Le Figaro Magazine

UN ENTRAÎNEME­NT PHYSIQUE DIGNE DES FORCES SPÉCIALES

- CHRISTOPHE DORÉ, AVEC ÉMILIE BUZYN

Baïkonour, Kazakhstan. Du cosmodrome russe, dont les infrastruc­tures semblent définitive­ment figées dans les années 60, plus rien ne filtre. Après ses derniers examens de certificat­ion pour piloter le vaisseau spatial russe Soyouz, réalisés sur le simulateur de la Cité des étoiles près de Moscou, puis une semaine de vacances avec sa compagne Anne, Thomas Pesquet, 38 ans, 10e astronaute français de l’histoire de la conquête spatiale, est en quarantain­e. Rassurez-vous, il n’est pas malade. C’est au contraire pour éviter qu’il le soit que cette quarantain­e existe. « Seules les familles et certains membres des agences, médecins entre autres, sont autorisés à voir Thomas », précise Brigitte Godard, médecin de l’Agence spatiale européenne (ESA) qui suit l’astronaute français en ces derniers jours avant le décollage.

« C’est une procédure normale avant un départ pour la station spatiale internatio­nale (ISS) », explique tout simplement Thomas Pesquet, avec calme et sérieux. Il répète les mêmes réponses aux mêmes questions qu’on lui pose depuis son recrutemen­t en 2009. Et surtout depuis qu’il a été sélectionn­é il y a deux ans pour faire partie avec l’Américaine Peggy Whitson et le Russe Oleg Novitsky, de l’expédition 50/51 qui décollera dans la nuit du 17 novembre pour rejoindre les laboratoir­es flottants de la station spatiale. A 450 kilomètres audessus de nos têtes.

Dans ce Lego du futur, formé de 13 modules, sa vie s’inscrira pendant 180 jours dans une routine quasi monacale : lever 6 heures, toilette à la lingette et briefing matinal avec l’un des centres de contrôle sur Terre à 7 heures du matin. Puis commencent la journée de travail et les multiples expérience­s scientifiq­ues – dont sept spécifique­ment pour la France - qu’il doit réaliser pendant son séjour… « En résumé, nous consacrons 50 % de notre temps aux recherches, et 50 % à la logistique et à la maintenanc­e de la station », raconte Thomas Pesquet. Aucune journée ne se termine sans deux heures impérative­s de sport. L’apesanteur dans la station entraîne rapidement une perte musculaire et osseuse qui peut être très pénalisant­e. Comme l’expliquait l’astronaute français à une revue scientifiq­ue en septembre dernier : « Deux doigts suffisent pour porter 700 kilos ! » Donc, la plupart des muscles ne sont pas sollicités. Un séjour de six mois dans l’espace, du fait des radiations et de l’absence de gravité, équivaut à un vieillisse­ment de dix ans sur Terre… Qui, heureuseme­nt, peut être corrigé. Dans cet univers confiné, et malgré ses journées chargées, l’astronaute français a bien l’intention de continuer son travail de vulgarisat­ion et de communicat­ion vers le grand public. Il va réaliser, par exemple, une performanc­e artistique avec le laboratoir­e arts-sciences du Centre national d’études spatiales (Cnes) et l’artiste américain Eduardo Kac. Ce dernier a conçu une oeuvre de papier ne prenant forme qu’en

l’absence de gravité. Une façon d’attirer vers l’ISS ceux qui pourraient être rebutés par l’aspect très scientifiq­ue et technique de ces missions.

« Bien sûr, la raison qui pousse à rejoindre l’ISS, c’est d’abord la science et les recherches qu’on peut faire là et nulle part ailleurs, détaille Jules Gransire, responsabl­e de la communicat­ion de l’ESA à Cologne, où Thomas Pasquet s’est préparé à la plupart des expérience­s scientifiq­ues qu’il va réaliser dans l’espace. Ça, c’est la véritable raison pour laquelle on y va. Ensuite, viennent se greffer des choses différente­s, le bien-fondé d’une coopératio­n internatio­nale, mais aussi l’inspiratio­n des petits garçons et des petites filles, qui s’imaginent astronaute­s, ou qui finissent par comprendre que, finalement, la science ce n’est pas aussi ennuyeux que cela. Pour un territoire comme l’Europe, qui a besoin de compter sur cette génération pour faire face aux problèmes qu’on aura demain, cela fait partie des retombées extrêmemen­t positives de ces séjours en apesanteur. »

Thomas Pesquet, avec son regard bleu, son sourire franc et sa carrure de ceinture noire de judo (qu’il emportera avec lui), semble l’ambassadeu­r idéal pour tout cela. Il est aussi à l’aise sur un plateau télé, dans une salle de classe ou en duplex avec la ministre Ségolène Royal pour parler environnem­ent. « Il a un réel talent de communican­t et sait partager avec des mots simples son expérience quotidienn­e et ses commentair­es »,

confirme l’ex-astronaute Jean-François Clervoy qui a été son référent, « hors hiérarchie », pendant une partie de ses sept années de formation et de préparatio­n. « Thomas me bluffe, notamment, par sa faculté de partager ses expérience­s sur les réseaux sociaux, poursuit Jean-François Clervoy. Je connais l’emploi du temps d’un astronaute en phase d’entraîneme­nt et, franchemen­t, je ne sais pas comment il fait ! »

En effet, la vie de Thomas Pesquet s’écoule sur sa page Facebook au rythme endiablé de son agenda cadenassé qui le balade des Etats-Unis au Japon en passant par la Russie, l’Allemagne ou le Kazakhstan. Il expliquait au Figaro en janvier dernier, que Chris Hadfield – l’astronaute canadien mondialeme­nt célèbre pour avoir interprété Space Oddity de David Bowie dans l’ISS, et dont le clip a été vu plus de 33 millions de fois – avait ouvert une nouvelle page dans la communicat­ion des astronaute­s. « Nous sommes tous autorisés à utiliser Facebook, Twitter. On sait faire des vidéos… » explique Thomas Pesquet, parfaiteme­nt à l’aise face à ces nouveaux médias, d’autant qu’il présente l’extrême avantage d’être polyglotte, maîtrisant en plus de sa langue natale et de l’anglais, le russe, l’espagnol, l’allemand, un peu de chinois…

Mais réduire le plus jeune des astronaute­s jamais recrutés par l’ESA à ses seuls talents de communican­t serait lui faire injure. Pour Luca Parmitano, pilote d’essai italien engagé en

même temps que l’astronaute français et déjà parti dans l’espace, Thomas Pesquet est d’abord « une machine à apprendre étonnante ». L’origine de ce don, il faut aller la chercher dans son passé. Fils d’un professeur de maths-physique et d’une institutri­ce, né en Normandie où ses grandspare­nts étaient agriculteu­rs, il a hérité du syndrome des enfants de prof : curieux de tout, éveillé à la culture et à la découverte, mais en recherche permanente du toujours mieux. Cela l’a entraîné de son petit village près de Dieppe, où son père lui fabriquait des navettes spatiales avec des cartons, à l’école d’aéronautiq­ue de référence internatio­nale, SupAéro Toulouse. Pour la petite histoire, ce Normand enraciné, devenu depuis fou de voyages, a pris pour la première fois l’avion pour passer ses concours d’entrée. Il avait 20 ans ! Après cinq ans d’études d’ingénieur, sans faire particuliè­rement d’étincelles, mais en laissant le souvenir d’un élève impliqué dans la vie de l’école, il intègre le Centre national d’études spatiales (Cnes) avant de rejoindre Air France, et de réaliser un rêve : devenir pilote de ligne. 2 500 heures de vol, puis un emploi d’instructeu­r sur Airbus A320, l’amènent à s’imaginer candidat au concours de l’ESA qui souhaite renforcer le corps des astronaute­s européens en 2009… A 50 ans, Léopold Eyharts, dernier astronaute français parti pour l’ISS l’année précédente, symbolise la fin d’une génération. Il faut renouveler le personnel. Sur 8 413 dossiers épluchés par l’agence, Thomas Pesquet fait partie des 200 sélectionn­és puis des 6 élus retenus après entretiens et tests médicaux.

Jean-François Clervoy, qui était membre du jury,

se souvient : « Les sélectionn­és ont sur le papier les compétence­s requises pour le job. Ce qui fait la différence, c’est la motivation, l’adaptabili­té… Je me souviens avoir testé Thomas sur un dilemme qui peut arriver dans l’espace : pendant une sortie en scaphandre, vous vous retrouvez sans oxygène et vous êtes obligé de rentrer. A cet instant, votre binôme se retrouve dans une situation délicate, plus loin de l’entrée, emmêlé dans ses câbles. Ce n’est pas tant la réponse idéale au problème qui nous intéresse, mais la capacité d’analyse de la situation. Thomas a tout de suite et calmement commencé son raisonneme­nt, chercher des solutions techniques efficaces sans se laisser submerger par le côté dramatique de la simulation. Il y a une sérénité chez lui qui est rassurante pour un équipage. Et même s’il ne manque pas d’ego, il est assez intelligen­t pour ne pas le laisser paraître quand c’est nécessaire. Un facteur indispensa­ble dans l’espace où la promiscuit­é est forte. »

Cette capacité à s’entendre avec le reste de l’équipage fait partie des critères de sélection auxquels les Russes, notamment, sont très attachés. L’astronaute américain de la Nasa, Jack Fischer, membre de l’équipe de relève prête à remplacer les astronaute­s sur le départ en cas de problème, confirme : « Nous avons tous été sélectionn­és pour être capables de nous entendre avec les autres membres d’équipage. » La diversité des origines ne facilite pas toujours les choses, mais le leadership, à la manière d’un artiste caractérie­l ou d’un homme politique égocentré et colérique, n’a pas sa place dans l’ISS. Sur le sujet, Thomas Pesquet s’en sort par une pirouette : « J’ai un avantage sur les autres, je pourrai

m’énerver en français car je suis le seul à parler cette langue ! » Avant de résumer, philosophe : « J’ai toujours essayé de faire de mon mieux. Ensuite, si ça rate, je me dis que ce n’est pas grave. »

Mais qu’a-t-il vraiment raté ? En général, il évoque une recette de mousse au chocolat, ce qui amuse ses camarades et agace les journalist­es qui aimeraient trouver la

fêlure, la névrose, ce qui pourrait en faire un héros romanesque. Mais Thomas Pesquet refuse qu’on fasse de lui un héros. « Je suis un homme ordinaire, qui va vivre une chose extraordin­aire ! » aime-t-il répéter.

Grand sportif, amateur de ski, de voile et de plongée, l’astronaute français a subi les entraîneme­nts rigoureux de l’ESA. Et même s’il y a une volonté de démystifie­r ce côté superman et aventurier qui colle à l’image des conquérant­s de l’espace, il ne peut guère nier que, sur le plan physique, la formation a de quoi rivaliser avec celle des commandos des forces spéciales. Au décollage de Soyouz, les hommes doivent supporter une pression pouvant atteindre 4G et jusqu’au double en cas de retour sur Terre dans de mauvaises conditions. Le passage dans la centrifuge­use de la Nasa où ces pressions sont simulées est rarement le meilleur souvenir des élèves astronaute­s.

Pour tester son aptitude à vivre en milieu confiné, l’ESA a aussi entraîné Thomas Pesquet à des séjours dans des grottes, en Italie. Pas de tourisme, mais « une évaluation de comporteme­nt de groupe en situation difficile d’isolement », précise le communiqué officiel de l’ESA sur le sujet. Une semaine sous terre avec des équipement­s rudimentai­res et après des jours de préparatio­n rigoureuse. Idem pour les stages de survie dans les forêts glacées kazakhes, ou sous un soleil de plomb au large de la Sardaigne avec un kit minimum de survie dans un semblant de canoë. Sans oublier les tests dans la piscine de la Nasa à Houston, avec ce scaphandre pressurisé, où chaque mouvement de doigt nécessite un effort particulie­r, et où il faut uriner dans des couches. « Tout cela a un but précis, rapporte Jean-François Clervoy. Faire en sorte que l’astronaute ait déjà vécu la plupart des situations extrêmes auxquelles il sera éventuelle­ment confronté. » Un vaisseau Soyouz, qui quitte l’ISS et revient sur Terre, peut, en effet, se poser en mer, dans un désert ou une forêt, par grosse chaleur ou grand froid. L’astronaute ne peut compter que sur lui-même, le temps qu’on le repère. Et dans l’espace, un incident peut l’obliger à rester des dizaines d’heures à l’extérieur dans son scaphandre. Le mental comme le physique doivent être en parfaite condition. Celle d’un sportif de haut de niveau. Au minimum.

Tout cela n’empêche pas

Thomas Pesquet de penser que la conquête spatiale d’aujourd’hui n’a plus grand-chose à voir, en termes de risques, avec les premiers alunissage­s dans les années 60. Quand on le voit en simulation à l’intérieur de Soyouz, on a pourtant l’impression que certaines choses n’ont pas beaucoup changé et que, pour avoir gagné cette place, l’homme a évidemment fait des sacrifices. Mais selon les propos de ses collègues et amis, l’optimisme du Français paraît inoxydable. Il a la capacité surprenant­e de ne retenir que le meilleur et de s’enrichir des moments difficiles. De passage avec lui sur la place Rouge à Moscou, sa compagne, Anne Mottet, responsabl­e à la FAO des politiques d’élevage, semble faite du même bois. Avant son départ en quarantain­e, elle est venue rejoindre son compagnon pour une cérémonie autour des tombes de Gagarine et Korolev. Elle ne cache pas ce que ce choix de vie comporte de différent. Et ses grands yeux noirs de princesse Disney expriment toute la joie

et l’inquiétude du moment : « Je pense que le stress monte un petit peu, mais je suis très fière quand même », commente-telle du bout des lèvres. Le couple déambule avec une complicité évidente. Ils se connaissen­t depuis le lycée. Et les longs moments de séparation dus aux entraîneme­nts de Thomas ne semblent pas avoir laissé de traces. Anne est basée à Rome et Thomas a navigué entre Cologne, où il réside officielle­ment, Huston, Moscou, Tsukuba au Japon, Paris… mais ils sont toujours parvenus à se voir régulièrem­ent, affirme leur entourage qui estime que la séparation de six mois ne devrait pas être si difficile que cela pour un couple rodé aux relations longue distance, habitué à l’inhabituel.

Thomas Pesquet, quand il parle du décollage

futur de Soyouz et de son séjour dans l’ISS, évoque aussi une certaine habitude. Grâce aux simulation­s et aux entraîneme­nts permanents, il connaît les configurat­ions de l’un et de l’autre quasiment par coeur. Cela l’empêchera-t-il d’avoir la boule au ventre quand l’engin spatial s’arrachera du sol ? « Dans l’ascenseur qui me mènera au troisième étage de la fusée, la tension sera vive. Ensuite, aux commandes de Soyouz, la concentrat­ion fait la différence », pense-t-il. En habitué du saut en parachute, il sait que la peur s’efface une fois que la décision de se jeter dans le vide a été prise. Toujours en bon élève, l’astronaute ne s’inquiète finalement que d’une chose : faire une mauvaise manip sous les yeux des centaines d’ingénieurs qui suivent le décollage. On ne se refait pas. En attendant, à Baïkonour, il va continuer de répéter les procédures et les manipulati­ons nécessaire­s à la réussite des expérience­s scientifiq­ues qu’il devra réaliser en apesanteur. Il rappelle régulièrem­ent dans les médias et dans les salles de classe que ces expérience­s permettent de faire avancer la science, de déposer des brevets, d’innover dans le domaine médical et spatial avec, en ligne de mire, de nouvelles conquêtes. « Thomas fait partie de cette génération qui peut imaginer un jour s’approcher de Mars », confie Jean-François Clervoy, pour qui le séjour dans l’ISS est une page quasiment tournée. « Il est prêt depuis plus d’un an », soutient-il. En revanche, il insiste : « On a appris avec le temps et les différente­s missions que la focalisati­on très forte sur un séjour dans l’espace pouvait avoir des conséquenc­es psychologi­ques importante­s. J’ai travaillé avec Thomas pour qu’il se projette audelà de 2017, qu’il commence à construire d’autres projets et d’autres ambitions. » Objectif Mars ?

PRÊT IL EST

À SE CONFRONTER AUX SITUATIONS LES PLUS EXTRÊMES

 ??  ?? Aux côtés du Russe Oleg Novitsky et de l’Américaine Peggy Whitson, le Français décollera le 17 novembre du cosmodrome de Baïkonour, au Kazakhstan.
Aux côtés du Russe Oleg Novitsky et de l’Américaine Peggy Whitson, le Français décollera le 17 novembre du cosmodrome de Baïkonour, au Kazakhstan.
 ??  ?? Derniers instants de détente, sur la place Rouge, à Moscou, avec sa compagne Anne Mottet, avant la mise en quarantain­e obligatoir­e.
Derniers instants de détente, sur la place Rouge, à Moscou, avec sa compagne Anne Mottet, avant la mise en quarantain­e obligatoir­e.
 ??  ?? Tout au long de sa mission à bord de l’ISS, baptisée Proxima, l’astronaute français mènera quelque 60 expérience­s coordonnée­s par l’ESA et le Centre national d’études spatiales (Cnes).
Tout au long de sa mission à bord de l’ISS, baptisée Proxima, l’astronaute français mènera quelque 60 expérience­s coordonnée­s par l’ESA et le Centre national d’études spatiales (Cnes).
 ??  ?? Dans cette réplique exacte de l’ISS, à Houston, Thomas Pesquet répète les gestes qu’il devra effectuer quotidienn­ement durant six mois.
Dans cette réplique exacte de l’ISS, à Houston, Thomas Pesquet répète les gestes qu’il devra effectuer quotidienn­ement durant six mois.
 ??  ?? Thomas Pesquet dans le simulateur du vaisseau Soyouz qui l’emmènera jusqu’à la station spatiale. L’ancien pilote de ligne d’Air France a été soumis depuis 2009 à des tests physiques en conditions extrêmes, dans le froid russe ou les grottes de...
Thomas Pesquet dans le simulateur du vaisseau Soyouz qui l’emmènera jusqu’à la station spatiale. L’ancien pilote de ligne d’Air France a été soumis depuis 2009 à des tests physiques en conditions extrêmes, dans le froid russe ou les grottes de...
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