Le Figaro Magazine

DES ÉCRIVAINS

L’histoire de la littératur­e n’est pas avare de champagne, qu’elle accompagne de discussion­s enflammées et d’huîtres bien grasses.

- PAR SÉBASTIEN LAPAQUE

Des spécialist­es de La Comédie humaine qui ont tout lu, depuis Les Chouans jusqu’au Cousin Pons, ont dénombré que Balzac faisait boire 68 fois du champagne à ses personnage­s, d’un bout à l’autre de sa suite romanesque. C’est surtout dans les romans regroupés dans les Scènes de la vie parisienne que les bouchons sautent à la première occasion, pour rire du monde ou pour en pleurer. Ainsi lors d’un « déjeuner monstre », dans Les Comédiens sans le savoir, au cours duquel sont consommés « six douzaines d’huîtres d’Ostende, six côtelettes à la Soubise, un poulet à la Marengo, une mayonnaise de homard, des petits pois, une croûte aux champignon­s arrosés de trois bouteilles de vin de Bordeaux, de trois bouteilles de vin de Champagne, plus les tasses de café, de liqueur, sans compter les hors-d’oeuvre ». Mâtin, quel festin !… Dans La Comédie humaine, les bonnes occasions de remettre le couvert et de boire du vin de Champagne ne manquent pas, ainsi que l’a observé l’historienn­e Anka Muhlstein dans Garçon, un cent d’huîtres ! Balzac et la table (Odile Jacob, 2010). Huîtres et champagne constituen­t d’ailleurs une façon d’accord parfait pour le romancier dès qu’il réunit autour d’une même table des ambitieux, des jouisseurs et des mystificat­eurs. La connotatio­n sexuelle de cette rencontre iodée s’entend comme une évidence.

On la retrouvera chez Gustave Flaubert,

Alexandre Dumas, Guy de Maupassant, les frères Goncourt, Alphonse Daudet, Emile Zola et Joris-Karl Huysmans. Avec souvent quelque chose de grivois. « Déjeuner des garçons : exige des huîtres, du vin blanc et des gaudrioles », écrit Gustave Flaubert dans le Dictionnai­re des idées reçues. Catalogue des opinions chic placé en appendice de Bouvard et Pécuchet. Sans préciser que ce vin blanc est d’autant plus aimable qu’il gazouille dans le verre et vient d’Epernay.

Dans Bel-Ami de Maupassant, c’est dans les alcôves qu’a lieu la rencontre des huîtres et du champagne. « Donnez à ces messieurs ce qu’ils voudront ; quant à nous, du champagne frappé, du meilleur, du champagne doux, par exemple, rien autre chose », s’écrie une héroïne, quelques instants avant que les huîtres soient apportées, « mignonnes et grasses, semblables à de petites oreilles enfermées en des coquilles, et fondant entre le palais et la langue, ainsi que des bonbons salés ». L’accord parfait, je vous dis… Au XVIIIe siècle, il avait déjà la faveur de Casanova, à en croire une page de ses Mémoires où il apparaît que l’écrivain vénitien, ignorant que l’abus d’alcool est dangereux pour la santé, le jugeait propice aux relations humaines. « Nous eûmes un des soupers les plus fins pour une auberge. Mes pauvres héroïnes s’en donnèrent. J’ai fait porter des citrons, une bouteille de rhum, du sucre, une grande jatte et de l’eau chaude, et, après avoir fait mettre sur la table les autres cinquante huîtres, j’ai renvoyé le valet. J’ai fait un grand punch que j’ai animé en y versant une bouteille de champagne. Après avoir avalé cinq à six huîtres et bu du punch qui fit faire les hauts cris aux deux filles, car elles se trouvaient excédées par les charmes de cette boisson, je me suis avisé de prier Emilie de me mettre dans la bouche avec ses propres lèvres une huître. » Jack Lang a raconté que François Mitterrand, homme d’Etat éminemment littéraire, une semaine avant sa mort, avait avalé une dernière huître et bu une dernière coupe de champagne. « Ce n’est pas drôle de mourir et d’aimer tant de choses », jurait Paul-Jean Toulet, le poète béarnais qui n’ignorait pas le potentiel érotique du plus ensorcelan­t des excitants modernes. Dans son roman La Jeune Fille verte, le vin préféré de la Veuve Cliquot devient un parfum : « Mon

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