“POURQUOI SE FIXER DES LIMITES ?”
A94 ans, le doyen des créateurs de mode, homme d’affaires et mécène, reste animé par la passion d’entreprendre, l’envie de concrétiser ses idées, ses élans… Parce qu’il n’y a pas d’âge pour vivre l’émotion des premières fois, il a choisi de fêter ses soixante-dix ans de carrière dans un lieu aussi prestigieux qu’inattendu. Le 30 novembre prochain, c’est en tant que membre de l’Académie des beaux-arts (depuis 1991), que Pierre Cardin offrira dans la grande salle des Séances, à l’Institut de France, une présentation de 70 « sculptures vivantes » symbolisant son travail. L’événement est inédit. Une fierté pour le couturier, qui reste la seule personnalité du monde de la mode à porter l’habit vert et l’épée.
Vous n’arrêtez pas. Quel est le secret de votre forme ?
J’ai toujours trouvé l’équilibre de ma vie dans le travail. Il faut travailler pour être heureux. Je continue.
De quoi êtes-vous le plus fier aujourd’hui ?
Tout ce que j’ai imaginé, je l’ai réalisé. C’est soixantedix ans d’une vie de bonheur, de travail et de responsabilités dans le monde entier. J’ai eu jusqu’à 400 employés payés chaque mois sans l’aide financière d’aucune banque. Je me demande encore comment j’y suis arrivé.
Quelle qualité principale a participé à votre réussite ?
Le sérieux et l’audace, voire le culot, mais en restant toujours à ma place. Mes parents, des terriens italiens, m’ont bien élevé. Mon père regardait toujours si mes chaussures étaient cirées et si j’avais bien un mouchoir dans la poche. L’éducation, ça se voit.
La folie des grandeurs vous a-t-elle titillé ?
Non. J’ai toujours eu conscience de la réalité des choses.
En 1960, vous lanciez votre première collection masculine. Quel regard portez-vous sur les jeunes créateurs ?
Je ne les connais pas. Combien sont des patrons comme moi ?
Un détail vestimentaire qui vous chiffonne ?
Les jeans neufs, sales et déchirés sont à l’opposé de ma pensée. Il faut ne rien avoir à créer pour commencer par la fin. Ce manque d’imagination et de respect d’autrui me bouleverse.
Quelles femmes vous ont profondément marqué ?
Mère Teresa et Indira Gandhi. A l’occasion du
70e anniversaire de la maison Cardin, les Editions Assouline publient une rétrospective sur l’ensemble de l’oeuvre du couturier, retracée par son proche collaborateur JeanPascal Hesse. A paraître en avril 2017.
Quel regard portez-vous sur la France d’aujourd’hui ?
La France est un si beau pays, le pays de la liberté. Je regrette qu’aujourd’hui les chefs d’Etat soient devenus comme des stars de cinéma prêtes à se mettre nues pour avoir le premier rôle. Qui s’intéresse au peuple ?
Un lieu où vous ressourcer ?
A Venise. J’habite le palais de Casanova.
Rien d’étonnant, pour un séducteur comme vous…
J’ai eu beaucoup de succès, je n’ai pas à me plaindre. L’amour est un moteur important.
Vous dessinez toujours ?
Je n’arrête pas. Il faut tenir le coup.
Un livre de chevet ?
J’ai connu Aragon, Achard, Sagan (photo), que j’ai lue quand j’étais jeune. Mais il y a aussi Dante, Pasolini, Shakespeare… Je pourrais faire un chapelet des grands écrivains que j’admire.
Un compositeur ?
Manuel de Falla, Mozart, Beethoven, Tchaïkovski…
Si vous aviez 20 ans, que feriez-vous ?
Je ne suis nostalgique de rien. Je ferais exactement les mêmes choses… La seule inconnue est de savoir si j’y arriverais.
La mort, vous y pensez ?
J’ai peur de quitter le monde.
Etes-vous croyant ?
Je suis catholique. Je crois en Dieu mais je ne pratique pas.
Quel héritage espérez-vous laisser ?
Peut-être une mémoire. Celle d’avoir été un grand couturier et d’avoir réussi à construire un patrimoine qui appartient désormais à la France.
Votre devise ?
Toujours plus ! Pourquoi se fixer des limites ? La vie est courte.