POUR EN FINIR AVEC LA PENSÉE UNIQUE
A la veille d’une année d’élection présidentielle, le député des Yvelines et l’essayiste méditent sur la crise du système politique français et plaident pour le dépassement du conformisme de la pensée dominante.
PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRE DEVECCHIO ET ALEXIS FEERTCHAK
Le premier a été plume et conseiller spécial de l’ancien président de la République tandis que le second, à la tête de l’hebdomadaire Marianne, était farouchement anti-sarkozyste. Tous deux pourtant se respectent et ont pour point commun d’êtres libres et inclassables. Chacun à sa manière bataille contre les dogmes idéologiques de notre époque et les sectarismes de tout bord. Henri Guaino publie En finir avec l’économie du sacrifice (Odile Jacob), un livre d’économie très politique dans lequel il fustige l’Europe, la mondialisation et la toutepuissance des marchés. Dans un livre d’entretiens, Réflexion sur mon échec (L’Aube), Jean-François Kahn, lui, fait le bilan de sa carrière de journaliste et d’intellectuel et déplore le triomphe d’une bipolarité stérile. Leur constat est sombre mais pas désespéré. Le gaulliste et le centriste révolutionnaire restent tous deux convaincus de la justesse du combat à mener pour se projeter au-delà des clivages partisans.
Vous vous êtes tous deux battus contre une forme de pensée unique. Est-elle toujours dominante ?
Henri Guaino–
En 1998, nous avons, Jean-François et moi, participé à la création de la Fondation Marc-Bloch, tentative prématurée d’unir des antimaastrichtiens, des « républicains des deux rives » et des contempteurs du néolibéralisme dont le trait d’union était, au-delà des partis politiques et des partis pris, le refus des dogmes et de l’orthodoxie qui prétendait gouverner le monde et que nous appelions « la pensée unique ». Nous avons été traités de « nationaux-républicains » comme un écho à peine déguisé aux « nationaux-socialistes ». Pendant la campagne de Maastricht, les partisans du « non » n’avaient-ils pas été traités, dans des journaux très sérieux, quasiment d’épigones de Hitler ? Hélas, en politique, il n’est jamaisbond’avoirraisontroptôtcontreceuxquej’hésiteàappeler des élites, car, pour qu’il y ait une élite, encore lui faut-il un grand sens de ses devoirs envers les autres… Le combat contre cette pensée unique, qui voulait tout régenter et qui est encore plus intolérante et plus dogmatique, est plus pertinent que jamais tant sont nombreux les débats interdits. Observez tout ce qui est arrivé depuis Maastricht, relisez le discours de Philippe Séguin de 1992 : pas une virgule à changer pour comprendre ce qui nous arrive.
Jean-François Kahn–
Il se trouve que j’ai inventé l’expression « pensée unique », mais je ne l’emploie plus parce qu’elle est utilisée aujourd’hui en dépit du bon sens. La pensée unique, c’est la pensée de l’autre, avec lequel on n’est pas d’accord. J’ai forgé ce terme car il y a une tendance profonde à l’unicité du discours médiatique dominant.
Comment expliquez-vous que ceux qui ont raison trop tôt ne soient pas écoutés ?
Jean-François Kahn–
Ce qui me frappe aujourd’hui, c’est qu’avoir raison ou tort n’a plus aucune importance. Sur le moment, il est compréhensible que presque toutes les positions puissent paraître respectables et d’ailleurs elles le sont. Mais il y a un moment où l’histoire tranche : il apparaît rétrospectivement que vous avez eu raison ou tort. L’histoire nous dit que celui qui a applaudi aux accords de Munich avait tort ou que ceux qui se sont opposés à l’armistice de juin 1940 avaient raison. Aujourd’hui, plus personne ne tient compte du verdict de l’Histoire. Il est pourtant évident que ceux qui ont soutenu la guerre d’Irak ou de Libye se sont trompés. Ces interventions furentundésastreuniversel.Onpourraitdirelamêmechosede ceux qui ont soutenu l’islamisation de la rébellion en Syrie pour complaireàl’Arabiesaoudite.Ilsnousontserinéquelesrebelles syriens étaient modérés même quand ils ne l’étaient plus. Même un philosophe aussi estimable qu’André Glucksmann n’a jamais reconnu qu’il s’était trompé en soutenant la guerre d’Irak. A quoi sert-il de discuter s’il importe peu de savoir si quelqu’un a tort ou raison ? Dans ce cas, ce n’est plus que de la littérature ! Il est temps de revenir à cette idée que les événements se font juges de paix.
Pour juger des échecs ou des succès historiques, je ne suis pas sûr que les événements soient des juges de paix impartiaux. Il n’y a pas de faits sans interprétation. Prenez la Libye : sur le moment, il fallait mettre dans la balance le million de morts que Kadhafi promettait à Benghazi. D’autre part, on peut regarder le chaos libyen non comme la conséquence de la guerre elle-même mais comme celle de l’abandon de la Libye à son sort à l’été 2012. Pour la Syrie, je suis d’accord avec JeanFrançois et il est certain que la chute du régime n’aurait pas ouvert la voie à la démocratie mais à l’Etat islamique. Reste qu’il faut se méfier de la politique des résultats : trop d’événements viennent interférer avec la suite de l’Histoire une fois qu’une décision est prise. Le problème est moral et je partage la juste formule de Régis Debray : « L’homme d’Etat est celui qui veut
Henri Guaino–