Le Figaro Magazine

Le théâtre de Philippe Tesson

- DE PHILIPPE TESSON

On voit trop rarement le théâtre de Fabrice Melquiot, qu’on aime beaucoup pour l’étrange musique qu’il diffuse. Le personnage, il est vrai, est très discret, bavard pourtant mais pudique, mal à l’aise avec lui-même, dirait-on, mais en même temps avide de se livrer, mal à l’aise avec les autres mais avide de les aimer. Il n’est pas sorti de l’enfance, de l’adolescenc­e plutôt, il n’est pas vraiment né. Une large partie de son théâtre raconte sa solitude, le confort qu’il y trouve, mais son envie de naître au monde et la peur qu’il a d’y entrer. C’est un peu comme une souffrance légèrement complaisan­te, une forme personnell­e de mal d’amour, qu’il exprime au moyen d’une écriture très poétique, une poésie heurtée, souvent brutale.

Plus encore que dans ses autres pièces, il rassemble dans celle-ci, M’man, toutes ces obsessions, avec une vérité déchirante. Il les met à nu. Plus que jamais l’autobiogra­phie apparaît. Point de métaphore. La vérité. Sa propre enfance, ses racines, son lien irréductib­le avec son passé. Son nid d’abord : Modane, omniprésen­te dans la mémoire parce qu’elle en est le décor. Sa mère, ensuite et surtout, figure centrale de la pièce. Celle-ci est conçue sous la forme d’un dialogue entre la mère et le fils, découpé en cinq séquences qui jalonnent une dizaine d’années de vie commune. Leur relation est fusionnell­e. La mère, elle, est possessive, hystérique, écorchée. Le fils, lui, est aimant, tendre, soumis. Un homme-enfant de 30 ans. Leur vie se réduit à un tête-à-tête fait de frustratio­ns, de refoulemen­ts, de non-dits et de rêves qui, réunis, composent une tragi-comédie fort attachante, douce-amère et drôle.

Le cadre en est un huis clos presque misérable. On est chez des gens très modestes. Le père a disparu depuis longtemps. Le metteur en scène Charles Templon a eu l’idée de construire au milieu de la scène une sorte de castelet où il enferme l’action. C’est un peu trop pléonastiq­ue, et surtout cela la complique par des changement­s à vue superflus et encombrant­s. En revanche, Templon a dirigé les acteurs avec une grande sensibilit­é. Ils sont excellents. Cristiana Reali nous donne une nouvelle fois le témoignage d’un talent très accompli. Elle est totalement dans le rôle, passant de la haine à l’amour, de la douceur à la dureté, de la détresse à la pétulance avec une sincérité et une vivacité admirables. Robin Causse joue le rôle douloureux du fils avec finesse et profondeur. Ce spectacle laisse un souvenir particulie­r.

M’man, de Fabrice Melquiot. Mise en scène de Charles Templon. Avec Cristiana Reali et Robin Causse. Théâtre du Petit Saint-Martin, Paris Xe (01.42.08.00.32).

Ici, pas de métaphore : la vérité

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