Le Figaro Magazine

L’OCCUPATION VUE PAR L’OCCUPANT

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Le 14 juin 1940, alors que l’armée française est en pleine débâcle, Hansjörg P., un soldat de la Wehrmacht, assiste près de Châlons-sur-Marne au spectacle donné par les vaincus. « Ils continuent, note-t-il dans son journal, à passer devant nos rangs, en colonnes fatiguées, ils regagnent les camps de prisonnier­s. Ils ne résistent plus et sont aussi à bout sur le plan moral. La France est au bout du rouleau. » Le 25 août 1944, les rôles s’étant inversés, Walter D., un militaire allemand fait prisonnier lors de la libération de Paris, raconte ce qu’il vient de subir : « La foule se pressait autour de nous en criant : “Au poteau, assassins, bande de cochons, bande d’assassins, voleurs, à bas les Boches !” On nous battait, on nous bousculait, nous crachait dessus. »

Au cours des quatre années d’occupation, les Allemands affectés en France – ils étaient 80 000 en 1941, un million à la veille du débarqueme­nt – écrivaient à leurs proches ou consignaie­nt leurs impression­s et souvenirs. Un musée, créé à Berlin en 1995 par la poste allemande, conserve ainsi 90 000 lettres de soldats de la Wehrmacht, pendant qu’un centre d’archives fondé en 1998 à Emmendinge­n, dans le Bade-Wurtemberg, recueille les journaux intimes de l’époque. Deux ans de recherche dans cette énorme masse de documents auront été nécessaire­s à trois historiens pour en tirer un livre - beau par la forme et passionnan­t par le fond - qui restitue le regard de l’occupant sur la France occupée. Le plus souvent, ces textes reflètent des mentalités façonnées par les préjugés traditionn­els des Allemands aggravés par la propagande nazie. Par exemple, les Noirs de l’armée vaincue de 1940 ou la saleté supposée des Français attisent le mépris des vainqueurs, même s’ils sont sensibles à la coquetteri­e prêtée aux Parisienne­s. Sous l’uniforme feldgrau, Heinrich Böll, futur prix Nobel de littératur­e, ou Ernst Jünger admirent cependant la culture française. Au fil du temps, la confiance dans le Führer s’effrite pour faire place à l’inquiétude. L’été 1944, Hellmut Richter, mobilisé dans le service de santé sur le front de Normandie, soigne les blessés aussi bien allemands que français. Le 6 juillet, il se plaint à sa femme des exactions commises par les SS : « On devrait avoir honte d’un tel comporteme­nt de la part de nos soldats. » Le malheureux rêvait d’humaniser la guerre. Il sera tué le mois suivant. Comme un Allemand en France. Lettres et carnets inédits, 1940-1944, d’Aurélie Luneau, Jeanne Guérout et Stefan Martens, L’Iconoclast­e, 304 p., 24,90 €.

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