Un avion très redoutable
Deuxième partie. Derrière le Breguet type 14, il y avait Louis Breguet et les frères Michelin, si détestés par les services techniques qu’au Parlement un député s’en émut… L’avion bousculait les habitudes, prenait l’industrie de court, mais il subjugua se
Deuxième partie. Le Breguet 14 impressionne dès sa mise en service. Les pilotes sont élogieux.
La pagaille régnait au sein de l’aéronautique militaire où les rivalités entre civils et militaires, et militaires entre eux, multipliaient l’apparition et la chute presque aussi soudaine de têtes nombreuses. Dans ce panier de crabes, Breguet était en outre mal vu. Pour le dire simplement, la STAé ne fit pas qu’hésiter devant la formule proposée par Breguet, car, comme beaucoup d’autres cadres du ministère, elle ne voulait plus entendre parler de lui. Dès les premiers jours de la guerre, les Breguet à moteur Salmson 80 ch ou Gnome de 160 ch de l’Escadrille Br 17 s’étaient révélés, selon une note de la Direction de l’aéronautique du 16 août 1914, “presque inaptes à un service de guerre comme ayant une vitesse ascensionnelle insuffisante”, si bien que l’escadrille avait été dissoute en novembre ; en 1915, les déficiences des Breguet-Michelin avaient fait l’objet de rapports nombreux à la suite d’accidents (1), et, surtout, une fois de plus, des déficiences de leur moteur CantonUnné mal refroidi (qui expliqueront leur remplacement précipité par le Renault 12A) ; les Voisin furent aussi concernés. Cependant, pourquoi s’en prendre ainsi à Louis Breguet quand bien d’autres constructeurs dont, en particulier Louis Blériot, s’étaient également attiré la vindicte des militaires dès 1914 ?
Breguet n’était probablement pas directement en cause ; les frères Michelin qui fabriquaient et finançaient ses avions étaient visés à travers sa personne. Dès 1911, à grand renfort de publicité, ils avaient pris l’initiative de travailler à l’établissement d’une aviation de bombardement, étudiant notamment projectiles et viseurs. Ils avaient introduit sur le BM 4 des raffinements que les services officiels n’avaient pas demandés comme un indicateur d’assiette pour lancer les bombes depuis un avion parfaitement horizontal, expliquant auxdits services ce qui leur avait échappé, à savoir qu’une variation d’assiette de 2°, à peine perceptible, amène à 140 m du but visé des projectiles lâchés à 100 km/h depuis 2 000 m de hauteur. Ils avaient enfin adressé au commandement des recommandations sur l’utilisation des bombardiers et préconisé l’emploi d’une escadre de 75 bombardiers répartis en trois groupes de trois escadrilles, destinée à des opérations tactiques, selon leur propre doctrine tout à fait opposée aux idées très flottantes du Grand Quartier général. En offrant 100 bombardiers Breguet-Michelin à l’État en 1915, ils avaient en quelque sorte fini par imposer leur escadre contre la volonté de certains responsables ; ces derniers se vengeraient en laissant se propager toute sorte de rumeurs au sujet des BM, obligeant le colonel Édouard Barès, commandant l’aviation sur le front, à rétablir par écrit la vérité auprès du GQG… Mais les services officiels, à l’arrière, n’aimaient pas beaucoup Barès.
Enfi n, le Breguet AV était loin de respecter la norme de robustesse de la STAé : le nombre de l’AR était 0,0092, mais celui de l’AV était inférieur au minimum de 0,0081 ! Or c’est là que les essais statiques de l’AV, le 26 janvier 1917, vraisemblablement avec la cellule de l’AV 1, firent l’effet d’un jet de pierres dans une mare croupissante… La structure du Dorand AR s’était rompue sous une charge de sacs de sable 5,5 fois plus élevée que la masse totale de l’avion quand l’exigence était
4,5 fois. La rupture du plus léger Breguet AV se produisit sur un longeron de voilure entre 6,5 et 7 fois cette masse. La norme de la STAé était bafouée ; cela déplut.
Second jet de pierres par l’association Breguet-Renault, le résultat des essais officiels de l’AV 2 du 29 au 31 janvier et le 4 février 1917. L’avion de 1 050 kg à vide équipé, avec 52 m2 de surface alaire, son moteur Renault 12F de 270 ch au régime maximal, une mitrailleuse synchronisée à l’avant, et une autre sur tourelle à l’arrière, fut évalué par les pilotes René Labouchère, appartenant à la STAé, et Achille Piquet, adjudant de la réserve générale de l’Air avec, en janvier, 220 kg d’essence (3 heures de vol) et 310 kg de “poids utile”, pour une masse totale de 1 525 kg, puis, en février, avec 330 kg d’essence (5 heures de vol), 470 kg de charge et 1 815 kg de masse totale.
L’AV 2 monta bien et, à 1 525 kg au décollage, toucha 175 km/h près du sol et 165 km/ h à 4 000 m. À 1 850 kg, les temps de montée furent d’environ 30 % supérieurs et les vitesses à 0 m et à 4 000 m diminuées à 164 et 153 km/h. Les plafonds furent respectivement 5 800 et 5 100 m. Pour un avion de cette taille, c’était juste brillant.
Pourtant “les officiels n’étaient pas encore convaincus… La STAé s’abstenait de conclure”, selon André de Bailliencourt. Choqué, Alain Leret d’Aubigny, député de la Sarthe, devait rédiger un rapport sur ce qui devenait une affaire. Il s’était déjà inquiété à plusieurs reprises de l’ostracisme de la STAé à l’égard de Louis Breguet, André et Édouard Michelin. Il fit alors appel au général Amédée Guillemin qui, après une enquête sur le terrain infirmant les avis défavorables de la direction de l’aéronautique sur le BreguetMichelin, accéda à la demande du député pour faire essayer l’avion AV par un pilote du front. Le lieutenant Henri Lemaître, commandant l’Escadrille BM 120 fut désigné.
D’excellentes qualités de vol
Sans cacher son enthousiasme, Lemaître apprécia pour le tir et le bombardement la stabilité de l’AV 2 qui restait bien sur sa trajectoire, ce qui, avec une charge élevée, “en font du point de vue du bombardement un avion très redoutable”. Il l’écrivit dans son rapport. Le plafond très élevé, même à pleine charge, l’armement, la vitesse en faisaient, selon lui, “sinon un avion de chasse, du moins un avion de combat qui n’aura pas à redouter la lutte avec les avions ennemis les plus dangereux, tout au moins avec ceux connus jusqu’à ce jour sur le front”. La facilité du pilotage avait aussi pour origine des becs de compensation sur la gouverne de profondeur, en plus d’un compensateur de profondeur réduisant les efforts du pilote sur le manche par variations d’incidence du plan fixe. Ainsi donc était apparu un A2 presque aussi rapide qu’un chasseur monoplace, susceptible d’être transformé en bombardier biplace, B2, pétri de qualités.
Le 10 février 1917, le biplace AV 2 fut enfin présenté aux huiles de la Direction de l’aéronautique
militaire : en tête le général Amédée Guillemin, nommé le jour même directeur général des services de l’Aéronautique militaire et à un mois de son limogeage ; derrière lui, dans ses petits souliers, le col. Régnier, directeur de l’aéronautique militaire pour quelques mois encore ; enfin le commandant Dorand, bientôt colonel, que l’on peut imaginer ingurgitant ce jour-là la lie du calice avant d’être désavoué et remplacé par Albert Caquot en janvier 1918.
Le 6 mars, Breguet demanda l’autorisation d’essayer à ClermontFerrand (chez les Michelin) un AV 2 “surchargé”, spécialement aménagé, préfigurant un biplace de bombardement. Pendant ce temps, le front ne cessait de dévoi- ler ses surprises, en d’autres mots des avions de chasse ennemis, plus rapides et mieux armés que leurs contreparties françaises. Il faudrait donc aller encore plus vite et emporter encore plus de munitions (500 cartouches pour chaque mitrailleuse). Tout poussait à l’adoption de l’avion Breguet et à sa mise en service rapide. D’ailleurs y avait-il une alternative ?
Après l’adoption, en mars 1917, du plan de 2 665 avions en première ligne, le Breguet AV 2 fut commandé le 16 mars en 150 A2 de corps d’armée et 150 B2 de bombardement, ces derniers à construire par les usines Michelin qui fourniraient d’ailleurs à prix coûtant tous les Breguet B2 jusqu’en mai 1919.
Comme le chasseur monoplace Spad bi-mitrailleuse venait de recevoir la désignation militaire de Spad XIII, l’AV 2 fut Breguet type AV 14 A.2 (ou XIV A2), puis Breguet 14, car l’usage des chiffres romains n’était désormais plus la règle dans l’Aéronautique militaire. Enfin, pour atteindre 180 km/h, la version A2 eut sa voilure débarrassée de ses ailerons automatiques et ramenée à environ 49 m2 par réduction de l’envergure des ailes inférieures. L’augmentation attendue de puissance permettrait plus tard de presque doubler la charge utile, alors limitée à 310 kg.
Le prototype du Br 14 bombardier avec la voilure originelle de 52 m2 fut évalué à Clermont-Ferrand
le 17 mars 1917. L’essieu entre les roues et les capots du moteur furent les seules sources d’ennuis. À vide, ce Br 14 décollait presque trop vite ! Il quittait le sol à 60 km/h après 50 ou 60 m de course et se posait en 70 m. Avec 800 kg de charge, les pilotes notèrent un pilotage “très agréable”, (…) “une parfaite tenue en vol” – notamment, pensa-t-on, grâce aux ailerons automatiques qui amortissaient les turbulences –, un décollage en 120-130 m et un atterrissage en 80-90 m.
Ces essais totalisèrent plus de 150 atterrissages dont certains “très durs” demeurèrent sans conséquences et l’on s’en félicita, mais en 22 heures de vol il fut impossible de juger de la tenue du moteur. Néanmoins tout le monde était très content et pouvait affirmer que ce Breguet 14 ferait “un excellent avion de bombardement, très supérieur à tous ceux existant actuellement.”
Prix du marché et entourloupes
Le prix du B2 fut établi par Michelin à 21 000 francs par avion ( prix coûtant : 10 ans du salaire moyen français de 1913), auquel il fallait ajouter 3 000 F d’équipements et les droits de licence à Louis Breguet, soit 2 000 F ramenés à 500 F au 600e exemplaire. On paierait donc un avion bombardier équipé le prix de certains aéroplanes de 1910 !
Fin 1917, Louis Breguet bénéficia d’un marché de 375 Br 14 A2 à moteur Fiat au prix moyen de 31 000 F pièce, dont 27 405 F pour l’avion nu. Le prix comprenait la fourniture par le constructeur de compte-tours (225 F) et de rétroviseurs (36 F) qui, en réalité, furent en grande partie, comme les plaques de verre blindé pour les pare-brise, apportés par les services de l’État que Breguet oublia de rembourser. De son côté Paul Schmitt, bénéficiaire d’un marché de 250 Breguet 14 A2 au prix unitaire de 29 500 F après réception ou 28 500 F avant, en livra 29 à la Belgique “avant réception”, mais au prix fort. Au Trésor public qui réclama les 29 000 F trop perçus, Schmitt fit la sourde oreille, lui qui alertait le Parlement au moindre retard de paiement dudit Trésor ! Ces pratiques étaient en fait répandues dans toute l’industrie. Ainsi, autre exemple, le prix payé des avions comprenait le plein des liquides pour un convoyage vers l’aérodrome de réception, le vol de contrôle puis un convoyage de 35 km au plus vers dépôts et unités ; invoquant la pénurie d’essence, les constructeurs ne respectaient pas cette obligation – d’où, entre autres, quelques Br 14 en panne sèche dans les champs –, mais ne remboursaient pas pour autant l’essence non fournie bien que payée ! Toutefois, lorsque la société Breguet apportait rapidement assistance aux escadrilles, à leur demande, pour résoudre des problèmes techniques, était- elle rémunérée pour cela ? Rien n’est moins sûr.
son maître-couple, c’est-à-dire du moteur au poste du pilote, le fuselage mesure 1 405 mm de haut et 1 015 de large, dimensions ne dépassant pas celles du moteur capoté, néanmoins généreuses puisque beaucoup d’avions de tourisme biplaces côte à côte d’aujourd’hui offrent un habitacle large de 90 cm. Vers l’arrière, le fuselage s’amincissait ; la tourelle de 80 cm de diamètre en débordait pour permettre d’orienter la mitrailleuse vers le bas. Plus tard, le support de l’arme de tourelle (et bientôt d’un jumelage) fut modifié de sorte que le tir fût possible “en retraite” (vers les côtés et l’arrière), comme “en
chasse” vers l’avant par- dessus la voilure et l’hélice. Une mitrailleuse Vickers, placée sans raffinement sur le côté gauche de l’avant fuselage, actionnée par le pilote, tirait vers l’avant, synchronisée avec la rotation de l’hélice. Dans leur version définitive, les B2 eurent enfin des ailes inférieures d’envergure totale légèrement réduite à 13,604 m.
Les premiers Breguet AV 14 A2 n’atteignant pas 180 km/h, l’envergure de leurs ailes inférieures fut réduite à 12,4 m et les ailerons auto- matiques supprimés, la surface portante totale étant ramenée à 49 m² environ, ce qui se traduisit aussi par un allégement d’une trentaine de kilos. L’accroissement de la puissance avait aussi induit une augmentation de surface de la dérive qui prit sa forme définitive, rectangulaire avec un bord d’attaque demi-rond.
Le Br 14 montait toujours bien ; le pilote Lorgnat le conduisit à 6 786 m le 26 mai 1917 ; en essayant un inhalateur d’oxygène, Albert, successeur de de Bailliencourt chez Breguet, conduisit un des premiers Br 14 à 8 000 m le 26 septembre suivant. Malheureusement, le moteur 12Fcx allégé, résistant mal à ses 310 ch, devait encore être amélioré. Pour autant, le 13 août 1917, pour transporter le roi et la reine des Belges sur un aérodrome où ils allaient décorer des équipages de la Br 218, l’état-major français ne trouva rien de mieux que deux des premiers Br 14 A2. Cela révèle le prestige dont l’avion était déjà entouré. Le Breguet 14 était une apparition, un
jaillissement, inattendu, surprenant, bienvenu. Il devait donc être produit en très grande quantité, ce qui posait une égale quantité de problèmes. Il condamnait le Dorand et le Sopwith auxquels se consacrait toujours un grand nombre d’usines et d’ateliers qu’il fallut en partie reconvertir aux structures métalliques sans avoir à ralentir une production poussée sans cesse à la hausse par l’intensification de la guerre aérienne. Le Breguet 14 prenait ainsi de court une industrie massivement vouée à la construction en bois, à quelques exceptions près ; aussi sa sous-traitance allait- elle donner l’occasion à quelques spécialistes de faire leur entrée dans l’aéronautique, comme la Société d’études et des constructions mécaniques (SECM) de Félix Amiot, fondée en 1916.
Les difficultés de l’approvisionnement en duralumin justifièrent pendant un temps le retour aux longerons de voilure en bois sur le Breguet et le recours apparemment définitif à l’acier pour l’essieu du train d’atterrissage. Les échanges de courrier pendant l’été de 1917 entre le Parlement et le sous-secrétaire d’État à l’Aéronautique, Daniel-Vincent, montrent bien la dimension de l’obstacle : “Pour satisfaire aux besoins des fabricants d’avions Breguet (be- soins fixés par leurs carnets de commandes), la Société [du] Duralumin a demandé, d’accord avec le service industriel de l’aéronautique, les quantités d’aluminium suivantes : juin : 50 t, juillet : 52 t, août : 52 t, septembre : 52 t, etc. En juin, elle a reçu 0 t. En juillet (exactement au 2 août), elle n’en avait reçu que 20. Pour août, on a réduit ses demandes à 29,600 t et pour septembre à 31…” Il en résultait un déficit de 125 t “dont il faut déduire 12 % de déchets pour obtenir le tonnage utilisable (...)” lequel, en comptant “100 kg nécessaires à la construction d’un avion Breguet (...), représente la valeur de 1 000 avions”. L’acier spécial des essieux manquait aussi. Quant aux moteurs…
Des Renault et leur intérim italien
Louis Renault avait, en janvier 1917, demandé par écrit aux services officiels des instructions précises pour orienter la production de ses moteurs. Devait-il continuer le développement en 190 ch de son V8 de 160 ch (pour le Dorand AR) mal-
Profondeur : (…) très bonne. Gauchissement : bon, assez dur. Direction : très bonne
gré l’apparition de l’Hispano-Suiza, coqueluche de la STAé, ou devait-il pousser son V12 de 270 ch ? Pas de réponse…
Il déployait des efforts considérables et coûteux, notamment en essayant d’adopter des pistons en aluminium pour gagner du poids, et en s’efforçant d’augmenter les régimes de rotation du V12. Les progrès étaient certains et, finalement, furent rapides (lire notre encadré ci- contre). Malheureusement ils furent trop lents pour calmer des impatiences proches de la panique. Renault devait-il vraiment poursuivre sur la voie 12F ? S’il reçut finalement une réponse ce fut avec les premières commandes passées avec celle des Br 14. Un peu tard puisque la montée en cadence d’une production de moteur est nécessairement plus lente que celle des avions. De plus, Louis Renault avait attendu ces commandes pour transformer tous les 12Fc de 220 ch en 12Fcx “allégés.” En conséquence, tandis que l’on s’encombrait de moteurs Lorraine de 220 ch dont l’affectation n’était pas prévue, des 2 000 exemplaires de Renault 12F espérés fin mars 1918, il ne viendrait que 1 359. Ce retard et le manque de duralumin ralentirent la sortie des Breguet 14, soit, pour les B2, un en mai 1917, cinq en juin, 28 en juillet, 48 en septembre quand, enfin, la cadence dépassa un avion par jour chez Michelin. Un état de l’aviation d’observation en 1917 souligne que la production des Br 14 A2, “cet excellent avion”, ne dépassait pas 40 exemplaires mensuels en fin d’année et que, pendant les 10 premiers jours de novembre, cinq seulement furent livrés.
Il s’était très tôt avéré nécessaire de trouver un moteur intérimaire équivalent en dimensions et puissance. Ces critères pouvaient s’appliquer au Fiat A12 6 cylindres en ligne italien de 22 l de cylindrée – extrapolé du Mercedes allemand –, moins puissant et plus lourd que le Renault (210/240 ch pour 410 kg) ; le Br 14 A2 à moteur Fiat pèserait 30 kg de plus qu’avec le Renault. Le premier Br 14 A2 à moteur Fiat fut essayé le 4 mai 1917 et environ 600 exemplaires furent comman-
dés fin 1917. Louis Breguet tenta en vain d’adapter à ce moteur un nez pointu, plus étroit, pour compenser la diminution de puissance par des raffinements aérodynamiques ; mis en service en 1918, le moteur A12 déçut. Il fut remplacé par l’A12bis de 260/300 ch sous le capot classique des Breguet 14, sans mieux séduire.
Plus vite, plus vite !
Les performances du Br 14 eurent certainement une influence sur la doctrine d’emploi de l’aviation de bombardement française. Ainsi, le 3 mai 1917, le programme d’étude des avions nouveaux réclama d’une part un bombardier biplace destiné à frapper avec plus de précision l’arrière des lignes ennemies, d’autre part un bombardier de représailles, moins précieux, visant les villes allemandes pour répliquer à l’attaque et la destruction des villes et villages français par l’ennemi ; le bombardement à grande distance (nous dirions stratégique) n’était plus prioritaire. Les spécifications étaient, pour les vitesses : 180 km/h pour les A2, 190 km/h pour les C2 (chasseurs biplaces), 170 pour les B2 (avec 5 heures d’essence) et les B1, bombardiers monoplaces de représailles emportant assez de combustible, comme on disait alors, pour 7 heures de marche. Ces spécifications semblent calquées sur les performances du Breguet 14 que son créateur ne cessait de pousser pour le maintenir au plus haut niveau et en faire l’avion le plus polyvalent de l’aviation militaire mondiale : reconnaissance, observation, réglage de tir, bombardement de jour, chasse, bombardement de nuit, transport. Cela fait irrésistiblement penser à d’ultérieures grandes réussites aéronautiques ; la comparaison entre ces avions est illusoire, mais le parallèle inévitable : le Breguet 14 fut, pendant la Première Guerre mondiale, un équivalent sinon un précurseur du De Havilland “Mosquito” des Alliés pendant la Deuxième Guerre mondiale, voire aussi du Lockheed P-38 “Lightning” de reconnaissance comme on le lira plus loin. Un manuel du Br 14 A2 donne les caractéristiques suivantes (2) : – envergure supérieure : 14,364 m ; – envergure inférieure : 12,40 m ; – hauteur : 3,3 m ;
– longueur : 8,80 m ; – surface portante : 49 m2 (ce chiffre est arrondi ; le chiffre le plus fréquemment cité dans les documents d’époque pour l’A2 est 48,5 m2, voire
48,7 pour l’A2 n° 717 allégé, prototype préfigurant la version définitive de 48,5 m2) ; – voie du train : 1,90 m ; – poids à vide : 1 020 kg ; – charge utile : 526 kg ; – capacité : 250 l d’essence et 17 l d’huile.
Les performances variaient beaucoup selon la charge, mais, globalement, l’avion décollait à 100 km/h, ne demandant au pilote qu’un peu de pression sur le palonnier à droite pour compenser le couple d’hélice, puis il montait à 100-110. Une manette augmentait l’admission d’air pour permettre le vol plein gaz au-dessus de 2 000 m d’altitude, caractéristique des moteurs surcomprimés. En descente, il était recommandé de ne pas laisser la vitesse tomber en dessous de 110 km/h. L’atterrissage devait être effectué trois-points à 75 km/ h au toucher.
(2) Certains chiffres sont indicatifs car selon les masses et vitesses, ils pouvaient varier. Jacques Guillem fait remarquer que cette masse totale était très proche de celle des avions de 300 ch modernes, et qu’avec sa faible charge alaire, l’avion aurait pu décoller avec une surcharge considérable…
(3) Les numéros de série Breguet des AV se situaient dans les 660.
d’essais ultérieurs (septembre 1917) par la STAé du Br 14 n° 717 (3) à moteur Renault 12Fcx de 280 ch à 1 500 tr/min, et hélice Ratier série 34, la vitesse de 180 km/h fut établie au régime de 1 580 tr/min. Le détail du rapport indique une charge composée de 74,1 kg d’armement de bord (soit deux mitrailleuses de 15 kg chacune et leurs munitions), 47 kg de lance-bombes Michelin sous les ailes, 10,45 kg d’appareil photographique (coincé sur le côté droit dans le dos du pilote et accessible à l’équipier), 38,3 kg (dont 10 de lest) de TSF, et 1,5 kg de phares, le tout avec équipage et carburant portant la masse totale à 1 516 kg. Les vitesses par rapport au sol mesurées furent 180 km/h à 1 580 tours au niveau du sol, 177,5 à 1 570 tours à 1 000 m, 155 à 1 480 tours à 5 000 m, altitude où les chasseurs ennemis n’étaient pas plus rapides ! Le plafond théorique était 6 500 m. La présence des phares signifie que le Breguet 14, au départ qualifié de diurne, fut aussi engagé pendant la nuit.
Le pilote, Jean Caninet, mentionna dans son rapport, selon la terminologie du moment : “Profondeur : assez douce, très bonne. Gauchissement : bon, assez dur. Direction : très bonne”, effort “passable”. L’avion, nota Caninet, “vire très bien et normalement au pied. Il n’est pas fatigant aux bras car on se sert très peu du gauchissement, même dans les remous violents, l’appareil ayant une grande stabilité transversale”. Néanmoins, le pilotage était “assez fatigant aux jambes en raison de la mauvaise position du siège par rapport au palonnier”. La stabilité était “très bonne” sur les trois axes, la “conduite au sol facile ; rapidité de
Un avion qui se manie assez rapidement si le pilote déploie beaucoup d’énergie
l’envol : bonne.” Le Br 14 “redresse facilement avec une certaine tendance à faire des “sauts-de-mouton” à l’atterrissage si on ne pose pas à terre la queue avec les roues. Freinage : bon ; danger de capotage très minime… Visibilité bonne en dessus, passable en dessous. N’a pas tendance à glisser sur l’aile [probablement en virage]. Se met très difficilement en vrille.
En résumé un avion qui se manie assez rapidement si le pilote déploie beaucoup d’énergie. Palonnier trop bas par rapport au siège. La ceinture devrait être ajustable. Robinets d’essence très longs à ouvrir et fermer, sans indication de position.”
Les défauts relevés purent certainement être facilement corrigés. Pour le gauchissement, Louis Breguet avait muni le manche à balai d’une double poignée afin de le manoeuvrer à deux mains, mais, pour alléger l’effort du pilote, des ailerons à becs de compensation débordants furent montés sur certains exemplaires, portant l’envergure supérieure à 14,860 m. Quant aux rebonds d’un atterrissage mal négocié, ils furent toujours un défaut de l’avion à cause des amortisseurs en sandows, et pouvaient mal se terminer, mais “relativement léger”, l’avion acceptait assez docilement de se poser trois points.