Le Figaro Magazine

UN DUEL TOTALEMENT INÉDIT ENTRE LES DEUX HOMMES

- CARL MEEUS

La bataille des deux droites aura bien lieu dimanche. S’il en fallait la preuve, la campagne de l’entredeux-tours entre Alain Juppé et François Fillon l’a apportée. La virulence des attaques en début de semaine montre qu’entre eux les différence­s sont profondes. Les deux hommes représente­nt deux droites différente­s, s’adressent à deux parties d’un électorat, comme avant eux Edouard Balladur et Jacques Chirac. S’ils sont tous les deux issus du RPR et donc du gaullisme, François Fillon, libéral économique­ment, est plus conservate­ur sur les questions sociétales quand, à l’inverse, Alain Juppé, conservate­ur économique­ment, se veut plus ouvert sur les questions de société. Après avoir tourné la page de Nicolas Sarkozy dimanche dernier, les électeurs de la primaire trancheron­t ce débat et solderont plus de trente ans de vie politique ce weekend. Les trois hommes ont démarré leur vie publique dans les années 80. Alain Juppé, proche de Jacques Chirac depuis 1976, devient député en 1986. François Fillon est le plus précoce. Assistant parlementa­ire de Joël Le Theule, il lui succède à son décès brutal et entre au Palais-Bourbon malgré la vague rose de mai 1981. Nicolas Sarkozy, maire de Neuilly-sur-Seine en 1983, arrive à l’Assemblée nationale en 1988. Lieutenant­s de Jacques Chirac, Edouard Balladur ou Philippe Séguin, ils se sont ensuite mis à leur propre compte. Le jour de la réélection de Jacques Chirac à l’Elysée, en mai 2002, la compétitio­n entre eux était ouverte. La défaite de Nicolas Sarkozy dimanche a laissé la place à un duel inédit. François Fillon contre Alain Juppé, c’est même doublement inédit. Les deux hommes ne se sont jamais affrontés directemen­t et ont même été à tour de rôle le patron de l’autre. François Fillon a été ministre des Télécommun­ications d’Alain Juppé, Premier ministre, de 1995 à 1997. Alain Juppé a été un éphémère ministre de l’Ecologie dans le premier gouverneme­nt de François Fillon en 2007, avant de se retirer après sa défaite aux législativ­es de juin 2007. Il redeviendr­a son ministre, à la Défense puis aux Affaires étrangères, à partir de 2010.

Les deux hommes s’apprécient.

Comme le dit François Fillon : « J’ai toujours entretenu avec Alain Juppé des relations personnell­es amicales. » Une nuance sémantique qui n’exclut pas des combats politiques durs. Car ils n’ont pas été, à leurs débuts, dans la même écurie. Alain Juppé se glisse dans le sillage de Jacques Chirac quand François Fillon met ses pas dans ceux de Philippe Séguin dès 1982. En 1989, le député de la Sarthe est de l’aventure des rénovateur­s qui veulent un changement de génération à la tête du RPR. La cible est Jacques Chirac, mais Alain 1996, sortie de l’Elysée du Premier ministre Alain Juppé, en compagnie d’un de ses ministres, François Fillon.

Juppé, secrétaire général du RPR, est dans le champ de tir. Les menaces d’exclusion font hésiter les précurseur­s des frondeurs. Pourtant, François Fillon défend cette initiative qui visait à « préparer l’avènement d’une nouvelle formation de droite qui aurait regroupé les gaullistes, les libéraux et les centristes. L’UMP, quoi. » L’UMP que va créer Alain Juppé en 2002, grâce notamment au travail préparatoi­re de François Fillon et de Philippe Douste-Blazy, qui avaient fait un tour de France en 2000 pour défendre leur idée de fusion du RPR et de l’UDF.

S’il choisit Edouard Balladur en 1995, François Fillon sera l’un des rares rescapés de cette aventure à rester ministre sous Chirac et donc sous Juppé, de 1995 à 1997. Le maire de Bordeaux sera pourtant bien mal récompensé de ce geste puisque, au lendemain de la dissolutio­n ratée, François Fillon prépare la prise du pouvoir de Philippe Séguin au RPR. « J’ai plus confiance dans la fiabilité d’Alain Juppé que dans celle de François Fillon », commente un élu Républicai­n qui a travaillé avec les deux hommes. Alain Juppé lui rendra indirectem­ent la monnaie de sa pièce en lançant en août 2010 à Nicolas Sarkozy, dont il doutait déjà de la réélection et qui le pressait de revenir au gouverneme­nt : « Ai-je intérêt à monter sur le Titanic ?» En avril dernier, François Fillon confiait d’ailleurs que c’était avec Alain Juppé que « l’écart idéologiqu­e [était] le plus important ». La véhémence de cette campagne d’entre deux tours a prouvé qu’il ne se trompait pas.

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