Le Figaro Magazine

JOUR 17, NEW YORK 74° OUEST, AU CARREFOUR DE L’UNIVERS

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Phileas Fogg est vaincu ! Le 25 janvier 1890, la jeune reporter du New York World Nellie Bly achève à New York son voyage de 72 jours. Dix salves de canon saluent son retour, les remorqueur­s font retentir leurs sirènes et, le long de Broadway, des milliers de New-Yorkais forment une haie d’honneur jusqu’au siège du journal. Cinq jours plus tard, sa rivale Elizabeth Bisland atteint la ville dans l’indifféren­ce. Sa soeur fond en larmes : « Elle t’a battue, mais tu as réussi. » Au nord du Bronx, tout au bout de New York, s’étend le beau cimetière de Woodlawn, véritable forêt ponctuée de lacs et de rivières, grand comme la moitié de Central Park. Critique littéraire réputée et respectée, Elizabeth Bisland repose ici, aux côtés de son mari. Reporter ruinée et oubliée, Nellie Bly est enterrée à 400 mètres de là, tout comme son rédacteur en chef Joseph Pulitzer. Nellie est morte en 1922. Il a fallu attendre plus de cinquante ans pour que le New York Press Club lui offre enfin une pierre tombale. Au-dessus de Woodlawn planent de lointaines sirènes de police et des sons familiers du XXIe siècle. En fin de compte, qui des deux femmes a gagné la course ?

New York reste obsédée par le temps et la géographie.

Sur la 70e Rue, le vénérable Explorers Club possède une incroyable collection d’objets du bout du monde : le journal d’Egypte de Napoléon, le fouet de Roy Chapman Andrews, l’aventurier qui inspira le personnage d’Indiana Jones, la table sur laquelle Theodore Roosevelt se penchait sur le canal de Panamá… Des cartes, des boussoles et le globe sur lequel Thor Heyerdahl travailla à la mythique expédition du Kon-Tiki à travers le Pacifique. Face à la cathédrale Saint-Patrick, l’Atlas du Rockefelle­r Center porte la terre sur ses épaules et le hall Art déco du Daily News Building abrite un gigantesqu­e globe terrestre. Autour de Times Square, surnommé par les New-Yorkais « carrefour de l’univers », Manhattan la mégalo est semée de cadrans dont celui de la dette américaine, qui rappelle au piéton que le temps se mesure aussi en dollars. De belles horloges rétro scandent encore la 5e Avenue, une autre est encastrée dans le trottoir de Broadway, près de la boutique du bijoutier Barthman. Au-dessus d’un complexe immobilier chic, une incongrue statue de Lénine tend la main vers Wall Street. Derrière elle, une folle horloge affiche des chiffres aléatoires. Sur le vertigineu­x Metronome d’Union Square filent les heures, les minutes, les secondes, les dixièmes, les centièmes tandis que d’autres chiffres égrènent à rebours le temps restant avant la fin de la journée. Kristin Jones et Andrew Ginzel définissen­t leur oeuvre comme une ode à New York, « à la mortalité et à l’impossibil­ité de connaître le temps ». Et l’espace ? Nous voilà presque au bout du plus long des voyages or, sous la voûte du planétariu­m de Central Park, notre terre paraît minuscule.

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Le chic new-yorkais. Sur Bowery Street, passante devant une fresque murale de Joey Ramone.

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