EMMANUEL MACRON FACE AUX FRANÇAIS
La campagne présidentielle de l’entre-deux-tours a illustré les fractures politiques et sociologiques de la France. Favori du scrutin de dimanche 7 mai face à Marine Le Pen, le candidat d’En Marche ! va devoir réconcilier des Français divisés et inquiets.
Ils voulaient se retrouver face à face. Depuis le début de la campagne, Emmanuel Macron et Marine Le Pen espéraient en découdre au second tour de l’élection présidentielle. L’effondrement des socialistes et des Républicains leur a permis de mettre en scène leur affrontement, dont le dénouement aura lieu dimanche 7 mai. Tous les deux pensent incarner le nouveau clivage qui doit se substituer au traditionnel droite-gauche. Les patriotes contre les mondialistes comme l’affirme Marine Le Pen. Les républicains contre l’extrême droite comme Emmanuel Macron a voulu le signifier dans l’entre-deux-tours.
Quel qu’il soit, ce clivage illustre une France fracturée en deux. France des villes intégrées contre France des périphéries et des campagnes délaissées ; France de l’Ouest, ouverte sur le monde, contre France de l’Est, désindustrialisée ; France des surdiplômés contre France des classes populaires ; France proeuropéenne contre France antieuropéenne. Entre le fin fond du pays de Caux, à Ourville, où Marine Le Pen a obtenu plus de 38 % des voix le 23 avril, et le IIIe arrondissement de Paris qui a donné 45 % des siennes à Emmanuel Macron, ces fractures françaises sont béantes (voir p. 42). Et la campagne de ces derniers jours loin de les réduire, n’a sûrement fait que les aggraver.
Le « banquier d’affaires » contre « l’héritière »,
voilà le choix tel que les protagonistes l’ont résumé dans une campagne de second tour d’un niveau peu élevé. Les électeurs hésitants ont été pointés du doigt pour leur tergiversation, mais comment ne pas les comprendre ! Emmanuel Macron a raté le début de sa campagne en fêtant sa victoire avant l’heure. Le rendezvous de La Rotonde le dimanche soir, puis 24 heures sans déplacement pour préparer l’après 7 mai ont fait l’effet d’une douche froide sur une partie de l’électorat. Puis, plutôt que d’évoquer son projet, le candidat En Marche ! a voulu placer la campagne sous le signe des valeurs. Un classique pour mobiliser l’électorat de gauche face au Front national. La diabolisation comme vecteur de rassemblement. Une ficelle usée jusqu’à la corde alors même qu’elle n’a donné que peu de résultats en termes électoraux, le FN poursuivant sa progression. Un moyen aussi d’éviter que Marine Le Pen ne vienne perturber ses déplacements comme elle a pu le faire la semaine précédente en s’invitant sur le site de l’usine de Whirlpool à Amiens, obligeant Emmanuel Macron à, lui aussi, s’inviter devant les ouvriers. Mais là où la candidate a pu montrer des images d’elle au milieu de gens prenant des selfies et l’applaudissant, le candidat a dû batailler ferme au milieu des sifflets et des remarques acerbes.
Même si les intentions de vote semblent figées
d’après les sondages dans un rapport de forces 60/40 pour Emmanuel Macron, Marine Le Pen a su briser la digue qui maintenait jusque-là le Front national dans l’isolement, grâce à l’accord passé avec Nicolas Dupont-Aignan. La prise est tellement inespérée et prometteuse qu’elle l’a mise en avant tout le week-end dernier jusqu’à l’apothéose du meeting de Villepinte lundi 1er mai où le président de Debout la France, promis à Matignon en cas de victoire, a été le seul à tenir un discours avant celui de la candidate. Une candidate qui s’en est donnée à coeur joie dans l’attaque contre Emmanuel Macron, représentant de « la finance ». Elle s’est
amusée à reprendre la fameuse tirade de François Hollande au Bourget en 2012. Le candidat socialiste expliquait que son adversaire n’avait pas de nom, pas de visage, pas de programme car c’était « le monde de la finance ». Marine Le Pen a pris un malin plaisir à dire que « cette fois, il a un nom, il a un visage, il a un parti et il présente sa candidature et il s’appelle Emmanuel Macron ».
Pour autant, Marine Le Pen n’a pas réussi à fracturer la droite. Aucun de ses responsables n’a cédé aux sirènes du Front national. De François Fillon, dès dimanche 23 avril, à Nicolas Sarkozy, les principaux dirigeants des Républicains ont appelé à voter en faveur d’Emmanuel Macron. Leur argument est clair : ce choix est, comme l’a expliqué l’ancien président, « un choix de responsabilité qui ne vaut en aucun cas un soutien à son projet ». Mais derrière ces appels, les critiques à l’encontre de l’ancien ministre de François Hollande ne manquent pas. Comme celles de François Fillon qui, devant quelques députés mardi dernier a confié : « Je n’arrive pas à concevoir que ce type soit président de la République. » Un sentiment partagé par beaucoup à droite. C’est la raison pour laquelle nombreux sont ceux qui aimeraient un geste du candidat pour arriver à convaincre ceux de leurs électeurs qui ont encore du mal à s’imaginer glisser un bulletin Macron dans l’urne ce dimanche. D’autant qu’il n’aide pas vraiment. Lundi 1er mai dans son discours de meeting de la Villette, il n’a fait aucune concession, aucune ouverture.
Est-ce la raison pour laquelle
la cote de confiance d’Emmanuel Macron stagne dans notre dernier baromètre Kantar Sofres quand celle de Marine Le Pen grimpe ? A 41 %, il est toujours devancé par Jean-Luc Mélenchon, alors que l’ancienne présidente du FN gagne 5 points (29 %), tout comme sa nièce Marion MaréchalLe Pen. L’ancien ministre ne progresse en outre que faiblement à droite. Les sympathisants Républicains ne sont que 39 % (+5) à vouloir qu’il joue un rôle important dans les mois à venir. Une résistance à mettre au regard de l’enquête Ipsos qui montre que seulement 20 % des électeurs veulent vraiment qu’ Emmanuel Macron soit élu, 41 % d’entre eux estimant qu’il vaut mieux lui plutôt que Marine Le Pen. Une faible adhésion qui risque de compliquer le début de son mandat, en tout cas de le priver d’un état de grâce indispensable à tout président au début de son quinquennat. Mais le plus frappant reste la segmentation de la cote de confiance de Macron et de Le Pen. Il illustre de manière flagrante les fractures françaises de cette élection présidentielle. Emmanuel Macron est fort chez les retraités (50 %), les cadres (52 %) et les catégories de revenus aisés (70 %). Il ne séduit pas les chômeurs (29 %), les employés (25 %) et les catégories de revenus modestes (27 %). L’exact inverse de Marine Le Pen, forte chez les chômeurs (38 %), les employés (44 %) et les catégories de revenus modestes (40 %) alors qu’elle n’attire pas les retraités (22 %), les cadres (15 %) ni les catégories de revenus aisés (15 %). Dimanche prochain, « ce qui se joue c’est l’avenir de la société, du peuple français, de notre vie ensemble », a soutenu Emmanuel Macron à la Villette. Favori du scrutin, c’est à lui désormais, face aux Français, de se hisser à la hauteur de l’enjeu. Et, lui qui aime les citations, de méditer celle-ci de Talleyrand : « Le moment difficile n’est pas l’heure de la lutte, c’est celle du succès. »
MARINE LE PEN N’A PAS RÉUSSI À FRACTURER LA DROITE