : bien dimensionné pour assurer le débit nécessaire au flux sanguin sous 9 g, mais toujours trop petit pour absorber l’excès d’émotions ! Machinalement, je relâche légèrement la pression. Sous 9 g et 400 kt, cette baisse minime de pression au manche se convertit immédiatement en dizaines de mètres de retrait. En finale de l’interception, le « y’a pas un poil de jeu » s’est transformé en «… et meeeerde… ». Sans être complètement largué, je ne suis plus en place pour assurer l’esthétique parfaite exigée. Mais bon, la démonstration n’est pas finie. Malgré mon échec, je retrouve vite l’énergie pour mordre le coussin jusqu’au bout. Il faut revenir en place rapidement pour que le box se fasse. Mais cette fois, les évolutions sont plus lentes, autour de 300 kt. Je retrouve le chemin du saumon, celui du leader des Sharko cette fois, avec le « n°3 dans la boîte ». J’arrive même à me décontracter, sans pour autant oublier ce satané virage en PS sous 9 g.
De retour au sol, une fois extirpés de nos machines, nous filons voir le film de la présentation vue depuis le sol. En visionnant le fameux virage d’inter, je constate le retrait excessif que je prends. Je me retourne vers mes équipiers, en les regardant avec mes sourcils en incidence négative, je m’apprête à me faire copieusement débriefer. Et c’est là que j’ai compris que le pilote de chasse pouvait connaître l’indulgence. Ces trois « figures du milieu » (plus de 10 000 heures de fastjet à eux trois…) m’ont bien expliqué que dans le domaine des présentations aériennes, l’excellence nécessite des heures de travail spécifique. Et qu’au regard de notre niveau d’entraînement, en considérant que nous étions très éloignés de nos missions de combat, le fait de donner le meilleur de soi en montrant le plus pur professionnalisme était déjà une réussite » Tapla
(1) Extrait de « Ciels de Combat », de Frédéric Lert et Benjamin Vinot Préfontaine, A paraitre aux Éditions Nimrod.
(2) Patrouille serrée.
(3) Butée élastique des commandes de vol électriques du M2000, qui régulent le facteur de charge pour rester dans le domaine de vol.