JOUR 10, TOKYO 139° EST, SOUS LES CERISIERS
Pour Phileas Fogg, le Japon n’est qu’un détour. Puisque aucun steamer ne traverse le Pacifique depuis Hongkong ou Shanghaï, il doit remonter vers le nord. Brutalement, la porte de l’aéroport Narita Tokyo efface la chaleur humide du Sud-Est asiatique. Au-dessus des buildings, le ciel étale un bleu plus franc. Vue de haut, la ville a quelque chose d’un circuit fou où se mêlent les trains, les échangeurs, les fils électriques. De loin cité du futur, Tokyo devient de près une séduisante agglomération de villages où oeuvrent encore des artisans. Minuscule, silencieux, le musée des Horloges japonaises rassemble une étonnante collection de pendules antiques. On y apprend que les Japonais ont commencé par mesurer le temps avec des bâtons d’encens. Les heures partaient alors en fumée. Il y a aussi les compteurs de pas, les cadrans qui combinent cycles lunaires et heures solaires…
En 1872, l’année où Fogg débarque à Yokohama,
le Japon se convertit à l’heure de l’Occident. Son goût de l’horlogerie ne faiblit pas. Une immense horloge trône à l’entrée du musée Ghibli, laboratoire du maître du cinéma d’animation Hayao Miyazaki. Les mécaniques infernales du cinéaste côtoient de superbes croquis et des piles de livres. « La génération de Miyazaki lisait Jules Verne, confirme l’un des guides, M. Furumata. L’aspect rétro-futuriste de ses romans l’a certainement influencé. Ils partagent le goût des machines, une fascination pour la mer et ses profondeurs. » Comme Verne, Miyazaki a inventé un monde en mouvement constant qui ressemble presque au nôtre. Et l’on songe à son dernier film, Le vent se lève, tandis que le petit train de Kamakura longe l’océan Pacifique.
Dans sa course, Nellie Bly a aussi visité Yokohama. Elle raconte même s’être assise sur le pouce du grand bouddha qui domine le temple de Kotoku. Aujourd’hui, l’escalade est interdite. Cependant, le bouddha nous observe encore du haut de ses 13 mètres et de ses 700 ans, indifférent aux typhons, tremblements de terre et tsunamis. Aux siècles, il n’a sacrifié que l’or de sa robe oxydée. A quelques pas de là, sur la plage de sable noir, les surfeurs tracent de larges S le long des vagues. Dès demain, nous serons de l’autre côté.