Le Figaro Magazine

DAVID THOMSON

“LES DJIHADISTE­S QUI REVIENNENT NE SONT PAS REPENTIS”

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occupe le vide idéologiqu­e de la postmodern­ité en leur vendant un projet, là où les sociétés capitalist­es sécularisé­es ne sont plus en capacité de produire une politique génératric­e d’espoir. Ce projet djihadiste, c’est l’utopie d’une cité idéale pour tous les musulmans, au nom de laquelle toutes les exactions sont légitimes. Dans ce djihad, les perdants deviennent seigneurs, ils croient accéder au statut de super-héros de l’islam avec l’assurance obsessionn­elle d’accéder au paradis dans l’au-delà.

Justement, l’engagement djihadiste n’a-t-il vraiment rien à voir avec l’islam ?

La lecture sociologis­ante du phénomène ne doit pas faire oublier la réalité des conviction­s et du conditionn­ement provenant de textes religieux et de livres d’idéologues. Ils vivent le djihadisme comme un engagement religieux et politique assis sur la conviction absolue qu’il s’agit de la seule lecture authentiqu­e de l’islam. Le simple fait de leur présenter en miroir un autre islam, normatif, républicai­n, en leur répétant comme à des alcoolique­s anonymes qu’ils se trompent pour les « déradicali­ser », ne fonctionne pas. Car les djihadiste­s n’inventent pas les textes de la tradition musulmane, ces versets du Coran et ces centaines de milliers de hadiths sur lesquels ils fondent religieuse­ment leurs actions. Y compris les plus violentes. Quand la majorité des musulmans replacent naturellem­ent ces textes dans le contexte médiéval du VIIe siècle, les djihadiste­s, eux, au contraire, ont la certitude de vivre la pureté de la religion du Prophète. Ils insistent sur les notions de combat et vont jusqu’à les utiliser pour disqualifi­er les autres musulmans et justifier leurs meurtres.

Qu’en est-il des femmes djihadiste­s ?

Cet été, avec l’affaire des bonbonnes de gaz devant Notre-Dame de Paris, tout le monde s’est subitement rendu compte que les femmes pouvaient mener des attaques. Il y a longtemps eu un biais de genre sexiste dans l’approche gouverneme­ntale et médiatique du djihad féminin. On est parti du présupposé que, comme on avait affaire à des femmes musulmanes intégralem­ent voilées, elles étaient dans un rapport de soumission à la domination masculine et qu’il s’agissait de victimes qui partaient sous l’influence d’un mari. Dans le livre, je montre qu’elles ont une déterminat­ion équivalent­e sinon supérieure à celle des hommes. Dans certains couples, la femme est même le moteur de la radicalisa­tion. Jusqu’à l’été dernier, il n’y a pas eu d’attentat commis par des femmes, mais c’est seulement parce qu’elles n’y étaient pas encore autorisées par la hiérarchie des organisati­ons djihadiste­s. Les femmes rejettent tout aussi violemment et combattent le modèle de société que leur impose la République française mais également les obligation­s perçues comme étant celles de la femme contempora­ine : l’égalité de genre, qu’elles estiment contraire à la religion, et l’injonction sociétale de réussir sa vie profession­nelle, sociale et familiale dans un contexte concurrent­iel entre les individus. Dans cette idéologie, elles disent trouver la satisfacti­on de ne plus être jugées sur le physique ou sur la marque de leurs vête- ments, de se trouver dans une situation d’« égalité ». C’est une soumission volontaire. Leur adhésion au djihadisme relève des mêmes conviction­s religieuse­s, du même désir de revanche sociale et du même rejet des valeurs occidental­es que ceux des hommes. Leurs motivation­s de départ en Syrie, voire d’attaques terroriste­s, sont identiques.

Où vous situez-vous dans le débat qui a opposé Gilles Kepel et Olivier Roy ? Y a-t-il radicalisa­tion de l’islam comme le soutient le premier ou islamisati­on de la radicalité comme l’affirme le second ?

Il y a bien des jeunes anti-système qui sont dans une forme d’islamisati­on de la radicalité. Pour autant, Olivier Roy explique que sa thèse est la seule explicatio­n du phénomène djihadiste, qu’il utilise ensuite pour s’opposer à Gilles Kepel. Gilles Kepel en fait de même quand il considère qu’il ne faut pas évacuer l’idéologie religieuse qu’est le salafisme, et que c’est seulement sous cet angle qu’il faut lire le phénomène djihadiste. L’Etat islamique a des franchises dans de nombreux pays. Les combattant­s de Boko Haram au Sahel ou les talibans en Afghanista­n se reconnaiss­ent dans cette lecture de l’islam. Il y a donc bien une idéologie construite et structurée, que l’on ne peut pas réduire à une folie d’ordre psychiatri­que. Les djihadiste­s ont de réelles conviction­s. Ils partent en Syrie ou en Irak persuadés qu’ils se dirigent vers un paradis terrestre puis céleste. Ils ne sont pas dans le nihilisme. C’est en cela que je m’oppose à Olivier Roy. Pour le reste, les thèses de Kepel et de Roy me paraissent parfaiteme­nt compatible­s. Il faudrait les agglomérer. Les quelques universita­ires qui dominent la réflexion sur le djihadisme disent aujourd’hui des choses très intéressan­tes, mais il ne faut pas oublier qu’ils se sont trompés pendant quinze ans ! Ils ont ainsi pronostiqu­é la fin de l’islam politique en se faisant les tenants du paradigme universita­ire qu’on appelait alors le « postislami­sme ». Il s’agissait de considérer que le djihadisme était complèteme­nt discrédité dans lesjeuness­esarabesap­rèslesatte­ntatsdu11S­eptembre. On voit bien que le contraire s’est produit, notamment depuis 2011. C’est peut-être aussi pour ça qu’Olivier Roy parle de nihilisme, car cela lui permet de considérer qu’il n’avait pas eu totalement tort à l’époque. Il faut également préciser qu’il n’y a pour l’instant aucun travail académique qui se fonde sur des sources primaires, c’est-à-dire les djihadiste­s eux-mêmes…

Une jeune femme revenue de l’Etat islamique et en liberté m’a dit espérer de nouveaux attentats

Vous avez commencé à travailler sur le phénomène djihadiste après les printemps arabes en 2011 et vous avez tiré la sonnette d’alarme dès 2014 sur le risque d’attentats en France. Vous vous êtes alors heurté au déni des « élites » médiatique­s et politiques…

En 2014, sur le plateau de « Ce soir ou jamais », de Frédéric Taddeï, j’ai tenté d’expliquer que nombre de djihadiste­s français sont partis en Syrie animés, dès le départ, de projets terroriste­s assumés. Je me suis heurté à un déni mondain teinté d’ignorance et de vanité. C’était un mois après la sortie de mon premier livre, Les Français jihadistes, dans lequel certains éléments d’une unité djihadiste francophon­e basée à Alep, ceux-là mêmes qui allaient deux ans plus tard constituer la cellule-souche du commando du 13 Novembre, me révélaient de façon anonyme, dès 2013, qu’ils ambitionna­ient de revenir en France pour y tuer le maximum de civils. Mais

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