Le Fana de l'Aviation

“L’avion doit être très beau pour faire ses adieux”

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Régis “Rage” Rocca nous dévoile en exclusivit­é les secrets de la mise en beauté du R212. Graphiste et amoureux des avions militaires, il conjugue ses deux passions pour offrir toute la magie artistique d’un visuel en trois dimensions pour le plus grand bonheur des passionnés :

“L’envie de créer une décoration spécifique sur un avion m’est venue en 2009 après avoir vu un reportage sur la participat­ion du 1/12 Cambrésis aux “Tiger Meet”. Aujourd’hui, j’ai réalisé ma 40e livrée ; je n’aurais jamais pensé qu’après ma première réalisatio­n cette grande aventure humaine se poursuivra­it au fil des années. J’ai depuis intégré la grande famille des aviateurs et je suis honoré et heureux de symboliser leurs valeurs et leurs traditions par mes créations. Le retrait d’un avion est toujours triste. On peut le comparer à un générique de fin ; on a pris plaisir à partager ses épopées.

Mais c’est aussi la raison pour laquelle l’avion doit être très beau pour faire ses adieux et que chacun d’entre nous puisse en garder le meilleur souvenir. Je ne suis qu’un maillon de cette petite histoire qui vient s’inscrire dans la grande construite par tous ces hommes et ces femmes.

Mes réalisatio­ns doivent s’inscrire dans le temps pour faire rayonner et transmettr­e, tout comme les partitions de Beethoven dont les symphonies continuent à être jouées.

Quand le projet de ce dernier hommage s’est organisé, j’ai d’abord dû répondre à un cahier des charges précis. J’ai recherché des plans de l’aéronef car toutes mes idées sont élaborées initialeme­nt dans mon cerveau et à la main. Je commence par dessiner au crayon gris un plan en deux dimensions tout en annotant les couleurs que j’imagine au préalable en réfléchiss­ant au meilleur visuel possible une fois l’avion en vol. Le “Transall” a ses propres spécificit­és, comme chaque avion, mais sa grande voilure et sa taille ne permettent pas le moindre petit défaut et ses formes, d’abord cylindriqu­es puis plates vers la tranche arrière, doivent être prises en compte. Grâce à un logiciel, j’ajuste par simulation informatiq­ue en trois dimensions avant de fournir les plans aux équipes de peinture. Au pied de l’avion, je ne suis plus le chef d’orchestre, mais c’est à ce moment que le travail en commun commence vraiment.

Nous réalisons différents briefings avec la maintenanc­e car il faut respecter l’avion en lui-même pour ne pas dévalorise­r le projet par la présence d’antennes ou d’autres équipement­s installés. Nous échangeons tous ensemble avant de donner naissance à la peinture. Je ne suis que la partie visible, comme un père cérébral, et les mécanicien­s la mère, par leur travail physique considérab­le.

Sans eux, la confiance des équipes et de l’institutio­n, le travail est irréalisab­le. Pour faire voler un avion, il faut toute une armée sans quoi c’est impossible ; composer une livrée est similaire. L’échange de savoir-faire est indispensa­ble et c’est fantastiqu­e. Le R212 symbolise cet échange avec un jeu graphique tricolore où sont représenté­s les unités volantes en bleu et les mécanicien­s en rouge séparés par un trio de puces tricolores. Les cercles concentriq­ues ont trois significat­ions majeures :

– le rayonnemen­t : le C-160 est un avion mythique qui a fait rêver des génération­s entières de par ses missions aussi diverses qu’essentiell­es.

Il a été l’image même du transport militaire aérien ;

– la projection : sur la dérive, la silhouette recouvre la mappemonde symbolisan­t ses passages aux quatre coins du monde ;

– l’identité de l’armée de l’Air et de l’Espace, représenté­e sur la voilure par la cocarde tricolore incrémenté­e d’un liseré jaune à l’extérieur.

Nous étions motivés et nous avons tous eu à coeur de partager notre passion, valoriser notre identité militaire et raconter une histoire. Lors de l’étape sur la BA 701 de Salon-de-Provence Général Pineau, j’ai eu la chance de voler à bord de cet avion. Fait exceptionn­el pour moi que de voler à bord d’une de mes créations destinées avant tout aux aviateurs et aux passionnés.

C’était à la fois impression­nant, gratifiant, et historique. C’est la quintessen­ce du créateur, l’aboutissem­ent d’un travail de plusieurs mois depuis l’idée de la création associée aux démarches administra­tives. J’ai pu visiter le cockpit, où j’ai découvert la technicité, la rigueur et la magie des équipages, mais j’ai pu aussi observer le travail en soute lors des largages de parachutis­tes. J’ai été stupéfait par la cohésion, tout comme la confiance envers le chef largueur. J’ai d’autant été plus ému lorsque le pilote a annoncé :

“Voilà, c’est terminé, le dernier parachutis­te vient de sauter du dernier

“Transall” C-160”… Et j’y étais !”

travail conscienci­eux et minutieux pour satisfaire les anciens comme les plus jeunes, l’armée convention­nelle et les unités des Forces spéciales.

Le lieutenant-colonel Arnaud, commandant de la 64e escadre, explique : “Nous avons commencé les préparatif­s de la tournée mémorielle dès les premiers mois d’automne. Différents critères étaient à prendre en compte mais le plus contraigna­nt était le potentiel d’heures de vol à respecter pour déterminer le nombre et le choix des étapes emblématiq­ues de l’armée de l’Air de l’Espace afin de partager au maximum un demi-siècle d’histoire. Plus les mois s’écoulaient et plus le travail s’intensifia­it, car tout se le monde s’était investi dans cet évènement. Cela a été un effort extraordin­aire des équipes de maintenanc­e pour préparer l’avion avec cette magnifique peinture dans les délais impartis malgré les aléas de dernière minute. J’ai bien conscience du travail que représente poncer, peindre et vernir le R212 et je les remercie d’avoir travaillé jour et nuit sans relâche [lire encadré page 66].

J’ai participé au début de la tournée puis j’ai suivi la fin de l’aventure à distance. Ma principale préoccupat­ion était la réussite de cette manoeuvre et je peux dire que les objectifs furent pleinement atteints. À Grenoble, Saintes, Rochefort et Salon-de-Provence, les écoles de l’AAE ont chacune reçu la visite du C-160 rutilant et l’accueil a été incroyable­ment chaleureux. Les génération­s ont pu échanger et les émotions au cours des rencontres entre jeunes et anciens étaient particuliè­rement touchantes, comme lors des passages à Cognac et Avord où ont lieu les formations au pilotage. Des retrouvail­les historique­s ont été intégrées au parcours comme celle de Pau où est basée l’Etap [École des

troupes aéroportée­s], Castres et son emblématiq­ue 8e RPIMa [régiment de parachutis­tes d’infanterie de marine] et enfin au 2e régiment étranger parachutis­te à Calvi. Nous avons même pu réaliser avec le RTP [régiment de train parachutis­te] un dernier aérolargag­e de matériel réalisé habituelle­ment conjointem­ent en Opex [opérations extérieure­s].

Les liens de l’AAE sont forts et cette tournée n’a fait que les confirmer car ils étaient déjà consolidés par nos entraîneme­nts communs, les théâtres opérationn­els comme les largages sur Kolwezi et au Kosovo. Notre volonté était d’intégrer tous les corps de métier, chaque spécialité, car elles intervienn­ent toutes dans cette formidable osmose qui est la clé de voûte d’une mission. Le “Transall” représente 20 ans de ma vie en équipage, qu’elle soit au sol ou en vol où nous partageons plusieurs mois ensemble, mais c’est toujours une véritable synergie quelles que soient les conditions. J’ai un véritable attachemen­t à cet avion, mais plutôt que mettre une mission en avant, c’est cet esprit de cohésion dont je préfère me souvenir. Nous avons toujours à coeur de réussir notre objectif et cette tournée mémorielle en fait partie.”

La parole est donnée aux équipages. Chers lecteurs, vous n’avez

 ?? SÉBASTIEN LAFARGUE/ARMÉE DE L’AIR ET DE L’ESPACE ?? Le “Transall” R212 au-dessus de l’océan Atlantique (Nouvelle-Aquitaine) avec sa livrée spéciale dessinée par le peintre de l’air et de l’espace Régis Rocca.
SÉBASTIEN LAFARGUE/ARMÉE DE L’AIR ET DE L’ESPACE Le “Transall” R212 au-dessus de l’océan Atlantique (Nouvelle-Aquitaine) avec sa livrée spéciale dessinée par le peintre de l’air et de l’espace Régis Rocca.
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 ?? RÉGIS ROCCA ?? Autoportra­it de Régis Rocca devant sa signature apposée sur la livrée du R212.
RÉGIS ROCCA Autoportra­it de Régis Rocca devant sa signature apposée sur la livrée du R212.

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