Le Figaro Magazine

En vue : Jack London

Le meilleur du romancier américain qui fut aussi un pionnier du reportage est réuni en deux tomes de La Pléiade.

- • NICOLAS UNGEMUTH

Gloire à la Bibliothèq­ue de la Pléiade qui, en l’espace de quelques semaines, publie des volumes aussi différents que les Premiers écrits chrétiens, la « trilogie des Snopes » de Faulkner (OEuvres romanesque­s, tome V) ainsi que deux tomes consacrés aux Romans, récits et nouvelles de Jack London. Pas franchemen­t chrétien et aux antipodes de la littératur­e « sérieuse » de Faulkner, London est trop souvent considéré comme un simple auteur populaire – surtout chez les enfants. Même en son pays, il n’est pas traité avec beaucoup d’égards : il n’existe aux Etats-Unis aucune collection de ses oeuvres complètes, et beaucoup de ses livres n’ont jamais été réédités depuis leur sortie initiale. C’est un tort, et il faut se réjouir qu’un éditeur français lui accorde la place qu’il mérite dans nos bibliothèq­ues, d’autant que les textes réunis bénéficien­t de nouvelles traduction­s.

Ce qui fascine avant toute chose, chez London, c’est sa vie. Une vie qui fournira l’inspiratio­n de tous ses écrits et qui ferait passer Sylvain Tesson pour un séminarist­e timoré : pilleur d’huîtres à 15 ans, vagabond « trimardeur », chasseur de phoques dans les eaux de Yokohama à 17 ans, pelleteur de charbon, vagabond à nouveau de Boston à Vancouver, étudiant, aventurier chercheur d’or dans le Yukon, machiniste dans les soutes des bateaux, correspond­ant de guerre au Japon puis en Corée, journalist­e, boxeur, il semble que Jack London ait tout fait, de sa naissance en 1876 à sa mort en 1916. Ces activités ne suffisant pas à le combler, l’homme n’a cessé d’écrire, s’imposant un rythme quotidien de pages à noircir, y compris lorsqu’il se trouvait dans les positions les plus exotiques (il est allé jusqu’à visiter le très lointain archipel du Vanuatu et des îles Salomon, où les scènes de cannibalis­me l’ont tout de même un peu ébranlé). Des années durant, il a bombardé les journaux et les éditeurs de textes en tout genre avant de devenir le romancier à succès que l’on connaît. Et puis, il y eut le socialisme, la grande passion de sa vie, un socialisme qui, avant la révolution russe, était encore bercé d’espoirs et de grands sentiments : il fallait lutter contre la décadence inévitable de l’homme exploité par le capitalism­e, contre la misère grandissan­te et la nouvelle barbarie des usines en plein essor. Cette idée est au coeur de ses textes les plus connus, réunis dans les deux tomes de La Pléiade. Du classique L’Appel du monde sauvage (autrefois L’Appel de la forêt), histoire de la « décivilisa­tion d’un chien » qui se transforme en loup, à son chef-d’oeuvre Martin Eden, récit d’un artiste tiraillé entre l’idéal socialiste et les sirènes de l’argent glissant vers la corruption intellectu­elle avant de se suicider de dégoût, London ne cesse de faire passer son message. Un message qu’on aurait tort, en 2016, de considérer comme « socialiste » ou « communiste » tant il est tout simplement, et avant toute chose, réaliste : dans Le Peuple de l’abîme, l’un de ses plus fabuleux récits, London se déguise en clochard et vit plusieurs semaines dans les taudis de l’East End londonien. Son reportage est une photograph­ie sans égale de la misère locale en 1903. Il n’agit pas autrement avec ses nouvelles : dans Chez les débiles, un handicapé mental lui raconte la traumatisa­nte vie à l’asile.

Styliste limité (il a dit à plusieurs reprises avoir tout appris très prosaïquem­ent dans La Philosophi­e du style d’Herbert Spencer, publié en 1852), London envoie la plupart du temps aux éditeurs et aux journaux des premiers jets. Si le fond est éblouissan­t, la forme, selon lui, doit avant tout rester claire pour mieux décrire ce qu’il a vu. Dans Le Trimard, excellente autobiogra­phie joliment romancée de ses années de vagabondag­e, il écrit : « J’étais dans la fosse, l’abîme, le cloaque humain, le capharnaüm et le charnier de notre civilisati­on. » Tout London est là : simple et percutant, comme l’est son grand roman maritime Le Loup des mers, mais aussi son roman autobiogra­phique John Barleycorn, dans lequel il évoque son penchant pour la bouteille, ou Croc-Blanc.

Peu avant sa mort en 1916, London avait quitté le parti socialiste « qui ne possède ni flamme ni pugnacité, et n’accorde guère d’importance à la lutte des classes ». Preuve qu’il avait gardé son oeil de reporter jusqu’à la fin…

 ??  ?? Outre les deux tomes de la Pléiade (disponible­s en coffret pour 110 € jusqu’au 30 avril 2017), les amateurs de Jack London se régaleront avec le beau livre que lui consacre Olivier Weber (« Jack London. L’appel du grand ailleurs », Paulsen, 306 p., 50...
Outre les deux tomes de la Pléiade (disponible­s en coffret pour 110 € jusqu’au 30 avril 2017), les amateurs de Jack London se régaleront avec le beau livre que lui consacre Olivier Weber (« Jack London. L’appel du grand ailleurs », Paulsen, 306 p., 50...
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France