FAITS D’HIVER
Il n’y a pas de neige. Les flocons sont en grève. La météo ne respecte rien. Au bord des pistes, des canons pointent leur embouchure vers le ciel. Les skis restent dans leur casier. Cette position horizontale a un côté humiliant. On dirait des soldats qu’on empêche de partir pour la bataille. Les vacanciers remplacent le slalom par des randonnées en forêt. C’est autre chose. Les enfants traînent les pieds. Ils auraient préféré regarder Rogue One en streaming. Sur les pentes, les sapins sont tout verts. La blancheur leur manque. L’herbe est d’un jaune maladif. Le silence ne fait pas le même bruit. En rentrant au chalet, plus personne n’a besoin de taper des pieds sur le sol. Les chaînes n’ont pas quitté le coffre des voitures. Cela évite des crises de nerfs au bord de la route. Drôle d’impression. C’est un peu comme si l’été, sur les plages, la mer avait décidé de se retirer pour de bon. On aurait l’air fin, tiens. Les moufles, vous vous souvenez des moufles ? Ces gros gants molletonnés qui emprisonnaient quatre doigts sur cinq ont disparu. Il ne fait plus assez froid. Pour que les enfants ne les égarent pas, on les reliait par un fil de laine qui leur passait dans le cou et les manches. Images de jadis. Pour compenser, les citadins portent des bonnets à longueur d’hiver. Cela leur cache les oreilles. On ne les reconnaît plus. Les trottoirs sont envahis de crânes ronds. Le soir tombe. Les doudounes ont remplacé les pardessus. On ne sait jamais si on a affaire à un perchiste de SerreChevalier ou à un PDG que son épouse a habillé à la dernière mode. La neige a peut-être déclaré forfait, mais les rues sont peuplées de montagnards en tenue de combat. Heureusement, la température autorise ce menu plaisir : pousser devant ses lèvres un petit nuage de buée. Cela, cette sensation d’avoir 8 ans de nouveau, nul ne pourra nous l’enlever.
Les doudounes ont remplacé les pardessus