ON S’ÉTONNE QUE LE MOT BREXIT SOIT SI PEU PRONONCÉ
peux dire, c’est que notre approche ne sera ni agressive ni naïve. » On respire.
La priorité des Brexiters ne fait pas de doute : il s’agit de retrouver les frontières de leur pays. Theresa May promet de diviser par trois, à moins de 100 000 personnes par an, le solde net migratoire. Ce qui implique la mise en place de contrôles sévères et le renoncement au sacro-saint pilier de l’Union sur la libre circulation. Or, Bruxelles fait valoir que Londres ne peut pas renoncer à l’une des quatre libertés (à savoir la liberté de mouvement des travailleurs au sein du bloc communautaire) tout en appliquant les autres (celles qui concernent les biens, les services et les capitaux). C’est tout ou rien. A terme, si aucun accord n’est trouvé en mars 2019, quelques semaines avant les élections européennes, alors tous les liens entre la GrandeBretagne et l’Europe seront rompus de facto.
L’heure est grave, donc.
Pourtant, à arpenter les nombreux couloirs, passerelles, bâtiments, ascenseurs, cafétérias de Bruxelles et de Strasbourg, on s’étonne que le mot Brexit soit si peu prononcé. La vie suit son cours, depuis cinq mois, dans les méandres de l’Eurocratie, « une institution qui n’aime pas l’expression des peuples », murmure-t-on dans les rangs souverainistes. Ou qui l’escamote et la contourne pour continuer à avancer, coûte que coûte. En cet automne 2016, le Brexit n’est pas à l’ordre du jour. On préfère parler des capacités de défense des 28, du traité transatlantique ou de la crise du Ceta, ce texte dont la signature fut ajournée avec le Canada du fait d’une inattendue résistance du Parlement wallon (« La Wallonie, issue d’un non-pays qu’on appelle Belgique », s’amuse Farage) ; on évoque plutôt la guerre en Syrie, les émoluments toujours trop importants des commissaires européens (« 20 000 euros par mois », éructe-t-il), le souverainisme hongrois et polonais, les migrants et les frontières poreu- En septembre, réunion de crise à Bruxelles des députés europhiles (Alliance des socialistes et démocrates) pour évoquer le Brexit.
ses de Schengen. Dans le désordre. Tout arrive au Parlement, au gré de textes, de déclarations, d’audiences, de rapports, de votes. Un agenda disparate, toujours suivi d’acronymes, de chiffres, d’indications redoutables pour le néophyte. Par exemple : « Echange automatisé de données relatif aux données dactyloscopiques au Danemark (A8-0288/2016-150) » ou encore « Création d’un mécanisme de l’Union pour la démocratie, l’Etat de droit et les droits fondamentaux (A80283/2016) » dont on espère qu’il existe déjà.
Dans l’hémicycle, lors des débats, les rangs sont vides.
« Les parlementaires préfèrent suivre les discussions depuis leur bureau dans les étages », promet l’un d’eux. Seuls ceux qui défendent ou s’opposent au texte à l’ordre du jour sont présents, ainsi que le rapporteur. Ils interviennent dans un temps limité à une minute - s’ils s’avèrent trop loquaces, alors un marteau s’abat comme pour adjuger - devant une rangée de jurés assermentés. Sur la droite, les députés affiliés aux partis europhobes ressemblent à ces cousins issus de la « cuisse gauche » qui viennent toujours, sous les quolibets à peine feutrés, aux réunions de famille. L’étage des interprètes, en revanche, grouille et s’affaire. Dans leurs cabines qui surplombent la grande salle de Strasbourg, ils s’échinent dans toutes les langues à rendre compréhensible cette étrange polyphonie. Leurs voix