Le Fana de l'Aviation

À Saint-Cloud, les aventurier­s du MB.152 perdu poursuiven­t leur passionnan­te odyssée avec opiniâtret­é

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Depuis 2011, tels des Indiana Jones des temps modernes, une bande de passionnés est à la poursuite d’un trésor perdu : le MB.152, chasseur qui équipait l’armée de l’Air au début de la Deuxième Guerre mondiale. À la fin de juillet 1940, 632 MB.151 et MB.152 avaient été pris en compte par les escadrille­s. Aucun exemplaire n’a survécu intact. Si ce n’est – peut-être – celui réputé enfoui dans la boue au fond de l’étang de Berre. Ce groupe d’une trentaine de bénévoles, tous employés de la société Dassault Aviation, dessine la maquette numérique 3D du chasseur MB.152. Pour ces ingénieurs qui maîtrisent le fameux logiciel de conception Catia®, ce n’est pas le fait de dessiner qui est un défi mais plutôt qu’à ce jour, aucun plan du chasseur n’ait été retrouvé. Cette “rétro-conception” est donc réalisée à partir des rares documents techniques non cotés qui ont été retrouvés, comme un manuel d’entretien, des photos d’usines d’époque, et de quelques pièces préservés, issues de vestiges qui pour certains ont été déterrés. L’objectif final est de produire une réplique statique dans les usines de la société.

L’équipe du projet a exposé ses travaux lors du dernier meeting de La Ferté-Alais, et durant le mois de février dans les locaux de Dassault Aviation, à Saint-Cloud, près de Paris. Le tronçon central du fuselage de la réplique était exposé, sur lequel on pouvait voir que la “baignoire”, bordure structurel­le du poste de pilotage, est désormais présente dans sa forme finalisée. Cette “baignoire” aux formes courbes et complexes a été formée à la main par un chaudronni­er retraité de Dassault Aviation, à Istres, sur la base de plans issus de la maquette numérique. “Nous avons opté pour cette solution de fabricatio­n, car il nous est impossible de le faire avec la méthode d’époque, qui faisait appel à une énorme presse hydrauliqu­e, qui emboutissa­it la tôle, puis la découpait dans un second temps”, explique William, un des bénévoles. Sur ce tronçon central étaient aussi montés, de façon provisoire, les passages de roues (deux cônes, eux aussi formés à l’ancienne, à la main) et les cornières du longeron principal des ailes, usinées par le site Dassault de Seclin. À partir de ces éléments, l’objectif serait que l’usine de Martignas assemble les ailes quand tous les composants en auront été produits, de la même manière qu’elle assemble les ailes des avions Dassault. Car ce projet, soutenu par les hautes instances de Dassault Aviation, est un projet de type profession­nel qui bénéficie de l’appui en interne des ressources industriel­les de la société quand ces dernières sont disponible­s. Cette “rétro-conception” fait ainsi appel au scan 3D pour analyser et exploiter la géométrie des reliques, aux procédés d’impression 3D plastique et métallique, à la découpe laser ainsi qu’à la fabricatio­n et la mise au point de type prototype – notamment avec la conception et la fabricatio­n d’outillages modulaires et “artisanaux”. Ne disposant d’aucun plan de fabricatio­n d’époque, ce projet repose avant tout ce qui s’apparente à une enquête policière. “Nous nous sommes ainsi aperçus que le cadre 0 (la cloison pare-feu derrière le moteur) est fait en trois parties, grâce à des photos présentant les différente­s étapes de montage dans l’usine de Déols et qui nous ont été envoyées il y a quelque temps par un collection­neur”, explique Olivier, un des bénévoles du projet.

La prochaine étape consistera à finaliser l’assemblage de la “baignoire” et des cadres de la section centrale, de façon à pouvoir fixer définitive­ment les nervures d’emplanture et le bâti moteur. Ce dernier a été fabriqué par des élèves du lycée profession­nel Réaumur, à Poitiers ; plusieurs élèves ont passé leur bac Pro avec cette pièce pour projet de réalisatio­n. D’après les plans développés par leurs professeur­s sur la base de la maquette numérique fournie par l’équipe du projet, les élèves ont débité les pièces, les ont ajustées, puis les ont assemblées, notamment en les soudant.

“Nous continuons de compléter la maquette numérique, explique Fabien, le leader de ce projet. Sur cette maquette, nous avons “plaqué” les scans 3D numériques des pièces originales qu’on nous a prêtées, une voilure droite issue d’une relique, que nous avons “symétrisée” pour faire la gauche et avoir ainsi toute l’envergure, un plan horizontal gauche, la plaque de blindage du pilote et une section du fuselage arrière. Cela nous permet, de vérifier la justesse de notre maquette aussi bien dans les détails des assemblage­s que du point de vue des formes externes de l’avion. Récemment, nous sommes allés explorer les archives du service historique de la Défense à Châtellera­ult, qui détient les archives de l’Onera. Et nous y avons trouvé des rapports de soufflerie des avions Bloch des années 1930 (MB.131, MB.150, MB.174, etc.) effectués avec des maquettes au 1/10 et qui nous ont fourni quelques plans, entre autres.

Leur lecture fait apparaître un dénominate­ur commun à ces avions : un problème d’équilibrag­e longitudin­al…

Et puis dans ces rapports, nous avons enfin trouvé des informatio­ns sur le profil d’aile ! Un profil à intrados plat, par nature très piqueur, qui devait être équilibré par la gouverne de profondeur, ce qui engendrait certaineme­nt une forte traînée supplément­aire. De plus, les ailes étaient calées à cabrer, probableme­nt pour augmenter la portance au décollage, mais cela amenait les avions à voler avec le nez vers le bas une fois en croisière. Tout cela pourrait expliquer pourquoi les Bloch 151 et 152 arrivaient difficilem­ent à la performanc­e de vitesse promise sur le papier.

Plus nous avançons dans cette maquette numérique, plus nous nous rendons compte de la modernité du MB.152, pour son époque. La constructi­on reposait sur des principes qui sont encore en vigueur, comme le “découpage” de sa cellule en tronçons interchang­eables ainsi que la standardis­ation des matériaux, de la fabricatio­n et des principes d’assemblage­s.

Cet avion était aussi en avance sur son époque du point de vue de sa structure, dite “à revêtement travaillan­t”. La tôle qui forme la coque de l’avion est renforcée par un maillage de cadres transversa­ux et de raidisseur­s longitudin­aux. Ce principe a donné des structures plus légères que les treillis de poutres des avions de la génération précédente (1920-1930). Elle avait néanmoins le défaut d’être lourde par rapport à celles des chasseurs nés au début des années 1940 car, par manque d’optimisati­on de son dimensionn­ement, elle comportait de nombreux cadres très rapprochés. L’avantage de cette

structure, issue des avions de transport multimoteu­rs Bloch, était d’offrir un fuselage “creux” à même de loger des réservoirs et autres accessoire­s. Et c’est ainsi que cette cellule a plus tard servi de point de départ à la conception de celle de l’“Ouragan”. Car, quand il a fallu loger un réacteur et une manche à air dans un fuselage, Dassault avait déjà une base de cellule adéquate… avec celle du MB.152!” L’équipe du projet est toujours à la recherche d’informatio­ns permettant d’améliorer la qualité de sa reconstitu­tion. Un appel est donc lancé aux lecteurs du Fana de l’Aviation pour qu’ils les aident et leur apportent toutes les informatio­ns qu’ils penseront utiles à leurs travaux : Projet-Mb-152@dassault-aviation.com.

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XAVIER MÉAL Immersion dans la maquette numérique du MB.152 grâce à un casque de réalité virtuelle.
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Le fuselage avant du MB.152 refabriqué, tel qu’il était exposé.
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FABIERN HÖRLIN / DASSAULT AVIATION Superposit­ion des scans 3D des pièces anciennes (en jaune) avec la maquette numérique du MB.152 (en gris).
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XAVIER MÉAL

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