Aux commandes du Fouga“Magister”
Dans ce cockpit exigu, pas la place de se retourner et c’est difficile de se harnacher. Vaut mieux enfiler son parachute avant de monter à bord, mais une fois réglé, on fait totalement corps avec la machine. La visibilité est excellente. Toutes les commandes tombent sous la main… à condition de croiser les bras… Main droite sur pupitre latéral gauche et vice-versa. Le contrôle cabine effectué, on peut aborder la mise en route. On commence par le moteur critique. Sur le Fouga c’est le gauche qui entraîne les servitudes électriques et hydrauliques.
Batterie : “On” ; démarreur gauche : “On” ; robinet gauche : “Ouvert”. Lorsque le régime atteint 1200 tr/min, on appuie sur le petit bouton rouge placé sur le robinet pour déclencher la micro-pompe d’injection et les allumeurs torches. Ça y est, c’est parti… Température de sortie de tuyère : la T4 décolle tranquillement. Passé 150 °C, on relâche le bouton d’injection. Ça enroule de plus en plus vite dans un sifflement insoutenable, surtout pour le mécano resté sur le tarmac. Déjà 4500 tr/min. Démarreur coupé; le régime se stabilise au ralenti vers 6500 tr/min. La pression d’huile est montée. On pousse la manette des gaz pour monter le régime à 8000 tr/min. L’extinction du témoin rouge nous confirme l’enclenchement de la génératrice. Ouf! Il n’est pas rare que sur nos avions de collection le niveau de charge de la batterie soit un peu faible et que le fort appel de courant à bas régime engendre un couple trop important sur l’entraînement de la génératrice. Un système mécanique prévoit alors de désaccoupler mécaniquement la “géné”, mais il faudra deux heures de maintenance pour réenclencher le système… Après vérification des paramètres (stabilisation du régime, T4, pression et température d’huile), tout est prêt pour démarrer le droit et on se demande comment on va supporter le vacarme si strident d’un second réacteur… Même procédure : démarreur, robinet, injection, vérification de la pression d’huile. On monte ça à 8 000 tr/ min.
Après la mise en route, on déroule la check-list : breakers [fusibles], gyrocompas sur “On”, pressurisation “Ouvert”, 10000 tr/min et… comme par magie… le vacarme des réacteurs devient supportable. Le gonflement des boudins de la verrière améliore l’isolation phonique et sur un bon réglage du téléphone de bord, on communique confortablement avec le passager en place arrière. On poursuit : servocommandes : “On” ; interrupteurs pitot et gyros : “On”; VHF com, nav et transpondeur : “On”; pompe carburant basse pression : “On”. On est prêt pour l’essai des systèmes : commande de vol (roulis, tangage et lacet), aérofreins, volets, compensateur. Le gyrocompas a pris ses tours et on peut maintenant l’asservir sur la vanne de flux.
L’avion glisse comme sur des rails
Nous sommes prêts à rouler. Rien de plus simple sur Fouga : la roulette de nez est conjuguée et les freins sont en bout de palonniers. On en profite pour vérifier le frein de secours (manette rouge en haut à gauche), la cohérence des instruments PSV [pilotage sans visibilité, NDLR], dérouler la check-list avant décollage et se remémorer la procédure en cas de panne d’un réacteur au décollage.
Ça y est. Nous sommes alignés et enfin prêts pour l’envol. Plein régime sur les moteurs. Puissance affichée 21 500 tr/min. Grâce au “Marboré” VI, l’accélération est franche. On aime les 20 % de poussée de plus que ce que donne le “Marboré” II. Un petit coup d’oeil vers les extrémités d’aile pour confirmer qu’il n’y a pas de fuite de carburant au niveau des bidons pressurisés. Déjà 70 noeuds [130 km/h]. Il est temps de soulager la roulette de nez. L’avion accélère et s’affranchit de la gravité vers 90 noeuds [166 km/h]. On affiche 10° d’assiette. Vario positif, freins, train rentré. Vitesse supérieure à 120 noeuds [222 km/h], on rentre les volets. Ça s’enchaîne un peu plus vite que sur un Rallye 100… Ça accélère encore. Un petit coup de trim [compensateur] pour maintenir la VOM [vitesse optimale de montée] à 200 noeuds [370 km/h] et le bel oiseau monte à 3 500 pieds/min [18 m/s]. On a bien fait d’anticiper les fréquences radio pour communiquer au contrôle nos intentions et rejoindre un espace aérien en classe G [espace aérien non contrôlé, NDLR] où nous allons enfin profiter des qualités de vol du Fouga. Le vol devient une expérience merveilleuse.
Les commandes sont précises et sensibles. Atteignant l’altitude de croisière, on réduit les gaz vers 19 000 tr/ min. Le badin affiche
250 noeuds [463 km/h] et l’avion glisse comme sur des rails. Ce sifflement, l’absence de vibration, ce cockpit si étroit et l’excellente visibilité me rappellent les sensations de vol en planeur. Le contrôle nous autorisant à quelques évolutions dans la troisième dimension, nous commençons par un tonneau. Appliquons une légère pression sur le manche pour mettre le nez au-dessus de l’horizon et basculons le manche à gauche. La planète espiègle devant nous enroule un 360° dans une souplesse déconcertante. Le comportement de l’avion est très sain et nous invite à enchaîner avec une boucle. Une “oreille” [virage en montée puis prise d’axe en descente, NDLR] à 45° d’inclinaison nous permet d’aller rechercher le bon axe et la bonne vitesse, 280 noeuds [518 km/h]. Les ailes bien à plat, on tire sur le manche pour afficher 4 g sur l’accéléromètre situé en haut à droite de la planche de bord. Ça tombe bien, parce que le champ de vision s’est soudainement terriblement rétréci. Ça tasse un peu… On
(…) se préparer pour
“la ressource. Le Fouga restitue toute son énergie potentielle en vitesse
”
regrette l’absence du pantalon anti-g et que le siège pilote ressemble plus à un tabouret qu’à une chaise longue… et ça dure… Enfin au zénith. On respire. Ça valait le coup. Quel spectacle que celui de découvrir en apesanteur l’horizon à l’envers, une sensation de quelques secondes, puis se préparer pour la ressource. Le Fouga restitue toute son énergie potentielle en vitesse. Il va falloir calmer la bête tout en maîtrisant l’accélération. La voltige en Fouga est ample et majestueuse. Rien d’étonnant ! La manoeuvre procure beaucoup de plaisir à son pilote qui s’efforcera de maîtriser au mieux la précision de ses trajectoires pour être à la hauteur des qualités de vol de ce bel oiseau. La consommation, 700 l/h, nous rappelle à la raison. Il est temps de rentrer et nous rejoignons le circuit du Havre pour la 04 main gauche. 15000 tr/min, aérofreins sortis, l’avion décélère franchement sous les 140 noeuds [259 km/h]. On peut sortir les volets et le train. Il faudra remettre 17 500 tr/ min pour compenser les traînées et se stabiliser en finale à 110 noeuds. Là encore, l’avion est sur des rails. Il traverse les redoutables tourbillons engendrés par les falaises de Normandie, entre Le Havre et Étretat. Le seuil de piste approche, on refuse gentiment le sol et c’est un kiss landing [atterrissage en douceur] quasi assuré. Il a bon caractère ce Fouga. On comprend mieux son excellente réputation d’avion-école dans de nombreuses armées de l’Air.”