Les Pieds nickelés du renseignement militaire…
En marge de l’histoire de l’hydravion Richard-Penhoët, se déroula une étrange affaire d’espionnage, aujourd’hui oubliée. Ses protagonistes avaient fait preuve d’un certain amateurisme qui avait permis de boucler rapidement l’enquête. Courant décembre 1925, les journaux signalèrent “l’arrestation à Versailles d’un faux officier de Marine, se disant lieutenant de vaisseau, alias Pierre Sarda, et qui se nommait en réalité Lionel Wiet, sorti en 1922 de la maison centrale de Poissy”. Cet individu avait visiblement réussi à s’introduire discrètement en uniforme de la Marine sur l’aérodrome militaire de Villacoublay, avant d’être démasqué grâce à la perspicacité d’un pilote ! Les investigations de la Sûreté générale démontrèrent que cet homme était en relation avec une Française appelée Marthe Moreuil (ci-contre) et se présentant comme aviatrice-parachutiste. Cette dernière avait apparemment été chargée depuis plusieurs mois de se renseigner sur l’aviation française en général, par l’entremise du nommé Wiet et à l’instigation d’un certain William Fisher, un Anglais censé avoir été un “agent du service de contre-espionnage de l’armée britannique” durant la guerre 1914-1918. Au cours de son interrogatoire, Marthe Moreuil devait reconnaître se livrer à l’espionnage pour le compte du gouvernement britannique et avoir été rémunérée pour cela. Elle précisait son rôle exact dans cette affaire : “J’ai accompli plusieurs missions à Saint-Nazaire et à Bordeaux. Je devais surtout m’employer à recueillir tous renseignements précis sur l’aviation. À Saint-Nazaire, je devais me documenter sur la construction d’un hydravion à cinq moteurs, construit dans les chantiers de Penhoët, mais j’ai échoué (1). À Bordeaux par contre, j’ai réussi à connaître l’emplacement et l’approvisionnement des dépôts d’essence.” Apprenant l’arrestation de Lionel Wiet, elle s’était empressée de détruire quelques notes personnelles compromettantes qu’elle venait de rédiger au sujet de plusieurs bases d’aviation maritime dans le Sud de la France. Son manque de discrétion durant cette dernière mission avait toutefois éveillé les soupçons du contre-espionnage français. Comble d’amateurisme, elle avait même révélé à l’une de ses connaissances qu’elle “faisait de l’espionnage pour une puissance étrangère !”
C’est dire si le profil de cette espionne inexpérimentée, âgée seulement de 24 ans, était atypique… Entendue sur commission rogatoire par un juge d’instruction, cette apprentie espionne fut ensuite écrouée le 7 décembre 1925 à la prison de Saint-Lazare. Et les secrets de fabrication du RichardPenhoët furent ainsi fort heureusement préservés de la convoitise étrangère.
(1) D’ailleurs, quelques mois plus tard, la presse locale ne manquait pas de justifier de la sorte l’intérêt porté par les espions à cet appareil : “Il y a dans la construction de l’hydravion Penhoët plusieurs secrets, ou du moins innovations heureuses, sur lesquels on observe la plus grande discrétion.”