Le Figaro Magazine

ÉCRIRE POUR UNE FEMME INTELLIGEN­TE

- Salter par Salter,

Notre époque est en manque de manifestes. Voici un petit livre, avec un beau mec en couverture, qui pourrait constituer un bréviaire de l’élégance en littératur­e. Il rassemble un entretien de James Salter avec Edward Hirsch, paru dans la Paris Review en 1993, et trois conférence­s qu’il a données à l’université de Virginie en 2014. Il y est beaucoup question du mystère de l’inspiratio­n. Il n’est pas facile d’expliquer pourquoi certains romans nous tombent des mains alors que d’autres nous donnent envie de soupirer profondéme­nt en regardant la pluie couler sur les carreaux de la fenêtre. Peu de textes sont aussi limpides sur un sujet aussi flou. Les livres qui nous font visiter les coulisses de l’écriture ne sont pas nombreux : il y a La Fêlure de Fitzgerald, Partis pris de Nabokov, le Journal littéraire de Léautaud. Qu’est-ce que le style ? Proust le compare à la couleur chez un peintre. L’auteur d’Un bonheur parfait citait comme références Colette et Li Po (poète chinois né en 701 et mort en 762) quand je lui posai cette question à La Rotonde, en 2014, devant un plateau de fines de claire : « Il faut un équilibre entre les petites trouvaille­s qui nous font plaisir et l’histoire qu’on veut raconter. » Le secret de Salter, c’est le sens de l’observatio­n, la simplicité du vocabulair­e, la pureté de l’émotion, le goût des images vraies. « Comme l’araignée, vous êtes au milieu de votre toile. » L’intensité n’empêche pas la patience. Conseils techniques de vieux pro : il faut beaucoup corriger, laisser reposer un mois, puis relire encore et couper encore. Dans ses mémoires, intitulés Une vie à brûler, Salter donnait déjà une piste page 416 : « Enlevez tout ce qui n’est pas bon. » Cela semble facile mais il n’y a rien de plus compliqué. Le style chez Salter joue le même rôle que la lumière dans les tableaux de Hopper. So Proust was right ? ! Et puis il faut de la tenue. « Il y a une façon de vivre qui est la bonne. » Qui ose encore énoncer cette idée scandaleus­e ? Ecrire nécessite une certaine exigence vis-à-vis de soimême, de comporteme­nt, de dignité. Un dernier détail : il faut se demander ce qu’écrirait Isaac Babel à votre place. Or Babel écrivait « pour une femme intelligen­te ». C’est peut-être le truc ultime. James Salter est mort le 19 juin 2015, sans avoir vu Donald Trump entrer à la Maison-Blanche. N’oublions jamais ceci dans les années à venir : l’Amérique fut aussi la patrie de quelques gentlemen qui ne confondaie­nt pas la vie avec une émission de télé-réalité.

de James Salter, Editions de l’Olivier, 170 p., 14 €. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marc Amfreville et Philippe Garnier.

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