PRIX CASSÉS
Le cru 2016 des grands prix littéraires est assez classique. Ni révolution formelle ni monument écrasant, et bien sûr 400 frustrés, comme chaque automne. Bref, c’est une boucherie où l’on ne compte que cinq survivants. Pinçons-leur affectueusement l’oreille tel Napoléon avec ses grognards.
Ce matin, la lauréate du prix Goncourt, Leïla Slimani, vient d’être félicitée par Sa Majesté Mohammed VI. C’est assez cocasse : en pleine révolte de son peuple, suite au broyage d’un vendeur d’espadon dans un camion-poubelle, le roi du Maroc salue l’histoire d’une nounou qui tue un bébé. Chanson douce (1) est un roman piégé, faussement aseptisé. C’est de la nitroglycérine dans un bas de soie. En deux romans, Mlle Slimani a compris qu’il fallait jouer la provoc pour s’imposer. Après la nympho-bobo (Dans le jardin de l’ogre, 2014), place à la baby-sitter infanticide. Son petit suspense fait déjà trembler toutes les mères de famille du XVIe arrondissement. Une des réactions les plus entendues à l’annonce des prix le 3 novembre dernier fut de célébrer le couronnement de femmes d’origine étrangère. En tant que juré du Renaudot, je puis témoigner que personne autour de la table chez Drouant n’a évoqué ni le sexe de Yasmina Reza ni son ascendance perse. Babylone (2), prix Renaudot, donc, est tout simplement le meilleur roman d’un grand écrivain ; inutile de convoquer la discrimination positive, ni la parité sexuelle. Après la nou- nou tueuse, voici une sexy sexagénaire qui aide son voisin à planquer le cadavre de sa femme. Mme Reza invente le vaudeville sociologique : c’est Arsenic et vieilles dentelles raconté par Georges Perec. Mlle Slimani a du chemin à faire pour être aussi comique et désespérée que son aînée, mais nous ne doutons pas qu’elle ait de la ressource ; un jour, elle lui arrivera à la cheville.
Le Dernier des nôtres (3) d’Adélaïde de ClermontTonnerre, grand prix du roman de l’Académie française, remonte dans le temps du New York des seventies jusqu’aux fusées de Wernher von Braun. Superbement ficelé mais pas franchement moderne. Quand je lui ai dit que son livre n’était pas révolutionnaire, Mme de Clermont-Tonnerre m’a mouché : « Ce serait incompatible avec mon nom de famille. » Laëtitia (4) d’Ivan Jablonka, prix Médicis, est une enquête fouillée sur un crime réel : malheureusement, ce récit arrive après Truman Capote, Emmanuel Carrère et « Faites entrer l’accusé ». Pour l’effet de surprise, on repassera. Nous n’avons plus de place pour parler du Garçon (5) de Marcus Malte (prix Femina). Cela tombe bien car, comme tout le monde, nous ne l’avons pas lu. (1) Gallimard, 227 p., 18 €. (2) Flammarion, 219 p., 20 €. (3) Grasset, 488 p., 22 €. (4) Seuil, 366 p., 21 €.
(5) Zulma, 544 p., 23,50 €.