PRIMAIRE LE BANC D’ESSAI
LES PROGRAMMES DES SEPT CANDIDATS OÙ ET COMMENT VOTER
Pour la première fois dans l’histoire de la Ve République, les électeurs de la droite et du centre vont choisir leur candidat à la présidence de la République. Un événement qui est tout sauf neutre. Jusqu’ici, ils devaient se contenter d’attendre le premier tour du scrutin pour faire leur choix entre des personnalités qui s’étaient proclamées ou avaient été choisies par leur parti. Pour 2017, la donne est totalement nouvelle. Les 20 et 27 novembre, plusieurs centaines de milliers de Français (les sondages tablent sur 2 à 3 millions) vont se rendre dans des bureaux de vote pour choisir celui qui représentera leur camp (lire encadré « Comment voter » p. 50). Mais ils ne feront pas que ce choix. Comme l’assure François Baroin, « la primaire va solder une partie de l’histoire de la droite ». Alain Juppé, Nicolas Sarkozy et même François Fillon jouent leur avenir politique dans ce scrutin. Une défaite mettrait un coup d’arrêt quasiment définitif à leurs ambitions présidentielles voire à leur destin politique. les trois hommes ont vu leurs carrières démarrer dans les années 1980 (François Fillon est élu à l’Assemblée nationale en 1981, Alain Juppé est nommé ministre du Budget en 1986, Nicolas Sarkozy entre à l’Assemblée nationale en 1988). Alain Juppé, 71 ans, se replierait dans sa ville de Bordeaux ; François Fillon, 62 ans, qui avait déjà envisagé de partir dans le privé en 2012, aurait sans doute la même tentation ; Nicolas Sarkozy, 61 ans, même s’il a eu la prudence de ne pas répéter comme en 2012 qu’il arrêterait la vie politique, aura du mal à prétendre à nouveau à un destin présidentiel après une défaite dans une primaire de son camp. Pour Bruno Le Maire, 47 ans, Nathalie Kosciusko-Morizet, 43 ans, et Jean-François Copé, 52 ans, il s’agit davantage de prendre date et de s’assurer une place parmi les prétendants à l’échéance présidentielle suivante, qui verra une nouvelle génération prendre le pouvoir. L’enjeu pour Jean-Frédéric Poisson, 53 ans, candidat du Parti chrétien-démocrate, n’est évidemment pas identique, même s’il a pu populariser ses idées pendant les débats et la campagne.
Dans l’esprit d’une partie de ces électeurs, c’est aussi le futur président de la République qu’ils choisiront. L’état de délabrement avancé de la gauche après plus de quatre ans de présidence Hollande laisse la droite espérer une alternance en mai prochain. Preuve de l’importance de l’enjeu, la campagne des sept prétendants aura passionné politiquement et médiatiquement. Les chaînes de télévision et de radio ont toutes voulu retransmettre les débats. Le premier sur TF1, en association avec RTL et Le Figaro, a été vu par plus de 5 millions de téléspectateurs. Le deuxième, sur BFMTV et i-Télé, en a rassemblé près de 3 millions. Le dernier, à trois jours du premier tour, sur France 2 et Europe 1, en association avec la presse régionale, aura lieu le 17 novembre. TF1 et France 2 retransmettront le débat de l’entredeux tours. Un dispositif identique à celui d’une campagne présidentielle ! Politiquement, la mobilisation des électeurs potentiels est impressionnante. Les principaux candidats remplissent les salles, à Paris comme en province. Dans les familles, les discussions tournent autour des programmes des uns et des autres, de leurs prestations télévisées, de leur attitude. Il n’est pas rare d’ailleurs que, d’une
“LA PRIMAIRE VA SOLDER UNE PARTIE DE L’HISTOIRE DE LA DROITE” FRANÇOIS BAROIN
“C'EST VACHEMENT DUR ! JE N'AI PLUS UN POIL DE SEC ! ” UN JUPPÉISTE
semaine à l’autre, certains électeurs changent de candidat, évoluent dans leur choix. Jusqu’au dernier moment, ils se laissent la possibilité de changer leur vote. Des comportements électoraux qui font penser que la campagne n’est pas aussi jouée d’avance que le laissent imaginer les résultats des sondages. Même si Juppé est depuis longtemps donné en tête au premier tour et vainqueur au second. « On fait la course en tête depuis deux ans », reconnaît Gilles Boyer, le directeur de campagne de l’ancien Premier ministre. « Ce n’est pas une garantie de victoire, mais il y a une constante. » Les juppéistes ont d’ailleurs été rassurés en analysant la primaire socialiste de 2011. Dès l’été, les intentions de vote avaient placé François Hollande en tête, et la campagne comme les débats n’avaient pas fait bouger les lignes. Mais l’écart entre Martine Aubry et le futur président a été plus serré qu’annoncé. Et les enquêtes n’avaient pas perçu la montée du troisième homme, Arnaud Montebourg.
Ce schéma se reproduira-il en 2016 à droite ? Alain Juppé mène la même campagne prudente que François Hollande en 2011, assis comme lui sur son statut de favori. « On a fait le choix dès le départ de ne pas faire une campagne tonitruante, reconnaît Benoist Apparu. Comme Nicolas Sarkozy a fait le choix inverse (les Gaulois, les attaques sur Bayrou, les frites…), la nôtre paraît fade. Mais Juppé se refuse à le faire car ça tue l’après-victoire. » Si l’écart est plus faible, un petit coup d’accélérateur en fin de campagne peut-il inverser la donne ? C’est évidemment ce qu’espèrent les concurrents d’Alain Juppé, notamment François Fillon et c’est la raison pour laquelle la tension est montée d’un cran à la fin d’une campagne qui aura été éprouvante. Chaque candidat aura pu dire, comme Albert Camus dans La Chute : « Nous sommes obligés aux mêmes prudences que le dompteur. S’il a le malheur, avant d’entrer dans la cage, de se couper avec son rasoir, quel gueuleton pour les fauves ! » Bruno Le Maire a pu constater à ses dépens à quel point les fauves avaient de l’appétit quand il a, de l’avis général, trébuché lors du premier débat. Nicolas Sarkozy a connu sans doute l’une des pires semaines de la campagne quand, en septembre, il a vu s’enchaîner les mauvaises nouvelles : la sortie du livre de Patrick Buisson (La Cause du peuple, Perrin), son ancien conseiller à l’Elysée, qui le décrit notamment comme « un faux dur submergé par un état permanent de dépendance affective », et la diffusion d’un documentaire à charge sur France 2 sur le scandale Bygmalion ! Et surtout, la diffusion de sondages qui ont montré que l’effet de souffle, promis au lancement de sa campagne, n’a pas eu lieu. La publication de son livre (Tout pour la France, Plon) et les interventions médiatiques auraient dû lui permettre de faire la course en tête. A ce moment de la campagne, le camp d’Alain Juppé n’en menait d’ailleurs pas large. « C’est vachement dur ! Je n’ai plus un poil de sec », confirmait à cette époque un des animateurs de sa campagne. Alain Juppé lui-même avouera que cette période a été « difficile à vivre. Nicolas Sarkozy a ce don de la phrase qui fait le buzz ». C’est le moment où les commentaires évoquent un Sarkozy qui se démultiplie quand Juppé serait nulle part et ferait une campagne à l’économie. Jusqu’au premier débat, François Fillon a aussi connu ce moment où les commentaires sont défavorables, parce que sa campagne « patine » ou « ne décolle pas », malgré les salles combles puis une remontée dans les sondages. « Chaque jour qui passe, je l’engrange », avouait récemment Gilles Boyer, pressé que cette course se termine.
Mais au fond, au-delà des programmes et des qualités et défauts des candidats, trois personnalités, qui ne se présentent pas à la primaire, ont été omniprésentes dans cette campagne. François Hollande, d’abord évidemment. Le président de la République est la cible
des concurrents qui veulent lui succéder à l’Elysée. Pour tous, il est l’exemple de ce qu’il ne faut pas faire et chacun a pris en contre-modèle son quinquennat pour construire son projet et sa méthode. Tous les prétendants assurent qu’une fois élus, ils iront vite pour mettre le leur en oeuvre, à l’inverse d’un François Hollande qui a perdu du temps à son arrivée à l’Elysée. Les confidences aux deux journalistes du Monde (Un président ne devrait pas dire ça…, Stock) sur les bombardements en Irak ou les éliminations de terroristes ont achevé de le discréditer, notamment auprès de François Fillon, le plus dur contre lui : « François Hollande s’est disqualifié en confiant des secrets défense à des journalistes. Dans n’importe quel pays démocratique, François Hollande se- rait aujourd’hui poursuivi, il serait en situation de s’expliquer. »
Reste une absente et un omniprésent. L’absente, c’est Marine Le Pen. La présidente du Front national a pris soin d’éviter une présence médiatique trop forte pendant la campagne de la primaire et pourtant ses électeurs sont courtisés, notamment par Nicolas Sarkozy. L’ancien président fait le pari que les électeurs déçus de son quinquennat partis au FN, vont revenir et voter pour lui. Alain Juppé a fait le choix stratégique inverse. Il s’adresse aux électeurs de François Bayrou et du centre. Quel est l’électorat qui se mobilisera le plus et fera la différence ? C’est la clé du scrutin. En ciblant pendant quinze jours le patron du MoDem, Nicolas Sarkozy a cherché à entraîner vers lui un électorat de droite exaspéré par le comportement de celui qui s’est opposé en permanence à l’ancien président pour finir par voter, en 2012, pour François Hollande.
Dans ce combat électoral inédit, les dérapages ont été peu nombreux. Chaque camp a tenté de déminer les propos les plus virulents. « On s’entend très bien, on calme les choses », raconte un des lieutenants d’un candidat, qui avec ses homologues a gardé le contact pendant toute la campagne pour prévenir toute fuite en avant. Dès qu’un sniper d’un candidat tapait trop fort, les téléphones sonnaient pour faire baisser la pression.
Comme l’expliquait François Baroin en septembre : « Il ne faut rien faire qui puisse contrarier le rassemblement du second tour. » L’électorat de droite n’aime pas les divisions factices de ses chefs. Il a gardé un souvenir amer des luttes fratricides entre Chirac et Balladur en 1995 et, plus récemment, entre Fillon et Copé en 2012 pour le contrôle de l’UMP. « La cautérisation des plaies doit se faire en quinze jours », assure un élu qui a déjà anticipé la suite.