De l’importance du transport aérien stratégique de 1945 à nos jours
Planète Aéro n° 8 est consacré au transport aérien stratégique. Un sujet capital. Ce livre aborde le fait aérien sur un angle jusque-là trop souvent négligé : le transport aérien militaire, avions-cargos et ravitailleurs en vol. Ils forment l’ossature d’une force hissée au plus haut rang des fonctions de défense, à savoir la mobilité stratégique. Avec le soutien du ministère des Armées, l’université française s’est mobilisée sur le dossier, en confiant ce travail au capitaine Ivan Sand, docteur en géographie, et au professeur Philippe Boulanger (Paris-Sorbonne), auteur de plusieurs ouvrages sur les enjeux militaires de la géographie et ancien auditeur de l’IHEDN, l’Institut des hautes études de Défense nationale. Une ambition éditoriale s’imposait pour aborder ce dossier. Le résultat est là : un travail académique, rigoureux, riche de faits, de chiffres et d’analyses, le tout ponctué de tableaux et de cartes détaillées dynamiques.
Pour les auteurs, “la grille de lecture géographique apparaît particulièrement adaptée au concept de projection arienne”. L’armée de l’Air a un défi à relever : celui de servir les ambitions stratégiques d’une nation globale qui doit tout à la fois soutenir la force de frappe, conduire les opérations extérieures et garantir la continuité territoriale avec son Outremer, les Dom-Tom comme on se plaît encore à désigner départements, collectivités et territoires français des Caraïbes, de l’océan Indien et du Pacifique.
Une culture opérationnelle spécifique
La mission est confiée à deux commandements, la Force aérienne de projection et le commandement des Forces aériennes stratégiques (FAS). Les aviateurs peuvent écrire une culture opérationnelle spécifique qui distingue l’aviation française du reste de l’Europe. On comprend dès lors pourquoi le Cotam (Commandement du transport aérien militaire) devient en 1994 la Force aérienne de projection. Inspirés par la pensée stratégique française contemporaine, les références du lien à établir entre avion et géopolitique ont pour nom amiral Raoul Castex, les généraux Charles Ailleret et André Beaufre, ou encore Hervé CoutauBégarie, l’auteur d’un monument de 1000 pages, le Traité de stratégie. Puisant dans un récit de 80 années d’engagement militaire, cet ouvrage revient dans le détail sur les trois données structurantes qui hissent le transport aérien au rang de priorité : la création des Forces aériennes stratégiques en 1964, l’orientation “Opex” de notre diplomatie militaire à compter de la guerre du Golfe, sans préjudice pour le lien à entretenir avec un vaste domaine maritime. L’architecture de l’ouvrage se bâtit selon trois axes :
“La projection aérienne, concept géographique”,
“La projection aérienne dans les zones d’influence de la France”, “L’échelle mondiale comme horizon de la projection aérienne française.”
La sortie de la colonisation, comme le conçoit le général Ailleret, alors chef d’état-major des armées, couvre trois catégories : la mission anti-putsch, la défense de nos intérêts stratégiques et la protection des intérêts français.
Bref, l’aviation de transport militaire, mission confiée aujourd’hui essentiellement aux A400M et au A330 MRTT, est un instrument majeur de gestion de crises et de rétablissement de la paix. On mesure le défi pour les années 2020-2030. Avec la création des FAS, le fait aérien change d’échelle et de requis technologiques, telle est la conclusion des stratèges français. Plus d’une centaine d’opérations extérieures impliquant l’aviation militaire de transport a été recensée. Un constat, la notion de projection de puissance s’impose dans la grammaire de la défense à compter de la guerre du Golfe de 1991, pour ne plus jamais la quitter. Ajoutée au Moyen-Orient, l’Asie centrale constitue un nouvel espace d’intervention. Desert Storm 1991 en péninsule arabique est un tournant : “L’importance nouvelle prise au cours de cette campagne influence la géographie de l’ensemble des opérations et fige certains enseignements qui formeront quelques années plus tard la matrice de la projection aérienne française”, peut-on lire, l’US Air Force exerçant
“un pouvoir d’attraction parmi les analystes et les planificateurs”. Désormais, la projection de force oriente l’identité de nos forces aériennes autour d’un triptyque cohérent calibré pour les opérations lointaines : “Rafale”, Airbus A330 MRTT et A400M. Ce système de forces est le fruit d’une réflexion stratégique approfondie qui puise dans notre histoire, notre politique de défense centrée sur la dissuasion nucléaire, notre géographie planétaire et notre position de membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU. Fruit d’une coopération fructueuse entre les Armées et l’Université française, ce travail est une contribution majeure à la réflexion stratégique française. Digne d’éloge. Une référence. ■