ROMAN ÉTRANGER LES RÊVES À L’ÉPREUVE

mémoire et du style. Toute une vie, c’est-à-dire, pour elle, l’étendue d’un engagement pris quand elle n’était ni un écrivain ni même une adulte, juste une enfant en trop dont on s’était débarrassé, dans la pure tradition bourgeoise, auprès d’une nourrice, une « Bretonne à la vertu garantie », recrutée par « les services de renseignements des paroisses ».

Emilia Humily selon l’état civil, mais Yaya, pour la fillette qui trouve auprès d’elle ce que les mères n’offrent pas forcément : l’amour sans contrepartie. Ce paradis explose pourtant, un dimanche de juillet 1940, à l’arrière d’une Citroën CV11 conduite par une dame aux manières parfaites. Funeste carrosse. Pour l’indésirée, assignée désormais à la geôle d’un vaste appartement du boulevard de Courcelles, c’est le début des brimades imposées au nom des convenances. Survivre aux fessées au portemanteau en présence d’un évêque pétainiste : de quoi forger la volonté brute. Une fugue signera la libération définitive. Une fois adulte,

« La honte de la famille » fera tout pour retrouver la discrète nourrice qui l’avait choyée comme sa fille. Gallois résiste à tout apitoiement.

Elle vise, tire, jubile et pardonne. Un récit féroce éclairé d’infinie tendresse.

LES ANNÉES À REBOURS, de Nadia Terranova, Quai Voltaire, 176 p., 18 €. Traduit de l’italien par Romane Lafore.

On croit d’abord à de nouveaux Roméo et Juliette. Elle, Aurora, jeune fille docile, fille du directeur de la prison de Messine, fasciste et exigeant.

Lui, Giovanni, rebelle et incompris, fils d’un célèbre avocat communiste.

En cette fin des années 70, ils vont s’aimer mais, contre toute attente, leur union ne dérange personne. Au contraire : Aurora est enfin « casée », Giovanni deviendra sans doute plus réaliste. Enceinte, Aurora épouse son amoureux et les voilà installés dans leur minuscule appartement. Giovanni, activiste impatient, rêve de participer à la révolution, mais n’est qu’un romantique, immature et forcément déçu : il ne sera jamais le porte-drapeau qu’il espérait devenir. Aurora regarde Giovanni s’enfoncer peu à peu dans la dépression puis dans la drogue. Douze ans durant, le couple se déchire, s’aime, se sépare, s’aime encore. Ils sont tous deux des gamins désabusés qui n’ont pas su grandir. A force de s’interdire toute ressemblance avec ses aînés, à force de croire que sa génération changera le monde, Giovanni passe à côté de sa vie. Le désenchantement qui imprègne chaque page de ce premier roman sonne aussi comme un terrible fiasco.