Le Figaro Magazine

De notre correspond­ant... au Liban

RETOUR GAGNANT AU LIBAN

- A 46 ans, ce sunnite vient d’être nommé Premier ministre par le nouveau président chrétien Michel Aoun, un poste qu’il avait déjà occupé de 2009 à 2011. Le fils du milliardai­re et ancien chef du gouverneme­nt Rafic Hariri, assassiné en 2005, devra composer

Saad Hariri est de nouveau Premier ministre du Liban. Longtemps considéré comme le pâle héritier de son père assassiné en 2005, il vient de démontrer, à 46 ans, qu’il maîtrise enfin l’art de la manoeuvre sur la scène complexe de la politique libanaise.

Ennemi historique du chrétien Michel Aoun, Saad Hariri, chef du camp sunnite, a pris tout le monde par surprise en se ralliant fin octobre à sa candidatur­e à la présidence de la République. Cette volte-face a permis, le 31 octobre, l’élection du vieux général maronite, mettant fin à deux ans et demi de vacance institutio­nnelle. La semaine dernière, Michel Aoun a rempli à son tour sa partie de l’accord en le nommant chef du gouverneme­nt. Le tandem qui vient de s’installer au pouvoir est le plus étrange qui soit. Le nouveau chef de l’Etat, chrétien, âgé de 81 ans, issu d’un milieu modeste et le fils de milliardai­re sunnite, héritier du parti de son père en même temps que de sa fortune, ne se sont jamais aimés. « Michel Aoun est le politicien libanais que Saad Hariri déteste le plus », notait l’ambassadeu­r américain en 2006 dans l’un des câbles révélés par WikiLeaks.

Cette hostilité mutuelle remonte à la révolution du Cèdre, en 2005. A l’époque, Saad Hariri réclame et obtient le départ des troupes syriennes qui occupent le pays, les accusant d’avoir commandité le meurtre de son père. Il forme une coalition avec les Druzes de Walid Joumblatt et les chrétiens de Samir Geagea, tout juste sorti des geôles syriennes. Tout semble réussir à ce jeune héritier inexpérime­nté.

Mais cette alliance est troublée par un revenant. Rentré au Liban après quinze ans d’exil, Michel Aoun entend incarner seul la résistance à l’occupation syrienne. Le jour de son retour à Beyrouth, il dénonce le système féodal et l’argent qui pervertiss­ent la politique, deux piques que Saad Hariri prend pour lui. Aoun s’allie ensuite au Hezbollah, le parti chiite client de l’Iran. Hariri, lui, est soutenu par l’Arabie saoudite, dont il détient aussi la nationalit­é. Pendant dix ans, l’opposition entre les deux hommes reflète celle de ces deux grandes puissances régionales qui s’affrontent. Devenu Premier ministre en 2009, Saad Hariri est contraint à la démission moins de deux ans plus tard, au moment où le tribunal spécial des Nations unies s’apprête à mettre en cause le Hezbollah dans l’assassinat de Rafic Hariri. Menacé de mort, il quitte le Liban pour ne revenir que lors de brèves visites. Il fait son retour en février 2016 pour reprendre son rôle à la tête de la communauté sunnite. En enterrant son inimitié et en tendant la main à son ancien adversaire, Saad Hariri dit vouloir « protéger le Liban, l’Etat et le peuple ». Il n’avait surtout guère le choix. Sa position à la tête des sunnites est de plus en plus contestée dans son propre camp. Ashraf Rifi, ancien chef des forces de sécurité intérieure et exministre de la Justice, autre figure du camp sunnite, critique sa mollesse face au Hezbollah et à l’Iran. La situation régionale a aussi évolué de façon défavorabl­e. L’Iran a réussi à sauver le régime de Bachar el-Assad en Syrie et ce même Hezbollah, bras armé de Téhéran, domine plus que jamais la politique libanaise. Même l’Arabie saoudite ne le soutient plus aussi fermement. Les ressources financière­s du royaume ne sont plus illimitées depuis la chute du prix du pétrole. Le roi Abdallah, qui l’avait adoubé en 2005, est mort, et son successeur, le roi Salmane, n’est plus aussi proche de Saad. Enfin, l’argent manque cruellemen­t à Saad Hariri : son groupe de BTP, Saudi Oger, est criblé de dettes, et quasiment en cessation de paiement.

Hariri joue cet automne son va-tout pour sauver sa position politique et financière au Liban. Une certitude : inexpérime­nté à ses débuts, comme son père l’était à son entrée en politique, il a appris de ses erreurs et de ses revers. L’héritier vient peut-être tout juste de commencer sa véritable carrière d’homme d’Etat.

Cet héritier joue son va-tout politique et financier

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