Un avion invendable
Construite à seulement 40 exemplaires dans les années 1970, la “Corvette” (1) n’est plus en service. Les archives permettent d’en savoir plus sur ce douloureux échec commercial, financier et technique.
Pourquoi le programme de l’avion d’affaires “Corvette” tourna au désastre industriel ?
Tout commence quand les armées françaises font état le 21 juin 1967 d’un besoin de 80 à 120 bimoteurs légers à partir de 1971 ou 1972, auquel Dassault répond le premier par un projet de biturbopropulseur “Astazou” MD.420 puis MD.320 “Hirondelle”, un prototype étant lancé en octobre 1967.
De leur côté, suite à l’annonce des petits réacteurs double flux UACL JT 15D et Snecma Turbomeca “Larzac”, Nord et Sud Aviation proposent en septembre 1967 leurs projets de biréacteurs Nord 400 et SA-X-250. Un projet commun SN.600 est déposé le 11 janvier 1968, reprenant l’architecture générale du SA-X-250, qui retient l’attention de l’état-major de l’armée de l’Air. Dassault réagit en proposant une “Hirondelle” bimoteur “Larzac”.
Henr i Ziegler remplace Maurice Papon à la tête de Sud Aviation le 3 août 1968, et lance le prototype SN.600 “Corvette” (1) le 7 novembre 1968, tandis que Dassault lance l’“Hirondelle” 10, futur “Mystère” 10.
Le SN.600, comme la première version du “Mystère” 10, est un avion de moins de 5,7 t, permettant des frais de maintenance et d’exploitation moins élevés. Learjet, qui a livré son modèle 23 dans la même catégorie de 1964 à 1966, l’a remplacé par le modèle 24 de plus de 5,7 t en mars 1966, en raison du manque de fiabilité d’un appareil construit trop légèrement. Dassault réagit le premier en transformant son “Mystère” 10 en avion de vitesse à servocommandes en février 1969, dépassant 5,7 t. Pan Am commande
40 “Mystère” 10 plus 120 options en juin 1969, obtenant ainsi l’aide financière des autorités françaises. Côté “Corvette”, les 10 premières commandes fermes et 11 des 12 options (aucune aux États-Unis) seront annulées avant livraison.
Henri Ziegler devient PDg de la Snias (Société nationale industrielle aérospatiale) le 1er janvier 1970, fusion de Nord et de Sud Aviation. Le prototype SN.600- 01 F-WRSN sort le 4 mars 1970 de son hangar de Melun-Villaroche, mais n’effectue son premier vol que le 16 juillet, tandis que le “Mystère” 10- 01 vole le 1er décembre 1970.
Le SN.600-01 est détruit dans un accident le 26 mars 1971, provoquant la mort de Robert Guyot (pilote), André Noël (mécanicien navigant) et Robert Bernardoni (ingénieur d’essais), spécialistes du Centre d’essais en vol, en essais de décrochage, probablement en raison d’un défaut aérodynamique majeur du plan fixe horizontal réglable.
Le lancement d’une version de série modifiée
La décision a déjà été prise de lancer une version de série modifiée par le rallongement du fuselage arrière de 1,14 m et une surface de gouverne de profondeur réduite, ce qui fait passer le poids de ce SN.601 au-dessus de 5,7 t. Le SN.601-1 F-WUAS sort d’usine à Saint-Nazaire le 20 octobre 1972 et effectue son premier vol le 20 décembre. Entre-temps, le “Mystère” 10- 01 a lui aussi été détruit dans un accident le 31 octobre 1972, provoquant la mort des deux pilotes de Dassault à la suite d’un essai de déroulement du compensateur de direction.
Le dollar est dévalué de près de 10 % en février 1973, une mauvaise nouvelle pour les deux concurrents. Le “Falcon” 10 de série vole le 30 avril 1973, tandis qu’Air Alpes (prési- dée par Henri Ziegler) commande quatre “Corvette” en juillet 1973. Le “Falcon” 10 est certifié le 11 septembre 1973 et la première livraison effectuée le 20 décembre, tandis que la guerre du Kippour fait passer le prix du baril de 3 à 12 dollars.
Le SN.601 est certifié le 28 mai 1974 et l’avion n° 6 est remis à Air France/Air Alpes le 16 septembre. L’avion n° 8, spécialement équipé pour la calibration des aides radio
en Afrique, est remis à l’Asecna (l’Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar) le 20 novembre. Air Alsace reçoit la première de ses quatre “Corvette” le 20 décembre 1974, et Air Languedoc le 11 mars 1975. TAT reçoit le premier de ses quatre avions le 7 janvier 1977.
Le Sfact (Service de la formation aéronautique et du contrôle technique, école de formation au pilotage fusionnée avec l’Enac en 2011) reçoit ses deux premiers appareils (n° 7 d’occasion et n° 37 neuf) le 28 novembre 1977, alors que cet organisme de formation des pilotes de lignes préférait le “Falcon” 10, dont le 100e exemplaire sort de chaîne. L’avion n° 38 est remis à la Libye en juin 1978, le n° 39 à l’empereur centrafricain Bokassa en janvier 1979. Le 40e et dernier appareil effectue son premier vol le 29 décembre 1978 – sa sortie, prévue en juin 1977, a été retardée par le manque de commandes –, et ne sera livré qu’en novembre 1981 à un client privé mexicain.
Échec total aux États-Unis
Après les échecs des négociations avec de grandes sociétés comme Rockwell et Grumman, la Snias signe un protocole de distribution aux États-Unis le 2 décembre 1972 avec la société US Corvette, à Atlanta, en Géorgie, créée le 2 mars 1973 avec un capital de 4 M$. Un contrat d’achat de 70 appareils est paraphé le 7 mars 1973, livrables à partir d’avril 1974, à raison de 10 appareils en 1974, 25 en 1975 et 35 en 1976. Le président (honoraire, sans engagement financier) est William Bill Lear, associé à Lawrence Block (Planes Inc, à Atlanta) et Robert Graf (Graf Jets Inc, à Fort Lauderdale, en Floride).
Une lettre de crédit de 250 000 $ est envoyée à la Snias. La coopération industrielle peut aboutir à une cession de licence de fabrication. Les
La faible disponibilité de l’avion gêne considérablement l’effort de vente
acomptes avant livraison sont ramenés de 15 % à 5 %, il n’y a aucune garantie bancaire et il est peu probable que la Coface (Compagnie française d’assurances pour le commerce extérieur) accepte de couvrir le risque vu l’absence d’ancienneté et la faible surface financière d’US Corvette.
US Corvette demandant un nouveau rabais de 7 %, H. Ziegler est contraint de renoncer à l’accord et renvoie la lettre de crédit de 250 000 $ le 17 juillet 1973.
Le 17 juillet 1973, la Snias signe un contrat de vente de 70 “Corvette” avec Air Center, moyennant un dépôt de 350 000 $. Cette société, dirigée par M. Ted Foster, entretient 103 des 133 “Jet Commander” en service aux États-Unis, plus des “Sabreliner”, “Learjet”, “Citation” et “Falcon” 20. En 1974, sept “Cor- vette” seront livrées, puis 21 en 1975 et 35 en 1976, aménagées de six à 14 sièges. Six appareils sont déjà vendus : un à Bill Lear, un à Bob Graf et quatre à Cimmaron Industries. La presse américaine n’est pas vraiment convaincue.
Des ennuis mécaniques omniprésents
En novembre 1974, Air Center rencontre de graves difficultés financières et ne peut à la fois assurer l’équipement des appareils, leur support et la promotion des ventes. Son implantation, étroitement localisée, ne peut constituer un distributeur valable pour l’ensemble du territoire des États-Unis. La clause d’exclusivité de distribution doit être supprimée. En février 1975, la Snias décide de prendre en charge la distribution de la “Corvette” aux États-Unis au moyen d’une filiale dont la constitution est en cours d’étude.
Cette sous-filiale de la Snias est constituée le 14 juillet 1975, avec un budget annuel de 1,25 M$. Elle est présidée par Pierre Marion et dirigée par Frank Fleming. Air Center continue à aménager les quatre appareils en cours de finition et devient un vendeur non exclusif. L’objectif de vente est de huit à 12 appareils pour la fin de l’année 1975. P. Marion estime qu’il y aura 18 à 24 “Corvette” aux États-Unis fin 1976, et 80 au total.
À la suite de l’échec de la négociation avec Grumman et le refus de Federal Express de commander des “Corvette” cargo, la Snias décide d’arrêter la tentative de commercia-
lisation de la “Corvette” aux ÉtatsUnis le 6 mars 1976 et l’arrêt de la chaîne à 40 exemplaires. Les huit appareils d’Aerospatiale Aircraft Corp sont rapatriés à Saint-Nazaire et les 19 employés américains licenciés.
Les deux premiers appareils sont arrivés aux États-Unis avec un retard considérable sur les prévisions, et de surcroît porteurs de problèmes techniques non résolus. Le premier avion est livré le 15 août 1975 et n’est disponible pour les démonstrations que le 1er octobre. Les ennuis mécaniques sont omniprésents jusqu’au 1er décembre et la faible disponibilité de l’avion gêne considérablement l’effort de vente. Le problème du bruit en cabine a fait perdre trois clients. Le chantier de réduction du niveau sonore a duré du 14 décembre 1975 à fin avril 1976.
Le prix de la “Corvette”, de 500 000 $ plus élevé que celui du Cessna “Citation”, a fait perdre à la Snias le marché de six appareils de Presidential Airways, qui effectue un service régulier entre les aéroports de La Guardia (New York) et Dulles (Washington) afin de connecter chaque vol du Concorde. Ce service aurait été parfait pour promouvoir la “Corvette”, mais comme elle dépasse 12 500 livres (5,7 t), elle entre dans la catégorie FAR 25 (2), impliquant des frais de maintenance et d’exploitation plus élevés que ceux du
“Citation”, ce qui a refroidi les compagnies régionales, qui n’étaient pas prêtes à passer du turbopropulseur au réacteur.
Finalement, la “Corvette” n’a eu guère que deux mois pour démontrer ses possibilités en vol et les deux démonstrateurs n’ont pu accumuler que 160 heures de vol.
Après cinq années d’absence, la Snias tente à nouveau sa chance aux États-Unis avec M. Garrihy, président de Midwest Air Charter qui exploite quatre Caravelle 6R cargo. Après avoir examiné une “Corvette” de Sterling Airways, il est frappé par son volume de cabine et décide d’acheter l’avion n° 13 le 23 mars 1979 au nom de sa société de taxi aérien, Air National, plus quatre options. Le contrat prévoit également la promotion des ventes aux États-Unis, mais la production étant arrêtée et la concurrence sérieuse, la clientèle américaine boude la “Corvette” et les trois appareils d’Air National, à vendre en janvier 1982, sont restitués à la Seca (Société d’études et de constructions aéronautiques) [filiale de la Snias chargée de l’entretien puis de la vente des Corvette. NDLR] en juin 1985 pour révision et mis sur le marché européen pour moins d’un million de dollars.
Sur les 40 appareils construits, les trois premiers ne sont pas commercialisables – deux seront tout de même cédés au CEV. Quatre clients “lignes régulières” (Air Alpes-Air France, Air Alsace, Air Languedoc et TAT) vont recevoir 15 avions, tous en crédit-bail ou location. Sept clients “transport à la demande” (Air Inter Gabon, Air Intergulf, Continentale Air Service, DLT, Jetstar Holland, Malmros Aviation et Uni Air) vont recevoir 14 avions, dont huit en location ou crédit- bail. Trois gouvernements (Congo, Centrafrique et Libye) recevront trois avions et un seul appareil sera livré (après 3 ans de stockage) à un utilisateur privé mexicain (avion n° 40). Enfin, six avions seront livrés à des clients divers (deux au Sfact, deux au CEV, un à l’Asecna et un à la Sécurité civile). Du fait des méventes et des reprises, 26 des 40 avions produits serviront un jour ou l’autre de démonstrateurs.
19 clients de 12 pays recevront 39 avions (le n° 1 n’étant pas vendable), dont 13 achetés et 26 en crédit-bail ou location, puis repris par la Snias. Par comparaison, le Dassault “Falcon” 10 sera livré à 224 exemplaires neufs à 177 clients (essentiellement privés) de 19 pays, avec seulement 16 démonstrateurs, dont 15 aux États-Unis.
Profil des utilisateurs d’occasion
Les 40 exemplaires construits vont passer en 29 ans entre les mains de 92 clients : 39 en utilisation transport à la demande, 38 en utilisation privée, cinq à des gouvernements (dont Bénin, Comores et Mali), trois en utilisation cargo et seulement deux supplémentaires d’occasion en utilisation transport public (TAT et Air Alsace), immatriculés dans 23 pays. Trois appareils atteindront 10 transactions chacun.
Sur le plan de la conception, la cabine de la “Corvette” est à la fois trop grande pour un avion d’affaires et trop petite pour une compagnie régionale – le projet “Corvette” 200 de 18 places y étant destiné. Cette trop grande taille influe sur le poids, et donc sur les performances de la version affaires, qui transporte rarement plus de cinq passagers.
De ce point de vue, et toutes proportions gardées, la “Corvette” souffre du même mal que le biréacteur Dassault “Mercure”, “qui ne peut utiliser commercialement la capacité qu’il offre, et offre moins de charge utile que ses concurrents en raison du poids supplémentaire consacré à offrir un volume excédentaire. Il n’a donc aucune possibilité de vente dans un marché concurrentiel ouvert…”, selon la DGAC.
La Snias a orienté la “Corvette” vers un modèle économique et utilitaire, de plus grande capacité que ses concurrents moyennant de légères concessions sur la vitesse et le rayon d’action. Hélas, un jet d’affaires est un outil coûteux devant permettre de gagner du temps, ce sont donc plus les performances de vitesse et d’autonomie qui comptent qu’un hypothétique gain économique. Il semblerait que la Snias n’a jamais interrogé de spécialistes américains de l’aviation d’affaires (représentant 75 % de ce marché), et raisonne comme un concepteur d’avions de lignes, pour lesquels le coût au siège/ kilomètre est primordial. Lorsque les spécialistes américains essayent la “Corvette” n° 1 en avril 1974, leur jugement est sévère :
– la cabine est grande, mais il n’y a pas de soute à bagages extérieure ;
– le système de remplissage du carburant sous pression nécessite la présence de deux pilotes pour un remplissage partiel, car il n’y a pas de jauges des ballonnets, ces limitations annulant les avantages d’un remplissage unique ;
– le problème du rapport charge utile/autonomie oblige souvent à partir avec des pleins partiels ;
– le dégivrage pneumatique du prototype devait être thermique en série, mais le prélèvement d’air chaud aurait été trop important pour la puissance des petits réacteurs Pratt & Whitney JT15D4, et c’est le système TKS du HS-125, à glycol et eau pompés à travers des trous des bords d’attaque qui a été retenu, avec un réservoir permettant 2 heures de fonctionnement continu ;
– comme il n’y a pas d’APU ( Auxiliary Power Unit, groupe de puissance auxiliaire), l’avion nécessite des alimentations électriques et de conditionnement d’air extérieurs, pas toujours disponibles sur de petits aérodromes reculés ;
– le système hydraulique est double, mais ne possède qu’un seul réservoir ; en cas de fuite, il n’y aura plus de freins à l’atterrissage– et il n’y a ni inversion de poussée ni parachute ;
– le voyant “porte ouverte” est relié à 13 contacteurs, sans pouvoir savoir lequel est défaillant ;
– le cockpit est vaste, mais aucune vitre ne peut s’ouvrir ; les manettes des réacteurs sont placées trop bas.
L’avion est assez plaisant, mais son plus gros défaut est sa limitation entre charge utile et autonomie : quatre passagers maximum avec le plein complet. La “Corvette” peut convenir aux utilisateurs pas trop ambitieux sur l’autonomie et la charge marchande…
Des lacunes dans la philosophie des systèmes
La certification, prévue en février 1974, ne sera obtenue que le 28 mai. Les caractéristiques et performances prévues sont dégradées par rapport aux prévisions d’août 1973 : poids à vide supérieur de 200 kg qui fait passer les distances de décollage de 1 250 à 1 350 m, et celles d’atterris-
Hélas, ce sont donc plus les performances de vitesse et d’autonomie qui comptent…
sage de 690 m à 780 m. La vitesse de croisière diminue de 800 à 760 km/h. Il faudra augmenter le poids à vide de 200 kg pour maintenir l’autonomie de 1 470 km sans ballonnets. L’essai de 50 heures, nécessaire pour la certification, révèle des lacunes dans la mise au point ou la philosophie des systèmes :
– diffi cultés de réglage du pousseur de manche (dispositif poussant le manche vers l’avant pour empêcher le décrochage) ;
– manque de fiabilité de la synchronisation des réacteurs ;
– climatisation inefficace au-dessus de 25 °C ;
– niveau sonore anormalement élevé en cabine, insupportable à l’arrière et dans les toilettes ; – alarmes de synchronisation des volets.
Le rapport de la Mission interministérielle d’enquête sur la Snias du 15 juin 1974 fait état d’études de marché prévisionnelles non complétées par des enquêtes très approfondies auprès des clients potentiels et de leurs capacités financières. Concernant le marché américain, après les échecs des négociations de distribution avec Piper, Beechcraft, LTV et US Corvette, la Snias retient Air Center, une société trop modeste de 130 personnes, au chiffre d’affaires de 4,5 millions de dollars en 1973 devant passer à 45 millions de dollars en 1975 et 69 millions en 1976, aux obligations contractuelles très réduites.
Le marché européen, essentiellement régional et de charter, est composé de sociétés trop petites et peu rentables, en particulier après la crise du pétrole qui a fait augmenter les charges de 20 %. La flotte des trois principales compagnies aériennes régionales françaises (TAT, Rousseau Aviation et Air Alpes) représente un actif total de 38 MF, soit l’équivalent de cinq “Corvette”. Au prix de 7 MF l’unité, l’acquisition à crédit semble impossible ; seul le crédit-bail serait une solution, mais il est réservé à faciliter la commercialisation des gros programmes Concorde, Airbus et Mercure.
Malgré l’avis défavorable constant des autorités de tutelle,
Henri Ziegler a entrepris et poursuivi le programme “Corvette” sous sa seule responsabilité et celle de son conseil d’administration.
En mars 1976, la revue américaine Flying qualifie la “Corvette” de bévue tardive à cause de son manque de technologie avancée, de sa vitesse et de son autonomie insuffisantes. Ses caractéristiques sont contradictoires : grande mais lente, nouvelle mais pas moderne, espace bagages ridicule, et une commercialisation américaine ratée depuis 5 ans…
Pneus trop étroits, pare-brise fragile…
L’avis des utilisateurs est que l’avion est trop lourd et que les pneus trop étroits provoquent de l’aquaplaning. Le pare-brise finit par se fendiller dans les coins supérieurs, provoquant des échanges à 235 000 francs pièce. Le potentiel des réacteurs est inadapté au transport public, les freins sont à changer tous les 90 à 100 cycles, les pneus se dégonflent, les amortisseurs et les jambes de trains cassent en utilisation intensive de transport public.
En septembre 1976, alors que 30 appareils sont sortis de chaîne, de nombreux problèmes techniques ne sont toujours pas résolus. La cellule est limitée à 6 000 vols après apparition de criques aux essais statiques sur le longeron de voilure, nécessitant des modifications sur toute la flotte. Les trains principaux sont limités à 8 000 cycles à la suite de ruptures de fûts (3) et doivent être renforcés. Les volets ont toujours des problèmes d’usure de galets et de détection d’asymétrie de mouvement. Concernant l’asymétrie, le constructeur sera incapable de proposer une solution satisfaisante et c’est une petite société américaine, Software Science, qui résoudra le problème sur l’avion n° 40 en 2001…
Le problème du bruit en cabine est toujours en cours de résolution par le montage d’attaches souples de réacteurs et d’un habillage en Nomex [ fibres synthétiques]. Une régulation électropneumatique est développée pour améliorer le confort de la pressurisation par suppression des à-coups.
Le coup de grâce arrive en septembre 2003, avec une consigne de navigabilité concernant un problème d’altimétrie, nécessitant une modification de 150 000 euros (1/5 de la valeur de l’appareil) signant l’arrêt de mort de la flotte. Le certificat de navigabilité de la “Corvette” est révoqué par l’AESA (Agence européenne de la sécurité aérienne) le 21 février 2011. L’appareil n° 39 volera au Maroc jusqu’en 2009. L’avion n° 28 F- GPLA, spécialement modifié pour les prises de vues aériennes, sera arrêté par la liquidation de son exploitant, Uni Air, le 31 mai 2018.
Le financement du programme “Corvette”
Le 16 juin 1969, Henri Ziegler demande une participation de l’État de 132 MF au titre de l’article 90, soit les deux tiers des 200 MF du coût estimé de la liasse et de l’outillage de série. En juillet, il demande à nouveau 24 MF pour la réalisation d’un deuxième prototype équipé de réacteurs “Larzac”. Sans réponse de l’État, H. Ziegler réitère sa demande le 10 février 1971, mais le prototype s’écrase le 23 mars suivant.
Ce n’est que le 27 juillet 1971 que Jean Chamant, ministre des
Transports, refuse tout soutien financier au programme “Corvette” en raison de l’absence de commandes américaines promises au dernier Salon du Bourget. Le 1er février 1972, les ministères des Finances et des Transports se déclarent prêts à signifier à H. Ziegler leur opposition à la poursuite du programme “Corvette”. Le 10 février, Ziegler demande à Michel Debré, ministre de la Défense, qu’il ne soit pas pris de décision sans qu’il ait eu la possibilité de défendre le dossier. H. Ziegler a bénéficié de l’appui de Jacques Chaban-Delmas, premier ministre, dont il a été chef de cabinet de 1954 à 1956 lorsque Chaban était ministre des Transports. Ziegler estime que rien ne peut lui être refusé depuis qu’il a fait remporter l’UDR Alexandre Sanguinetti aux élections législatives de Toulouse.
En avril 1972, Bernard Lathière, directeur des transports aériens au SGAC (Secrétariat général à l’Aviation civile), fait effectuer par ses services une analyse des prix de revient de la “Corvette” en les comparant à ceux de Dassault pour son “Falcon” 10, afin de vérifier les calculs de rentabilité effectués par la Snias.
Le 30 août 1972, Giscard d’Estaing, ministre des Finances, estime que le programme est sans avenir commercial et doit être abandonné. Fin 1973, Jean Blancard, délégué ministériel pour l’Armement, affi rme que l’opiniâtreté qu’a mis le gouvernement à dissuader Ziegler de développer cet appareil n’a eu d’égale que celle de ce dernier à ne tenir aucun compte des avertissements gouvernementaux.
Le bilan de l’exercice 1973 de la Snias fait apparaître une perte de 484,70 MF, dont 330 pour la seule division avions, et 245 MF pour le seul programme “Corvette”. La situation de l’entreprise devient critique, ses frais financiers atteignant 6,75 % de son chiffre d’affaires. Le fait que les pertes dépassent 75 % du capital social entraîne les conséquences juridiques prévues par la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales : une assemblée générale extraordinaire doit être convoquée au plus tard quatre mois après la clôture des comptes pour décider, s’il y a lieu, une dissolution anticipée de la société.
Le 28 décembre 1973, l’assemblée générale extraordinaire des actionnaires place la Snias sous le nouveau régime de société à conseil de surveillance et directoire, avec effet au 1er janvier 1974. H. Ziegler, ayant refusé le poste de président du directoire, présente sa démission. Michel Fourquet est nommé président du conseil de surveillance et Charles Christofini président du directoire.
15 appareils du groupe Costa (Air Languedoc, Continentale Air Service), Air Alsace et Jetstar Holland ayant été financés en 19741975 en crédit-bail, les organismes financeurs, craignant la défaillance de leurs locataires, ont exigé de la Snias des garanties de reprise dans le cas où les locataires ne rempliraient pas leurs obligations. La Snias estime que le risque d’avoir à reprendre des “Corvette” interviendra en cas de disparition des compagnies aériennes les exploitant. C’est malheureusement ce qui va se produire en 1977-1979 et Henri-Paul Puel, nommé directeur commercial de la division avions en 1977, est contraint de racheter 15 “Corvette” aux bailleurs pour un total de 94 MF.
La Snias tombe dans le panneau
La Snias est tombée dans le panneau que Marcel Dassault avait pressenti et évité en octobre 1968, lorsque son équipe avait voulu augmenter les chances de vente de l’“Hirondelle” en proposant une version régionale de 12 places : les clients n’auront pas d’argent pour se payer un avion, surtout s’il est à réaction. C’est ainsi qu’il a lancé le “Mystère” 10, un avion de classe pour des clients privés, difficiles, mais qui paient.
Le 2 juillet 1977, la Cour des comptes publie un rapport sur le programme “Corvette”. Sur les 35 appareils sortis de chaîne des 40 lancés, quatre sont vendus ferme, 14 vendus à des sociétés de leasing avec clause de reprise et 13 sont en location précaire. La perte totale est de 900 MF, soit 85 % des dépenses et 66 % des déficits 1972-1975 de la Snias (1 349 MF), alors que ce programme n’a représenté que 8 % du plan de charge de la société. L’État a dû verser 1 035 MF à la Snias pour reconstituer ses fonds propres. Les 20 premiers avions ont été lancés par H. Ziegler sans qu’il ait consulté son conseil d’administration.
La nature des clients de la “Corvette”, pour la plupart des compagnies aériennes régionales ou des opérateurs charter sous-capitalisés, va entraîner des défauts de paiement croissants, passant de 12,70 MF en 1978 à 28,90 MF en 1979. Malgré une augmentation des frais de maintenance de 400 francs/ heure en 1976 à 1900 francs/heure en 1978, les pertes de la Snias sur la maintenance de 21 appareils se montent à 1,90 MF fin 1978. L’arrêt de la chaîne de fabrication à 40 exemplaires va faire chuter la valeur unitaire des appareils de 7,80 MF en 1975 à 6 MF en 1977.
Les devis du projet “Corvette” ont été constamment dépassés, même si cet appareil ne présente pas de problèmes techniques nouveaux. H. Ziegler n’a pas voulu tirer les conclusions qui s’imposaient à lui, et persisté en pensant qu’une aide publique lui serait finalement octroyée. En sa double qualité de président de la Snias et de président de la compagnie de lancement de la “Corvette”, Air Alpes, il a soumis le contrat d’achat au conseil d’administration de la Snias en omettant de préciser que le prix unitaire serait bien plus important pour les clients suivants, Air Alsace et Air Languedoc.
Ressentiments d’Henri Ziegler envers Dassault
Retour en arrière. H. Ziegler est directeur général de Breguet depuis janvier 1957. En raison d’une menace de licenciements due à une rupture de charge entre la fin de la chaîne de l’“Atlantic” et le début de celle du “Jaguar”, l’État demande à Dassault de racheter Breguet, ce qui est fait le 27 juin 1967 par l’acquisition de 66 % des parts de Sylvain Floirat et de la société Penhoet. M. Vallières, PDg de Dassault, prend la direction de Breguet le 30 juin 1967, évinçant H. Ziegler mais conservant l’équipe technique. Ce dernier est nommé peu après à la tête de Sud Aviation en juillet 1968, où il est confronté à une situation particulière dans le domaine des avions d’affaires.
En effet, un accord Sud AviationDassault a été signé le 7 juin 1962 pour développer le “Mystère” 20 en commun. Sud Aviation doit initiale-
ment réaliser la voilure, puis Dassault la substitue au fuselage, modifié et agrandi à la demande du principal client, la Pan Am. Au moment du lancement de la “Corvette”, Sud Aviation enregistre une perte irrécupérable de 150 MF sur la fabrication des fuselages du “Mystère” 20.
Face au refus de l’État de financer le programme “Corvette”, H. Ziegler déclare en février 1972 que si les participations directes de financement de l’État réservées jusqu’ici à la catégorie de luxe des “Falcon” ne laissent pas de disponibilités pour le créneau utilitaire de la “Corvette”, “il ne semble pas y avoir de difficultés à financer par l’emprunt un investissement rentable tel que celui de la “Corvette”, de même ordre de grandeur que la perte de Sud Aviation a endossée sur le programme “Mystère” 20, sans aucune perspective de rentabilité ou d’amortissement…”
H. Ziegler revient sur le “Mystère” 20 lors du comité financier de la Snias du 22 juin 1973 : c’est un avion brillant, tant par la qualité du produit que par le nombre d’appareils vendus – 280 à l’époque. Cependant, à la suite d’une définition hâtive qui a dû être profondément retouchée, le contrat de sous-traitance signé par G. Hereil a été un désastre économique se traduisant, à l’arrivée de H. Ziegler à Sud Aviation, par une perte de 127 MF, portée à 138 MF fin 1972 et à 150 MF en 1973.
La “Corvette” est un avion très bien construit, ce qui est mis en évidence par son poids à vide relativement élevé. La plus grande partie du surplus de poids est attribuable aux pièces usinées au lieu de tôles pliées, qui sont plus souvent utilisées dans cette catégorie d’appareils, ce qui influe aussi sur son prix.
Elle offre une cabine au volume confortable, permettant aux compagnies de transport public et de taxi aérien de transporter 14 passagers, ce qui est unique dans cette catégo- rie. Malgré cela, des équipements essentiels (réacteurs, trains d’atterrissage) ne permettent pas une exploitation intense de transport public sans des renforcements coûteux.
La polyvalence recherchée nuit à l’utilisation privée, constituant pourtant la grande majorité de la clientèle, dont les trois quarts se trouvent aux États-Unis, ce qui dissuadera d’importants distributeurs américains.
La “Corvette” arrive sur le marché avec une trop grande quantité de problèmes techniques que son constructeur sera trop long à résoudre. Il est étonnant que la Snias, constructeur d’avions beaucoup plus sophistiqués comme le Concorde, ne parvienne pas à mettre au point rapidement un appareil sans difficultés techniques particulières.
En novembre 1976, afin de se disculper, H. Ziegler précise que ce n’est pas la Snias qui a lancé la “Corvette”, mais Nord et Sud Aviation le 11 janvier 1968. Nommé à la présidence de Sud Aviation le 1er juillet 1968, H. Ziegler a hérité d’une perte de 130 MF réalisée sur le programme “Mystère” 20 et a fait de son mieux pour reconstituer un plan de charge de la division avions en réveillant le Concorde, en ressuscitant un Airbus déjà enterré, en lançant 10 ans trop tard la Caravelle 12 et en tâchant de faire déboucher la “Corvette” qui possédait d’incontestables atouts économiques. “Corvette” en est déjà à son cinquième président, ce qui est un handicap sévère pour commercialiser les avions sur ces marchés à long terme, où la concurrence impitoyable favorise les sociétés stables et continues dans leurs efforts.
Enfin, il faut rappeler que le biréacteur SN.600 d’H. Ziegler a torpillé le MD.320 “Hirondelle” de Dassault sur le marché du bimoteur d’entraînement et de liaisons de l’armée de l’Air, qui s’est vengé en lançant l’idée du “Falcon” 20 Transport le 10 juillet 1970, huit jours avant le premier vol du SN.600.
Le programme Dassault “Falcon” 10 ne sera lui non plus pas bénéficiaire, malgré la production de 226 exemplaires de série, son budget de développement ayant explosé de 170 à 282 MF. Il faudra sept ans pour écouler les 26 derniers exemplaires. Ce sont les Cessna “Citation” (689 commandes pour le I ; 1 100 pour le II, équipé de réacteurs P&W JT15) et Learjet 35/36 (739 ventes), équipé des mêmes réacteurs que le “Falcon” 10, qui gagneront la bataille commerciale.
La “Corvette” arrive sur le marché avec une trop grande quantité de problèmes techniques