Le bloc-notes de Philippe Bouvard
Au moment où un cacique qui fut le quatrième puis le cinquième personnage de l’Etat choisit de se reconvertir dans la gaudriole audiovisuelle et partant du postulat selon lequel la laïcité interdit de se voiler la face devant un si grand nombre d’incompétences, il est normal que l’ambition politique commence – fût-ce tardivement – à me démanger. J’ai donc décidé de créer mon propre parti en insistant sur l’adjectif puisque ce sera le « Parti Propre ». Je ne me situerai pas à gauche ni à droite ni au milieu mais au-dessus. Tout est prêt. Le siège social est domicilié au Bar des Amis et le gérant du pressing voisin, capable d’identifier la tendance idéologique d’un contemporain rien qu’en humant ses odeurs corporelles, a accepté le poste de secrétaire général. J’oeuvrerai principalement pour la réconciliation nationale dont personne n’ose parler. Sans doute parce qu’il faudrait dissoudre les groupuscules grâce auxquels vivotent des tribuns de troisième zone. Mon programme se confondra avec le texte d’une nouvelle constitution. Article premier. La Ve République fait place à la République tout court. Façon de parler car le septennat, rétabli, est renouvelable quatre fois. Article II. Chef des Armées, le président de la République porte un uniforme durant ses sorties et un pyjama d’intérieur dans son bureau. Article III. Le chef de l’Etat est tenu de relire toutes ses déclarations avant publication. Article IV. Le président n’interviendra plus tous les jours à la télévision mais une fois par semaine seulement toute la journée et sur toutes les chaînes. Surtout dans des émissions n’autorisant pas la contradiction comme la météo. Article V. Réouverture des bureaux de bienfaisance confiés aux détenteurs des plus grosses fortunes de France. Article VI. Rétablissement du parrainage par le chef de l’Etat (représenté par un sous-préfet) de tous les dixièmes enfants. Article VII. Attribution d’une dote aux rosières acceptant d’épouser un chômeur de longue durée ou un migrant en voie d’assimilation. Article VIII. Le statut de première dame ne sera accordé à la copine du chef de l’Etat que si elle a remporté la bataille de polochons organisée dans la salle des fêtes de l’Elysée à l’issue de la cérémonie d’intronisation. Article IX. Les impôts et les dépenses publiques sont supprimés. Article X. Les palais nationaux devront accueillir la nuit autant de Tanguy et de mal-logés qu’ils hébergent le jour de fonctionnaires épargnés par les arrêts maladie. Article XI. L’emploi de ministre cesse d’être rétribué et devient payant. Article XII. Les déplacements du chef de l’Etat sont limités à deux par an et aux pays où il fait moins chaud qu’en France.
Je ne passerai pas mon temps à recruter à tout-va. Seuls les leaders comptent. Les militants de la base ne sont pas nécessaires puisque les médias ne les citent jamais. J’accepterai néanmoins comme « ami dévoué jusqu’à la mort » sur Facebook tous ceux qui s’engageront à suivre aveuglément le GT, c’est-à-dire le Grand Tribun, titre que je porterai jusqu’au moment où je deviendrai le magistrat suprême. De ces fidèles, j’exigerai deux engagements. D’abord ne jamais faire machine arrière. Ensuite propager l’idée que l’avenir n’appartient qu’à ceux qui n’ont pas de passé. La victoire n’ira pas sans alliance avec tous ceux qui en auront envie et à condition que leur face de carême ne me donne pas de boutons. Pour ma campagne, je me suis commandé des affiches tricolores (c’est interdit mais, le temps qu’on les décolle, mon message aura été lu).
Je me montrerai d’autant plus digne de votre confiance que, si vous me la refusez, je redeviendrai la dernière roue d’un carrosse dans lequel je ne serai pas parvenu à me hisser. Dans les réunions publiques, je ferai valoir qu’ayant toujours été mis au ban de la société, je n’ai pris la place de personne. Je préciserai que je n’ai jamais voté car j’attendais de me présenter pour espérer en la démocratie. Je suis orphelin. Je suis célibataire. Je suis stérile. Vous constituerez ma première famille. Je vous promets de danser à vos mariages, de pleurer à vos enterrements. Dès mon élection, le palais de l’Elysée redeviendra ce qu’il était sous la Pompadour : un garde-meuble auquel vous pourrez faire appel sans bourse délier. En ce qui me concerne, je continuerai à habiter mon « deux-pièces-cuisine avec incommodités sur le palier ». Ainsi rassurerai-je tout le monde. Les pauvres qui comprendront que mon espoir n’est pas de diminuer leur nombre puisque je serai toujours à leurs côtés. Les riches qui ne craindront plus que je tente de vivre comme eux. Fidèle à mes habitudes, je me déplacerai en métro. Sauf au matin du 14 juillet où j’utiliserai – à mes frais – un taxi-vélo. En cet équipage, à la fois modeste, sportif et historique puisqu’il évoquera nos réussites coloniales, je descendrai les ChampsElysées, débarrassés de barrières et de service d’ordre, pour rejoindre la tribune officielle désormais interdite aux notables. Dès l’an prochain – car je n’ai pas l’intention de m’incruster – je passerai la main à un successeur habitant mon immeuble mais à un autre étage afin d’assurer une alternance véritablement démocratique.
L’avenir n’appartient qu’à ceux qui n’ont pas de passé