Le Figaro Magazine

UNE FRANCE AIMABLE, VRAIMENT ?

« Douce France, cher pays de mon enfance… » Charles Trenet chanterait-il encore sa ritournell­e s’il était toujours de ce monde ? Parfois, on se le demande…

- NICOLAS UNGEMUTH

Aimer la France, c’est bien, mais pour être honnête, ce n’est pas tous les jours facile. Imaginons un touriste, américain par exemple, qui déciderait de visiter le pays en ayant recours aux services de la SNCF. A la gare, aucun bistrot digne de ce nom, mais des chaînes idiotes où règnent le self-service et les sandwichs au quinoa. Le train arrive finalement avec les vingt minutes de retard de rigueur. A l’intérieur, la climatisat­ion est en panne et le « wagon-restaurant », soit un bar chétif derrière lequel survit un serveur ruisselant de sueur au bord de l’évanouisse­ment, est pris d’assaut. Il faudra compter vingt minutes pour obtenir son café. Les toilettes sont bouchées et les vitres sont sales. Partout, des bébés hurlent et des passagers crient au téléphone.

Las, notre homme descend et loue une auto pour sillonner les charmantes petites routes, qui ne sont plus charmantes depuis des lustres puisqu’on a décidé de supprimer tous les arbres de part et d’autre du bitume. Tous les deux ou trois kilomètres, il reste bouche bée devant une spécialité française : « l’entrée de ville ». Un lieu d’une laideur délirante, un no man’s land parfaiteme­nt déprimant. Il s’agit d’un rond-point entouré de panneaux publicitai­res et de magasins en tôle ondulée. Pour parfaire l’atrocité, une sculpture grotesque trône au milieu, réalisée par un « artiste » qui n’en a pas cru ses oreilles lorsqu’on lui a proposé d’être payé pour ainsi défigurer la campagne. Une campagne sinistre puisque fantôme : les villages traversés sont désertés et les magasins ont fermé il y a des années.

Déprimé, l’étranger décide de trouver une auberge pour se remonter le moral et se sustenter

: il paraît que la France est le pays de la gastronomi­e. Là, un garçon de café agressif faisant mine de ne pas parler un seul mot d’anglais lui demande de régler fissa avant même qu’il ait consommé. On lui apporte ensuite un grand classique de l’art de la table français : le meilleur de la « cuisine aux ciseaux », soit des plats industriel­s sous vide qu’il faut découper avant de les réchauffer. En accompagne­ment de sa viande qui a un goût de pneu brûlé, un morceau de salade caoutchout­euse et un bout de tomate aqueuse, tous deux récupérés dans l’assiette du client précédent. Un tour aux toilettes et c’est une autre surprise : un trou abominable, nommé « W.-C. à la turque », dont même les Turcs ne veulent plus depuis le XVIIe siècle, le défie de son oeil noir et l’enveloppe de ses miasmes. Tirant la chasse, il constate que son pantalon et ses chaussures sont trempés.

Au bout d’une centaine de ronds-points et d’entrées de ville infâmes, il rejoint enfin la capitale. Son GPS lui indique qu’il faudra à peu près vingt-quatre heures pour traverser la ville d’ouest en est : Paris est en effet la seule métropole au monde dont la maire est persuadée qu’elle pourra réduire la pollution en créant un maximum d’embouteill­ages. Arrivé à la Concorde, n’en pouvant plus et craquant tel Patrick Dewaere dans Le Grand Embouteill­age de Luigi Comencini, il abandonne son véhicule et décide de continuer à pied en passant par les Tuileries, où il est rapidement escorté par une horde de rongeurs trottant au milieu des capotes anglaises (usagées). Plus loin, un attroupeme­nt : des défenseurs de la cause animale brandissen­t des pancartes « Non au génocide des rats ! Oui au respect des bêtes ! »

A bout de forces, au bord du burn-out et du nervous breakdown, le touriste décide de continuer en empruntant les transports en commun, que les locaux appellent curieuseme­nt « les transports ». Une fois descendus les escaliers visqueux, des Roms s’emparent de son portefeuil­le et de son téléphone portable. Le quai est bondé : en raison d’un « incident voyageur », le trafic est interrompu. Bienvenue en France.

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